Cass. crim., 13 décembre 2000, n° 99-82.875
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Cotte
Rapporteur :
M. Roger
Avocat général :
M. Lucas
Avocats :
Me Capron, SCP Bouzidi, SCP Waquet, Farge et Hazan, SCP de Chaisemartin et Courjon
Statuant sur les pourvois formés par :
- X... Jean-Gérard,
- Y...Jean-Claude,
- Z...Carlos,
- H... Claude,
- A...Pierre,
contre l'arrêt de la cour d'appel de PARIS, 9ème chambre, du 23 mars 1999, qui les a condamnés, notamment :
- Jean-Gérard X..., pour escroqueries et corruption, à 8 mois d'emprisonnement avec sursis,
- Jean-Claude Y..., pour abus de confiance, à 18 mois d'emprisonnement avec sursis et 200 000 francs d'amende,
- Carlos Z..., pour corruption et escroquerie, à 1 an d'emprisonnement avec sursis et 100 000 francs d'amende,
- Claude H..., pour abus de biens sociaux, complicité et abus de confiance, à 2 ans d'emprisonnement avec sursis et 500 000 francs d'amende,
- Pierre A..., pour abus de biens sociaux et recel de ce délit, recel d'abus de confiance, à 2 ans d'emprisonnement avec sursis et 2 millions de francs d'amende, et qui a statué sur les intérêts civils ;
Joignant les pourvois en raison de la connexité ;
I-Sur le pourvoi de Jean-Gérard X... ;
Attendu qu'aucun moyen n'est produit ;
II-Sur les autres pourvois ;
Vu les mémoires produits, en demande et en défense ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et du jugement qu'il confirme que, de 1989 à 1993, José C... et Antonio F..., cadres supérieurs de la société ALCATEL-CIT, elle-même filiale de la société ALCATEL-ALSTHOM, ont mis en place, avec diverses entreprises travaillant pour certaines sociétés du groupe, un système de commissionnements occultes, de rémunérations fictives ou d'octroi d'avantages en nature, commis au préjudice de leur employeur à qui les entreprises, dont celle de Carlos Z..., surfacturaient le coût de leurs interventions ; que les gains se sont élevés, pour ces deux prévenus, à 16 millions de francs chacun ;
Attendu que, licenciés pour faute lourde, José C... et Antonio F... ont révélé la prise en charge par ALCATEL-CIT et d'autres sociétés du groupe, spécialement ses filiales immobilières, dirigées par Claude H..., de travaux effectués aux domiciles ou résidences et au profit de certains dirigeants du groupe, dont Pierre A..., président d'ALCATEL-ALSTHOM ;
Que l'instruction a, par ailleurs, démontré l'existence, au sein de la direction financière d'un département d'ALCATEL-CIT, d'une double comptabilité imputée à Jean-Claude Y..., destinée à alimenter une trésorerie parallèle, dite " caisse noire ", s'élevant à 3, 5 millions de francs environ ;
Attendu que, par ordonnance du 8 octobre 1996, le juge d'instruction d'Evry a décidé de poursuivre l'information sur des faits commis au préjudice de FRANCE TELECOM, d'ordonner la disjonction de certains autres faits et de renvoyer 43 personnes devant le tribunal correctionnel d'Evry ;
Attendu que, par jugement du 6 mai 1997, cette juridiction a, notamment, condamné Pierre A..., comme dirigeant de droit ou de fait de sociétés du groupe, pour des abus de biens sociaux ayant consisté à faire supporter par celles-ci des travaux " de sécurité ", effectués dans ses domiciles privés à Boulogne-Billancourt et Neuilly ainsi que dans un chalet savoyard, Claude H... pour complicité de ces délits, Jean-Claude Y... pour abus de confiance et Carlos Z... pour corruption passive et escroquerie ; que ces prévenus ont interjeté appel ;
Attendu que, par l'arrêt attaqué, les deux derniers cités ont été condamnés dans les termes de la prévention ; qu'après requalification, Claude H... l'a été pour abus de biens sociaux et complicité ainsi que pour abus de confiance ; que Pierre A...a été condamné du chef d'abus de biens sociaux, pour les travaux payés par ALCATEL-ALSTHOM, d'un montant de 1 961 168 francs, et, après requalification, pour recels de certains délits commis par Claude H... ;
