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Décisions

Cass. crim., 22 novembre 2006, n° 06-80.783

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Cotte

Rapporteur :

Mme Nocquet

Avocat général :

M. Mouton

Avocats :

SCP Thouin-Palat, SCP Boré et Salve de Bruneton

Angers, ch. corr., du 26 mai 2005

26 mai 2005

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 6-1 de la Convention européenne des droits de l'homme, préliminaire, 8, 171, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a refusé de prononcer la nullité de l'ensemble des actes de poursuite ;

"aux motifs que Jacky X... et Corinne X... font observer qu'à la date de son examen par la cour, la procédure a duré environ huit ans, délai excédant la durée raisonnable des articles 6 1 de la Convention européenne des droits de l'homme et l'article préliminaire du code de procédure pénale en son alinéa 6 ; mais, à la supposer établie, la méconnaissance des prescriptions à la fois communautaires et internes susvisées est sans effet sur la validité de la procédure, la durée excessive de cette dernière n'étant pas de nature à entraîner sa nullité" ;

"alors que selon l'article 171 du code de procédure pénale, il y a nullité lorsqu'il a été porté atteinte aux intérêts de la partie concernée par la méconnaissance d'une formalité substantielle prévue non seulement par une disposition du code de procédure pénale, c'est-à-dire par une disposition du droit interne, mais également par " toute autre disposition de procédure pénale", qui peut être une disposition conventionnelle ; qu'ainsi la méconnaissance, préjudiciable aux intérêts des prévenus, du droit au procès équitable dans un délai raisonnable consacré par l'article 6-1 de la Convention européenne, doit entraîner la nullité des poursuites ; qu'en estimant le contraire, la cour d'appel a violé les textes susvisés" ;

Attendu que, pour dire n'y avoir lieu à prononcer la nullité de l'ensemble des actes de poursuite, l'arrêt attaqué prononce par les motifs repris au moyen ;

Attendu qu'en cet état, et dès lors que la méconnaissance du délai raisonnable, à la supposer établie, n'entraîne pas la nullité de la procédure, la cour d'appel a justifié sa décision ;

Qu'ainsi, le moyen ne peut être admis ;

Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles 6 1 de la Convention européenne des droits de l'homme, préliminaire, 8, 175, 463, 512, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a rejeté la demande de supplément d'information et a refusé d'annuler l'ordonnance de renvoi pour violation des droits de la défense ;

"aux motifs que Jacky X... et Corinne X... font observer que si l'article 175 du code de procédure pénale purge les nullités, la juridiction du fond peut solliciter un supplément d'information en application des articles 463 et 512 du code de procédure pénale ; mais lorsqu'un mis en examen s'est expliqué sur le fond lors de sa première comparution devant le juge d'instruction, il n'est pas fondé à soutenir qu'en l'absence d'interrogatoire ultérieur, il y a eu atteinte aux droits de la défense ; en effet, à tout moment, les mis en examen peuvent solliciter d'être entendus par le juge d'instruction, ils peuvent le faire en outre après la notification de l'avis de clôture de l'information de l'article 175, ce qu'ils n'ont pas fait ; Jacky X... a été entendu les 17 et 18 février 1997 pendant plus de dix heures, et a répondu de manière précise et circonstanciée aux questions des enquêteurs ;

"alors que, nul ne peut être jugé sans avoir été entendu ou dûment appelé ; que, pour rejeter la requête des prévenus, qui demandaient à fournir leurs explications au cours d'un supplément d'information, l'arrêt retient que Jacky X... a été suffisamment entendu lors de son interrogatoire de première comparution ; qu'en statuant ainsi, cependant que les prévenus faisaient valoir que Jacky X... n'avait été entendu au fond ni lors de sa première comparution ni lors d'un interrogatoire sur le fond postérieur, et que Corinne X... avait également été privée du bénéfice d'un tel interrogatoire, la cour d'appel a gravement méconnu les droits de la défense" ;

Attendu que l'opportunité d'ordonner un supplément d'information est une question de pur fait qui échappe au contrôle de la Cour de cassation ;

D'où il suit que le moyen ne peut être accueilli ;

Sur le troisième moyen de cassation proposé pour Corinne X..., pris de la violation des articles 6-1 de la Convention européenne des droits de l'homme, L. 213-1 du code de la consommation, 313-1 du code pénal, 388, 512, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

"en ce que l'arrêt attaqué, partiellement infirmatif sur ce point, a déclaré Corinne X... coupable de tromperie sur les qualités substantielles, et a prononcé sur la répression et les condamnations civiles ;

