Cass. com., 30 novembre 2022, n° 21-13.893
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Mollard
Rapporteur :
M. Boutié
Avocats :
SCP Ricard, Bendel-Vasseur, Ghnassia, SCP Thouin-Palat et Boucard
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Douai, 28 janvier 2021), la société [J] a ouvert un compte professionnel auprès de la société Banque populaire du Nord (la banque) et a bénéficié d'une facilité de caisse d'un montant de 20 000 euros, ainsi que de six prêts successifs ayant pour objet la réalisation de travaux d'aménagement (prêts n°s 08647936, 08647937 et 08649407), l'achat d'un véhicule (prêt n° 08665440) et l'achat de matériels divers (prêts n°s 08665437 et 08682007), le prêt n° 08682007 étant garanti par le cautionnement solidaire de M. [M].
2. Reprochant à la société [J] un comportement gravement répréhensible, la banque a résilié le découvert en compte sur le fondement de l'article L. 313-12 du code monétaire et financier par un courrier du 4 mai 2017. Par un courrier du 4 juillet 2017, la banque a précisé à la société [J] que ce comportement consistait dans la non-utilisation des prêts consentis aux fins déclarés. Par un courrier du 24 juillet 2017, elle a prononcé la déchéance du terme des contrats de prêt.
3. Le 19 février 2018, estimant leur rupture abusive, la société [J] a assigné la banque en rétablissement des concours bancaires et en dommages-intérêts. Le 1er mars suivant, la banque l'a assignée ainsi que la caution en paiement des sommes dues au titre des différents concours.
4. Par un jugement du 17 septembre 2019, la société [J] a été placée en redressement judiciaire, converti en liquidation judiciaire par jugement du 16 mars 2021, la société WRA étant désignée liquidateur judiciaire.
Examen des moyens
Sur le troisième moyen, ci-après annexé
5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
6. M. [M] et la société WRA, prise en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société [J], font grief à l'arrêt de les débouter, ainsi que la société [J], de leur demande de rejet des pièces 44 et 45 signifiées par la banque, de débouter la société [J] de sa demande de dommages-intérêts pour violation du secret de l'instruction, de débouter M. [M], la société [J] et la société WRA, ès qualités, de leur demande de rétablissement de la facilité de caisse initialement accordée par la banque à la société [J] sur le compte professionnel n° 31137402104, de fixer les créances de la banque au passif de la société [J], à titre chirographaire, à certaines sommes et de débouter M. [M], la société [J] et la société WRA, ès qualités, de leur demande de dommages-intérêts à hauteur du montant des sommes dues à la banque par la société [J], alors :
« 1°/ que la partie civile qui a régulièrement bénéficié de la remise de copies des pièces d'une instruction préparatoire, autres que des rapports d'expertise, ne peut les produire dans une instance civile ; qu'en l'espèce, la banque a produit deux pièces issues d'une instruction pénale en cours (sa plainte avec constitution de partie civile en date du 20 juin 2017 et un arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Douai du 29 novembre 2019) ; qu'en refusant d'écarter ces pièces des débats et d'indemniser le préjudice résultant de cette production, la cour d'appel a violé les articles 11 et 114 du code de procédure pénale ;
2°/ qu'en tous les cas, la partie civile qui a régulièrement bénéficié de la remise de copies des pièces d'une instruction préparatoire, autres que des rapports d'expertise, ne peut les produire dans une instance civile dans laquelle figurent des tiers à l'instruction pénale en cours ; qu'en l'espèce, la banque a produit deux pièces issues d'une instruction pénale en cours (sa plainte avec constitution de partie civile en date du 20 juin 2017 et un arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Douai du 29 novembre 2019) ; qu'en refusant néanmoins d'écarter ces pièces des débats et d'indemniser le préjudice résultant de cette production, sans avoir constaté que les parties à l'instance civile figuraient dans la procédure pénale, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 11 et 114 du code de procédure pénale ;