Que la cour d'appel, statuant sur les intérêts civils, à la demande d'un actionnaire, a condamné Pierre A...à payer à ALCATEL-ALSTHOM une somme de 3, 1 millions de francs à titre de dommages-intérêts ;
En cet état ;
Sur le moyen unique de cassation, proposé en faveur de Jean-Claude Y..., pris de la violation des articles 408 ancien du Code pénal, 6 et 13 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 591 et 593 du Code de procédure pénale, ensemble le principe du respect des droits de la défense ;
" en ce que l'arrêt attaqué a condamné Jean-Claude Y... à dix-huit mois d'emprisonnement avec sursis et 200 000 francs d'amende pour abus de confiance ;
" aux motifs que " la matérialité des faits tels qu'ils sont exposés au 1. 1. 2. 5. n'est pas discutable, et, d'ailleurs, n'est pas contestée, dès lors que Jean-Claude Y... a reconnu, et fourni, les explications et documents permettant de caractériser à son encontre le délit d'abus de confiance visé à la prévention en tous ses éléments matériel et intentionnel " (cf. arrêt attaqué, page 137, 9ème considérant) ; " qu'en sa qualité de chef des services comptables, Jean-Claude Y..., dont le salaire justifiait largement son niveau de compétence et de responsabilité, détenait, pour le compte de la société ALCATEL-CIT, des fonds dont il ne devait disposer qu'en observant des procédures régulières ; qu'en falsifiant des écritures comptables-par fabrication et passation d'écritures fausses et inexactes-délits qui ne lui sont pas reprochés, il les a affectés au besoin d'une trésorerie parallèle occulte, consommant ainsi leur détournement " (cf. arrêt attaqué, page 137, 10ème considérant, lequel s'achève page 138) ; " que l'intention résulte suffisamment des manipulations comptables " (cf. arrêt attaqué, page 138, 3ème considérant) ;
" alors que tout prévenu a droit d'être informé d'une manière détaillée de la nature et de la cause de la prévention dont il est l'objet, et qu'il doit, par suite, être mis en mesure de se défendre tant sur les divers chefs d'infraction qui lui sont imputés, que sur chacune des circonstances aggravantes susceptibles d'être retenues à sa charge ; qu'en application de ce principe, un prévenu ne peut être condamné pour des faits qui ne sont pas visés dans la prévention, que s'il a accepté de s'expliquer sur ces faits ; qu'il ressort de l'arrêt attaqué (page 23) que Jean-Claude Y... était prévenu d'avoir commis un abus de confiance pour avoir prélevé sur une caisse occulte, à des fins personnelles, une somme de 3 500 000 francs qui lui avait été remise à charge de la rendre ou représenter, ou d'en faire un usage déterminé ; que la cour d'appel le déclare coupable d'abus de confiance pour avoir détourné des deniers que lui avaient remis son employeur et dont il ne devait se servir qu'en observant des procédures régulières, en créant une caisse occulte ; qu'en retenant, pour caractériser l'abus de confiance qu'elle impute à Jean-Claude Y..., un détournement qui n'était pas visé dans la prévention et sur lequel Jean-Claude Y... n'a pas accepté de s'expliquer, la cour d'appel, qui est contrainte du reste, lorsqu'elle prononce sur l'intention criminelle, de faire état de falsifications comptables dont elle reconnaît, la première, qu'elles sont étrangères à la prévention, a violé les textes susvisés " ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure que Jean-Claude Y... a été renvoyé devant le tribunal correctionnel pour avoir détourné, au préjudice de la société ALCATEL-CIT, dont il était le chef comptable, par prélèvement sur une caisse occulte, une somme de 3, 5 millions de francs, qui lui avait été remise à charge de la rendre ou représenter ou d'en faire usage déterminé ;
Que le tribunal correctionnel, se fondant sur les aveux du prévenu, a retenu que ce dernier avait, en réalité, mis en place une caisse parallèle, destinée à rémunérer diverses personnes, alimentée par des prélèvements sur les comptes sociaux, justifiés par de fausses factures, et que lui-même avait bénéficié d'une somme de 101 800 francs représentant le coût d'un voyage d'agrément avec son épouse aux Etats-Unis ;
Que la cour d'appel ajoute que Jean-Claude Y..., par fabrication et passation d'écritures fausses, a affecté les fonds dont il était détenteur pour le compte de la société, aux besoins d'une trésorerie parallèle et occulte ;
Attendu qu'en cet état, et dès lors que le prévenu, qui avait lui-même fourni, tant en première instance qu'en appel, les éléments de fait caractérisant le délit reproché, avait accepté le débat sur les circonstances modifiant la prévention initiale, l'arrêt attaqué n'encourt pas les griefs allégués ;
Que, dès lors, le moyen doit être écarté ;
Sur le premier moyen de cassation, proposé en faveur de Carlos Z..., pris de la violation de l'article 177, alinéa 2, du Code pénal (ancien Code pénal), des articles 485, 593 du Code de procédure pénale ;
" en ce que le demandeur a été déclaré coupable du délit prévu et réprimé par l'article 177 du Code pénal ;
" aux motifs qu'il résulte des documents saisis et des explications initiales de Carlos Z... que celui-ci a, sciemment, accepté de céder aux sollicitations d'Antonio F..., ce que confirme celui-ci et José C... pour développer le chiffre d'affaires de l'entreprise " Paysages 2 " avec la société ALCATEL-CIT ;
" alors que l'article 177 du Code pénal, sur le fondement duquel Carlos Z... a été condamné, dans les termes du délit de corruption visé par la prévention, ne vise que les employés préposés et personnes liées à l'entreprise par un contrat de louage de service, c'est-à-dire placées dans un lien de subordination par rapport à l'entreprise ; qu'il résulte des constatations de l'arrêt que tel n'était pas le cas de Carlos Z..., dirigeant de Paysages 19, puis gérant de la SARL Paysages 19, une fois celle-ci créée " ;
Attendu que Carlos Z..., entrepreneur puis gérant d'une société paysagiste, est poursuivi pour avoir remis à Antonio F..., cadre supérieur de la société ALCATEL-CIT, une somme de 439 781 francs pour l'obtention de marchés avec cette société ;
Attendu que, si le demandeur a été condamné à tort au visa de l'article 177 ancien du Code pénal alors que les faits constatés par la cour d'appel constituaient l'infraction prévue par l'article 179 du même Code, l'arrêt n'encourt pas la censure dès lors que les peines prévues par ces deux textes sont identiques ;
Que la peine prononcée se trouvant ainsi justifiée, le moyen ne saurait être admis ;
Attendu que la peine prononcée étant justifiée par la déclaration de culpabilité du chef précité et par celle relative à des escroqueries commises en 1992, il n'y a pas lieu d'examiner le second moyen qui discute des escroqueries imputées au prévenu, en 1993 ;
Sur le premier moyen de cassation, proposé en faveur de Pierre A...et Claude H..., pris de la violation des articles 437-3 de la loi du 24 juillet 1966, 321-1, 314-1 du Code pénal, 385, 388 du Code de procédure pénale, 593 du même Code, 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, violation des droits de la défense ;
" en ce que la cour d'appel a requalifié la prévention, en ce qui concerne Pierre A...et Claude H..., condamné Pierre A..., primitivement poursuivi uniquement pour des abus de biens sociaux, du chef d'abus de biens sociaux au préjudice d'ALCATEL-ALSTHOM, et de recels d'abus de biens sociaux au préjudice d'ALCATEL-CIT, de quatre sociétés immobilières, et de recel d'abus de confiance au préjudice du GIE GEREM, condamné Claude H..., primitivement poursuivi du chef de complicité d'abus de biens sociaux et d'abus de confiance, du chef d'abus de biens sociaux des sociétés immobilières, d'abus de confiance au sein du GIE GEREM ;
" alors, d'une part, que seule l'ordonnance de renvoi fixe la saisine en fait de la juridiction correctionnelle ; qu'en affirmant qu'elle serait saisie de tous les faits dénoncés au cours de l'instruction préparatoire, la cour d'appel a directement reconnu les limites de sa saisine et excédé ses pouvoirs ;
" alors, d'autre part, que les prévenus ne peuvent se voir opposer une requalification des faits qui leur sont reprochés que dans la mesure où les juges du fond ne modifient pas le cadre de leur saisine, et n'ajoute rien aux faits dont ils sont saisis, par l'ordonnance de renvoi, laquelle constitue le seul titre de saisine de la juridiction correctionnelle ; qu'ajoute aux faits de la prévention les qualifications de recel d'abus de biens sociaux au détriment d'ALCATEL-CIT, dont la cour d'appel reconnaît que les auteurs du délit principal n'ont pas été identifiés ni même recherchés, et les qualifications d'abus de biens sociaux et d'abus de confiance reprochés à Claude H... (ainsi que les recels de ces infractions reprochés à Pierre A...), dès lors qu'elles supposent connues et discutées les qualités de Claude H... au sein des structures dont il aurait abusivement utilisé les fonds, les mandats qu'il en aurait reçus et le contrôle de l'exécution de ces mandats, toutes circonstances qui ne figuraient pas dans l'ordonnance de renvoi ;
que la cour d'appel a ainsi excédé le cadre de sa saisine ;
" alors, enfin, qu'une condamnation pour des faits nouveaux ne peut intervenir que dans le respect du principe de la contradiction et des droits de la défense ; que Pierre A...faisait valoir qu'il refusait toute requalification des abus de biens sociaux que lui imputait la prévention, en recel, en insistant sur le fait que cette requalification emportait dépassement de la saisine ; que ce refus ne pouvait valoir acceptation d'un débat contradictoire sur les faits nouveaux retenus par la cour d'appel, et qu'ainsi celle-ci, en statuant sans débat contradictoire sur des faits échappant à sa saisine, a violé les droits de la défense " ;
Attendu qu'abstraction faite d'une formulation erronée, justement critiquée par la première branche du moyen, la cour d'appel n'a pas excédé les limites de sa saisine ;
Que, par ailleurs, contrairement à ce qui est allégué, les juges, en requalifiant certains faits initialement poursuivis sous la qualification d'abus de biens sociaux et d'abus de confiance en recels de ces délits, n'ont pas statué sur des faits nouveaux mais, comme ils en ont le devoir, après avoir mis les prévenus en mesure de s'expliquer sur ce point, ont restitué aux faits dont ils étaient saisis leur véritable qualification ;
Que, dès lors, le moyen n'est pas fondé ;
Sur le deuxième moyen de cassation, proposé en faveur de Pierre A...et Claude H..., pris de la violation des articles 437-3 de la loi du 24 juillet 1966, 121-6, 121-7 du Code pénal, défaut de motif, manque de base légale ;
" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Pierre A...coupable d'abus de biens sociaux au détriment d'ALCATEL-ALSTHOM pour une somme de 1 961 168 francs, et Claude H... coupable de complicité de cet abus de biens sociaux ;
" aux motifs que les dépenses relatives à la nécessaire sécurité de " l'homme clef " du groupe ALCATEL constituent des charges incombant avant tout à la société mère (c'est-à-dire ALCATEL-ALSTHOM) ; que nul ne discute le bien-fondé et le coût des moyens mis en oeuvre pour répondre notamment aux menaces terroristes ; qu'il est admissible que cette réponse aux menaces soit également assurée au domicile du dirigeant ; que, cependant, le coût de cette obligation de sécurité ne peut être illimité dans l'espace et dans le temps, que les travaux doivent être autorisés par les organes sociaux, comptabilisés dans les actifs, être accompagnés de pièces justificatives probantes ; que les travaux effectués au domicile et résidence privés du dirigeant sont réputés effectués dans son intérêt personnel ; qu'il ne peut être admis que des actifs sociaux enrichissent, sans convention ou décision l'autorisant, le patrimoine personnel du dirigeant ; que les restitutions ultérieures sont sans influence sur la caractérisation des infractions ; que certaines dépenses concernaient des équipements qui n'avaient aucune fonction sécuritaire et des éléments mobiliers et immobiliers répondant aux normes usuelles de destination de toute construction à usage d'habitation, quel que fût son standing et la qualité de l'occupant ;
