AMF, 4 décembre 2008, n° SAN-2009-11
AUTORITÉ DES MARCHÉS FINANCIERS
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Membres :
M. Ferri, M. Morin, M. Courteault
Président :
Mme Nocquet
La 2ème section de la Commission des sanctions de l’Autorité des marchés financiers (“ AMF ”) ;
Vu le Code monétaire et financier, notamment ses articles L. 621-14 et L. 621-15, dans leurs versions successives, R. 621-5 à R. 621-7 et R. 621-38 à R. 621-40 ;
Vu le décret n° 2008-893 du 2 septembre 2008 relatif à la Commission des sanctions de l’AMF ;
Vu les articles 621-1, 622-1 et 622-2 du Règlement général de l'AMF, dans leur rédaction applicable à l’époque des faits ;
Vu les notifications de griefs datées du 18 juillet 2007, adressées à M. X, Mme W, M. Z et M. Y ;
Vu la décision du 11 octobre 2007 du Président de la Commission des sanctions désignant M. Jacques BONNOT, Membre de la Commission des sanctions, en qualité de Rapporteur ;
Vu les observations écrites présentées le 22 octobre 2007 par M. X ;
Vu le rapport de M. Jacques BONNOT en date du 2 avril 2008 ;
Vu les lettres de convocation à une séance de la Commission des sanctions du 29 mai 2008, auxquelles était annexé le rapport signé du Rapporteur, adressées le 17 avril 2008 à M. X, Mme W, M. Z, et M. Y ;
Vu les observations en réponse au rapport du Rapporteur présentées le 25 avril 2008 par M. X, le 28 avril 2008 par M. Y et le 12 mai 2008 par M. Z ;
Vu la lettre en date du 23 mai 2008 annulant la séance du 29 mai 2008 ;
Vu la décision du 9 septembre 2008 du Président de la Commission des sanctions désignant M. Jean-Jacques SURZUR, Membre de la Commission des sanctions, en qualité de Rapporteur en remplacement de M. Jacques BONNOT ;
Vu les lettres recommandées avec demande d’avis de réception du 2 octobre 2008 informant les mis en cause, en application de l’article 2 du décret susvisé du 2 septembre 2008, de ce qu’ils disposaient de la faculté de demander la récusation du Rapporteur dans un délai d’un mois ;
Commission des sanctions
Vu les lettres recommandées, avec demande d’avis de réception, portant convocation à la séance de la Commission des sanctions du 4 décembre 2008, auxquelles était annexée la lettre de M. SURZUR en date du 21 octobre 2008 faisant savoir qu’il s’appropriait le rapport établi par M. Jacques BONNOT en date du 2 avril 2008, adressées à M. X, Mme W, M. Z et M. Y, le 27 octobre 2008 ;
Vu les lettres recommandées avec demande d’avis de réception du 31 octobre 2008 informant M. X, Mme W, M. Z, et M. Y de la composition de la Commission des sanctions lors de la séance et de leur faculté de demander la récusation de l’un des Membres de ladite commission ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Après avoir entendu au cours de la séance du 29 mai 2008 :
- M. le Rapporteur en son rapport ;
- M. Paul ESMEIN, Commissaire du Gouvernement, qui a indiqué ne pas avoir d’observations à formuler ;
- M. Jean-Philippe PONS-HENRY, représentant le Collège de l’AMF ;
- M. X ;
- M. Y ;
M. Z et Mme W ayant fait savoir par lettres du 2 décembre 2008 qu’ils ne seraient pas présents à la séance ;
Les personnes présentes mises en cause ayant pris la parole en dernier ;
I. FAITS ET PROCEDURE
A. FAITS
La société anonyme LA TETE DANS LES NUAGES (ci-après “ LTDN ”) a pour activité l’exploitation en France et en Belgique de jeux d’arcade situés dans des complexes de loisirs.
Au 31 décembre 2005, le capital de la société LTDN, qui réalisait un chiffre d’affaires de 3,2 millions d’euros, était réparti entre M. Jean-Paul APPERT (à hauteur de 11,72 %) et la société VERNEUIL PARTICIPATIONS (à hauteur de 64,86 %), cette dernière étant elle-même détenue par M. François GONTIER et M. Frédéric DOULCET. Les titres LTDN sont cotés au compartiment C d’Euronext selon le mode du double fixing ; le marché est assez peu liquide, puisqu'au premier semestre 2005, le volume des transactions était en moyenne de 3 par séance, d’un volume unitaire de 900 actions. La cotation de ces actions a été suspendue le 19 janvier 2006 et a repris le 7 février 2006.
La société par actions simplifiée FRANÇAISE DE CASINOS (ci-après “ SFC ”) a pour activité la gestion de divers casinos, hôtels et stations thermales. A la fin de l’année 2005, elle était détenue d’une part, à hauteur de 55,55 %, par la société GROUPE PARTOUCHE (ci-après “ GROUPE PARTOUCHE ”), d’autre part, à hauteur de 44,45 %, par la société en nom collectif FRAMELIRIS, gérée et détenue par M. Pascal PESSIOT, qui était également le dirigeant de la société SFC.
Le 5 août 2005, dans la perspective d’un désengagement de la société SFC du GROUPE PARTOUCHE, celui-ci et la société FRAMELIRIS ont conclu une promesse de vente par laquelle le GROUPE PARTOUCHE s’engageait à céder sa participation à la société FRAMELIRIS ou à toute autre personne qu’elle déciderait d’y substituer. Des négociations ont été engagées avec des fonds anglo-saxons, qui devaient réaliser l'acquisition de l'intégralité du capital de la société SFC dans le cadre d'une opération de LBO, mais la réunion de finalisation du 30 novembre 2005 a échoué, ce qui, à défaut d'autres investisseurs potentiels, a mis M. Pascal PESSIOT dans une impasse.
Aussi ce dernier a-t-il sollicité le Directeur du casino de Gruissan, qui l'a mis en relation avec un apporteur d’affaires, lequel a confié à M. Z, dirigeant de plusieurs SCPI, la mission de trouver un investisseur pour le rachat des titres SFC. Ce dernier s’est adjoint l’aide d’un autre apporteur d’affaires, M. X, par l’intermédiaire duquel
M. Pascal PESSIOT est entré en relation avec M. François GONTIER.
A alors été rapidement entamée une nouvelle négociation, qui a conduit à la réunion du 12 décembre 2005 à laquelle ont assisté MM. Pascal PESSIOT et François GONTIER, ainsi que les trois apporteurs d’affaires, dont MM. Z et X, et au cours de laquelle ont été discutés le principe et les modalités de la cession de la société SFC à la société LTDN ; c'est à cette date que s'est cristallisé le projet de reprise, qui s’est confirmé les 3 et 5 janvier 2006.
Le 18 janvier 2006, le GROUPE PARTOUCHE et la société FRAMELIRIS ont signé chacun avec la société LTDN un protocole d’accord aux termes duquel ils ont consenti à cette dernière une promesse de vente portant sur l’intégralité de la participation qu’ils détenaient dans la société SFC. L'information n'a été communiquée au public que le 2 février 2006.
B. PROCEDURE
Le 21 juillet 2006, le Secrétaire général de l’AMF a décidé l’ouverture d’une enquête sur le marché du titre LTDN à compter du 1er juillet 2005.
Cette enquête a fait l’objet d’un rapport de la Direction des Enquêtes et de la Surveillance des Marchés (“ DESM ”) du 4 juin 2007.
Au regard des conclusions de ce rapport et sur décision de la Commission n° 3 spécialisée du 3 juillet 2007, le Président de l’AMF a, par lettres recommandées avec demandes d’avis de réception du 18 juillet 2007, notifié des griefs qui reprochent à :
-M. X, qui a participé aux négociations, d’une part, d’avoir acquis, les 9 et 10 janvier 2006, “ 5 500 actions LTDN à 2,9 euros par action, qui ont été déposées sur [ses] comptes respectivement ouverts chez HSBC à Genève et chez ODDO à Paris ”, alors qu’il détenait, “ du fait de [son] rôle d’intermédiaire présent à la réunion du 12 décembre 2005 ”, une information privilégiée relative à l’imminence de l’acquisition de la société SFC par la société LTDN, d’autre part, d’avoir communiqué cette information à Mme W ;
-Mme W, qui est une amie de M. X, d’avoir acquis le 9 janvier 2006 “ à un cours moyen de 2,9 euros par action, via UBS (Londres), 2 000 actions LTDN qui ont été déposées sur un compte indivis ouvert chez ING BANK à Genève à [son] nom, à celui de [son] mari, et à celui de la fille de ce dernier ” alors qu’elle détenait une information privilégiée relative à l’imminence de l’acquisition de la société SFC par la société LTDN ;
-M. Z, qui a également participé aux négociations, d’avoir communiqué à un ami, M. Y, une information privilégiée relative à l’imminence de l’acquisition de la société SFC par la société LTDN ;
-M. Y d’avoir acquis, les 12 et 16 janvier 2006, “ au total 1 230 actions LTDN, qui ont ensuite été déposées sur [ses] comptes respectivement ouverts chez CMC-CIC et à la SOCIETE GENERALE ”, alors qu’il détenait l'information privilégiée que lui avait communiquée M. Z.
Le Président de la Commission des sanctions a désigné M. Jacques BONNOT en qualité de Rapporteur par décision du 11 octobre 2007.
Les personnes mises en cause ont été avisées, par lettres recommandées avec demandes d’avis de réception datées du 12 octobre 2007, de cette désignation et de la possibilité pour elles d’être entendues, à leur demande, en application de l’article R. 621-39 du Code monétaire et financier.
En réponse aux notifications de griefs, seul M. X a présenté, le 22 octobre 2007, des observations par lettre recommandée avec demande d’avis de réception.
Le Rapporteur a déposé son rapport le 2 avril 2008.
M. X, Mme W, M. Z et M. Y ont été convoqués à la séance de la Commission des sanctions du 29 mai 2008, par lettres recommandées avec demande d’avis de réception du 17 avril 2008, auxquelles était annexé le rapport du Rapporteur.
Des observations en réponse à ce rapport ont été présentées le 25 avril 2008 par M. X, le 28 avril 2008 par M. Y et le 12 mai 2008 par M. Z.
Par lettres en date du 23 mai 2008, M. X, Mme W, M. Z et M. Y ont été informés que la séance du 29 mai 2008 était annulée et reportée à une date ultérieure ;
Par décision du 9 septembre 2008 le Président de la Commission des sanctions a désigné M. Jean-Jacques SURZUR, Membre de la Commission des sanctions, en qualité de Rapporteur en remplacement de M. Jacques BONNOT, décédé ;
Par lettres recommandées avec demande d’avis de réception du 2 octobre 2008, les mis en cause ont été informés, en application de l’article 2 du décret susvisé du 2 septembre 2008, de ce qu’ils disposaient de la faculté de demander la récusation du Rapporteur dans un délai d’un mois et dans les conditions prévues par les articles R. 621-39-3 et R. 621-39-4 du Code monétaire et financier ;
Par lettres recommandées du 27 octobre 2008, avec demande d’avis de réception, auxquelles était annexée une lettre du Rapporteur en date du 21 octobre 2008 faisant savoir qu’il s’appropriait le rapport établi par M. Jacques BONNOT, M. X, Mme W, M. Z et M. Y ont été convoqués à la séance de la Commission des sanctions du 4 décembre 2008 ;
Par lettres recommandées avec demande d’avis de réception du 31 octobre 2008 M. X, Mme W, M. Z, et M. Y ont été informés de la composition de la Commission des sanctions lors de la séance et de leur faculté de demander la récusation de l’un des Membres de ladite Commission, en application des articles R. 621-39-2, R. 621-39-3 et R. 621-39-4 du Code monétaire et financier ;
