CA Bourges, 1re ch., 2 février 2023, n° 22/00143
BOURGES
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Défendeur :
Faymonville (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Waguette
Conseillers :
M. Perinetti, Mme Ciabrini
Avocats :
SCP Liere-Junjaud-Lefranc-Demont, SCP Sorel & Associes, Me Gerigny, Me Le Roy des Barres, SCP Avocats Centre
EXPOSE
Suivant acte sous seing privé en date du 21 septembre 2011, M. [E] [C] a vendu à la SARL Lantier Transports un fonds de commerce de transport routier de marchandises pour compte d'autrui et location de véhicules industriels avec chauffeur spécialisé en matière de convois exceptionnels.
Ce fonds de commerce avait été donné en location gérance par M. [C] à la SARL [C], qui est intervenue à l'acte pour consentir à la résiliation de la location-gérance. Elle a en outre, par le même acte, cédé à la SARL Lantier transports l'intégralité des véhicules et remorques dont elle était propriétaire et qui étaient affectés à l'exploitation du fonds.
Parmi le matériel cédé figurait une semi-remorque de marque Faymonville identifiée sous le numéro de série YA9TL349F98113033, immatriculée au nom du vendeur 2885 SH 36, puis au nom de l'acquéreur CP 737 TT, vendue avec clause de réserve de propriété, pour un montant de 70.000 euros HT plus TVA.
Lors de la vente, la SARL [C] a déclaré que Ie « matériel vendu était en bon état d'entretien et de fonctionnement ».
Le 2 février 2015, alors que la semi-remorque était utilisée pour un transport exceptionnel d'un tombereau de 29,85 tonnes, le châssis avant s'est affaissé par rupture du col de cygne.
Apres rapatriement du véhicule au siège de la SARL Lantier transports, celle-ci a fait procéder à une expertise par l'intermédiaire de son assurance de protection juridique, qui a désigné M. [T] [R], expert automobile, pour diligenter cette mesure n'ayant pas de caractère contradictoire.
La SARL [C], venderesse, bien que convoquée aux opérations d'expertise, n'a pas souhaité être présente.
L'expert a déposé son rapport le 6 mai 2015, concluant à la présence de traces importantes de réparations antérieures au niveau du col de cygne, réalisées en-dehors des règles de l'art et sans autorisation du constructeur. Il a indiqué que selon les renseignements dont il disposait, la réparation effectuée sur la remorque avait été effectuées par M. [F], serrurier.
La SARL [C] a contesté les conclusions de cette expertise amiable.
Une expertise judiciaire a été ordonnée, le 26 octobre 2016, par le Tribunal de commerce de Châteauroux, saisi à l'initiative de la SARL Lantier transports d'une action aux fins de garantie des vices cachés diligentée à l'encontre de la SARL [C], laquelle avait appelé en la cause la SAS Transports [J] [O], vendeur initial de la semi-remorque, la SA Faymonville, constructeur, et M. [F]. Elle a été confiée à M. [X] qui a déposé son rapport le 30 octobre 2017.
Par jugement en date du 25 juillet 2018, le Tribunal de commerce a prononcé la résolution de la vente entre la SARL [C] et la SARL Lantier transports sur le fondement de la garantie des vices cachés et condamné la SARL Lantier transports à payer la somme de 84.000 euros TTC en remboursement du prix de vente. Cette décision a été confirmée par arrêt rendu le 6 juin 2019 par la Cour d'appel de Bourges.
Par jugement du 5 avril 2017, le Tribunal de commerce de Châteauroux a par ailleurs :
- déclaré recevables les demandes en intervention forcée introduites par la SARL [C] à l'encontre de la SA Faymonville, de la SAS Transports [J] [O] et de M. [F], mais les a dites mal fondées et I'en a déboutée ;
- dit et jugé irrecevables les actions en intervention forcée et en garantie par la SARL [C] à l'encontre de la SA Faymonville et de la SAS Transports [J] [O] ;
- prononcé la mise hors de cause de M. [F] ;
- débouté la SARL [C] de l'intégralité de ses demandes, et l'a condamnée à verser au titre de l'article 700 du code de procédure civile les sommes de 2.500 euros à la SA Faymonville, 3.000 euros à la SAS Transports [J] [O] et 2.000 euros à M. [F], ainsi qu'aux entiers dépens.
