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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 19 janvier 2017, n° 14/20691

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Fonciere de Paris Siic (SA)

Défendeur :

Kepler Corporate Finance (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Dabosville

Conseillers :

Mme Schaller, Mme du Besset

T. com. Paris, 16e ch., du 19 sept. 2014…

19 septembre 2014

Faits et procédure

La société Kepler Corporate Finance (ci-après « Kepler CF ») est une société suisse spécialisée dans le conseil financier, conseillant notamment ses clients dans le cadre de leurs opérations boursières.

La société Foncière de Paris SIIC, venant aux droits de la société Foncière Paris France (ci-après « la Foncière »), est une société spécialisée dans l'acquisition et la gestion de tous immeubles bâtis qui a été introduite en bourse en mars 2006.

Par un contrat en date du 22 septembre 2011, la Foncière a confié à la société Kepler CF une mission de veille du marché boursier.

Par un contrat en date du 4 octobre 2011, la Foncière a demandé à la société Kepler Capital Markets (ci-après « Kepler CM »), entité française appartenant au même groupe que la société Kepler CF, d'intervenir en qualité de prestataire de services d'investissements dans le cadre de son programme de rachat d'actions.

Le 7 octobre 2011, la société Paris Hôtel Roissy Vaugirard (ci-après « la société PHRV ») a déposé auprès de l'Autorité des marchés financiers (l'AMF) un projet d'offre publique d'achat hostile portant sur les titres de la Foncière, au prix de 100 euros l'action.

Le 11 octobre 2011, le conseil d'administration de la Foncière a rejeté cette offre, et décidé d'organiser une stratégie de défense anti-OPA. Elle a racheté 2,5% de son capital au prix moyen de 104 euros, lui permettant ainsi de détenir 5,4% de son capital.

C'est dans ce cadre que, le 14 octobre 2011, la Foncière a conclu avec la société Kepler CF un contrat de mandat aux termes duquel cette dernière devait rechercher de nouveaux actionnaires minoritaires pour la constitution d'un groupe d'actionnaires stables en vue de se défendre contre l'offre publique hostile initiée par la société PHVR, moyennant une rémunération fixe de 200.000 euros HT, une commission de succès de 2% avec un minimum de 200.000 euros et une commission liée aux résultats.

Le 25 octobre 2011 toutefois, l'AMF a pris une décision par laquelle elle demandait à la société Foncière Paris France de mettre un terme à ce programme de rachat, estimant ces acquisitions susceptibles de faire échouer l'offre de PHRV, et constituant une manipulation de cours.

Par un nouveau contrat en date du 27 octobre 2011, la Foncière a confié à la société Kepler CM la mission de rechercher un partenaire stratégique (un « chevalier blanc ») susceptible de déposer une contre-offre venant concurrencer celle qui avait été déposée par PHRV.

Le 29 novembre 2011, PHRV a déposé un projet de surenchère sur son OPA visant la Foncière, en proposant de relever son prix d'offre à 110 euros par action.

Le 13 décembre 2011 l'AMF a validé le projet de surenchère déposé par la société PHRV, de sorte qu'à l'issue de l'OPA, le 27 janvier 2012, cette dernière détenait plus de 68 % du capital et des droits de vote de la Foncière Paris France.

Entre-temps, le 2 décembre 2011 la société Kepler CF a émis une facture n°11/056 d'un montant de 205 000 euros, qui a été réglée le 16 décembre 2011 par la Foncière Paris.

Le 16 décembre 2011, Kepler CF a émis une seconde facture n°11/062 d'un montant de 200 000 euros, que la Foncière a réglé le 23 décembre 2011.

Par lettre du 8 février 2012 la société Foncière a fait savoir à la société Kepler CF que la deuxième facture faisait double emploi avec celle émise le 1er décembre 2011 et lui en a demandé le remboursement.

En réponse la société Kepler Corporate Finance a indiqué que la deuxième facture avait un objet différent de la première, mais qu'il y avait une erreur dans son intitulé.

Le 14 mars 2012, la société Foncière Paris France a alors mis la société Kepler CF en demeure de lui restituer le montant de la facture litigieuse, ce que cette dernière a refusé de faire.

En novembre 2013 la société Foncière Paris France a fait l'objet d'une opération de fusion-absorption par la société Cofitem-Cofimur, devenue entre-temps la société Foncière de Paris SIIC.

C'est dans ces conditions que, le 10 mai 2012 la société Foncière de Paris SIIC, venant aux droits de la société Foncière Paris France, a assigné la société Kepler Corporate Finance en règlement de la somme indue assortie des intérêts légaux.