II. MOTIFS DE LA DECISION
A. Sur l’existence d’une information privilégiée
Considérant qu’aux termes de l’article 621-1 du Règlement général de l'AMF, dans sa version applicable à l’époque des faits : “ Une information privilégiée est une information précise qui n’a pas été rendue publique, qui concerne, directement ou indirectement, un ou plusieurs émetteurs d’instruments financiers, ou un ou plusieurs instruments financiers, et qui si elle était rendue publique, serait susceptible d’avoir une influence sensible sur le cours des instruments financiers concernés ou le cours d’instruments financiers qui leur sont liés. Une information est réputée précise si elle fait mention d’un ensemble de circonstances ou d’un événement qui s’est produit ou qui est susceptible de se produire et s’il est possible d’en tirer une conclusion quant à l’effet possible de ces circonstances ou de cet événement sur le cours des instruments financiers concernés ou des instruments financiers qui leur sont liés. Une information, qui si elle était rendue publique, serait susceptible d’avoir une influence sensible sur le cours des instruments financiers concernés ou le cours d’instruments financiers dérivés qui leur sont liés est une information qu’un investisseur raisonnable serait susceptible d’utiliser comme l’un des fondements de ses décisions d’investissement » ;
Considérant qu’en vertu de ce texte, pour être "privilégiée", une information doit être précise, non publique et, si elle était connue du public, susceptible d’avoir une influence sensible sur le cours du titre ;
Considérant qu'il résulte des déclarations de l'un des apporteurs d'affaires présent à la réunion du 12 décembre 2005 que " la probabilité de la réussite de l'assemblage entre SFC et LTDN est apparue très vite au cours de cette réunion, dans la demi-heure qui a suivi la présentation de M. GONTIER, la convergence économique des deux activités étant très forte. Acte a été pris de valider de façon juridique et fiscale cette opération (...). Il y avait plusieurs années que M. GONTIER avait l'intention de rentrer dans le monde des casinos (...). Au sortir de la réunion, M. PESSIOT m'a indiqué qu'il était optimiste pour cette opération et assez content de cette réunion" et que " à aucun moment, entre la réunion de décembre 2005 et le communiqué publié par LTDN, je n'ai eu vent d'une incertitude possible sur l'aboutissement des négociations" (cotes 00218 et 00216) ; que, dès le 12 décembre 2005, les données du rapprochement entre LTND et SFC étaient précisément posées, les modalités de l'opération et le prix ayant été déterminés sans difficulté à la suite des "dues diligences" effectuées par les fonds anglo-saxons ; que la volonté de M. François GONTIER d'investir dans cette société mérite d'être rapprochée de l'obligation dans laquelle se trouvait M. Pascal PESSIOT, après l'échec des négociations avec les fonds anglo-saxons, de trouver très rapidement, en raison de la date limite de la promesse de vente du 5 août 2005, initialement fixée au 15 octobre suivant et plusieurs fois reportée, un repreneur pour la participation du groupe PARTOUCHE ; que si l'on ajoute, comme l'a déclaré M. Pascal PESSIOT, que "le groupe PARTOUCHE a eu une attitude bienveillante et était soucieux que l'opération se fasse", il apparaît que la négociation avait des chances très sérieuses d'aboutir, chances qui se sont renforcées au fil des jours avec les réunions du 3 janvier 2006 où MM. Pascal PESSIOT et François GONTIER ont précisé les bases de l’accord de cession des titres à LTDN, puis du 5 janvier 2006 où le Président du directoire du GROUPE PARTOUCHE a donné son agrément à la vente, tant dans son principe que dans ses modalités, notamment en termes de prix et de garantie (cote 00271) ; que l’opération s’est conclue le 18 janvier 2006 ; que durant la période, postérieure aux négociations des 12 décembre 2005, 3 et 5 janvier 2006, qui s’est écoulée du 9 au 16 janvier 2006 et au cours de laquelle M. X, M. Y et Mme W sont intervenus à l’achat, l’information relative à l’imminence de l’acquisition de la société SFC par la société LTDN, outre qu'elle présentait un très fort degré de probabilité, était particulièrement précise ;
