CA Paris, Pôle 5 ch. 11, 3 février 2023, n° 21/06512
PARIS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Groupe Canal + (SA), Bein Sports France (SAS)
Défendeur :
Filiale LFP 1 (SAS), Ligue de Football Professionnel (Association), Amazon Digital UK (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Ardisson
Conseillers :
Mme Primevert, Mme L'Eleu de La Simone
Avocats :
Me Regnier, Me Garaud, Me Boccon Gibod, Me Rameau, Me Dupuis, Me Guerre, Me Wehrli, Me d'Alès, Me Baechlin, Me Paroche, Me Levy
PRÉTENTIONS DES PARTIES EN APPEL :
Vu le jugement du tribunal de commerce de Paris du 11 mars 2021 par lequel il a :
- débouté la société Groupe Canal+ (société Canal+) et la société beIN sports France ('beIN sports') de leurs demandes tendant, au visa des articles L. 333-1 et suivants et R. 333-1 et suivants du code du sport, 102 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ('TFUE'), L. 420-2, L. 420-3 et L. 462-3 du code de commerce, et 1240, 1103 et 1193 du code civil, d'annuler l'appel a candidatures lancé le 19 janvier 2021 par la Ligue de Football Professionnel ('LFP') pour la commercialisation des droits du championnat de Ligue 1 restitués par Mediapro ainsi que tout accord de grè à grè subséquent portant sur les saisons 2021-2022 a 2023-2024, faire injonction a la Ligue de Football Professionnel d'organiser un appel à candidatures pour la commercialisation des droits du championnat de Ligue 1 restitués par Mediapro pour les saisons 2021-2022 à 2023-2024 incluant le lot 3 attribué a beIN sports et exploité par Canal+, le cas échéant, saisir pour avis l'Autorité de la concurrence sur les pratiques d'abus de position dominante reprochées à la LFP, et condamner la LFP à verser à la société Canal+ la somme de 50 000 euros de dommages et intérêts,
- condamné la société Canal+ à verser à la LFP à la somme de 50 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Vu les appels du jugement interjetés le 6 avril 2021 par les sociétés Groupe Canal+ et beIN sports France ;
Vu les conclusions remises par le réseau privé virtuel des avocats le 1er décembre 2022 pour la société Groupe Canal+ aux fins d'entendre, en application des articles L. 333-1 et suivants et R. 333-1 et suivants du code du sport, 102 du TFUE et L. 420-2, L. 420-3 et L. 462-3 du code de commerce et 1240 du code civil :
- infirmer le jugement,
- juger que les demandes de Canal+ sont recevables,
- juger que l'appel à candidatures lancé le 19 janvier 2021 par la LFP et l'attribution des droits de Ligue 1 à la société Amazon sont contraires au code du sport et constitutifs d'un abus de position dominante dans la mesure où la LFP n'a pas commercialisé le lot 3 en même temps que les lots restitués par la société Mediapro,
- annuler l'appel à candidatures lancé le 19 janvier 2021 par LFP pour la commercialisation des droits du championnat de Ligue 1 restitués par la société Mediapro ainsi que l'accord de gré à gré portant sur les saisons 2021-2022 à 2023-2024 conclu avec la société Amazon,
- faire injonction à la LFP d'organiser un appel à candidatures pour la commercialisation des droits du championnat de Ligue 1 restitués par la société Mediapro pour la saison 2023/2024 incluant le Lot 3 attribué à beIN sports et exploité par la société Canal+,
- juger que l'attribution à la société Amazon des droits de Ligue 1 restitués par la société Mediapro pour les saisons 2021/2022 à 2023/2024 constitue une discrimination tarifaire s'analysant en un abus de position dominante et que le caractère non transparent et discriminatoire du processus d'attribution de gré à gré est contraire au code du sport,
- annuler l'accord entre la LFP et la société Amazon attribuant à cette dernière les droits de Ligue 1 restitués par la société Mediapro pour les saisons 2021/2022 à 2023/2024,
- faire injonction à la LFP de procéder à une nouvelle attribution des Lots exploités par la société Amazon pour la saison 2023/2024 dans des conditions non discriminatoires,
- condamner la LFP à verser à la société Canal+ un montant correspondant à 68,1% des sommes que la société Canal+ a payé au titre du Lot 3 depuis l'attribution des droits de Ligue 1 à Amazon, soit depuis le début de la saison 2021/2022,
- condamner la LFP à verser à la société Canal+ la somme de 500 000 euros au titre de son préjudice moral,
- condamner la LFP et la société Amazon à payer, chacune, la somme de 100 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la LFP aux entiers dépens de l'instance ;
Vu les conclusions remises par le réseau privé virtuel des avocats le 7 décembre 2022 pour la société beIN sports France aux fins de voir, en application des articles L. 333-1 et suivants et R. 333-1 et suivants du code du sport, 101 et 102 du TFUE, 1103 (ex 1134 loyauté), 1193 (ex 1134 révocation des contrats interdite sans le consentement ou pour les cause que la loi autorise)et 1355 du code civil 'ex 1351 autorité de la chose jugée), L. 420-1, L.420-2 et L. 420-3 du code de commerce et 480 (acte élément étendure de l'autorité de la chose jugée)et 910-4 du code de procédure civile :
- rejeter la fin de non-recevoir de la LFP contre les demandes de la société beIN sports,
- juger recevables l'ensemble des demandes de la société beIN sports,
- infirmer le jugement en ce qu'il déboute la société beIN sports de l'intégralité de ses demandes, déboute les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires, mais uniquement lorsqu'il déboute la société beIN sports de ses demandes,
- juger que la LFP a instauré une discrimination anticoncurrentielle constitutive d'un abus de position dominante contraire aux articles 102 TFUE et L. 420-2 du code de commerce en lançant, le 19 janvier 2021, un appel d'offres destiné à réattribuer les droits restitués par la société Mediapro sans inclure dans cet appel d'offres les droits relatifs au lot 3,
- juger que la LFP a instauré une discrimination anticoncurrentielle constitutive d'un abus de position dominante contraire aux articles 102 TFUE et L. 420-2 du code de commerce en réattribuant les droits restitués par la société Mediapro à la société Amazon le 11 juin 2021,