Par un jugement en date du 19 septembre 2014 le tribunal de commerce de Paris a :

- débouté la société Foncière de Paris SIIC de ses demandes ;

- rejeté la demande de dommages et intérêts de la société Kepler Corporate Finance pour procédure abusive ;

- condamné la société Foncière de Paris SIIC à payer à la société Kepler Corporate Finance la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du CPC ;

- débouté les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires au dispositif,

- condamné la société Foncière de Paris SIIC aux dépens.

La société Foncière de Paris SIIC a interjeté appel de cette décision le 16 octobre 2014.

Vu les dernières conclusions signifiées le 20 juin 2016 par lesquelles la société Foncière de Paris SIIC, appelante à la présente instance, demande à la cour de :

- réformer le jugement du 19 septembre 2014 en ce qu'il l'a déboutée de ses demandes, et l'a condamnée à payer 10.000€ à la société Kepler Corporate Finance au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner la société Kepler Corporate Finance à lui payer la somme de 200.000 € au titre du remboursement de la facture 11/062 du 16 décembre 2011 indûment payée, augmentée des intérêts au taux légal sur la somme de 200.000 € à compter de la mise en demeure du 14 mars 2012 ;

- ordonner la publication, dans un quotidien économique national et dans un magazine économique hebdomadaire, du dispositif de sa décision de condamnation des agissements de la société Kepler Corporate Finance, ceci aux frais exclusifs de ladite société ;

- confirmer le jugement du 19 septembre 2014 en ce qu'il a débouté la société Kepler Corporate Finance de sa demande visant à obtenir des dommages et intérêts pour procédure abusive ;

- condamner la société Kepler Corporate Finance à lui payer la somme de 20.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi que les entiers dépens des deux instances.

Vu les dernières conclusions, signifiées le 16 août 2016, par lesquelles la société Kepler Corporate Finance demande à la cour de :

- confirmer le jugement du 19 septembre 2014 en ce qu'il a débouté la société Foncière de Paris SIIC de l'intégralité de ses demandes, et l'a condamnée à payer 10 000 euros à la société Kepler Corporate Finance au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens de première instance ;

- l'infirmer pour le surplus ;

- condamner la société Foncière de Paris SIIC à verser à Kepler Corporate Finance la somme de 50 000 euros, à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive ;

y ajoutant,

- condamner la société Foncière de Paris SIIC à verser à Kepler Corporate Finance la somme de 10 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au titre des instances d'appel ;

- condamner la société Foncière de Paris SIIC aux entiers dépens de l'instance.

* * *

La société Foncière de Paris SIIC soutient que le contrat de mandat du 14 octobre 2011 ne prévoyait aucune indemnité de résiliation anticipée en faveur de la société Kepler Corporate Finance, que le second contrat de mandat signé le 27 octobre 2011 ne prévoyait pas de rémunération forfaitaire, mais uniquement une rémunération en cas de « succès », que la société Kepler Corporate Finance a adressé deux factures identiques d'un montant de 200.000 euros correspondant à la commission forfaitaire, que la société Kepler Corporate Finance est tenue de restituer les 200 000 euros réglés indûment au titre de la seconde facture, qu'en effet cette somme, qui correspond à une commission de succès prévue par le deuxième contrat de mandat en cas de la constitution d'un groupe d'actionnaires stables, n'était pas due dès lors que les diligences de la société Kepler Corporate Finance n'ont débouché sur aucune cession, qu'il n'existait aucune règle de parité entre les rémunérations fixées pour les différents conseils BNP et Kepler, que le paiement de la seconde facture a été fait par erreur, M. D., le président-directeur général l'ayant autorisé alors qu'il ignorait qu'une première facture avait été émise et réglée quelques jours auparavant, que les conditions de la répétition de l'indu sont réunies. La Foncière conteste la demande de dommages et intérêts formulée par la société Kepler Corporate Finance.