"aux motifs qu'Alain Y... a passé une commande auprès de la société IMD d'un véhicule avec la mention figurant au contrat "millésime 1996" et que le véhicule livré était de 1995 ;

Corinne X... ne pouvait ignorer, en sa qualité de professionnelle de la vente d'automobiles, face à un client non professionnel, que la livraison à intervenir serait d'un véhicule de 1995 car en Espagne le millésime correspond à l'année civile alors qu'en France, pays de livraison finale du véhicule à un acquéreur français, le millésime revêt un caractère substantiel puisque la valeur présente et future du véhicule en est affectée ; l'élément intentionnel de l'infraction de tromperie sur les qualités substantielles ou sur l'identité de la marchandise livrée autre que la chose déterminée qui a fait l'objet du contrat réside dans le fait pour Corinne X..., en sa qualité de professionnelle, d'appliquer une pratique existant en France tout en sachant que le véhicule importé ne pouvait pas répondre à la pratique du millésime en usage en France " ;

"alors 1 ) que s'il appartient aux juges répressifs de restituer aux faits dont ils sont saisis leur véritable qualification, c'est à la condition que le prévenu ait été en mesure de se défendre sur la nouvelle qualification envisagée ; qu'en requalifiant les faits reprochés à la prévenue qualifiés d'escroquerie par l'ordonnance de renvoi en tromperie sur les qualités substantielles, sans constater que Madame X... a été mise en mesure de se défendre sur cette nouvelle qualification, la cour d'appel a violé les textes susvisés, ensemble les droits de la défense ;

"alors 2 ) que la tromperie doit porter sur une qualité substantielle de la marchandise vendue ; que l'erreur portant sur le millésime du véhicule n'emporte tromperie sur les qualités substantielles du véhicule vendu qu'à la condition d'en affecter substantiellement la valeur présente et future et à la condition encore que le comportement économique de l'acquéreur ait été déterminé par cet élément erroné ; qu'en s'abstenant de toute constatation en ce sens, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ;

"alors 3 ) que l'élément intentionnel de la tromperie suppose que son auteur ait eu la volonté de tromper son cocontractant sur les qualités substantielles de la marchandise ;

qu'en retenant que la prévenue "ne pouvait ignorer" que la livraison à intervenir serait d'un véhicule de 1995, la cour d'appel a statué par des motifs hypothétiques, impropres à établir que Corinne X... avait intentionnellement utilisé la différence de législation sur l'année modèle pour tromper son cocontractant ;

"et aux motifs adoptés que, en indiquant sur la facture un véhicule millésimé 1995 alors qu'il s'agissait d'un véhicule de l'année 1993, sans en aviser Véronique Z..., d'une part, et préalablement à la vente, en s'abstenant d'établir un bon de commande, puis de mentionner sur le certificat de cession le millésime, d'autre part, Corinne X... a manifestement trompé son cocontractant ; un professionnel de l'automobile ne peut ignorer que le millésime exact d'un véhicule est une qualité essentielle pour un véhicule ; en s'abstenant volontairement de renseigner le bon de commande, puis le certificat de cession remis à Véronique Z... et en apposant un millésime de deux années postérieurs à la réalité, 1995 au lieu de 1993, ce comportement démontre clairement la mauvaise foi de la prévenue" ;

"alors 4 ) que la tromperie doit porter sur une qualité substantielle de la marchandise vendue ; que l'erreur portant sur le millésime du véhicule n'emporte tromperie sur les qualités substantielles du véhicule vendu qu'à la condition d'en affecter substantiellement la valeur présente et future et à la condition encore que le comportement économique de l'acquéreur ait été déterminé par cet élément erroné ; qu'en s'abstenant de toute constatation en ce sens, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ;

"alors 5 ) que l'élément intentionnel de la tromperie suppose que son auteur ait eu la volonté de tromper son cocontractant sur les qualités substantielles de la marchandise ;

qu'en retenant que la prévenue s'était volontairement abstenue de renseigner les documents afférents à la vente du véhicule, sans égard pour les conclusions de Corinne X... qui contestait précisément que cette omission ait été volontaire, la cour d'appel a statué par voie de pure affirmation, impropre à établir que la prévenue avait intentionnellement trompé son cocontractant sur le millésime du véhicule" ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure que le tribunal correctionnel, devant lequel Corinne X... était renvoyée du chef d'escroquerie pour avoir déterminé Véronique Z... et Alain Y... à lui remettre des fonds en paiement de véhicules dont le millésime s'est avéré ne pas correspondre à celui qui avait été annoncé a, requalifiant les faits commis au préjudice de Véronique Z..., condamné la prévenue pour tromperie, mais l'a relaxée en ce qui concerne la vente à Alain Y... ;