- juger que l'accord conclu par la LFP et la société Amazon le 11 juin 2021 constitue un accord anticoncurrentiel contraire aux articles 101 TFUE et L. 420-1 du code de commerce,
- annuler l'appel à candidatures du 19 janvier 2021 initié par la LFP pour la commercialisation des droits de la Ligue 1 restitués par la société Mediapro,
- annuler l'accord conclu entre la LFP et la société Amazon portant sur les droits de la Ligue 1 restitués par la société Mediapro,
- enjoindre à la LFP de récupérer les droits composant le lot 3,
- enjoindre à la LFP d'organiser un nouvel appel d'offres en vue de l'attribution des droits de la Ligue 1 restitués par la société Mediapro, ensemble avec les droits du lot 3, pour la saison 2023/2024,
- débouter la LFP et la société Amazon de toutes leurs demandes,
- condamner la LFP et la société Amazon à acquitter une somme de 100 000 euros chacune en application de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la LFP et la société Amazon au paiement des entiers dépens de l'instance ;
Vu les conclusions remises par le réseau privé virtuel des avocats le 1er décembre 2022 pour la société Filiale LFP 1, venant aux droits de l'association Ligue de football professionnel, aux fins d'entendre, en application des articles L. 333-1 et R. 333-1 à R. 333-3 du code du sport, 102 du TFUE, L. 420-2 et L. 420-3 du code de commerce, 1102, 1103, 1163 et 1240 du code civil, 32-1, 122, 480 et 910-4 du code de procédure civile :
- juger irrecevables, à raison de l'autorité de la chose jugée attachée à l'arrêt du 30 juin 2022 de la 7 ème chambre du pôle 5 de la cour d'appel de Paris, les demandes des sociétés Canal+ et beIN sports (à titre subsidiaire, si la cour fait droit à l'argumentation de beIN sports, les demandes de Canal+ seulement) sollicitant l'annulation de la consultation en ce qu'elle n'incluait pas le lot 3,
- juger irrecevable comme nouvelle, ou à tout le moins tardive, la demande de la société Canal+ relative à l'annulation du contrat conclu avec la société Amazon le 11 juin 2021 portant sur les droits précédemment concédés à Mediapro pour les saisons 2021/2022 à 2023/2024 au motif qu'il constituerait un abus de position dominante,
- juger que le contrat relatif au lot n°3 de l'appel à candidatures organisé en 2018 pour les saisons 2020/2021 à 2023/2024 a été valablement conclu avec la société beIN sports et demeure parfaitement exécuté,
- juger que la LFP a respecté les dispositions du code du sport et n'a commis aucun pratique anticoncurrentielle ou restrictive de concurrence à l'occasion 1) de la consultation de marché de janvier 2021 portant sur les droits de la Ligue 1 pour les saisons 2020/2021 à 2023/2024 précédemment concédés à la société Mediapro, 2) des négociations de gré à gré subséquentes portant sur ces droits et 3) de la conclusion d'un contrat avec la société Amazon le 11 juin 2021 portant sur ces droits pour les saisons 2021/2022 à 2023/2024,
- juger que la société Canal+ ne rapporte pas la preuve ni du principe ni du quantum du préjudice qu'elle revendique et ne démontre pas l'existence d'un lien de causalité,
- confirmer en toutes ses dispositions le jugement du Tribunal de commerce de Paris rendu le 11 mars 2021,
- débouter les sociétés Canal+ et beIN sports de l4ensemble de leurs demandes,
- donner acte à la société Filiale LFP 1 qu'elle réserve l'ensemble de ses droits visant à solliciter la réparation du préjudice qui lui a été causé par les différentes actions initiées par les sociétés Canal+ et beIN sports,
- condamner les sociétés Canal+ et beIN sports à verser, chacune, la somme de 100.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens ;
Vu les conclusions remises par le réseau privé virtuel des avocats le 1er décembre 2022 pour la société Amazon Digital UK aux fins d'entendre, en application des articles L. 333-1 et R. 333-1 à R. 333-3 du code du sport, 101 et 102 du TFUE, L. 420-1, L. 420-2 et L. 420-3 du code de commerce :
- juger que la LFP a respecté les dispositions du code du sport et n'a commis aucun abus de position dominante lors des négociations de gré à gré ayant abouti à la conclusion d'un contrat avec Amazon,
- juger que le contrat conclu entre la société Amazon et la LFP ne constitue pas une entente anticoncurrentielle,
- confirmer en toutes ses dispositions le jugement du tribunal de commerce de Paris du 11 mars 2021,
- débouter les sociétés Canal+ et beIN sports de l'ensemble de leurs demandes formulées tant à l'occasion de leurs appels que de leurs appels incidents respectifs,
- condamner la société beIN sports au paiement d'une somme de 25.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la société beIN sports au paiement des entiers dépens de l'instance ;
subsidiairement, si la cour concluait à l'existence d'un abus de position dominante,
- juger qu'une éventuelle annulation de l'appel d'offres du 19 janvier 2021 pour abus de position dominante est sans conséquence sur la validité du contrat conclu entre la société Amazon et la LFP ;
Appelée à l'audience du 8 décembre 2022, le président a prononcé la clôture de l'affaire et les parties ont été entendues par la voix de leur conseil.
SUR CE, LA COUR,
Les procédures d'attribution des droits de diffusion télévisuelle de la Ligue 1 pour les saisons 2020/2021 à 2023/2024 et leur exploitation
1. Au terme de la consultation qu'elle a lancée en avril 2018, l'association Ligue de football professionnel ('la LFP'), qui bénéficie d'un mandat exclusif des clubs professionnels de football pour commercialiser les droits de diffusion télévisuelle de la Ligue 1 et de la Ligue 2, a organisé un appel à candidatures portant sur ces droits pour les saisons 2020-2021 à 2023-2024. Les droits de la Ligue 1 répartis en sept lots ont été attribués à la société Mediapro pour les lots 1, 2, 4, 5 et 7, à la société beIN sports France ('société beIN sports') pour le lot 3 et que celle-ci a sous-licencié le 11 février 2020 à la société groupe Canal+ ('Canal+') pour les saisons 2020/2021 à 2023/2024 au prix d'acquisition initial de 330 millions d'euros, et enfin à la société Free pour le lot 6.