La société Kepler Corporate Finance fait valoir en réponse que le paiement de 200 000 euros effectué par la Foncière trouvait sa cause dans l'accord des parties pour le versement d'une indemnité de résiliation anticipée, pour solde de tout compte, eu égard à l'ensemble des services rendus par l'intimée dans le cadre de sa mission de défense anti-OPA, qui aurait pris fin d'un commun accord en décembre 2011, que cette somme correspondait à la deuxième moitié d'une rémunération forfaitaire fixe convenue entre les parties, que M. D., alors président-directeur général de la société Foncière Paris France, avait d'ailleurs accepté de payer cette indemnité en toute connaissance de cause, qu'il n'est pas contesté que cette somme ne correspondait pas à une rémunération du succès (« success fees »), qu'en outre il existait bien une parité de rémunération entre elle-même et le second conseil mandaté par la société Foncière de Paris, que la société Foncière Paris France ne saurait se prévaloir d'avoir réglé par erreur le montant de la seconde facture, que malgré l'erreur commise par la société Kepler Corporate Finance dans l'intitulé de la facture du 16 décembre 2011, des différences visibles à l''il nu auraient permis de la distinguer de la facture émise le 2 décembre, en sorte que la société Foncière Paris France n'aurait pas pu ordonner son règlement par erreur, que la seconde facture avait été émise à la suite d'une réunion entre les représentants de la société Kepler et ceux de la société Foncière Paris France prenant acte de la défaite de la défense anti-OPA, en sorte qu'aucune méprise n'aurait été possible quant à son objet, que le dirigeant de la société Foncière Paris France avait donné à deux reprises son accord verbal au règlement de la facture, par téléphone puis lors d'une réunion le 16 décembre 2011, que c'est seulement sous la contrainte de son nouvel actionnaire de contrôle qu'il aurait demandé le remboursement le 8 février 2012 et qu'il choisirait de garder le silence sur le contenu de la réunion du 16 décembre 2011.

La société Kepler Corporate Finance s'oppose à la demande de la société Foncière de Paris SIIC tendant à ce que la décision de la cour soit publiée dans la presse économique. Elle sollicite en outre des dommages-intérêts pour le préjudice subi du fait de l'atteinte à la réputation du groupe Kepler et pour la procédure abusive engagée par la société Foncière de Paris SIIC.

La Cour renvoie, pour un plus ample exposé des faits et prétentions des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, par application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

Sur ce, la cour,

Considérant qu'aux termes de l'article 1376 du code civil, celui qui reçoit par erreur ou sciemment ce qui ne lui est pas dû, s'oblige à le restituer à celui de qui il l'a indûment reçu ;

Considérant que le paiement fait en vertu d'un accord n'est pas sujet à répétition ;

Qu'il appartient au demandeur en restitution des sommes de prouver le caractère indu du paiement ;

Considérant qu'en l'espèce, il résulte des éléments versés aux débats et des conclusions des parties qu'il n'est pas contesté que la deuxième facture d'un montant de 200.000 euros émise le 16 décembre 2011 et dont le remboursement est demandé ne correspond pas aux mandats signés entre les parties et n'a pas de cause écrite fondée sur lesdits mandats ;

Qu'en effet la société Kepler CF ne conteste pas avoir déjà perçu les 200.000 euros qui lui étaient dus au titre de la rémunération forfaitaire prévue au contrat du 14 octobre 2011 et que la facture n°11/062 de 200.000 fondée sur le même contrat du 14 octobre 2011 ne pouvait pas correspondre à une deuxième facturation forfaitaire, ni à la commission de succès prévue au contrat signé le 27 octobre 2011 ;

Qu'au demeurant ladite facture ne faisait pas référence au mandat du 27 octobre 2011 ;

Qu'en effet, la facture émise le 16 décembre 2011 était intitulée « Facturation de la commission forfaitaire » pour un montant de 200.000 € et était fondée sur « la lettre d'engagement signée avec Kepler Corporate Finance en date du 14 octobre 2011 », exactement dans les mêmes termes que la facture émise le 2 décembre 2011 ;

Qu'elle faisait dès lors manifestement double emploi avec la facture n°11/056 dont l'intitulé était identique ;

Qu'elle ne peut dès lors servir de cause au paiement intervenu ;

Considérant qu'il appartient dès lors à celui qui a reçu le paiement dont la cause apparente est erronée de rapporter la preuve de l'accord des parties sur ce paiement ;

Qu'en l'espèce, la société Kepler qui a reçu ledit paiement en toute connaissance du caractère erroné de la facture émise soutient que la cause du paiement de cette somme de 200.000 € serait un accord verbal intervenu le 16 décembre 2011, date d'émission de la facture, entre la société Kepler CF et la Foncière, Monsieur S.-L., Senior advisor de Kepler CF ayant attesté que Monsieur D., dirigeant de la Foncière, aurait accepté de verser cette somme de 200.000 € à titre de solde de tout compte, comme indemnité de résiliation anticipée, compte tenu de la qualité du travail fourni par Kepler ;