La SARL [C] a relevé appel de ce jugement, qui a été infirmé par arrêt rendu le 22 novembre 2018 par la Cour d'appel de Bourges, lequel a ordonné avant-dire droit une nouvelle mesure d'expertise judiciaire confiée à M. [X] et renvoyé les parties devant le Tribunal de commerce de Châteauroux après dépôt du rapport à venir. L'expert a déposé son rapport le 16 mars 2020.
La SARL [C] a demandé au Tribunal de :
LA DÉCLARER recevable et bien fondée en son action en responsabilité contractuelle à l'encontre de M. [F], fondée sur les dispositions des articles 1231-1 et suivants du Code Civil,
ECARTER le moyen de prescription de l'action soulevé par M. [F] pour les motifs précédemment exposés ;
DIRE ET JUGER que M. [F] avait manqué à son obligation de résultat en engageant ainsi sa responsabilité contractuelle à l'égard de la SARL [C] ;
DIRE ET JUGER que M. [F] était tenu de réparer intégralement les préjudices subis par la SARL [C], qui résultaient de la faute contractuelle commise ;
CONDAMNER M. [F] à payer à la SARL [C] les sommes suivantes :
* 69.120 euros au titre du coût de remplacement du col de cygne ;
* 5.000 euros au titre du coût de remise en état du véhicule après immobilisation ;
* 13.281,99 euros au titre des frais de procédure judiciaire relatifs à l'annulation de la vente du véhicule, mis à la charge de la SARL [C] au profit de la SARL Lantier transports ;
* 10.000 euros sur le fondement de I'article 700 du code de procédure civile ;
DONNER ACTE à la SARL [C] qu'elle ne formulait aucune demande à l'encontre de la SAS Transports [J] [O] et de la SA Faymonville ;
DÉBOUTER M. [F], la SAS Transports [J] [O] et la SA Faymonville de toutes demandes ainsi que de toutes fins moyens ou conclusions contraires ou plus amples ;
DÉBOUTER la SAS Transports [J] [O] et la SA Faymonville de leurs demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile, et demande d'indemnité pour procédure abusive ;
CONDAMNER M. [F] aux entiers dépens de première instance devant le Tribunal de commerce de Châteauroux, d'appel devant la Cour d'appel de Bourges et de la présente instance devant le Tribunal de commerce de Châteauroux, qui comprendront le coût de l'expertise judiciaire confiée à M. [X], soit 3.000 euros.
En réplique, M. [F] a demandé au Tribunal de commerce de ACCUEILLIR ses écritures et l'y déclarer recevable et bien fondé ;
JUGER prescrite I'action intentée par la SARL [C] à son encontre ;
Subsidiairement,
JUGER que la preuve d'une faute qui aurait pu être commise par M. [F] n'était pas rapportée ;
JUGER que le seul résultat convenu entre les parties était celui d'une prolongation de vie de la semi-remorque, la SARL [C] ayant toujours eu conscience de la nécessité de procéder au remplacement du col de cygne ;
JUGER qu'il n'existait aucun lien de causalité entre l'intervention réalisée par M. [F] le 20 avril 2010, et l'avarie survenue le 2 février 2015, le constructeur de la semi-remorque ayant lui-même considéré que l'avarie était consécutive à une usure normale de la pièce ;
DÉBOUTER la SARL [C] de l'ensemble de ses demandes formées à son encontre ;
Plus subsidiairement,
JUGER que le col de cygne de la semi-remorque était déjà à remplacer avant même l'intervention de M. [F] du 20 avril 2010 ;
JUGER que I'intervention de M. [F] n'avait pas créé d'aggravation de dommage concernant la semi-remorque ;
JUGER que I'intervention de M. [F] du 20 avril 2010 sur la semi-remorque avait permis de prolonger l'exploitation de la semi-remorque ;
DÉBOUTER la SARL [C] de l'ensemble de ses demandes formées à l'encontre de M. [F] ;
CONDAMNER la SARL [C] à verser à M. [F] la somme de 3000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNER la SARL [C] aux entiers dépens.