2. La société Mediapro ayant lancé sa chaîne Telefoot le 17 août 2020 dédiée à la diffusion de ses droits a rencontré des difficultés pour honorer ses échéances de paiement des droits avant de convenir avec la LFP un accord sur la résiliation anticipée de leur contrat homologué par le tribunal de commerce de Nanterre le 22 décembre 2020.
3. Le 19 janvier 2021, la LFP a lancé une consultation de marché pour la réattribution des lots de la société Mediapro, répartis en quatre lots, à laquelle ont participé les sociétés Amazon, Discovery79 et DAZN, mais non les sociétés beIN sports et Canal+, et qui s'est avérée infructueuse en raison des prix de réserve qui n'ont pas été atteints.
4. Afin de garantir la continuité de la diffusion des matchs pour la fin de la saison 2020/2021, la LFP a passé le 4 février 2021 un accord de gré à gré avec la société Canal+ sur les droits audiovisuels de la Ligue 1 pour la fin de la saison 2020/2021 au terme duquel elle a accepté en qualité de sous-licencié de la société beIN sports de verser à la LFP la contrepartie financière due au titre du lot 3, et acquis le reliquat des droits de la Ligue 1 pour la fin de la saison 2020/2021 moyennant 35 millions d'euros.
5. Après avoir été destinataire des offres des sociétés beIN sports, Canal+ et Amazon Digital UK ('Amazon') pour l'acquisition des droits de retransmission restitués par la société Mediapro, la LFP a attribué, le 11 juin 2021, ces droits, de gré à gré, à la société Amazon.
6. Le 24 juillet 2021, la société Canal+ a notifié à la société beIN sports la résiliation de leur contrat de sous-licence.
- La procédure déférée à la cour
7. Le 26 janvier 2021, la société Canal+ a assigné la LFP devant le tribunal de commerce de Paris et en présence de la société beIN sports et réclamé, aux termes dans les termes rapportés au jugement :
Annuler l'appel a candidatures lance le 19 janvier 2021 par la Ligue de Football Professionnel pour la commercialisation des droits du championnat de Ligue 1 restitués par Mediapro ainsi que tout accord de grè à grè subséquent portant sur les saisons 2021-2022 à 2023-2024 ;
Faire injonction a la Ligue de Football Professionnel d'organiser un appel à candidatures pour la commercialisation des droits du championnat de Ligue 1 restitués par Mediapro pour les saisons 2021-2022 à 2023-2024 incluant le Lot 3 attribué à beIN sports et exploité par Canal+ ;
Le cas échéant, saisir pour avis l'Autorité de la concurrence sur les pratiques d'abus de position dominante reprochées a la LFP ;
Condamner la Ligue de Football Professionnel à verser à Canal+ la somme de 100 000 euros au titre de son préjudice moral.'
- Les procédures connexes
8. Le 29 janvier 2021, la société Canal+ a aussi saisi pour la première fois l'Autorité pour dénoncer comme contraires aux articles 101 et 102 du TFUE et L. 420-1 et L. 420-2 du code de commerce, les pratiques mises en oeuvre par la LFP dans le secteur de la vente de droits de diffusion télévisuelle de compétitions sportives et qui sont résultées du refus de la LFP d'inclure le lot 3 exploité par la société Canal+ dans la réattribution des lots de la société Mediapro, avec pour effet d'imposer à la société Canal+ des conditions de transaction inéquitables et constitutives d'une discrimination abusive, la société Canal+ soutenant encore que tout accord qui résulterait de la consultation de marché de 2021 serait anticoncurrentiel par objet.
9. Par une décision n° 21-D-12 du 11 juin 2021, l'Autorité a rejeté cette saisine.
10. Saisie des recours de la société belN sports et de la société Canal+, la chambre 7 du pôle 5 de la cour d'appel de Paris a confirmé cette décision par arrêt n°21/13216 du 30 juin 2022.
11. Les 2 novembre et 24 décembre 2021 les sociétés beIN sports et Canal+ ont saisi l'Autorité sur la question de savoir si 'la décision de la LFP d'attribuer 80% des droits de Ligue 1 à Amazon pour 250 millions d'euros par saison tout en contraignant Canal+/ beIN sports à exploiter les droits restants dans les conditions de concurrence résultant de l'Appel à Candidatures de 2018 constitue une discrimination entre les attributaires des droits de Ligue 1 sur les marchés de l'édition et de la commercialisation de chaînes de télévision payante et de la distribution de services de télévision payante de nature à déstabiliser la concurrence sur les marchés avals de la télévision payante'.
12. Par une décision n° 22-D-22 du 30 novembre 2022, l'Autorité a rejeté cette seconde saisine et le 7 décembre 2022, les sociétés Groupe Canal+ et beIN sports se sont désistées de leur recours contre cette décision.
13. En liminaire, la cour donne acte à la société Filiale LFP 1 de son intervention dans les droits et obligations de l'association Ligue de football professionnel.
14. D'autre part, en application de l'article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie expresséement au jugement déféré, aux écritures des parties.
I. Sur les fins de non recevoir et les irrecevabilités des demandes nouvelles
15. La LFP soutient que la demande que la société Canal+ a relevée dans ses conclusions transmises le 7 septembre 2022 tendant à voir 'juger que l'attribution à Amazon des droits de Ligue 1 restitués par Mediapro pour les saisons 2021/2022 à 2023/2024 constitue une discrimination tarifaire s'analysant en un abus de position dominante', est irrecevable pour n'avoir pas été invoquée dans les premières conclusions que la société Canal+ a transmises le 6 juillet 2021, ceci, en violation du 'principe de concentration des prétentions en cause d'appel' de l'article 910-4 du code de procédure civile disposant que :
A peine d'irrecevabilité, relevée d'office, les parties doivent présenter, dès les conclusions mentionnées aux articles 905-2 et 908 à 910, l'ensemble de leurs prétentions sur le fond. L'irrecevabilité peut également être invoquée par la partie contre laquelle sont formées des prétentions ultérieures.