" alors, d'une part, qu'il n'y a abus de biens sociaux que s'il y a usage des biens de la société contraire aux intérêts de celle-ci ; que, s'agissant de la société ALCATEL-ALSTHOM, la cour d'appel reconnaît expressément qu'il était de son intérêt que son dirigeant fît l'objet de mesures de haute protection, aussi bien à son domicile que sur les lieux de son activité professionnelle, et qu'il était normal qu'elle en prît le coût en charge ; que la cour d'appel, qui a ainsi expressément reconnu que la dépense n'était pas contraire à l'intérêt de la société, et qui ne constate dans aucun de ses motifs que la prise en charge par ALCATEL-ALSTHOM de tout ou partie de cette dépense aurait été dépourvue d'intérêt pour cette société, n'a pas légalement justifié sa décision ;
" alors, d'autre part, qu'une dépense exposée conjointement dans l'intérêt de la société et dans l'intérêt de son dirigeant ne peut pas être légalement, un abus de biens sociaux ;
que la simple circonstance qu'une dépense, exposée dans l'intérêt reconnu de la société, ait pu bénéficier de façon personnelle à son dirigeant, notamment en assurant sa sécurité personnelle ou la sécurité de son domicile, n'est pas de nature à faire présumer que la dépense aurait été effectuée uniquement dans cet intérêt personnel, et qu'elle serait constitutive d'un abus de biens sociaux, nonobstant l'intérêt qu'en a retiré la société ; qu'en l'absence de constatation du caractère excessif de la dépense ou de son caractère disproportionné par rapport aux ressources d'ALCATEL-ALSTHOM, la dépense ne pouvait être qualifiée d'abus de biens sociaux ;
" alors, de surcroît, que ni le caractère " secret " de la dépense ni l'absence de convention entre le dirigeant et la société au sens des articles 101 et suivants de la loi du 24 juillet 1966 ne sont de nature, en l'absence de toute conséquence juridique de cette discrétion, et alors que la commission des mandataires sociaux d'ALCATEL-ALSTHOM avait été informée de la dépense, et l'avait entérinée, à la faire considérer comme contraire à l'intérêt de la société ;
" alors, encore, que, faute de s'expliquer sur le point de savoir si les éléments mobiliers ou immobiliers, dont la cour d'appel constate qu'ils sont usuels dans toute habitation, étaient installés de façon indivisible avec les éléments de sécurité, spécifiques à la protection du dirigeant social, et si leur prise en charge intégrale par la société était de nature à nuire à l'intérêt de celle-ci, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;
" alors, enfin, que Pierre A...invoquait le fait que, à la fin de ses fonctions, il avait restitué à la société ALCATEL-ALSTHOM toute la partie d'installations de sécurité liées aux fonctions, et qui avaient pu être récupérées sans exposer un coût de rétablissement des lieux excessif par rapport au coût des installations restituées ; que cet élément était invoqué non à titre d'indemnisation, mais, comme l'avait retenu le tribunal dont la décision a été infirmée sur ce point, pour démontrer qu'ALCATEL-ALSTHOM était restée propriétaire des installations litigieuses, ce qui excluait qu'il y ait eu atteinte à ses intérêts, et que Pierre A...n'avait jamais entendu se les approprier ; que la cour d'appel, en se bornant à analyser cette restitution comme une tentative de " réparation ", sans rechercher si elle n'était pas le signe de l'absence de tout intérêt personnel de Pierre A...dans l'opération, n'a pas donné de base légale à sa décision " ;
