CA Montpellier, ch. com., 7 février 2023, n° 21/01658
MONTPELLIER
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Optimhome (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Prouzat
Conseillers :
Mme Bourdon, M. Graffin
Avocats :
Me Poquillon, Me Richaud, Me Garrigue, Me Beusquart-Vuillerot
FAITS et PROCEDURE - MOYENS et PRETENTIONS DES PARTIES :
Le 27 septembre 2013, [F] [M] a signé avec la SAS Optimhome un contrat de négociateur non salarié en transactions immobilières.
Par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 1er juin 2018, la société Optimhome a informé M. [M] qu'elle mettait fin immédiatement à son contrat d'agent commercial en raison des propos tenus par ce dernier dans le cadre de son activité professionnelle, le 30 mai 2018, par le biais de sa messagerie professionnelle, envers un certain [I] [L].
Contestant toute faute professionnelle en affirmant que le litige l'opposant à M. [L] était en réalité d'ordre personnel, puisque ce dernier était son gendre pour être l'époux de sa fille, M. [M] a sollicité le 20 mars 2019 auprès de la société Optimhome une somme de 140 000 euros à titre d'indemnité compensatrice de rupture.
À la suite du refus de cette dernière, M. [M] a, par exploit d'huissier en date du 31 mai 2019 fait assigner la société Optimhome devant le tribunal de commerce de Montpellier qui, par jugement en date du 3 mars 2021, a :
- condamné la société Optimhome à verser la somme de 94 007 euros HT à titre d'indemnité de rupture du contrat liant les parties,
- condamné la société Optimhome à verser la somme de 11 750,87 euros HT au titre du préavis de trois mois prévu par l'article 9°1/ du contrat liant les parties,
- débouté la société Optimhome de ses autres demandes, fins ou prétentions,
- condamné la société Optimhome au paiement de la somme de 500 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamné la société Optimhome aux entiers dépens de l'instance dont frais de greffe liquidés à 74,50 euros TTC.
Le 12 mars 2021, la société Optimhome a régulièrement relevé appel de ce jugement.
Elle demande à la cour, dans ses dernières conclusions déposées via le RPVA le 6 décembre 2021, de':
- infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;
Et statuant à nouveau :
- dire et juger que la rupture du contrat d'agent commercial est fondée sur une faute grave de M. [M], qui exclut le bénéfice du préavis prévu par l'article L. 134-11 et de l'indemnité de cessation de contrat prévue par l'article L. 134-12 du code de commerce ;
- dire et juger que M. [M] est infondé à réclamer le versement d'une indemnité de rupture à la société Optimhome ;
- débouter en conséquence M. [M] de toutes autres demandes, fins ou prétentions,
A titre infiniment subsidiaire,
Si par extraordinaire la cour rejetait l'existence d'une faute grave de l'agent commercial en présence d'une infraction pénale ;
- confirmer le jugement entrepris sur le quantum des condamnations ;
En tout état de cause,
- rejeter l'appel incident de M. [M] ainsi que l'ensemble de ses demandes comme infondées ;
- condamner M. [M] au paiement de la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Au soutien de son appel, elle fait valoir pour l'essentiel que :
- M. [M] a tenu des propos racistes en utilisant sa messagerie professionnelle, ce qui est constitutif d'une faute grave excluant toute indemnité compensatrice de rupture de contrat,
- il a reconnu sa faute, laquelle est constitutive en outre d'une infraction pénale,
- à titre subsidiaire, le montant des commissions de M. [M] sur les années 2016 et 2017 est de 112 809 euros TTC, soit 94'007 euros HT.
Dans ses dernières conclusions déposées par le RPVA le 7 septembre 2021, M. [M] demande à la cour de':
- confirmer le jugement en ce qu'il a débouté la société Optimhome de toutes ses demandes et l'a condamné au paiement d'une indemnité de préavis et une indemnité de rupture de contrat,
- infirmer la décision entreprise en ce qu'elle a condamné la société Optimhome au paiement des sommes de 11 750,87 euros au titre de l'indemnité de préavis et 94 007 euros au titre de l'indemnité de rupture,
Statuant à nouveau :
- condamner la société Optimhome à lui payer la somme de 94 507,92 euros à titre d'indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi du fait de la résiliation du contrat de négociateur en transactions immobilières à la date du 1er juin 2018,
- condamner la société Optimhome au paiement de la somme de 11 813,49 euros à titre d'indemnité de préavis,
- condamner la société Optimhome au paiement de la somme de 3 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.