Néanmoins, et sans préjudice de l'alinéa 2 de l'article 802, demeurent recevables, dans les limites des chefs du jugement critiqués, les prétentions destinées à répliquer aux conclusions et pièces adverses ou à faire juger les questions nées, postérieurement aux premières conclusions, de l'intervention d'un tiers ou de la survenance ou de la révélation d'un fait.
16. Toutefois, ainsi que le relève la société Canal+, elle a, aux termes du dispositif de ses premières conclusions, réclamé '[l'annulation] de l'appel à candidatures lancé le 19 janvier 2021 par la Ligue de Football Professionnel pour la commercialisation des droits du championnat de Ligue 1 restitués par Mediapro ainsi que l'accord de gré à gré subséquent portant sur les saisons 2021-2022 à 2023-2024 conclu avec Amazon', et tandis par ailleurs que, d'après les termes du jugement déféré, la discrimination tarifaire que la société Canal+ invoque était déjà dans les débats devant les premiers juges, ce chef d'irrecevabilité n'est pas encouru et et la demande sera discutée au fond ci-dessous.
17. En revanche, aux termes de l'article 564 du code de procédure civile, il est disposé que :
A peine d'irrecevabilité relevée d'office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d'un fait.
18. Et telles qu'elles sont rapportées au paragraphe 7 ci-dessus, les demandes soumises par la société Canal+ aux premiers juges ne comprennent pas celle soutenue pour la première fois en cause d'appel tendant à la condamnation de la LFP à payer à 68,1% des sommes qu'elle a acquittées au titre du lot 3 depuis l'attribution des droits de Ligue 1 à la société Amazon, de sorte qu'il convient de déclarer cette demande irrecevable.
II. Sur la portée des décisions de l'Autorité de la concurrence et de la cour d'appel désignée pour les recours
19. En liminaire, il est relevé que le marché, les procédures d'attribution ainsi que les contrats auxquels celles-ci ont donné lieu, comme les intérêts des parties en cause dont la cour est saisie sont les mêmes que ceux examinés par l'Autorité dans ses décisions n° 21-D-12 et n° 22-D-22 ainsi que par la chambre 7 du pôle 5 de la cour d'appel de Paris dans son arrêt n°21/13216.
20. Aux termes de ses conclusions, la LFP oppose aux actions des sociétés Canal+ et beIN sports, d'abord, une fin de non recevoir tirée de l'autorité de la chose jugée attachée à la décision de l'Autorité du 11 juin 2021, dont le recours a été rejeté par la chambre 7 du pôle 5 de la cour de Paris le 30 juin 2022.
21. Il n'est pas discutable que suivant les articles 1355 du code civil et 122 du code de procédure civile, l'autorité de la chose jugée est attachée aux arrêts rendus par la chambre 7 du pôle 5 de la cour d'appel de Paris désignée comme organe juridictionnel pour connaître des recours contre les décisions de l'Autorité.
22. En revanche ainsi que le soutiennent les sociétés Canal+ et beIN sports, les décisions de l'Autorité sont dépourvues de l'autorité de la chose jugée, alors que cette autorité administrative, bien qu'indépendante, n'est pas de nature juridictionnelle.
23. Au demeurant, la LFP est bien fondée à opposer, subsidiairement, « l'influence déterminante » de ces décisions et que traduisent les termes de l'article L. 481-2 du code de commerce, dont l'application est d'ordre public, selon lesquels :
Une pratique anticoncurrentielle mentionnée à l'article L. 481-1 est présumée établie de manière irréfragable à l'égard de la personne physique ou morale désignée au même article dès lors que son existence et son imputation à cette personne ont été constatées par une décision qui ne peut plus faire l'objet d'une voie de recours ordinaire pour la partie relative à ce constat, prononcée par l'Autorité de la concurrence ou par la juridiction de recours.
24. Les faits que les sociétés Canal+ et beIN sports allèguent à l'encontre de la LFP fondent leurs demandes et leurs moyens tirés de pratiques anticoncurrentielles connexes à ceux qui ont fait l'objet de la première saisine de l'Autorité par la société Canal+, ayant donné lieu à l'arrêt de la chambre 7 du pôle 5 de la cour d'appel d'appel de Paris du 30 juin 2022, comme à ceux qui ont fait l'objet de la seconde saisine par les sociétés Canal+ et beIN sports ayant donné lieu à la décision de l'Autorité n° 22-D-22 du 30 novembre 2022, laquelle à fait l'objet des désistements à recours des sociétés Canal+ et beIN sports ainsi que celles-ci l'ont notifiés à la cour le 8 décembre 2022.
25. Ainsi, la cour examinera les faits et moyens tirés de l'abus de position dominante reproché par les sociétés Canal+ et beIN sports à la LFP et à la société Amazon d'après l'autorité de la chose jugée attachée à l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 30 juin 2022 , statuant sur le recours à l'encontre de la première décision de l'Autorité n° 21-D-12 du 11 juin 2021, ainsi que d'après les présomptions irréfragablement établies par la seconde décision de l'Autorité n° 22-D-22 du 30 novembre 2022.
III. Sur les abus de position dominante de la LFP
26. Les sociétés Canal+ et beIN sports reprochent à la LFP, en premier lieu sur le marché amont de l'attribution des droits de retransmission des matchs de la Ligue 1, d'une part, son manquement à l'obligation de satisfaire à l'offre qui lui a été faite en janvier 2021 par les société Canal+ et beIN sports de renégocier le lot 3 en même temps que la réattribution des lots de la société Mediapro dans le cadre de l'appel à candidatures de 2021, et d'autre part, les manquements de la LFP dans l'attribution, de gré à gré, à la société Amazon, des droits de Ligue 1 restitués par la société Mediapro.
27. En second lieu, les sociétés Canal+ et beIN sports déduisent du refus de la LFP de remettre en cause le lot 3, puis son attribution de gré à gré à la société Amazon des lots restitués par la société Mediapro à la LFP, une pratique de discrimination tarifaire sur le marché aval de la distribution des programmes de la Ligue 1.