Considérant que, pendant cette même période, l'information, qui n’a été révélée que le 2 février 2006 par le communiqué publié par la société LTDN et le GROUPE PARTOUCHE, n’était évidemment pas connue du public ;
Considérant enfin que, compte tenu du changement de contrôle et de l’élargissement de la taille de la société LTDN, ainsi que de la diversification de ses activités et des perspectives d’avenir qu’emportait pour elle cette opération, l'information sur son acquisition était susceptible d’avoir une influence sensible sur le cours du titre ; qu'au demeurant, la publication du communiqué du 2 février 2006 a entraîné, lors de la reprise de la cotation, le 7 février 2006, une progression de près de 70 % du cours par rapport à celui du 18 janvier 2006, dernier jour précédant la suspension ;
Considérant qu’il résulte de ce qui précède que l’information tenant à l’imminence de l’acquisition de la société SFC par la société LTDN revêtait, au moment des interventions en cause sur le titre LTDN, les caractères d’une information privilégiée au sens de l’article 621-1 du Règlement général de l'AMF ;
B. Sur la détention, la transmission et l'utilisation par les personnes mises en cause de l’information privilégiée
Considérant qu’il résulte de l’article 622-1 du Règlement général de l'AMF dans sa rédaction antérieure à l’arrêté du 30 décembre 2005, applicable à l’époque des faits, que : “ Toute personne mentionnée à l’article 622-2 doit s’abstenir d’utiliser l’information privilégiée qu’elle détient en acquérant ou en cédant, pour son propre compte ou pour le compte d’autrui, soit directement soit indirectement, les instruments financiers auxquels se rapporte cette information ou les instruments financiers auxquels ces instruments sont liés. Elle doit également s’abstenir de :
1° Communiquer cette information à une autre personne en dehors du cadre normal de son travail, de sa profession ou de ses fonctions ou à des fins autres que celles à raison desquelles elle lui a été communiquée ;
2° Recommander à une autre personne d’acquérir ou de céder, ou de faire acquérir ou céder par une autre personne, sur la base d’une information privilégiée, les instruments financiers auxquels se rapportent cette information ou les instruments financiers auxquels ces instruments sont liés. Les obligations d’abstention posées au présent article ne s’appliquent pas aux opérations effectuées pour assurer l’exécution d’une obligation d’acquisition ou de cession d’instruments financiers devenue exigible, lorsque cette obligation résulte d’une convention conclue avant que la personne concernée détienne une information privilégiée ” ;
Considérant que l’article 622-2 du Règlement général de l'AMF précise en outre que : “Les obligations d’abstention prévues à l’article 622-1 s’appliquent à toute personne qui détient une information privilégiée en raison de : 1° Sa qualité de Membre des organes d’administration, de direction, de gestion ou de surveillance de l’émetteur ; 2° Sa participation dans le capital de l’émetteur ; 3° Son accès à l’information du fait de son travail, de sa profession ou de ses fonctions, ainsi que de sa participation à la préparation et à l’exécution d’une opération financière ; 4° Ses activités susceptibles d’être qualifiées de crimes ou de délits. Ces obligations d’abstention s’appliquent également à toute autre personne détenant une information privilégiée et qui sait ou qui aurait dû savoir qu’il s’agit d’une information privilégiée (…) ” ;
