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Décisions

Cass. mixte, 7 mai 1982, n° 79-11.814

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Schmelck

Rapporteur :

M. Perdriau

Avocat général :

M. Cabannes

Avocat :

Me Célice

Paris, du 10 janv. 1979

10 janvier 1979

Sur la recevabilité du pourvoi contestée par la défense :

Attendu que l'arrêt attaqué (Paris, 10 janvier 1979), confirmatif d'une ordonnance de référé, a ordonné une expertise, en application de l'article 145 du Nouveau Code de procédure civile, en vue de rechercher dans quelles conditions la société Phydor, en liquidation des biens, avait bénéficié du soutien financier d'établissements bancaires ou de crédit, dont la Société Générale ;

Attendu que les sociétés Fransucre et Cofradec, créancières inscrites au bilan de la société Phydor et ayant produit au passif, et les syndics de la liquidation des biens de celle-ci, soutiennent que le pourvoi de la Société Générale est irrecevable en vertu des dispositions de l'article 150 du Nouveau Code de procédure civile selon lesquelles la décision qui ordonne ou modifie une mesure d'instruction ne peut être frappée d'appel ou de pourvoi en cassation indépendamment du jugement sur le fond que dans les cas spécifiés par la loi ;

Mais attendu que l'article 150 du Nouveau Code de procédure civile n'est applicable que si le juge reste saisi d'une demande distincte de la mesure d'instruction ordonnée ; qu'il n'en est pas ainsi lorsque le juge des référés a épuisé sa saisine en prescrivant, avant tout procès et en vertu de l'article 145 du même code, les mesures destinées à établir la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige ; D'où il suit que le pourvoi est recevable ;

Sur le premier moyen, pris en ses quatre branches :

Attendu que la Société Générale fait grief à la Cour d'appel d'avoir ordonné l'expertise demandée par les sociétés Fransucre et Cofradec, alors, selon le moyen, d'une part, que comme le faisait valoir la Société Générale dans ses conclusions d'appel, dénaturées par les juges du fond, l'arrêt ne pouvait, sans se substituer indûment au juge-commissaire et à la procédure d'admission, et avant toute procédure, affirmer que les créances des sociétés Fransucre et Cofradec n'étaient pas contestées ; alors, d'autre part, que pour justifier l'intérêt à agir des deux sociétés, l'arrêt ne pouvait sans contradiction considérer que "l'importance non contestée de crédits bancaires dont a bénéficié la société Phydor, sans créer une présomption de faute à la charge des banques conduit cependant à envisager l'éventualité de leur responsabilité envers les autres créanciers", l'affirmation de l'éventualité de la responsabilité des banques - qui ne peut être fondée que sur la faute - impliquant une présomption de faute ; alors, en outre, que l'arrêt ne pouvait admettre la recevabilité de la demande d'expertise des deux sociétés Fransucre et Cofradec "alors même qu'elles n'auraient pas qualité pour agir ultérieurement devant le juge du fond", ce qui était reconnaître que ces sociétés n'avaient aucun intérêt à agir ; et alors, enfin, qu'à défaut par les deux sociétés de toute preuve à cet égard, l'arrêt ne pouvait considérer d'une manière hypothétique qu'elles peuvent avoir subi un préjudice distinct de celui de l'ensemble des créanciers ;

Mais attendu, en premier lieu, que la contradiction alléguée n'existe pas, l'éventualité de la responsabilité des banques n'impliquant pas une présomption de faute à leur charge ; Attendu, en second lieu, qu'aux termes de l'article 145 du Nouveau Code de procédure civile, la preuve des faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige peut être ordonnée avant tout procès ; que dès lors, la Cour d'appel, qui s'est prononcée hors toute dénaturation et par des motifs non hypothétiques, n'a fait qu'user des pouvoirs qu'elle tient de ce texte en prescrivant l'administration d'une telle preuve après avoir retenu que les sociétés Fransucre et Cofradec pouvaient avoir subi le préjudice par elles invoqué ; Que le moyen ne peut donc être accueilli en aucune de ses branches ;

Sur le second moyen, pris en ses trois branches :

Attendu qu'il est encore reproché à la Cour d'appel d'avoir statué comme elle l'a fait alors, selon le moyen, d'une part, que l'article 145 du Nouveau Code de procédure civile disposant que, "s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé", lorsqu'une telle mesure d'instruction est ordonnée par le juge des référés, celui-ci est soumis aux principes généraux gouvernant la juridiction des référés et ne peut, en particulier, intervenir qu'en cas d'urgence ; alors, d'autre part, que le juge des référés ne pouvant prendre des mesures se heurtant à une contestation sérieuse, l'arrêt n'était pas habile à ordonner une expertise à l'effet de permettre "d'apprécier si les banques appelantes, ou certaines d'entre elles, ont engagé leur responsabilité envers les créanciers de la société Phydor", ce qui était de la part du juge des référés prendre une décision touchant le fond du droit ; et alors, enfin, que l'arrêt ne pouvait affirmer faire application des dispositions de l'article 145 précité sans constater l'existence du "motif légitime" exigé par ce texte ;

Mais attendu, en premier lieu, que la Cour d'appel a justement retenu que, lorsqu'il statue en application de l'article 145 du Nouveau Code de procédure civile, le juge des référés n'est pas soumis aux conditions exigées par l'article 872 dudit code ; Attendu, en second lieu, qu'après avoir souligné l'importance des crédits bancaires dont a bénéficié la société Phydor eu égard à son chiffre d'affaires et à son actif, la Cour d'appel a relevé l'intérêt certain qu'avaient ses créanciers à faire établir les circonstances dans lesquelles ces crédits avaient été consentis ; qu'elle a ainsi caractérisé le motif légitime qui s'attachait à la conservation ou à l'établissement d'éléments de preuve dont les sociétés Fransucre et Cofradec ne pouvaient alors disposer ; D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi formé contre l'arrêt rendu le 10 janvier 1979 par la Cour d'appel de Paris.