- le droit applicable
28. La LFP occupant une position dominante dans l'attribution des droits de retransmission télévisuels des matchs de football français de la Ligue 1 et de la Ligue 2, les sociétés Canal+ et beIN sports fondent leurs demandes sur les discriminations prohibées par les dispositions d'ordre public :
29. l'article 102 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne énonçant que :
Est incompatible avec le marché intérieur et interdit, dans la mesure où le commerce entre États membres est susceptible d'en être affecté, le fait pour une ou plusieurs entreprises d'exploiter de façon abusive une position dominante sur le marché intérieur ou dans une partie substantielle de celui-ci.
Ces pratiques abusives peuvent notamment consister à:
a) imposer de façon directe ou indirecte des prix d'achat ou de vente ou d'autres conditions de transaction non équitables,
b) limiter la production, les débouchés ou le développement technique au préjudice des consommateurs,
c) appliquer à l'égard de partenaires commerciaux des conditions inégales à des prestations équivalentes, en leur infligeant de ce fait un désavantage dans la concurrence,
d) subordonner la conclusion de contrats à l'acceptation, par les partenaires, de prestations supplémentaires qui, par leur nature ou selon les usages commerciaux, n'ont pas de lien avec l'objet de ces contrats.
30. l'article L. 420-2 du code de commerce énonçant que :
Est prohibée, dans les conditions prévues à l'article L. 420-1, l'exploitation abusive par une entreprise ou un groupe d'entreprises d'une position dominante sur le marché intérieur ou une partie substantielle de celui-ci. Ces abus peuvent notamment consister en refus de vente, en ventes liées ou en conditions de vente discriminatoires ainsi que dans la rupture de relations commerciales établies, au seul motif que le partenaire refuse de se soumettre à des conditions commerciales injustifiées.
Est en outre prohibée, dès lors qu'elle est susceptible d4affecter le fonctionnement ou la structure de la concurrence, l'exploitation abusive par une entreprise ou un groupe d'entreprises de l'état de dépendance économique dans lequel se trouve à son égard une entreprise cliente ou fournisseur. Ces abus peuvent notamment consister en refus de vente, en ventes liées, en pratiques discriminatoires visées aux articles L. 442-1 à L. 442-3 ou en accords de gamme.
31. l'article R. 333-3 du code du sport énonçant que :
La commercialisation par la ligue des droits mentionnés au premier alinéa de l'article R. 333-2 est réalisée selon une procédure d'appel à candidatures publique et non discriminatoire ouverte à tous les éditeurs ou distributeurs de services intéressés.
L'avis d'appel à candidatures contient des informations relatives au contenu et à l'échéance des contrats en cours portant sur les autres droits d'exploitation audiovisuelle. Il précise également le calendrier de la procédure d'attribution et les modalités d'ouverture des offres des différents candidats.
Les droits sont offerts en plusieurs lots distincts dont le nombre et la constitution doivent tenir compte des caractéristiques objectives des marchés sur lesquels ils sont proposés à l'achat.
Chaque lot est attribué au candidat dont la proposition est jugée la meilleure au regard de critères préalablement définis dans l'avis d'appel à candidatures. Les contrats sont conclus pour une durée qui ne peut excéder quatre ans. »
La ligue doit rejeter les propositions d'offres globales ou couplées ainsi que celles qui sont assorties d'un complément de prix.
32. Sur la portée de cette dernière disposition réglementaire, à droit constant avec celle issue du décret n°2004-699 du 15 juillet 2004, les sociétés Canal+ et beIN sports se prévalent encore de l'avis du Conseil de la concurrence n° 04-A-09 du 28 mai 2004 qui retient, à son paragraphe 27, que pour garantir le caractère transparent et non discriminatoire de l'appel d'offres, le décret sur la commercialisation par les ligues professionnelles des droits d'exploitation audiovisuelle des compétitions ou manifestations sportive doit prévoir que ' les droits sont offerts en plusieurs lots disjoints dont le nombre et la constitution doivent tenir compte des caractéristiques des marchés sur lesquels ils sont proposés à l'achat' et 'éviter la constitution d'un lot ou de quelques lots trop importants qui ne pourraient être acquis que par les opérateurs les plus puissants (...) et de lots composés de telle sorte que leur indépendance ne soit qu'apparente et que le diffuseur soit conduit à rechercher l'acquisition de lots couplés ou à se lier avec un autre diffuseur pour être en mesure d'exploiter les lots dans des conditions techniques et économiques satisfaisantes'.
III.1. Sur l'abus de position dominante dans les procédures d'attribution du marché amont de l'attribution des droits de retransmission des matchs des Ligue 1 et 2
- tiré du refus de remettre en concurrence le lot 3 pour l'appel à candidature de janvier 2021
33. Pour déduire l'abus de position dominante résultant du refus de la LFP de réintégrer l'adjudication du lot 3 dans la procédure d'appel d'offres pour la réattribution des lots de la société Mediapro, les sociétés Canal+ et beIN sports estiment que la lettre de l'article R. 333-3 du code du sport n'autorisait pas le morcellement de l'attribution des lots de la Ligue 1.
34. Elles relèvent en outre, que la structure de l'appel des offres successives et des enchères de la procédure de 2018 a eu un effet inflationniste des prix d'attribution des lots 1, 2 et 3 et que les conditions de marché pour la valorisation de la diffusion des programmes de la Ligue 1 se sont détériorées à compter de la pandémie de 2020 en raison de la baisse des audiences des matchs, joués à huit clos, ainsi que du développement de la diffusion illicite des matchs de la Ligue 1 sur Internet et les réseaux mobiles et dont le nombre a été établi par la Haute autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet à 3,4 millions par mois en 2020.
35. Elles relèvent encore que le refus de la LFP de réintégrer le lot 3 en 2021 a eu pour effet de diviser par trois la valeur des droits que la société Mediapro avait acquis en mai 2018 pour les lots 1, 2, 4, 5 et 7 de Ligue 1 au prix de 780 millions d'euros par saison, alors que l'offre d'acquisition de la société Amazon a été satisfaite en juin 2021 au prix de 250 millions d'euros par saison.