Considérant que l’obligation d’abstention pesant sur le détenteur d’une information privilégiée revêt un caractère absolu ; que, par suite, le manquement tiré de l’utilisation d’une telle information est caractérisé par le simple rapprochement chronologique entre la détention de l’information et son utilisation, sans qu’il soit nécessaire de démontrer l’existence d’une relation de cause à effet entre ces deux circonstances ;
1. S’agissant de M. X et de Mme W
Considérant que c'est par le canal de M. X qu'ont été mis en relation M. Pascal PESSIOT et M. François GONTIER ; qu'intervenu pour aider la société SFC à réaliser son projet de cession de l’intégralité de son capital, M. X a, aux côtés de M. Z, joué le rôle d’apporteur d’affaires ; qu’en cette qualité, comme il l’a indiqué lors de son audition, il est entré en relation avec M. François GONTIER, puis il a assisté à la réunion du 12 décembre 2005 entre celui-ci et M. Pascal PESSIOT ; qu'il a alors été pleinement renseigné sur le projet d’acquisition de la société SFC par la société LTDN, tant dans son principe et ses perspectives de réalisation que dans son contenu et ses modalités ; qu'il a ensuite pu être informé de l'évolution des négociations, par M. François GONTIER, avec lequel il a eu des entretiens téléphoniques, notamment le 3 janvier 2006 à 18h57, après la réunion du même jour entre M. François GONTIER et M. Pascal PESSIOT, puis le 10 janvier 2006 à 14h47, après la réunion du même jour entre les mêmes et M. Frédéric DOULCET (cote 00251); que ce dernier appel est intervenu avant le second achat que M. X a effectué le 10 janvier 2006 à 16 heures ; que, comme M. Z, M. X avait d’autant plus intérêt à suivre le déroulement de la négociation qu’une commission sur sa réalisation devait lui être versée (cote 00217) ;
Considérant qu’il résulte de ce qui précède qu’au moment où il a opéré, M. X était assurément détenteur de l'information privilégiée ;
Considérant que M. X a acquis des actions LTDN, les 9 et 10 janvier 2006, alors que, selon ses propres déclarations, il n’avait “ fait aucune opération sur le titre LA TETE DANS LES NUAGES ” durant l’année 2005 ; qu'en achetant, au prix unitaire de 2,9 euros, 5 500 actions LTDN qui ont été réparties sur deux de ses comptes, M. X a manqué à l'interdiction qui lui était faite d'intervenir sur ce titre, à propos duquel il détenait une information privilégiée ; que l’explication selon laquelle il aurait été de bonne foi et aurait opéré après avoir constaté une situation “ anormale ” sur le marché de ce titre est inopérante ; qu'en effet, M. X ne rapporte la preuve d'aucun motif impérieux susceptible de justifier les achats auxquels il a procédé alors qu'il était "initié" au sens de l’article 622-2 susvisé ;
Considérant que M. X a, en second lieu, reconnu avoir informé une amie, Mme W, qu’“ il se passerait quelque chose sur le titre LA TETE DANS LES NUAGES et que ce n’était pas risqué d’en acheter ” ; que celle-ci est intervenue sur le titre LTDN le 9 janvier 2006, soit le jour même où M. X a commencé à réaliser ses propres achats ; qu'elle a admis avoir alors acquis pour la première fois des titres LTDN, société qu'elle ne connaissait pas ; qu’interrogée sur les raisons pour lesquelles elle avait investi dans cette valeur, Mme W qui a précisé qu'elle exploitait une boutique de sacs à main de luxe, était la gérante de deux sociétés civiles immobilières et ne passait presque jamais d'ordres en bourse (cotes 00190 et suivantes), a répondu : “ j’ai bien aimé le nom “ LA TETE DANS LES NUAGES ”. C’est X qui m’en a parlé la première fois, plusieurs semaines avant que j’en achète. (…) quelques semaines après, j’ai de nouveau entendu parler de cette action “ LA TETE DANS LES NUAGES ”… ” ; qu'elle a ajouté avoir, après son intervention, “ téléphoné à Monsieur X pour lui annoncer fièrement qu’ [elle avait] réussi à acheter des actions LTDN ” ; qu'à propos de ses liens avec ce dernier, elle a déclaré : "M. X est un ami avec qui j'entretiens des relations très personnelles. On s'est rencontrés en juillet 2005 et nous sommes devenus plus proches à la fin de l'année 2005" ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que l’achat effectué par Mme W ne peut s’expliquer que par la transmission qui lui a été faite par M. X de l’information privilégiée qu’il détenait ; que ce dernier a donc contrevenu aux prescriptions de l'article 622-1, 1° du Règlement général de l'AMF ;