La SAS Transports [J] [O] a quant à elle demandé au Tribunal de :
CONSTATER que la prescription était acquise ;
CONSTATER que la SARL [C] avait renoncé à toute demande à son encontre ;
CONSTATER si besoin que l'expert avait mis hors de cause la SAS Transports [J] [O] ;
CONDAMNER la SARL [C] à lui payer la somme de 8.000 euros sur le fondement de l 'article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNER la SARL [C] aux entiers dépens.
La SA Faymonville a enfin demandé au Tribunal de :
CONSTATER que la vente de la semi-remorque entre la SA Faymonville et la SAS Transports [J] [O] avait eu lieu le 9 octobre I998 ;
CONSTATER que l'assignation de la SARL [C] à l'encontre de la SA Faymonville datait du 3 février 2016 ;
CONSTATER que la prescription était acquise ;
CONSTATER que la SARL [C] avait renoncé depuis les écritures déposées à l'audience du 8 juin 2016 à toute demande à l'encontre de la SA Faymonville ;
DÉCLARER IRRECEVABLES les demandes de la SARL [C] à son encontre ;
CONDAMNER la SARL [C] à 8.000 euros de dommages et intérêts au titre de sa procédure abusive ;
CONDAMNER la SARL [C] à 8.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.
Par jugement contradictoire du 15 décembre 2021, le Tribunal de commerce de Châteauroux a :
- débouté M. [F] de sa fin de non-recevoir relative à la prescription de l'action intentée par la SARL [C] ;
- déclaré prescrites les demandes formulées par la SARL [C] à l'encontre de la SA Faymonville et de la SAS Transports [J] [O] ;
- débouté la SARL [C] de ses demandes formées à l'encontre de M. [F] ;
- condamné la SARL [C] à verser la somme de 3.000 euros à M. [F], au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné Ia SARL [C] à verser la somme de 8.000 euros à la SA Faymonville, à titre de dommages et intérêts au titre de sa procédure abusive ;
- condamné la SARL [C] à verser la somme de 3.000 euros à la SA Faymonville, au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné la SARL [C] à verser la somme de 3.000 euros à la SAS Transports [J] [O], au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- débouté les parties de leurs autres demandes ;
- ordonné l'exécution du présent jugement ;
- condamné la SARL [C] aux entiers dépens, dont frais de greffe liquidés sur le présent jugement à la somme de 127,92 euros.
Le Tribunal a notamment retenu que les pièces produites démontraient que la SARL [C] n'avait pas fait procéder au changement du col de cygne mais avait manifestement fait un choix économique en demandant à M. [F] de réparer sommairement une fissure, qu'elle n'avait pour autant pu ignorer la nécessité de procéder au remplacement du col de cygne préconisé par la SA Faymonville, que l'obligation de résultat de M. [F] avait été respectée dans la mesure où son engagement se limitait à cette réparation de fissure, et que le lien de causalité entre la prestation effectuée par M. [F] et l'avarie survenue cinq ans plus tard n'était pas démontré.
La SARL [C] a interjeté appel de cette décision par déclaration en date du 4 février 2022.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 10 octobre 2022, auxquelles il conviendra de se reporter pour un exposé détaillé et exhaustif des prétentions et moyens qu'elle développe, la SARL [C] demande à la Cour de :
DÉCLARER recevable et bien fondé l'appel interjeté par la SARL [C] à l'encontre du jugement rendu par le Tribunal de Commerce de Châteauroux le 15 décembre 2021.
CONFIRMER la décision déférée uniquement en ce qu'elle a débouté M. [B] [F] de sa fin de non-recevoir relative à la prescription de l'action intentée par la SARL [C].
INFIRMER le jugement déféré pour le surplus, en ce qu'il a :
- Débouté M. [B] [F] de sa fin de non-recevoir relative à la prescription de l'action intentée par la SARL [C],
- Déclaré prescrites les demandes formulées par la SARL [C] à l'encontre de la SA Faymonville et de la SAS Transports [J] [O] ;
- Débouté la SARL [C] de ses demandes formées à l'encontre de M. [B] [F], - Condamné la SARL [C] à verser la somme de 3.000 € à M. [B] [F] au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- Condamné la SARL [C] à verser la somme de 8.000 € à la SA Faymonville à titre de dommages et intérêts au titre de sa procédure abusive ;
- Condamné la SARL [C] à verser la somme de 3.000 € à la SA Faymonville au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- Condamné la SARL [C] à verser la somme de 3.000 € à la SAS Transports [J] [O] au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- Débouté les parties de leurs autres demandes,
- Ordonné l'exécution provisoire du jugement,
- Condamné la SARL [C] aux entiers dépens, dont frais de Greffe liquidés à la somme de 127,92 €.