Attendu que, pour infirmer partiellement le jugement et déclarer Corinne X... coupable de tromperie à l'égard des deux acquéreurs, les juges du second degré retiennent qu'en sa qualité de professionnelle de la vente d'automobiles, celle-ci ne pouvait ignorer les conditions de l'attribution d'un millésime, qui revêt un caractère substantiel en ce qu'il est déterminant de la valeur présente et future du véhicule ;

Attendu qu'en l'état de ces énonciations, et dès lors que la prévenue a été mise en mesure de se défendre sur la qualification de tromperie, déjà examinée par les premiers juges, la cour d'appel a justifié sa décision ;

D'où il suit que le moyen sera écarté ;

Sur le quatrième moyen de cassation, pris de la violation des articles 314-1 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Jacky et Corinne X... coupables d'abus de confiance, et a prononcé sur la répression et les réparations civiles ;

"aux motifs que les fonds versés par les plaignants au cours des années 1993, 1994 et 1995 figurent bien dans la comptabilité et sur les comptes bancaires de la société IMD ; que ces fonds représentant en tout ou en partie le prix de vente de véhicules commandés ont été utilisés par Jacky X... et Corinne X... à des fins autres que le paiement desdits véhicules alors que les prévenus savaient qu'ils n'étaient plus en mesure de satisfaire les commandes ; cette utilisation des fonds, même si elle ne concerne pas l'ensemble des véhicules reçus, est constitutive du délit d'abus de confiance visé à la prévention, les sommes reçues à titre d'acompte ne pouvaient recevoir d'autre destination que le reversement au fournisseur en vue de concrétiser les commandes ;

la perception des acomptes sur les prix de vente des véhicules commandés et perçus par la société IMD puis non reversés aux fins de payer en tout ou en partie les véhicules et utilisés par Jacky X... et Corinne X... à des fins personnelles, alors qu'ils savaient ne pouvoir les restituer, établissant ainsi leur mauvaise foi, est constitutive du délit d'abus de confiance " ;

"alors 1 ) que la contradiction de motifs équivaut à un défaut de motifs ; qu'en retenant que l'utilisation abusive des acomptes versés ne concernait pas l'ensemble des véhicules reçus, tout en confirmant le jugement qui avait déclaré les prévenus coupables de l'ensemble des faits reprochés, sans distinction pour les hypothèses expressément admises où les acomptes n'avaient fait l'objet d'aucune utilisation abusive, la cour d'appel a entaché son arrêt d'un défaut de motifs ;

"alors 2 ) que le délit d'abus de confiance n'est caractérisé qu'en présence d'un acte de détournement ou de dissipation des fonds remis à charge de les rendre, de les représenter ou d'en faire un usage déterminé ; que le défaut de restitution ou le retard dans la restitution ne suffit pas à constituer à lui seul un détournement ou une dissipation pénalement punissable ; qu'en retenant l'absence de réversion des acomptes perçus et leur utilisation "à des fins personnelles" par les prévenus, sans autre précision sur la réalité et la nature de ces fins, la cour d'appel n'a pas caractérisé le détournement ou la dissipation nécessaire à la réalisation de l'abus de confiance ;

"alors 3 ) que le défaut de restitution ou le retard dans la restitution ne caractérise le détournement pénalement répréhensible que s'il est dicté par la volonté non ambiguë de faire échec au droit du propriétaire des fonds ; qu'en s'abstenant de caractériser la volonté des prévenus de se comporter en possesseurs des acomptes non reversés, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ;

"et aux motifs que Jacky X... et Corinne X..., respectivement gérant de fait et gérante de droit de la société SNPS ont utilisé à d'autres fins les fonds remis par Mme A... à cette société, laquelle n'a pas réalisé les travaux commandés à hauteur des sommes que Mme A... a versées ; l'explication de Jacky X... et Corinne X... selon laquelle ils auraient été en relation avec Mme A... pour d'autres acquisitions, ce dont ils ne justifient en rien, ne sauraient les exonérer de leur responsabilité pénale ; ces derniers admettent que des sommes ont été encaissées par eux alors qu'elles étaient destinées à la société SNPS, ce qui constitue bien le détournement reproché en présence de leur part d'une volonté manifeste de disposer de ces fonds ;