Il fait valoir pour l'essentiel que :
- le mail qu'il a effectivement envoyé à partir de sa messagerie professionnelle concerne un litige d'ordre privé l'opposant à son gendre, ce qu'il a expliqué dès le départ à la société Optimhome,
- il ne peut dans ce contexte lui être reprochée aucune faute, de sorte que l'indemnité compensatrice de rupture lui est parfaitement due.
Il est renvoyé, pour l'exposé complet des moyens et prétentions des parties, aux conclusions susvisées, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
C'est en l'état que l'instruction a été clôturée par ordonnance du 10 novembre 2022.
MOTIFS de la DÉCISION
Sur la demande principale :
Selon les dispositions des articles L. 134-11 et L. 134-12 du code de commerce, en cas de cessation de ses relations avec le mandant, l'agent commercial a droit à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi (...) cependant la réparation n'est pas due lorsque la cessation du contrat est provoquée par la faute grave de l'agent commercial.
L'article L. 134-11 du même code précise qu'en cas de faute grave de l'agent commercial, il n'existe aucune durée de préavis de fin de contrat.
Il résulte de ces textes que la faute grave est celle qui porte atteinte à la finalité commune du mandat d'intérêt commun et qui rend impossible le maintien du lien contractuel, excluant le bénéfice d'une indemnité compensatrice du préjudice subi en cas de cessation du contrat d'agence commerciale.
Par ailleurs, les rapports entre l'agent commercial et le mandant sont régis par une obligation de loyauté et un devoir d'information selon les dispositions de l'article L. 134-4 du code précité.
Il résulte des pièces versées au dossier et des débats que dans le cadre d'un litige qui l'opposait à son gendre, M. [L], M. [M] a envoyé le 30 mai 2018, à 12h34, à partir de sa messagerie professionnelle ([Courriel 6]), à ce dernier un courriel dans lequel il écrit notamment : «'va te faire foutre sale musulman (') à jamais enculé''».
Il est constant que M. [M] avait auparavant envoyé à M. [L] à 12h12 un courriel à partir de sa messagerie personnelle ([Courriel 5]), et que ce dernier lui a répondu à 12h27 sur sa messagerie professionnelle.
Or, il résulte de ces éléments que pour autant que M. [M] a effectivement tenu les propos litigieux à partir de sa messagerie professionnelle, le conflit l'opposant à M. [L] est d'ordre personnel et ne s'inscrit nullement dans le cadre professionnel de la relation contractuelle liant M. [M] à la société Optimhome, contrairement à ce qu'a essayé de faire croire M. [L] de manière trompeuse à la société Optimhome.
Ainsi, pour autant que les propos tenus par M. [M] sont parfaitement répréhensibles et pénalement condamnables, ils ne sauraient cependant être regardés dans ce contexte comme constitutifs d'une faute grave au regard des textes précités.
M. [M] justifie avoir perçu la somme de 94 507,93 euros HT au titre de ses commissions pour les années 2016 et 2017, somme qui sera en conséquence retenue au titre de son indemnité compensatrice de fin de contrat.
En outre, la durée de son contrat étant de 5 années, il a droit à trois mois de préavis par application des dispositions de l'article L. 134-11 du code de commerce sur la somme de 11'813,49 euros HT.
Le jugement sera réformé s'agissant du quantum des sommes allouées à M. [M].
Sur les dépens et l'application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile :
La société Optimhome qui succombe dans ses demandes en cause d'appel sera condamnée aux dépens.
Il n'est pas inéquitable de condamner la société Optimhome à payer à M. [M] la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement et par arrêt contradictoire,
Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions critiquées, à l'exception des sommes de 94 007 euros HT et 11 750,87 euros HT allouées à M. [F] [M],
Statuant à nouveau sur ces points,
Condamne la société Optimhome à payer à [F] [M] la somme de 94 507,93 euros HT à titre d'indemnité de rupture de contrat,
Condamne la société Optimhome à payer à [F] [M] la somme de 11 813,49 euros HT au titre de son préavis de fin de contrat,
Condamne la société Optimhome aux dépens de l'instance d'appel,
Condamne la société Optimhome à payer à M. [M] la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.