Sur le troisième moyen de cassation, proposé en faveur de Pierre A...et Claude H..., pris de la violation des articles 437-3 de la loi du 24 juillet 1966, 321-1, 314-1, 121-6, 121-7 du Code pénal, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Claude H... coupable d'abus de biens sociaux au préjudice des sociétés SIVV, SIML, SILL, SIET, d'abus de confiance au préjudice du GIE ALCATEL-GIEREM, et Pierre A...coupable de recel de ces abus de biens sociaux et de confiance ; déclaré en outre Pierre A...coupable de recel d'abus de biens sociaux au préjudice d'ALCATEL-CIT et Claude H... coupable de complicité de ce recel ;
" aux motifs qu'il n'est pas contesté que l'ensemble de ces sociétés appartiennent au même groupe, dont la société ALCATEL-ALSTHOM est la société mère ; qu'il appartient de rechercher si les dépenses prises en charge par l'une d'elles ont été dictées par l'intérêt de ce groupe et ont été exposées dans les limites des possibilités financières de la société filiale pour laquelle elles doivent, encore, avoir une contrepartie ; qu'il est inadmissible que des dépenses dites de sécurité aient été imposées à des sociétés dont ce n'était pas l'objet, sans décision préalable et sans aucune contrepartie financière, pas même comptable, sur la production de documents falsifiés ou tronqués ; que l'argument tiré de la nécessité de dissimuler les systèmes pour en garantir l'efficacité par la confidentialité ne résiste pas à l'examen ;
" alors, d'une part, que, dès lors qu'une société appartient à un groupe, l'intérêt de ce groupe peut correspondre à l'intérêt social de chacune de ces sociétés ; que la participation de telle ou telle société du groupe à un but commun à l'ensemble des sociétés du groupe ne peut être considérée comme contraire à l'intérêt de cette société ; que la cour d'appel ne pouvait, sans contradiction, reconnaître expressément que le président de la société mère était " l'homme clef " du groupe " dont les intérêts majeurs dépendent de sa sécurité ", et énoncer que la participation, plus ou moins importante et en tout cas minoritaire, de plusieurs sociétés de ce groupe à la sécurité du président de la société mère, objectif commun à l'ensemble du groupe, serait contraire à l'intérêt de ces sociétés ;
" alors, d'autre part, que la contrepartie de l'engagement d'une dépense n'est pas nécessairement financière et ne dépend pas, au regard de l'existence d'un abus de biens sociaux et de l'intérêt d'une société, de l'existence d'une traduction comptable ;
qu'il s'agissait en l'occurrence de la contrepartie de dépenses qui n'avaient pas pour objet l'acquisition de biens mobiliers mais une garantie immatérielle, à savoir précisément la sécurité du dirigeant du groupe, inappréciable en valeur, mais réellement assurée ; que la cour d'appel ne pouvait exclure l'existence de cette contrepartie au motif inopérant qu'elle devrait être nécessairement financière ou comptable ;
" alors, enfin, que, dès lors que la sécurité du dirigeant du groupe pouvait relever d'un objectif commun aux diverses sociétés de ce groupe, la dépense correspondante n'incombait pas nécessairement à titre exclusif à la société mère dont il était le président-directeur général, mais pouvait être répartie, à proportion de leurs facultés, entre diverses sociétés ; qu'en s'abstenant de rechercher si la part prise par chaque société concernée du groupe aux dépenses de sécurité était fonction de ses capacités financières, la cour d'appel n'a pas donné de base réelle à sa décision " ;
Sur le cinquième moyen de cassation, proposé en faveur de Claude H... et Pierre A..., pris de la violation des articles 437-3 de la loi du 24 juillet 1966, 321-1 du Code pénal, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Claude H... coupable d'abus de biens sociaux au détriment des sociétés immobilières SIVV, SIML, SILL et SIET, et Pierre A...coupable du recel de ces abus de biens sociaux ;