Et statuant à nouveau sur ces points,
DIRE ET JUGER que M. [B] [F] a manqué à son obligation de résultat, et en tout cas à son devoir de conseil et d'information en sa qualité de réparateur, engageant ainsi sa responsabilité contractuelle à l'égard de la SARL [C].
DIRE ET JUGER que M. [B] [F] est tenu de réparer intégralement les préjudices subis par la SARL [C], qui résultent de la faute contractuelle commise. En conséquence,
CONDAMNER M. [B] [F] à payer à la SARL [C] les sommes suivantes :
- 69.120 € au titre du coût de remplacement du col de cygne ;
- 5.000 € au titre du coût de remise en état du véhicule après immobilisation ;
- 13.281,99 € au titre des frais de procédure judiciaire relatif à l'annulation de la vente du véhicule, mis à la charge de la SARL [C] au profit de la SARL Lantier Transports ;
- 3.000 € sur le fondement de l'article 700 € du Code de procédure civile au titre des frais irrépétibles de la première instance
En tout état de cause,
DÉBOUTER M. [B] [F], la SAS Transports [J] [O] et la SA Faymonville de leurs demandes fondées sur l'article 700 du Code de procédure civile et la SA Faymonville et la SAS Transports [J] [O] de leurs demandes d'indemnité pour procédure abusive, tant au titre de la première instance qu'à hauteur d'appel. DÉBOUTER M. [B] [F], la SAS Transports [J] [O] et la SA Faymonville de toutes demandes, ainsi que de toutes fins, moyens ou conclusions contraires ou plus amples.
CONDAMNER M. [B] [F] à payer une indemnité de 4.000 € à la SARL [C] sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel.
CONDAMNER M. [B] [F] aux entiers dépens de première instance comme d'appel, ainsi qu'aux dépens exposés devant le Tribunal de Commerce de Châteauroux (ayant abouti au jugement du 5 avril 2017), d'appel devant la Cour d'appel de Bourges (ayant abouti à l'Arrêt du 22 novembre 2018), outre le coût de l'expertise judiciaire confiée à M. [X], soit 3.000 €.
LAISSER à la SA Faymonville et à la SAS Transports [J] [O] la charge de leurs propres dépens de première instance comme d'appel.
Dans ses dernières conclusions notifiées le 21 septembre 2022, auxquelles il conviendra de se reporter pour un exposé détaillé et exhaustif des prétentions et moyens qu'elle développe, la SA Faymonville demande à la Cour de :
- Constater que la vente du camion entre la société Faymonville et la SAS Transports [J] [O] a eu lieu le 9 octobre 1998 ;
- Constater que l'assignation de la société [C] à l'encontre de la société Faymonville date du 3 février 2016 ;
- Constater que la prescription est acquise et toute demandes irrecevables ;
- Constater que la société [C] a renoncé, depuis des écritures déposées à l'audience du 8 juin 2016, à toute demande à l'encontre de la société Faymonville.
En conséquence :
- Confirmer le jugement du Tribunal de Châteauroux en ce qu'il a condamné la société [C] à verser à la SA Faymonville la somme de 8000 euros de dommages et intérêts au titre de la procédure abusive et celle de 3000 euros au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile.
Ajoutant,
- Condamner en sus la société [C] à verser à la SA Faymonville la somme de 5.000 euros de dommages et intérêts au titre de la Procédure abusive dans le cadre de cet appel.
- Condamner en sus la société [C] à verser à la SA Faymonville la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile dans le cadre de cet appel ainsi qu'aux entiers dépens et allouer à la SCP Avocats Centre le bénéfice de l'article 699 du Code de Procédure Civile.
Dans ses dernières conclusions notifiées le 22 juin 2022, auxquelles il conviendra de se reporter pour un exposé détaillé et exhaustif des prétentions et moyens qu'elle développe, la SAS Transports [J] [O] demande à la Cour de :
- Confirmer en toutes ses dispositions le jugement entrepris,
- Condamner la SARL [C] à payer à la SAS Transports [J] [O] la somme de 8.000 euros pour procédure abusive,
- Condamner la société [C] à payer à la SAS Transports [J] [O] la somme de 8.000,00 €uros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
La condamner aux entiers dépens.