Considérant que Mme W a acquis le 9 janvier 2006 à un cours unitaire moyen de 2,9 euros, soit pour un montant total de 5 800 euros, 2 000 actions LTDN qui ont été déposées sur un compte indivis ouvert chez ING BANK à Genève à son nom, à celui de son mari et au nom de la fille de ce dernier ; que de tels achats, réalisés en même temps que ceux de M. X, initiés par une personne qui ne passait que "très exceptionnellement" des ordres, et portant sur les titres d'une société qu'elle ne connaissait pas, ne peuvent avoir d’autres fondements que les informations reçues de ce dernier, avec lequel elle s’entretenait « très régulièrement (presque tous les jours) » (cote 000190) ;
Considérant qu'en faisant ainsi usage de ces informations, dont elle ne pouvait, en raison de sa proximité avec M. X et du rôle que celui-ci jouait dans les négociations entre les sociétés SFC et LTDN, ignorer le caractère privilégié, d'autant qu'elles étaient alors inconnues du marché, Mme W s'est rendue coupable du manquement qui lui est reproché ; que la circonstance qu'elle ait continué en février 2006, après l’annonce publique de l’opération, à acheter des titres LTDN dans une proportion plus importante qu’en janvier 2006 et à un cours supérieur ne saurait exonérer Mme W de sa responsabilité dans la commission de ce manquement, dont les éléments constitutifs sont objectivement réunis ;
2. S’agissant de M. Z et de M. Y
Considérant que c'est M. Z, qui disposait en sa qualité de professionnel apporteur d’affaires d’un mandat de vente de la majorité du capital de la société SFC, qui a pris contact avec une de ses relations, M. X, aux côtés duquel il est intervenu dans la perspective de la cession des titres à la société LTDN ; que, comme ce dernier, il a assisté à la réunion du 12 décembre 2005 entre M. François GONTIER et M. Pascal PESSIOT, il a alors été pleinement renseigné sur le projet, tant dans son principe et ses perspectives de réalisation que dans son contenu et ses modalités, puis il a ensuite été tenu informé de l'évolution des négociations notamment par l'autre apporteur d'affaires, resté en contact avec M. Pascal PESSIOT qui le renseignait, à charge pour lui de répercuter les informations à ses partenaires (cote 00217) ;
Considérant que, comme M. X, M. Z détenait donc l'information privilégiée ;
Considérant que, interrogé sur les personnes qu’il avait informées de l’avancée des négociations relatives à la cession de la société SFC à la société LTDN, M. Z a indiqué qu’il avait “ pu parler de cette information à deux ou trois copains lyonnais, notamment Monsieur Y qui est un ami d’enfance ”; que M. Y, qui dirige un cabinet d'assurance-crédit et est associé avec M. Z dans trois sociétés civiles immobilières, a déclaré avoir acquis des titres LTDN à la suite d’un déjeuner avec ce dernier, au cours duquel son ami lui a précisé “ qu’il y aurait un coup en bourse à réaliser sur le titre LTDN, pour lequel il était en train de monter une opération. Il était en contact avec eux pour vendre des casinos ce qui pourrait avoir pour conséquence de revaloriser le titre… ” ; que ces acquisitions ont été réalisées par M. Y, qui intervenait pour la première fois sur le titre, les 12 et 16 janvier 2006, peu après celles réalisées les 9 et 10 janvier 2006 par M. X et juste avant la signature, le 18 janvier 2006, du protocole d'accord ;
Considérant qu’il résulte de l’ensemble de ces éléments que, tenu à un devoir absolu d’abstention, M. Z a cependant communiqué à M. Y, avec lequel il entretenait des relations personnelles étroites, pour le connaître depuis l’enfance et être associé avec lui dans trois SCI, l’information relative à l’imminence de l’acquisition de la société SFC par la société LTDN, ce qui caractérise le manquement qui lui est reproché ; que la circonstance qu'il n’en aurait tiré aucun profit, à la supposer démontrée, est sans incidence sur la caractérisation de la transmission d’une information privilégiée ;