36. Elles déduisent que l'adjudication des droits de la LFP pour la diffusion des matchs 'premium' de la Ligue 1 est à l'origine d'une discrimination en raison de la possibilité pour les concurrents d'acquérir ces droits à des conditions plus favorables que celles offertes par la société beIN sports ainsi que pour la société Canal+ qui doit continuer à exploiter et amortir auprès de ses abonnés son lot 3 acquis au prix de 332 millions d'euros fixé en 2018, alors que si les sociétés Canal+ et beIN sports devaient candidater à l'adjudication des lots de la société Mediapro, elles auraient dû, pour acquérir 100 % des droits de Ligue 1, présenter une offre d'un montant supérieur au montant cumulé du lot 3 et de l'offre Amazon, soit une offre supérieure à 582 millions d'euros par an (332 + 250), tandis que la société Amazon a pu acquérir 80% des droits de Ligue 1 pour seulement 250 millions d'euros.
37. Au demeurant, ces moyens développés en fait, ont déjà été soumis, dans leur substance, à l'Autorité, puis en cause de recours contre sa décision du 11 juin 2021, à la chambre 5-7 de la cour d'appel de Paris qui, dans son arrêt du 30 juin 2022, les a écartés, en premier lieu sur les pratiques de discrimination, en rejetant au visa des dispositions du code du sport précitées, la nature anticoncurrentielle par objet de la procédure d'appel à candidature de 2021 invoquée par la société Canal+ (paragraphes 35, 82 et 115 de l'arrêt du 30 juin 2022).
38. En suite, par motifs adoptés de l'Autorité, en confirmant, d'une part le bien fondé de la nature autonome et indépendante des lots attribués dans les appels à candidature de 2018 puis de 2021 (paragraphes 85 et 86 de l'arrêt du 30 juin 2022), et d'autre part, en retenant la nature extérieure à la LFP des conditions objectives de détérioration du marché de la télédiffusion des droits des Ligues intervenues à partir de 2020 (paragraphes 89 et 90 de l'arrêt du 30 juin 2022).
39. Enfin, en concluant que la décision de la LFP de ne pas remettre en cause les contrats conclus sur les autres lots, en particulier le lot 3 exploité par la société Canal+, apparaissait nécessaire et proportionnée aux objectifs de la LFP de préservation des intérêts des clubs professionnels de football, financés pour une grande partie par les recettes provenant de la cession des droits de retransmission (paragraphe 95 de l'arrêt du 30 juin 2022).
40. En second lieu, sur les griefs tirés de la pratique d'imposition de conditions de prix inéquitables, la cour d'appel de Paris les a écartés en retenant que l'intérêt de maximisation des recettes de la LFP et sa décision raisonnable de ne pas résilier et de ne pas remettre en vente le lot'3 était la fois nécessaire et proportionnée avec les objectifs de concurrence (paragraphes 114 à 118 de l'arrêt du 30 juin 2022).
41. En conséquence, la demande de ce chef sera déclarée irrecevable par application de la chose jugée de l'arrêt du 30 juin 2022.
- tiré des conditions d'attribution de gré à gré des lots à la société Amazon
42. Pour reprocher à la LFP ses manquements dans l'attribution de gré à gré à la société Amazon les droits de la Ligue 1 restitués par la société Mediapro, la société Canal+ soutient, d'une part, que cette voie d'attribution des droits n'est pas prévue par les dispositions de l'article R. 333-3 du code du sport précitées au paragraphe 31 ci-dessus, la négociation de gré à gré étant d'autant plus prohibée en raison de l'importance attachée aux droits de retransmission télévisuelle payante des matchs premium de la ligue 1 sur une durée restant à courir de trois ans.
43. La société Canal+ fait d'autre part grief à la LFP ses manquements dans l'organisation de cette cession de gré à gré dont elle soutient qu'elle a violé les principes de loyauté, de transparence et de non-discrimination posés par le code du sport, d'abord en ce que la LFP n'a pas défini de règles, se limitant à indiquer « engager immédiatement des discussions de gré à gré portant sur tout ou partie des droits non-attribués (avec toute latitude pour procéder à une modification des Lots), avec toute personne que ce soit, y compris notamment tout Candidat ou autre acteur intéressé ».
44. La société Canal+ indique qu'elle ignorait que la LFP était en discussion avec la société Amazon depuis des mois pour la cession de l'intégralité des droits de Ligue 1 restitués par Mediapro, qu'elle ignorait les montants discutés tandis que la société Amazon était informée par la presse spécialisée de l'état exact d'avancement des négociations entre les sociétés Canal+, beIN sports et la LFP et les montants discutés, cette rupture dans l'information ayant empêché les sociétés Canal+ et beIN sports d'améliorer le cas échéant leur offre, ce dont il est résulté que par ces négociations, à la LFP, en dépit de ses propres intérêts de maximiser la valeur des droits de Ligue 1, n'a pas donné aux différents candidats l'opportunité de surenchérir, la LFP ayant par ailleurs refusé à la société beIN sports, sa demande de communication du prix de réserve.
45. Enfin, la société Canal+ conteste l'approbation par la LFP du prix de 250 millions d'euros offert par la société Amazon pour les lots restitués par la société Mediapro, qui, bien que cumulé avec les droits de 332 millions d'euros acquittés par la société Canal+, était moins disant, non seulement par comparaison avec le prix de 535 millions d'euros que la société Canal+ avait offert pour la commercialisation de l'ensemble des droits de la ligue 1 augmenté d'un bonus pouvant atteindre 78 millions d'euros par an, mais encore d'après l'abandon par la LFP des critères qualitatifs que l'appel à candidature avait retenus, et que remplissait l'offre de la société Canal+ historiquement reconnue pour la qualité de la retransmission des matchs de la ligue, quand en revanche l'opérateur Amazon ne proposait aucune expérience dans ce secteur à l'exception de ses moyens techniques de retransmission électronique.
46. Au demeurant, s'agissant du principe de la négociation de gré à gré, ni les dispositions de l'article R. 333-3 du code du sport précitées au paragraphe 31 ci-dessus, ni le droit applicable en matière de délégation de service public, ne prohibe le recours à cette négociation, dès lors qu'elle est précédée d'un échec à un appel à candidature régulièrement lancé par la LFP en application de l'article R. 333-3 et dans le respect du droit de la concurrence, étant relevé que ce moyen a déjà été écarté par l'arrêt de la chambre 5 pôle 7 de la cour d'appel de Paris du 30 juin 2022, ainsi que cela est rapporté au paragraphe 37 ci-dessus, et que dans sa décision du 30 novembre 2022, l'Autorité a encore écarté cette appréciation après avoir relevé, au paragraphe 49, que la société Canal+ avait adhéré à la négociation de gré à gré engagée en 2021.
47. En ce qui concerne les autres moyens, ils ont déjà été soumis dans leur substance à l'Autorité, tels qu'elle les a rapportés aux paragraphes 57 à 60, 75 et 79 de sa décision du 30 novembre 2022, et les a écartés, d'abord en relevant qu'ils empruntent les mêmes griefs tirés de la consultation de 2018 et de l'appel à candidature de janvier 2021 (paragraphe 74 de la décision du 30 novembre 2022), lesquelles sont définitivement jugées régulières par l'arrêt du 30 juin 2022.
48. En suite, après avoir relevé le refus des sociétés Canal+ et beIN de participer à l'appel à candidature de janvier 2021, avant de participer à la négociation de gré à gré (paragraphe 77 de la décision du 30 novembre 2022), en retenant que la négociation de gré à gré s'est régulièrement déroulée dans des conditions transparentes et non discriminatoires (paragraphes 78 à 81 de la décision du 30 novembre 2022).
49. En conséquence, le jugement sera confirmé en ce qu'il a implicitement débouté les sociétés Canal+ et beIN sports de ce chef de demande.
III.2. Sur la discrimination tarifaire sur le marché aval de la distribution télévisuelles des matchs de la Ligue 1
50. Les sociétés Canal+ et beIN sports déduisent, de la position dominante de la LFP, que son refus de remettre en cause le lot 3 ainsi que sa décision de réattribuer les lots de la société Mediapro de gré à gré à la société Amazon relèvent des pratiques de discrimination tarifaire sur le marché aval de la distribution des programmes de la Ligue 1 et de la distribution de services de télévision payante, en violation des article 102 c) du TFUE cité au paragraphe 28 ci-dessus, et L. 420-2 du code de commerce cité au paragraphe 31 ci-dessus.
51. En liminaire, la société beIN sports rappelle qu'il suffit de démontrer que le désavantage est seulement susceptible d'avoir un effet restrictif de concurrence, de sorte qu'il ne saurait être exigé que soit rapportée la preuve d'une détérioration effective mesurable de la position concurrentielle des partenaires commerciaux, individuellement.
52. Elle rappelle encore que la notion de discrimination se réfère au fait d'appliquer des conditions inégales à des prestations objectivement équivalentes - sans pour autant être identiques - ou à des partenaires commerciaux placés dans des situations équivalentes et que la circonstance que des appels à candidatures se sont déroulés à des époques ou dans des contextes différents est indifférente, dès lors que les prestations étaient équivalentes.
53. Pour déduire la preuve que la LFP, avec la complicité de la société Amazon, a imposé des conditions inégales à des prestations équivalentes dont elles soutiennent qu'elles ne sont justifiées par aucune circonstance objective, les sociétés Canal+ et beIN concluent à nouveau sur leur désavantage au profit de la société Amazon qui a remporté 80% des droits de Ligue 1 pour 250 millions d'euros tout en supportant un investissement moindre lui permettant une offre de prix d'abonnement réduite par rapport à celle de la société Canal+ pour une offre de diffusion de matchs chaque week-end plus riche que celle de la société Canal+ placée dans l'impossibilité de proposer une offre concurrentielle.
54. Les sociétés Canal+ et beIN précisent, ensemble ou séparément, que le prix de leur lot 3 est d'autant plus élevé, par rapport au prix acquitté par la société Amazon pour l'exploitation des autres lots, que la société Canal+ exploite deux matchs par journée, soit 20% des matchs de Ligue 1, pour 332 millions d'euros par saison (soit 57% du prix de la Ligue 1), tandis que la société Amazon exploite huit matchs par journée, soit 80% des matchs et comprenant en outre, les dix meilleures affiches, pour 250 millions d'euros par saison (soit 43% du prix de la Ligue 1). Et par comparaison, avant sa défaillance, la société Mediapro exploitait 80% des matchs pour 780 millions d'euros (soit 70% du prix de la Ligue 1), quand la société Canal+ exploitait 20% des matchs pour 332 millions d'euros (soit 30% du prix de la Ligue 1), de sorte que la réduction consentie par la LFP à Amazon s'élève à 530 millions d'euros par saison, ce qui bouleverse inévitablement l'équilibre des prix relatifs issu de l'appel à candidatures de 2018.
55. Elles déduisent encore leur désavantage d'après le prix unitaire pour la retransmission d'un match, qui est d'environ 4,3 millions d'euros, soit six fois plus élevé que le prix par match payé par Amazon d'environ 700 000 euros.
56. Et sur la base d'une évaluation de l'attractivité différentielle de la retransmission des matchs de la Ligue 1 et de la Ligue 2 ainsi que de la captation des nouveaux abonnements qu'elle provoque telle dont la mesure a été confiée au cabinet Analysis Group, la société Canal+ se prévaut d'un 'coût par contact' de chacun des Lots 1, 2, 3 et 4 détenus par la société Amazon 2,6 fois moins élevé que le coût par contact des matchs du Lot 3, ceci alors que la société Amazon détient les droits des matchs des 10 meilleures affiches, et dont le coût par téléspectateurs est en outre plus élevé que celui des autres matchs.
57. Dans le même sens, la société beIN sports se prévaut d'une étude du cabinet Accuracy, qui déduit des écarts de rendement entre les montants de la redevance acquittée pour l'exploitation des lots de la société Amazon et celle pour le lot 3, ceux de la valorisation des abonnements des premiers par rapport au second, et la pression que ces écarts exercent sur la captation des nouveaux abonnés.
58. Les sociétés beIN et Canal+ en déduisent la preuve d'une discrimination tarifaire par la LFP et la société Amazon conduit qui a pour effet de financer le développement de l'offre de la société Amazon par les sociétés beIN et Canal+ ainsi que pour effet de menacer sur l'équilibre économique de l'exploitation du Lot 3 de nature à évincer les acteurs traditionnels du marché aval de la distribution des matchs de football y compris dans l'édition et la distribution des programmes des chaînes payantes.
59. Toutefois, et en premier lieu, l'essentiel de ces moyens rapportés à la conduite de la procédure d'adjudication en 2021 a été écarté par l'arrêt de la cour d'appel de Paris, chambre 5-7, ainsi que cela est rapporté au paragraphe 40 ci-dessus.
60. En second lieu s'agissant des mêmes griefs appliqués à l'attribution de gré à gré des lots à la société Amazon, ils ont aussi été déjà été soumis à l'Autorité, tel qu'elle l'a rapporté aux paragraphes 57 et 83 à 89 de sa décision du 30 novembre 2022.
61. Et l'Autorité les a écartés, d'une part, en rappelant le bien fondé des consultations et des négociations de gré à gré organisées par la LFP ainsi que le bien fondé des prix successifs d'attribution des lots tels que le présent arrêt les a récapitulés ci-dessus aux paragraphes 37 à 41, et 46 à 49.
62. D'autre part en rappelant, au visa du c) de l'article 102 du TFUE (paragraphe 67 de la décision du 30 novembre 2022) prohibant aux entreprises en position dominante, l'application de désavantages concurrentiels sur les marchés avals ou connexes, qu'une position dominante sur un marché n'excluait pas pour l'entreprise la possibilité de pratiquer des prix différents ou d'offrir des conditions de prix plus avantageuses appliqués à des prestations équivalentes, de créer une discrimination tarifaire, dès lors que ces prix étaient consentis dans un temps limité à cours ou moyen terme ainsi que cela est le cas de la durée des cessions de droits de retransmission télévisuelle des matchs des Ligues 1 et 2 pour quatre années (paragraphes 93 à 95 de la décision du 30 novembre 2022).
63. Encore, en relevant l'atteinte qu'une révision à la baisse des redevances payées par beIN Sports pour l'exploitation du lot 3 aurait eu un effet discriminatoire vis-à-vis des concurrents ayant soumis une offre dans le cadre de l'appel à candidatures de 2018 (paragraphe 96 de la décision du 30 novembre 2022)
64. Enfin, et surabondamment, la cour relève que, tels que les sociétés beIN Sports et Canal+ les invoquent, aucun des écarts, arithmétiques ou différentiels entre le prix d'attribution du lot 3 des sociétés beIN Sports et Canal+ et celui des lots de la société Amazon, avec les prix de distribution des matchs selon les lots, leur programmes ou leur attractivité, ne sont mesurés avec les coûts supportés par les sociétés beIN ou Canal+, ni non plus d'après l'économie des investissements amortis par la distribution historique de ces programmes par la société Canal+, ni encore d'après des données sur les prix et les coûts des abonnements pour la réception des matchs de football en rapport avec les autres programmes premium du groupe Canal+, alors que la société Canal+ s'en prévaut, ni enfin, d'après des valeurs sur les marchés intermédiaires de l'édition et de la commercialisation de chaînes de télévision payante des sociétés beIN Sports et Canal+.
65. Ainsi, en l'absence de prix de revient de la retransmission des matchs du lot 3, il ne peut non plus être établi la preuve que sa valeur est excessive et entraîne un désavantage dans la concurrence par les prix sur les marchés avals ou connexes.
66. En conséquence, le jugement sera confirmé en ce qu'il a implicitement débouté les sociétés Canal+ et beIN sports de ce chef de demande.
IV. Sur le préjudice moral
67. Alors que la société Canal+ succombe à l'action, le jugement sera confirmé en ce qu'il l'a débouté de sa demande de dommages et intérêts fondée sur un préjudice moral.
V. Sur les dépens et les frais irrépétibles
68. Les sociétés beIN sports et Canal+ succombant à l'action comme dans leurs recours, le jugement sera confirmé en ce qu'il a décidé des dépens et des frais irrépétibles et, statuant de ces chefs en cause d'appel, elles seront condamnées, chacune, à payer par moitié les dépens, ainsi qu'à payer, chacune en application de l'article 700 du code de procédure civile, la somme de 15.000 euros à la société Filiale LFP 1 et 4.000 euros à la société Amazon.
PAR CES MOTIFS,
Donne acte à la société Filiale LFP 1 de son intervention dans les droits de l'association Ligue de football professionnel ;
Vu l'article 910-4 du code de procédure civile,
Dit recevables les conclusions de la société Groupe Canal+ transmises le 7 septembre 2022 ;
Vu l'article 564 du code de procédure civile,
Déclare irrecevable la société Groupe Canal+ en sa demande de condamnation de la société Filiale LFP 1 à payer à 68,1% des sommes qu'elle a acquittées au titre du lot 3 depuis l'attribution des droits de Ligue 1 à la société Amazon ;
Vu les articles L. 481-2 du code de commerce, 1355 du code civil et 122 du code de procédure civile,
Vu l'arrêt de la cour d'appel de Paris n°21/13216 du 30 juin 2022,
Déclare irrecevables les sociétés Groupe Canal+ beIN sports France en leurs demandes tirées du refus de la LFP de remettre en concurrence le lot 3 pour l'appel à candidature de janvier 2021 ;
Vu l'article L. 481-2 du code de commerce,
Confirme le jugement en ce qu'il a rejeté la demande de nullité de l'attribution de gré à gré des lots de la société Mediapro par la LFP à la société Amazon Digital UK tirée de la discrimination tarifaire sur le marché aval de la distribution de services de télévision payante ;
Ajoutant au jugement,
Condamne les sociétés beIN sports France et Groupe Canal+ aux dépens partagés par moitié ;
Condamne les sociétés beIN sports France et Groupe Canal+ à payer, chacune en application de l'article 700 du code de procédure civile :
15 000 euros à la société Filiale LFP 1,
4 000 euros à la société Amazon Digital UK.