Dans ses dernières conclusions notifiées le 3 octobre 2022, auxquelles il conviendra de se reporter pour un exposé détaillé et exhaustif des prétentions et moyens qu'il développe, M. [F] demande à la Cour de :
Statuant sur la recevabilité de l'appel ;
Au fond, le dire mal fondé ;
- CONFIRMER en toutes ses dispositions le jugement rendu le 15 décembre 2021 par le Tribunal de commerce de Châteauroux ;
Statuant à nouveau ;
Vu le rapport d'expertise de M. [X] déposé le 4 mars 2020,
Vu les articles 1231-1 et suivant du Code civil ;
- JUGER que la preuve d'une faute qui aurait pu être commise par M. [B] [F] n'est pas rapportée ;
- JUGER que le seul résultat convenu entre les parties était celui de l'exécution d'une soudure sur matériaux, la société [C] ayant toujours eu conscience de la nécessité de procéder au remplacement du col de cygne par un professionnel de l'automobile ;
- JUGER qu'il n'existe aucun lien de causalité entre l'intervention réalisée par M. [B] [F] le 20 avril 2010 et l'avarie survenue le 2 février 2015, le constructeur de la semi-remorque ayant lui-même considéré que l'avarie était consécutive à une usure normale de la pièce ;
EN CONSÉQUENCE ;
- DÉBOUTER purement et simplement la société [C] de l'ensemble de ses demandes formées à l'encontre de M. [B] [F] en principal, intérêts et frais ;
Subsidiairement ;
- JUGER que le col de cygne de la semi-remorque était déjà à remplacer avant même l'intervention de M. [B] [F] le 20 avril 2010 ;
- JUGER que l'intervention de M. [B] [F] n'a pas créé d'aggravation de dommage concernant la semi-remorque.
- JUGER que l'intervention de M. [F] du 20 avril 2010 sur la semi-remorque a permis de prolonger l'exploitation de la semi-remorque,
EN CONSÉQUENCE ;
- DÉBOUTER purement et simplement la société [C] de l'ensemble de ses demandes formées à l'encontre de M. [B] [F] en principal, intérêts et frais ;
- CONDAMNER la société [C] à verser à M. [B] [F] la somme de 10.000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- CONDAMNER la société [C] aux entiers dépens de première instance et d'appel.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 11 octobre 2022.
MOTIFS
A titre liminaire, il convient de rappeler que les demandes tendant simplement à voir « dire et juger », « rappeler » ou « constater » ne constituent pas des demandes en justice visant à ce qu'il soit tranché un point litigieux mais des moyens, de sorte que la cour n'y répondra pas dans le dispositif du présent arrêt. Il en va de même de la demande de « donner acte », qui est dépourvue de toute portée juridique et ne constitue pas une demande en justice.
Il sera également relevé que M. [F] n'invoque plus à hauteur d'appel l'irrecevabilité pour prescription de l'action initiée par la SARL [C] à son encontre.
Sur la responsabilité de M. [F] :
Aux termes de l'article 1231-1 du code civil, le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, s'il ne justifie pas que l'exécution a été empêchée par la force majeure.
En l'espèce, il n'est pas contesté que M. [F] ait pratiqué sur la semi-remorque en cause une réparation consistant en la réalisation de soudures sur les fissures affectant le col de cygne, le 20 avril 2010, et que le montant de cette intervention ait été facturé 90 euros HT.