"alors 4 ) que le délit d'abus de confiance n'est caractérisé qu'en présence d'un acte de détournement ou de dissipation des fonds remis à charge de les rendre, de les représenter ou d'en faire un usage déterminé ; qu'en reprochant aux prévenus d'avoir utilisé à d'autres fins l'intégralité des fonds remis par la victime, tout en retenant que les travaux n'avaient pas été réalisés à hauteur des sommes versées, ce dont il résultait que partie de ces sommes avait été utilisée conformément à l'usage qui en avait été défini entre les parties, la cour d'appel n'a pas tiré de ses constatations les conséquences légales qui s'imposaient" ;

Attendu que les énonciations de l'arrêt attaqué mettent la Cour de cassation en mesure de s'assurer que la cour d'appel a, sans insuffisance ni contradiction, répondu aux chefs péremptoires des conclusions dont elle était saisie et caractérisé en tous leurs éléments, tant matériels qu'intentionnel, les délits d'abus de confiance dont elle a déclaré les prévenus coupables, et a ainsi justifié l'allocation, au profit des parties civiles, des indemnités propres à réparer le préjudice en découlant ;

D'où il suit que le moyen, qui se borne à remettre en question l'appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause, ainsi que des éléments de preuve contradictoirement débattus, ne saurait être admis ;

Sur le cinquième moyen de cassation proposé pour Jacky X..., pris de la violation des articles L. 223-21, L. 241-3, L. 241-9 du code de commerce, 388, 512, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Jacky X... coupable d'abus de biens sociaux, et a prononcé sur la répression et les réparations civiles ;

"aux motifs que, Jacky X..., gérant de fait de la société IMD, était titulaire auprès de cette société d'un compte courant débiteur et qu'il l'a utilisé au cours des années 1993, 1994 et 1995 à hauteur de 736.615 francs, 498.394 francs et 307.255 francs, pour des dépenses en partie personnelles, de surcroît en infraction avec les dispositions de l'article L. 223-21 du code de commerce ;

Jacky X..., sans être salarié ou mandataire de la société IMD, a perçu une rémunération de 30.000 francs par mois de la part de cette société, fait qu'il a reconnu, alors même que ladite société se trouvait hors d'état de continuer son activité ; par ces prélèvements illicites ainsi que par la rémunération excessive qu'il s'était attribuée ou fait attribuer eu égard aux ressources et à la situation financière de la société IMD, Jacky X... a, de mauvaise foi, fait des biens ou du crédit de la société un usage qu'il savait contraire à l'intérêt de celle-ci, à des fins personnelles " ;

"alors 1 ) que les juges répressifs ne peuvent légalement statuer que sur les faits visés dans l'ordonnance de renvoi qui les a saisis, sous réserve de l'accord exprès du prévenu d'être jugé sur des faits non compris dans les poursuites ; que, selon l'ordonnance de renvoi, la perception indue d'un salaire par Jacky X... constituait seul l'abus de biens sociaux reproché, à l'exclusion des prélèvements illicites opérés sur le compte courant et de la méconnaissance des dispositions de l'article L. 223-21 du code de commerce ; qu'en ajoutant aux faits de la poursuite sans constater que le prévenu avait accepté d'être jugé sur ces faits distincts de ceux mentionnés dans l'ordonnance de renvoi, la cour d'appel a méconnu l'étendue de sa saisine et a violé les textes susvisés ;

"alors 2 ) qu'il n'y a abus de biens sociaux que lorsque le dirigeant a fait dans un intérêt personnel, ou de mauvaise foi, un usage des fonds sociaux contraire à l'intérêt social de la société ;

qu'en retenant le caractère excessif de la rémunération perçue, sans contester la qualité de gérant de fait du prévenu et sans constater l'absence de contrepartie effective à la rémunération, et sans caractériser ainsi en quoi cette rémunération, à la supposer même élevée, était contraire à l'intérêt social de la société IMD, la cour d'appel a privé sa décision de base légale" ;

Attendu que, pour déclarer Jacky X... coupable d'abus de biens sociaux, l'arrêt retient que celui-ci a reconnu avoir perçu une rémunération de 30.000 francs par mois alors que la société se trouvait hors d'état de continuer son activité ;

Attendu qu'en cet état, et abstraction faite de motifs surabondants concernant les prélèvements opérés sur les fonds sociaux, la cour d'appel a justifié sa décision ;

Qu'ainsi, le moyen ne peut être admis ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE les pourvois.