3°/ que, subsidiairement, une partie à un procès civil ne peut produire des pièces issues d'une instruction pénale en cours sans y avoir été autorisée par le ministère public ; qu'en l'espèce, la société WRA, en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société [J], et M. [M] faisaient valoir, pour s'opposer à la production par la banque de deux pièces issues d'une instruction pénale en cours (une plainte avec constitution de partie civile en date du 20 juin 2017 et un arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Douai du 29 novembre 2019), que le procureur de la République n'avait pas autorisé la production de ces documents dans le cadre d'une procédure civile ; qu'en refusant néanmoins d'écarter ces pièces des débats et d'indemniser le préjudice résultant de cette production, sans avoir constaté que le ministère public avait autorisé cette production, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 11 et 114 du code de procédure pénale ;
4°/ que, très subsidiairement, la société [J], la société WRA, M. [M] et M. [D] faisaient valoir que les informations résultant de la production de deux pièces issues d'une instruction pénale en cours n'avaient pas été circonscrites aux éléments strictement nécessaires aux besoins de la défense, qu'en particulier l'arrêt de la chambre de l'instruction du 29 novembre 2019 résumait ''de manière très détaillée toute une série d'éléments totalement confidentiels relevant du secret de l'instruction, et [détaillait] notamment les agissements imputables à d'autres intervenants étrangers à la [procédure civile] [?] comme Monsieur [V], Monsieur [K], la société Ray, la société Emma, la société Ellias, la société Les mains du bâtiment, la société Sagna, la société DMH, etc?'', la banque ayant dévoilé ''- les noms des différentes personnes mises en examen, - l'ensemble des faits soumis à l'instruction, - l'ensemble des investigations d'ores et déjà réalisées'' ; qu'en se contentant d'affirmer que les éléments produits n'excédaient pas ceux rendus strictement nécessaires par les besoins de la défense, sans répondre à ces conclusions et s'expliquer sur le contenu des pièces produites, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
7. Dès lors qu'il ne résulte d'aucune constatation de l'arrêt que les copies de la plainte et de l'arrêt de la chambre de l'instruction produites par la banque aient été remises à cette dernière en application des dispositions de l'article 114 du code de procédure pénale, ce que M. [M] et la société WRA n'invoquaient pas, au demeurant, devant la cour d'appel, le moyen, qui invoque une méconnaissance de l'interdiction édictée par ce texte, est inopérant.
Sur le deuxième moyen
Enoncé du moyen
8. M. [M] et la société WRA, prise en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société [J], font grief à l'arrêt de les débouter, ainsi que la société [J], de leur demande de rétablissement de la facilité de caisse initialement accordée par la banque à la société [J] sur le compte professionnel n° 31137402104, de fixer les créances de la banque au passif de la société [J], à titre chirographaire, à certaines sommes et de débouter M. [M], la société [J] et la société WRA, ès qualités, de leur demande de dommages-intérêts à hauteur du montant des sommes dues à la banque par la société [J], alors :
« 1°/ que, pour retenir que la révocation immédiate par la banque de la facilité de caisse octroyée à la société [J] était justifiée par le comportement gravement répréhensible de cette dernière, la cour d'appel s'est fondée sur des circonstances relatives à d'autres prêts, considérant que les fonds prêtés n'avaient pas été utilisés pour réaliser l'objet prévu au titre de ces prêts ; qu'en se fondant ainsi sur des éléments étrangers à l'exécution de la convention révoquée, sans relever de faute à l'encontre de la société [J] dans l'exécution de la convention prévoyant une facilité de caisse, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 313-12 du code monétaire et financier et de l'article 1134, devenu 1103, du code civil ;
2°/ que la charge de la preuve d'un comportement gravement répréhensible imputable au bénéficiaire d'un crédit incombe à la banque qui s'en prévaut pour révoquer son concours sans respecter le délai de préavis ; qu'en l'espèce, pour décider que la banque était en droit de mettre fin sans préavis à la facilité de caisse octroyée à la société [J], la cour d'appel a retenu que les ''éléments [produits par la société [J]] ne suffisent aucunement à démontrer que les travaux d'aménagement pour lesquels les financements ont été sollicités ont bien été réalisés au profit des sous-locataires susvisés'', qu'il ''n'est pas davantage justifié que les factures produites soient rattachables aux concours accordés'' et qu'il ''n'est enfin versé aucune preuve de leur règlement par la société [J]'' ; qu'en se fondant ainsi sur l'absence de preuve par la société [J] de ce que les prêts avaient bien servi aux travaux prévus, la cour d'appel a inversé la charge de la preuve, violant ainsi l'article 1315, devenu 1353, du code civil ;