M. [X], expert judiciaire, indiques-en son rapport que :
- la partie avant du col de cygne de la semi-remorque porte les traces de l'intervention de M. [F], mais également celles d'une intervention antérieure sur la zone pivot, qualifiée de 'sommaire', sur les flancs gauche et droit au niveau des articulations des axes ;
- M. [F] a creusé la fissure pour effectuer un chanfrein, soudé la fissure au niveau de la partie avant du col de cygne et ajouté des renforts métalliques ;
- cette intervention de M. [F], qui faisait suite à un sinistre, avait pour but d'éviter de remplacer le col de cygne, opération très coûteuse et très longue ;
- la réparation effectuée par M. [F] ne respectait pas les préconisations du constructeur, ni les règles de l'art ;
- un changement du col de cygne aurait dû intervenir dès le sinistre d'avril 2010 aux frais du propriétaire, la mise en œuvre de soudures et de renforts étant exclue en pareil cas ;
- le sinistre du 2 février 2015 est consécutif à une réparation qui n'a pas été effectuée selon les préconisations du constructeur ni les règles de l'art ;
- en tant que professionnel, M. [F] aurait dû remplacer le col de cygne et non effectuer cette réparation' ;
- la réparation demandée à M. [F] 'était pour minimiser le coût de la réparation et pour pouvoir la récupérer et l'utiliser rapidement', cette formulation renvoyant à la semi-remorque.
M. [F] ne conteste pas avoir été débiteur envers la SARL [C] d'une obligation de résultat en vertu du contrat d'entreprise qui les liait, mais précise être artisan serrurier de profession, et non garagiste-réparateur.
La SARL [C], de son côté, est un professionnel du transport routier, au fait à ce titre des impératifs de maintenance concernant les véhicules lourds qu'elle emploie.
Le conseil de la SARL [C], dans son dire à expert daté du 6 février 2020, précise qu'il 'n'a jamais été question de changer le col de cygne et ceci après explication avec le chef d'atelier du constructeur ([1])', reprenant ainsi les affirmations portées à son dire précédent du 30 décembre 2019 selon lesquelles ledit chef d'atelier lui aurait assuré que la réparation par soudure était possible.
Il ne peut ainsi être valablement soutenu par la SARL [C] que M. [F] ait seul pris la décision de procéder à la réparation par soudure, alors même qu'il est un professionnel de la serrurerie et non de la réparation d'engins automobiles, qu'elle avait elle-même pris la décision de s'adresser à lui et non à un garagiste-réparateur en ne pouvant ignorer qu'il ne disposait pas de compétences spécifiques en matière de maintenance de véhicules.
Par ailleurs, le courrier daté du 28 mai 2015 et adressé par le conseil de la SARL [C] à la société Judicial Avignon mentionne que « la remorque a fonctionné normalement pendant près de 5 années à compter de la soudure réalisée le 20 avril 2010. Si celle-ci n'avait pas été réalisée dans les règles de l'art, il est à parier que la panne serait intervenue bien en amont. »
Le fait pour un professionnel du transport routier de s'adresser à un artisan serrurier plutôt qu'à un garagiste-réparateur afin d'effectuer une réparation par soudure sur un engin lourd est de nature à éclairer la nature du résultat qui était attendu de cette intervention. En l'occurrence, l'appréciation de l'opportunité éventuelle d'un remplacement du col de cygne (sans même parler du remplacement de cette pièce, intervention très coûteuse, d'un coût de l'ordre de 60.000 euros, et impliquant une fabrication de la pièce et une immobilisation de l'engin pendant plusieurs semaines) en cas d'insuffisance de la réparation par soudure et celle de la conformité de cette dernière aux préconisations du constructeur ou aux normes de conformité technique et administrative ne peuvent relever des compétences d'un artisan serrurier. Le prix particulièrement modique de la prestation de M. [F] indique de même qu'elle ne pouvait équivaloir aux yeux d'un professionnel du transport routier à un remplacement du col de cygne, et permettrait au mieux d'assurer un maintien en fonctionnement temporaire de l'engin.
Le Tribunal a ainsi estimé à juste titre que la SARL [C] avait fait un choix économique en confiant à M. [F] la réparation par soudure du col de cygne plutôt que d'envisager le remplacement de cette pièce très onéreuse qui avait d'ores et déjà fait l'objet d'une opération réparatrice antérieure.
Le seul résultat attendu par les parties au contrat d'entreprise en cause consistait en la réparation d'une fissure par soudure, et non en la réparation pérenne et définitive de l'avarie constatée sur la semi-remorque, pour laquelle le constructeur ne préconisait aucune réparation mais un remplacement pur et simple de la pièce en cause.
Aucun élément versé aux débats n'établit que M. [F] aurait mal exécuté la prestation qui lui avait été commandée, le courrier précité émis le 28 mai 2015 par le conseil de la SARL [C] en ayant au contraire loué la qualité qui avait permis à la semi-remorque d'être encore utilisée durant plusieurs années. La longueur de ce délai, par surcroît, amène à considérer qu'aucun lien de causalité ne peut être établi entre la réparation pratiquée par M. [F] et le sinistre survenu.
En considération de l'ensemble de ces éléments, il convient de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la SARL [C] de ses demandes formées à l'encontre de M. [F].
Sur la demande indemnitaire pour procédure abusive présentée par la SA Faymonville :
Aux termes de l'article 1240 du code civil, tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.
Il est constant que le droit d'agir ou de se défendre en justice ne dégénère en abus pouvant donner lieu à indemnisation que dans le cas de malice, mauvaise foi ou erreur grossière équipollente au dol.
En l'espèce, il ressort de l'examen des diverses écritures versées en procédure que la SARL [C] a renoncé à toute demande à l'encontre de la SA Faymonville à compter du 8 juin 2016. Si la nécessité de mener les opérations d'expertise judiciaire au contradictoire de l'ensemble des parties concernées par l'assignation initiale peut s'entendre, le fait que l'arrêt du 22 novembre 2018 ait « renvoyé les parties devant le Tribunal de commerce de Châteauroux après dépôt du rapport d'expertise » n'imposait nullement à la SARL [C], contrairement à ce qu'elle soutient, d'attraire la SA Faymonville devant la juridiction de première instance après le dépôt du rapport dans la mesure où elle n'avait aucune demande à formuler à son encontre et où elle affirme ne l'avoir maintenue en la cause qu'en qualité de "sachant", objectif qui aurait parfaitement pu être atteint par d'autres biais qu'une assignation judiciaire.
Au lieu de solliciter la désignation de la SA Faymonville en qualité de sapiteur auprès de l'expert, ou de demander à M. [X] de s'enquérir auprès d'elle de toute spécificité de la semi-remorque ainsi qu'il en avait le pouvoir, la SARL [C] a obligé la SA Faymonville à assurer sa défense dans le cadre de la présente instance jusqu'en cause d'appel.
Le même raisonnement s'applique au maintien dans les liens de la procédure de la SAS Transports [J] [O], à l'encontre de laquelle la SARL [C] n'a formulé aucune demande devant le Tribunal de commerce.
Il convient en conséquence de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la SARL [C] à verser la somme de 8.000 euros à la SA Faymonville à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive, et de condamner la SARL [C] à verser une somme d'un montant identique à la SAS Transports [J] [O] sur le même fondement.
Sur l'article 700 et les dépens :
L'équité et la prise en considération de la situation économique respective des parties, ainsi que l'issue donnée au litige par la présente décision, commandent de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et de condamner la SARL [C], qui succombe en l'intégralité de ses prétentions, à verser à M. [F], à la SA Faymonville et à la SAS Transports [J] [O] la somme de 3.000 euros chacun au titre des frais exposés en cause d'appel et non compris dans les dépens.
Aux termes de l'article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge de l'autre partie. La SARL [C], partie succombante, devra supporter la charge des dépens de l'instance d'appel, la SCP Avocats Centre étant autorisée à recouvrer directement contre la partie condamnée ceux des dépens dont elle aurait fait l'avance sans en avoir reçu provision, conformément aux dispositions de l'article 366 du code de procédure civile.
La décision entreprise sera par ailleurs confirmée de ces chefs, étant précisé que les dépens comprendront les frais de l'expertise judiciaire réalisée par M. [X].
PAR CES MOTIFS
La Cour,
CONFIRME le jugement rendu le 15 décembre 2021 par le Tribunal de commerce de Châteauroux en toutes ses dispositions ;
Et y ajoutant,
CONDAMNE la SARL [C] à verser à la SAS Transports [J] [O] la somme de 8.000 euros à titre de dommages et intérêts ;
REJETTE toutes autres demandes, plus amples ou contraires ;
CONDAMNE la SARL [C] à verser à M. [B] [F], à la SA Faymonville et à la SAS Transports [J] [O] la somme de 3.000 euros chacun en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE la SARL [C] aux dépens de l'instance d'appel, en ce compris les frais d'expertise, et autorise la SCP Avocats Centre, avocats, à recouvrer directement ceux dont elle a fait l'avance sans recevoir provision préalable et suffisante.