Mais considérant que dans un premier temps, avant de verser aux débats les attestations de Monsieur S.-L. et de Monsieur N., datées des 18 et 21 février 2013 faisant valoir un accord des parties sur une indemnité de résiliation anticipée que Monsieur D. a contesté, la société Kepler CF avait soutenu, par lettre du 27 février 2012, qu' « il s'agissait effectivement d'une erreur que nous vous prions de bien vouloir excuser : bien qu'étant du même montant que la première (n°11/056), cette seconde facture (n°11/062) ne correspond pas elle aussi à la commission forfaitaire, mais bien à la commission de succès prévue dans la lettre d'engagement en date du 14 octobre 2011. A cet égard, vous voudrez bien trouver ci-joint une nouvelle version de cette facture (n°11/062) dont le libellé (« facturation du montant minimum de la commission de succès ») a été modifié afin de corriger cette erreur » ;

Qu'une facture rectificative portant ce nouveau libellé a été effectivement émise en suite de ce courrier ;

Que toutefois les parties confirment qu'il n'y avait aucune raison de verser une commission de succès compte tenu de l'échec de la mission, nonobstant la qualité des services rendus ;

Que la cause même de cette facture rectifiée était dès lors elle-même erronée ;

Qu'il y a enfin une contradiction manifeste entre les diverses positions adoptées par la société Kepler CF au regard de la cause de ce paiement et les attestations versées aux débats par ses propres salariés, dont celle de son Senior advisor, contredisant les termes de ce courrier officiel et les causes de la facture, même rectifiée, et ne permettant pas d'établir la réalité d'un accord qui serait intervenu entre les parties le 16 décembre 2011 sur une résiliation anticipée ;

Qu'au demeurant, si les parties se sont bien réunies ce jour là, la réalité de l'accord qui serait intervenu a été contestée par Monsieur D. qui a établi une attestation le 8 octobre 2013 confirmant l'erreur commise, qui est corroborée par le fait que les paiements n'ont pas été ordonnés par la même personne, Monsieur B. ayant autorisé le premier paiement de 200.000 euros et Monsieur D. ayant autorisé le deuxième, cette erreur de la part d'un dirigeant pouvant certes constituer une négligence car il aurait dû vérifier l'existence d'un paiement antérieur, mais n'étant pas suffisante pour retenir l'absence d'erreur de ce dernier ;

Qu'enfin, aucun argument ne peut être tiré du fait que l'autre banquier conseil, la société BNP se serait vue consentir une commission fixe de 400 000€, la preuve d'une parité des rémunérations et des missions confiées entre les deux établissements n'étant pas établie ;

Que les conflits de personnes qui résultent des suites de l'OPA, ainsi que les changements d'actionnaires et de dirigeants dont la réalité n'est pas contestée, ne permettent pas plus d'établir qu'un accord aurait existé mais que les nouveaux dirigeants seraient revenus sur cet accord pour se venger ;

Que la preuve d'un accord sur une indemnité de résiliation anticipée n'est pas rapportée ;

Que l'erreur du solvens est établie ;

Que les conditions de la restitution de l'indu sont dès lors réunies ;

Qu'il y a lieu par conséquent d'infirmer la décision des premiers juges et de faire droit à la demande en remboursement de la somme de 200.000 euros payée indûment, avec intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 14 mars 2012 ;

Considérant que succombant, la société Kepler CF doit être déclarée mal fondée à solliciter une indemnisation pour procédure abusive ;

Qu'il y a lieu de confirmer la décision des premiers juges qui l'ont déboutée de sa demande reconventionnelle ;

Considérant que la demande de publication n'apparaît pas justifiée ;

Qu'il y a lieu de débouter la société Foncière de Paris SIIC de sa demande à ce titre ;

Considérant qu'il y a lieu de faire droit à la demande d'indemnisation de la société Foncière de Paris SIIC au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,

Infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions sauf en ce qu'il a débouté la société Kepler Corporate Finance de sa demande visant à obtenir des dommages et intérêts pour procédure abusive, et débouté la société Foncière de Paris SIIC de sa demande de publication de la décision.

Statuant à nouveau,

Condamne la société Kepler Corporate Finance à payer à la société Foncière de Paris SIIC la somme de 200.000 euros avec intérêts au taux légal à compter du 14 mars 2012.

Déboute la société Kepler Corporate Finance de toutes ses demandes.

Condamne la société Kepler Corporate Finance à payer à la société Foncière de Paris SIIC la somme de 10.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Condamne la société Kepler Corporate Finance aux entiers dépens de première instance et d'appel.