Considérant que M. Y a acheté, les 12 et 16 janvier 2006, 1 230 actions LTDN, pour un montant total de 3 620 euros, soit un coût unitaire moyen de 2,94 euros ; qu’il a ainsi violé l'obligation qui lui était faite de s’abstenir alors qu’il avait pleinement conscience, du fait de sa profession et de sa proximité avec M. Z, du caractère privilégié de l'information que ce dernier lui avait transmise ; que le manquement d’initié est donc constitué en tous ses éléments à l’égard de M. Y ;
III. SUR LES SANCTIONS ET LA PUBLICATION DE LA DECISION
Considérant que, sur le fondement de l’article L. 621-15 II. c) du Code monétaire et financier dans sa version applicable à l’époque des faits visés par la notification de griefs, la Commission des sanctions peut prononcer à l’encontre des personnes physiques ayant commis une opération d’initié “ une sanction pécuniaire dont le montant ne peut être supérieur à 1,5 million d'euros ou au décuple du montant des profits éventuellement réalisés ” ; que le montant de la sanction doit être fixé en fonction de la gravité des manquements commis et en relation avec les avantages ou les profits éventuellement tirés de ces manquements ;
Considérant qu'en l’espèce, il y a lieu, pour déterminer le quantum de la sanction à prononcer à l’encontre de :
- M. X, de prendre en compte la plus-value potentielle de 12 155 euros que lui a procurée l’utilisation de l’information privilégiée et la circonstance qu’il a commis un deuxième manquement en transmettant cette information à Mme W ;
- Mme W de tenir compte de la plus-value potentielle de 4 420 euros que lui a procurée l’utilisation de l’information privilégiée ;
- M. Z, de prendre en considération le fait que la communication d’une information privilégiée a été faite par un professionnel, en l’occurrence apporteur d’affaires, ce qui impose une particulière sévérité ;
- M. Y, de tenir compte de la plus-value de 7 941 euros que lui a procurée l’utilisation de l’information privilégiée ;
Considérant que l’article L. 621-15-V du Code monétaire et financier dispose que “ La commission des sanctions peut rendre publique sa décision dans les publications, journaux ou supports qu'elle désigne, à moins que cette publication ne risque de perturber gravement les marchés financiers ou de causer un préjudice disproportionné aux parties en cause. Les frais sont supportés par les personnes sanctionnées” ; que les exigences d’intérêt général relatives à la loyauté du marché, à la transparence des opérations et à la protection des épargnants qui fondent le pouvoir de sanction de la Commission ainsi que de l’intérêt qui s’attache, pour la sécurité juridique de l’ensemble des opérateurs, à ce que ceux-ci puissent, en ayant accès à ses décisions, connaître son interprétation des règles qu’ils doivent observer, justifient une telle publication ; que, toutefois, pour éviter que cette mesure entraîne des conséquences disproportionnées sur la situation des mis en cause, elle sera faite, en ce qui les concerne, de manière anonyme ;
PAR CES MOTIFS,
Et après en avoir délibéré sous la présidence de Mme Claude NOCQUET, par MM. Alain FERRI, Jean-Pierre MORIN, Antoine COURTEAULT, Membres de la 2ème section de la Commission des sanctions, en présence de la Secrétaire de séance.
DECIDE DE:
- prononcer une sanction pécuniaire de :
. 35 000 € (trente cinq mille euros) à l’encontre de M. X ;
. 10 000 € (dix mille euros) à l’encontre de M. Z ;
. 10 000 € (dix mille euros) à l’encontre de M. Y ;
. 9 000 € (neuf mille euros) à l’encontre de Mme W
- publier la présente décision au Bulletin des annonces légales obligatoires, ainsi que sur le site Internet et dans la revue de l’Autorité des marchés financiers, tout en préservant l’anonymat des personnes mises en cause.