3°/ que les prêts souscrits par la société [J] avaient pour objet la réalisation de travaux d'aménagement rue [X] (prêts n° 08647936, 08647937 et 08649407), l'achat de matériels divers (prêts n° 08665437 et 08682007) et l'achat d'un véhicule (prêt n° 08665440) ; que le liquidateur judiciaire de la société [J] et M. [M] produisaient des factures, adressées à la société [J], relatives à l'achat de matériel destiné à des travaux d'aménagement, au règlement de prestataires chargés de réaliser les travaux et à la location de matériel de chantier et de véhicules utilitaires ;
qu'une partie de ces factures mentionnait une adresse de livraison ou de réalisation des travaux rue [X] ; qu'en retenant cependant qu'il n'était pas ''justifié que les factures produites soient rattachables aux concours accordés'', la cour d'appel a dénaturé les factures produites, violant ainsi le principe de l'obligation pour le juge de ne pas dénaturer les documents de la cause ;
4°/ que la plupart des factures produites par le liquidateur judiciaire de la société [J] et M. [M] étaient accompagnées des tickets de carte de crédit établissant le paiement ou portaient la mention d'un solde nul, le règlement ayant été effectué ; qu'en retenant cependant qu'il n'était ''versé aucune preuve de leur règlement par la société [J]'', la cour d'appel a dénaturé les factures produites, violant ainsi le principe de l'obligation pour le juge de ne pas dénaturer les documents de la cause ;
5°/ qu'en se fondant sur des pièces d'une instruction pénale en cours qui ne pouvaient être produites dans une instance civile et en tenant compte d'accusations d'ordre pénal n'ayant pas donné lieu à une condamnation, au mépris de la présomption d'innocence, la cour d'appel a violé les articles 11 et 114 du code de procédure pénale, 9-1 du code civil et 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »
Réponse de la Cour
9. L'arrêt retient que des contrôles aléatoires opérés par la banque sur les portefeuilles de ses clients lui ont permis de constater que l'activité réelle de la société [J] posait question, que son compte bancaire fonctionnait de manière atypique et que les aménagements pour lesquels des financements lui avaient été consentis, pour un montant cumulé de 196 500 euros en 2014, n'apparaissaient pas dans le bilan 2015 au titre de ses immobilisations. Il ajoute que si, comme le soutient la société [J], dont l'activité déclarée est celle de conseil et assistance technique en travaux, son activité réelle consiste à réaliser des travaux pour ses sous-locataires, les éléments produits par elle ne suffisent pas à démontrer que les travaux d'aménagement pour lesquels les financements ont été sollicités ont bien été réalisés et que la banque a établi que la société [J] avait obtenu le déblocage du prêt professionnel n° 08649407, d'un montant de 99 000 euros, en lui présentant un devis DE00672 en date du 28 novembre 2014 d'un montant de 95 950 euros HT et une facture FA0611 d'un montant de 55 000 euros HT émanant de la société Polycristal qui se sont avérés être des faux.
10. En l'état de ces constatations et appréciations, vainement critiquées par les troisième et quatrième branches, qui, sous couvert du grief infondé de dénaturation, ne tendent qu'à remettre en cause l'appréciation souveraine des éléments de preuve par la cour d'appel, et abstraction faite des motifs surabondants critiqués par la cinquième branche, la cour d'appel, qui pouvait se fonder sur des éléments de la relation de la banque avec la société [J] étrangers à l'exécution de la convention de découvert en compte et qui n'a pas renversé la charge de la preuve, a pu retenir que le comportement de la société [J] était gravement répréhensible et justifiait la révocation immédiate par la banque de la facilité de caisse qu'elle lui avait octroyée.
11. Inopérant en sa cinquième branche, le moyen n'est donc pas fondé pour le surplus.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi.