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Décisions

Cass. com., 20 mai 1997, n° 95-16.192

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bézard

Rapporteur :

M. Rémery

Avocat général :

M. Mourier

Avocats :

Me Vuitton, SCP Monod, Me Le Prado, SCP Richard et Mandelkern

Douai, du 20 avr. 1995

20 avril 1995

Attendu, selon l'arrêt attaqué, rendu en la forme des référés, que, suivant une charte-partie datée du 29 avril 1994, la société Van Dyck Shipping Corporation (société Van Dyck) a frété à temps à la Compagnie sénégalaise de navigation maritime (Cosenam) le navire " Nobility ", battant pavillon libérien ; que les parties ont choisi la loi anglaise pour régir ce contrat international d'affrètement maritime et prévu une procédure d'arbitrage à Londres pour régler tous litiges entre elles ; que, le 23 décembre 1994, la société Camship Cameroun Shipping Lines (société Camship), devenue créancière de la Cosenam, a, lors d'une escale du " Nobility " à Douala, saisi conservatoirement ce navire ; que, pour parvenir à la mainlevée amiable de cette mesure, la Cosenam a conclu avec la société Camship un accord dit d'" affrètement " d'espace à bord du " Nobility " et lui a délégué le fret à percevoir sur une cargaison de bois en grume, chargée à Douala à destination de plusieurs acheteurs en Europe, dont la société Hiba NV (société Hiba) ; que, pour permettre le recouvrement de ce fret par la société Camship sur les différents propriétaires de la cargaison, des connaissements couvrant la totalité des lots de bois ont été émis à l'en-tête de cette société ; que, le navire ayant ensuite fait escale à Dunkerque, la société Van Dyck, alléguant un arriéré de loyer dû par la Cosenam, a exercé, dans ce port, sur la cargaison le privilège du fréteur ; qu'à cette fin elle a été autorisée à faire consigner partiellement en mains tierces les marchandises, puis à les faire vendre et à percevoir le produit de cette vente par plusieurs ordonnances du président du tribunal de commerce, qui ont été frappées d'appel ; qu'après jonction des différentes instances la cour d'appel a confirmé toutes les décisions déférées, y ajoutant la consignation complémentaire de 21 grumes ;

Sur le troisième moyen du pourvoi principal de la société Camship et sur le second moyen, pris en sa troisième branche, du pourvoi incident de la société Hiba, qui sont rédigés en termes semblables, réunis :

Attendu que les sociétés Camship et Hiba reprochent à l'arrêt d'avoir statué comme il a fait alors, selon les pourvois, d'une part, que le privilège institué par l'article 2 de la loi du 18 juin 1966 ne peut être exercé à l'égard du sous-affréteur, que dans la mesure où celui-ci est encore redevable envers le fréteur intermédiaire ; qu'en ne répondant pas au moyen décisif, tiré par la société Hiba de ce qu'elle avait réglé le fret dû à la société Camship, émettrice du connaissement, la cour d'appel a entaché sa décision d'un défaut de base légale au regard de l'article 2 de la loi du 18 juin 1966 et de l'article 3 du décret du 31 décembre 1966 ; et alors, d'autre part, qu'en reconnaissant à la société Van Dyck le droit d'exercer son privilège sur les marchandises appartenant aux réceptionnaires pour la totalité de sa créance, bien que ce privilège ne pût être exercé à leur encontre que jusqu'à concurrence des sous-frets dus, l'arrêt a violé les articles 2 et 14 de la loi du 18 juin 1966 ;

Mais attendu, à supposer la loi française applicable à titre exclusif, que le privilège du fréteur, institué par l'article 2 de la loi n° 66-420 du 18 juin 1966 sur les contrats d'affrètement et de transport maritimes, s'exerce sur toutes les marchandises chargées à bord du navire affrété, qu'elles soient la propriété de l'affréteur débiteur du fret ou d'une autre personne, mais seulement dans la mesure où celle-ci est encore redevable de la somme due en exécution du contrat conclu pour leur déplacement ;

Attendu qu'ayant relevé que la société Hiba, destinataire tiers porteur d'un connaissement, n'avait payé le prix dû à la société Camship, en vertu du contrat de transport, que postérieurement à la consignation litigieuse, la cour d'appel, en répondant aux conclusions invoquées, a légalement justifié sa décision du chef critiqué ;

D'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

Mais sur le second moyen, pris en sa première branche, du pourvoi incident de la société Hiba :

Vu les articles 3.1 et 10 de la convention de Rome du 19 juin 1980 sur la loi applicable aux obligations contractuelles, en vigueur à la date de la charte-partie, 2 de la loi n° 66-420 du 18 juin 1966 sur les contrats d'affrètement et de transport maritimes et 3 du décret n° 66-1078 du 31 décembre 1966 portant le même intitulé ;

2ttendu que, pour le paiement de son fret, le fréteur ne peut faire consigner en mains tierces les marchandises chargées à bord de son navire, puis les faire vendre suivant les modalités d'exécution prévues par le dernier de ces textes, que si la loi applicable au contrat international d'affrètement maritime, déterminée conformément aux dispositions du traité susvisé, lui reconnaît, aux conditions qu'elle fixe, par l'institution d'une sûreté ou par une autre voie, des droits équivalents, dans leurs effets, à ceux qu'il tiendrait du privilège du fréteur, tel qu'il est réglementé par le droit français ;

Attendu que, pour autoriser la société Van Dyck à faire consigner puis vendre, en règlement de sa créance de fret, les marchandises se trouvant à bord du " Nobility ", l'arrêt retient d'abord que " les privilèges sont déterminés par les connaissements, lesquels sont soumis à la loi française " et que " les mesures d'exécution sur la marchandise sont régies par la loi du lieu où elles doivent être effectuées " ;

Attendu qu'en statuant ainsi, par application exclusive de la loi française du lieu de situation des marchandises au moment de l'exercice du privilège du fréteur, alors que la charte-partie désignait la loi anglaise pour régir le contrat d'affrètement, d'ou résultait la créance de fret litigieuse, et qu'il était soutenu devant elle que cette loi n'accorde aucun droit au fréteur sur la cargaison au préjudice des tiers porteurs de connaissements à qui elle appartient, la cour d'appel, qui n'a pas retenu une interprétation différente de la loi étrangère applicable, a violé les textes susvisés ;

Et sur le deuxième moyen du pourvoi principal de la société Camship :

Vu l'article 1458 du nouveau Code de procédure civile ;

Attendu qu'il résulte de ce texte, applicable aux arbitrages internationaux, que, si les parties à un arbitrage peuvent, malgré l'incompétence qu'il édicte, s'adresser au juge étatique pour demander des mesures conservatoires destinées à garantir l'exécution de la sentence à venir, il n'est pas permis à ce juge, avant la sentence, de les autoriser à procéder à des mesures d'exécution ;

Attendu que, pour autoriser la vente de la cargaison et la remise de son produit à la société Van Dyck, en règlement de sa créance de fret, la cour d'appel, après avoir relevé l'existence de la clause compromissoire stipulée dans la charte-partie et d'une procédure d'arbitrage en cours à Londres, retient que la dette de fret ne serait pas discutée dans son principe et que " les mesures critiquées ne pouvaient être prises que par le juge commercial " ;

Attendu qu'en statuant ainsi, alors que si la consignation en mains tierces des marchandises constitue une mesure conservatoire leur mise en vente et l'attribution du produit de celle-ci au créancier prétendu sont des mesures d'exécution de la sentence arbitrale à intervenir, la cour d'appel a excédé ses pouvoirs ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 20 avril 1995, entre les parties, par la cour d'appel de Douai ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Rouen.