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Décisions

CC, 10 février 2023, n° 2022-1035 QPC

CONSEIL CONSTITUTIONNEL

Décision

Société Sony interactive entertainment France et autre [Procédure d’engagements devant l’Autorité de la concurrence]

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

M. Laurent FABIUS, Président, Mme Jacqueline GOURAULT, M. Alain JUPPÉ, Mmes Corinne LUQUIENS, Véronique MALBEC, MM. Jacques MÉZARD, François PILLET, Michel PINAULT et François SÉNERS.

CC n° 2022-1035 QPC

9 février 2023

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 7 décembre 2022 par la Cour de cassation (chambre commerciale, arrêt n° 781 du même jour), dans les conditions prévues à l’article 61-1 de la Constitution, d’une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour les sociétés Sony interactive entertainment France et Sony interactive entertainment Europe limited par la SCP Spinosi, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2022-1035 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de la seconde phrase du premier alinéa du paragraphe I de l’article L. 464-2 du code de commerce, dans sa rédaction résultant de l’ordonnance n° 2017-303 du 9 mars 2017 relative aux actions en dommages et intérêts du fait des pratiques anticoncurrentielles.

Au vu des textes suivants :

la Constitution ;

l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;

le code de commerce ;

l’ordonnance n° 2017-303 du 9 mars 2017 relative aux actions en dommages et intérêts du fait des pratiques anticoncurrentielles ;

le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;

Au vu des pièces suivantes :

les observations présentées pour les sociétés requérantes par la SCP Spinosi, enregistrées le 29 décembre 2022 ;

les observations présentées pour l’Autorité de la concurrence, partie au litige à l’occasion duquel la question prioritaire de constitutionnalité a été posée, par la SCP Duhamel, Rameix, Gury, Maitre, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation, enregistrées le même jour ;

les observations présentées par la Première ministre, enregistrées le même jour ;

les secondes observations présentées pour les sociétés requérantes par la SCP Spinosi, enregistrées le 13 janvier 2023 ;

les secondes observations présentées pour l’Autorité de la concurrence par la SCP Duhamel, Rameix, Gury, Maitre, enregistrées le même jour ;

les autres pièces produites et jointes au dossier ;

Après avoir entendu Me Patrice Spinosi, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation, et Me Jérôme Philippe, avocat au barreau de Paris, pour les sociétés requérantes, Me Jean-Philippe Duhamel, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation, pour l’Autorité de la concurrence, et M. Antoine Pavageau, désigné par la Première ministre, à l’audience publique du 31 janvier 2023 ;

Au vu des pièces suivantes :

la note en délibéré présentée pour les sociétés requérantes par la SCP Spinosi, enregistrée le 1er février 2023 ;

la note en délibéré présentée pour l’Autorité de la concurrence par la SCP Duhamel, Rameix, Gury, Maitre, enregistrée le 2 février 2023 ;

Et après avoir entendu le rapporteur ;

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S’EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :

1. La seconde phrase du premier alinéa du paragraphe I de l’article L. 464-2 du code de commerce, dans sa rédaction résultant de l’ordonnance du 9 mars 2017 mentionnée ci-dessus, prévoit, à propos de l’Autorité de la concurrence :

« Elle peut aussi accepter des engagements proposés par les entreprises ou organismes et de nature à mettre un terme à ses préoccupations de concurrence susceptibles de constituer des pratiques prohibées visées aux articles L. 420-1 à L. 420-2-2 et L. 420-5 ou contraires aux mesures prises en application de l’article L. 410-3 ».

2. Les sociétés requérantes font valoir que, lorsque l’Autorité de la concurrence met en œuvre une procédure d’engagements visant à mettre un terme à ses préoccupations de concurrence susceptibles de constituer des pratiques anticoncurrentielles, ses membres se forgeraient une opinion sur les pratiques en cause. Dès lors, en ne prévoyant pas que, en cas d’échec de cette procédure et d’ouverture d’une procédure de sanction, ces mêmes membres ne peuvent se prononcer sur les sanctions applicables à de telles pratiques, ces dispositions méconnaîtraient les principes d’indépendance et d’impartialité.

3. Selon les sociétés requérantes, faute de prévoir que les documents et déclarations présentés dans le cadre de la procédure d’engagements ne pourront être utilisés à l’encontre de l’entreprise mise en cause en cas de procédure de sanction, ces dispositions méconnaîtraient également les droits de la défense. Elles soutiennent en outre que l’absence de recours spécifique contre la décision de l’Autorité de la concurrence de refus d’acceptation des engagements proposés par l’entreprise méconnaîtrait le droit à un recours juridictionnel effectif.

4. Enfin, pour les mêmes motifs, ces dispositions seraient entachées d’incompétence négative dans des conditions affectant les mêmes exigences constitutionnelles.

5. En premier lieu, selon l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution ». Le principe de la séparation des pouvoirs, ni aucun autre principe ou règle de valeur constitutionnelle, ne font obstacle à ce qu’une autorité administrative ou publique indépendante ou une autorité administrative non soumise au pouvoir hiérarchique du ministre, agissant dans le cadre de prérogatives de puissance publique, puisse prononcer des sanctions ayant le caractère d’une punition dans la mesure nécessaire à l’accomplissement de sa mission, dès lors que l’exercice de ce pouvoir respecte notamment le principe d’impartialité découlant de l’article 16 de la Déclaration de 1789.

6. Le paragraphe I de l’article L. 464-2 du code de commerce est relatif aux pouvoirs dont dispose l’Autorité de la concurrence en matière de pratiques anticoncurrentielles. À ce titre, elle peut notamment prononcer des sanctions pécuniaires à l’encontre des entreprises qui ont commis de telles pratiques.

7. Les dispositions contestées prévoient que l’Autorité de la concurrence peut accepter les engagements proposés par une entreprise qui sont de nature à mettre un terme à des préoccupations de concurrence.

8. Ces dispositions se bornent à permettre à cette autorité, dans le cadre de sa mission tendant à garantir le bon fonctionnement de la concurrence sur les marchés, d’apprécier la suite à donner aux propositions d’engagements qui lui sont présentées pour remédier à des situations susceptibles d’être préjudiciables à la concurrence, sans qu’il soit établi que de telles situations constituent, en l’état, des pratiques prohibées.

9. Il résulte de la jurisprudence constante de la Cour de cassation que la procédure d’engagements n’a pas pour objet de prouver ou d’écarter la réalité et l’imputabilité d’infractions au droit de la concurrence en vue de les sanctionner, mais uniquement de vérifier que les propositions d’engagements présentées par l’entreprise permettent de mettre fin aux préoccupations de concurrence identifiées par l’Autorité de la concurrence.

10. Dès lors, les dispositions contestées n’ont ni pour objet ni pour effet de conduire l’Autorité de la concurrence à préjuger la réalité et la qualification des faits qu’elle examine dans le cadre de la procédure d’engagements.

11. Ainsi, la circonstance qu’elle pourrait avoir à connaître de ces mêmes faits dans le cadre d’une procédure de sanction faisant suite à une décision de refus d’acceptation d’engagements ne porte pas atteinte au principe d’impartialité. Le grief tiré de la méconnaissance de ce principe doit donc être écarté.

12. En second lieu, il résulte de l’article 16 de la Déclaration de 1789 qu’il ne doit pas être porté d’atteinte substantielle au droit des personnes intéressées d’exercer un recours effectif devant une juridiction.

13. Au regard des conséquences qu’est susceptible d’entraîner pour l’entreprise en cause le refus d’acceptation d’engagements, ce refus doit être regardé comme une décision susceptible de faire l’objet d’un recours en application de l’article L. 464-8 du code de commerce.

14. Dès lors, le grief tiré de la méconnaissance du droit à un recours juridictionnel effectif ne peut qu’être écarté.

15. Par conséquent, les dispositions contestées, qui ne sont pas entachées d’incompétence négative et qui ne méconnaissent pas non plus les autres exigences découlant de l’article 16 de la Déclaration de 1789, ni aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution.

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :

Article 1er. - La seconde phrase du premier alinéa du paragraphe I de l’article L. 464-2 du code de commerce, dans sa rédaction résultant de l’ordonnance n° 2017-303 du 9 mars 2017 relative aux actions en dommages et intérêts du fait des pratiques anticoncurrentielles, est conforme à la Constitution.

Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l’article 23-11 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.