" alors, d'une part, qu'il n'y a abus de biens sociaux que si l'usage des biens ou du crédit de la société a été fait par les dirigeants " à des fins personnelles ou pour favoriser une autre société ou entreprise dans laquelle ils étaient intéressés directement ou indirectement " ; qu'il résulte de l'arrêt attaqué que Claude H..., qui occupait sans aucune contrepartie financière les fonctions d'administrateur des sociétés immobilières, et qui était, par ailleurs, salarié de la société ALCATEL-ALSTHOM, n'a pas utilisé les biens des sociétés immobilières dans son intérêt personnel ni dans celui d'une entreprise dans laquelle il aurait un intérêt ; que ni l'abus de biens sociaux ni, par voie de conséquence, le recel de ces abus de biens sociaux ne sont caractérisés ;
" alors, d'autre part, qu'en s'abstenant de s'expliquer sur la circonstance que Claude H... a, de son propre chef, révélé le système par lequel il avait réparti, entre les différentes sociétés du groupe, y compris celles dont il était le dirigeant, le coût des travaux de sécurité des domiciles du président-directeur général de la société mère, en indiquant de façon précise leur contenu, leur coût et leur répartition, circonstance de nature à démontrer que Claude H... n'avait nullement l'intention d'agir à des fins contraires à l'intérêt des sociétés qu'il dirigeait, et à exclure toute mauvaise foi, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision " ;
Sur le sixième moyen de cassation, proposé en faveur de Claude H... et Pierre A..., pris de la violation de l'article 593 du Code de procédure pénale ;
" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Claude H... coupable d'abus de confiance au détriment du GIE ALCATEL-GEREM, et Pierre A...coupable de recel de cet abus de confiance ;
" alors que, faute de rechercher et de constater quels fonds avaient été remis à Claude H... dans le cadre du GIE, à quel titre ils lui avaient été remis, quelle en était la destination, de caractériser le fait que les fonds auraient été détournés parce qu'affectés à un usage autre que celui pour lequel Claude H... avait reçu la tâche de les affecter, et de rechercher si Claude H... avait eu conscience d'affecter à un usage autre que ceux auxquels ils auraient été destinés des fonds qu'il a utilisés pour la sécurité du dirigeant du groupe qu'il avait pour mission contractuelle d'assurer, la cour d'appel n'a pas caractérisé le détournement, ni l'abus de confiance dont il est le signe, ni le recel d'abus de confiance " ;
Sur le septième moyen de cassation proposé en faveur de Pierre A..., pris de la violation des articles 437-4 de la loi du 24 juillet 1966, 321-1 du Code pénal, défaut de motif, manque de base légale ;
" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Pierre A...coupable de recel des abus de biens sociaux prétendument commis par Claude H... au détriment des sociétés SIVV, SIML, SILL et SIET, et des abus de confiance prétendument commis par le même Claude H... au détriment du GIE GIEREM, et du recel d'abus de biens sociaux commis au sein d'ALCATEL-CIT par des dirigeants non identifiés ;
" alors que le recel suppose l'élément intentionnel, c'est-à-dire la connaissance que les biens détenus proviennent d'une infraction ; que, faute de constater que Pierre A...aurait eu conscience que les agissements de Claude H... ou des dirigeants d'ALCATEL-CIT auraient constitué des abus de biens sociaux ou des abus de confiance pour avoir fait financer les dépenses afférentes à sa sécurité par des sociétés du groupe autres qu'ALCATEL-ALSTHOM, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision " ;
Les moyens étant réunis ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que la société ALCATEL-ALSTHOM, dont Pierre A...est le président, plusieurs sociétés immobilières du groupe et le GIE ALCATEL GEREM, dont Claude H... est dirigeant, ont supporté le coût de travaux effectués dans plusieurs propriétés de Pierre A...;
Attendu que, pour déclarer ce dernier coupable d'abus des biens de la société ALCATEL-ALSTHOM et receleur des abus de biens des sociétés immobilières et du GIE, la cour d'appel retient que les travaux portaient non seulement sur des installations de sécurité liées à ses fonctions, dont la prise en charge par le groupe était fondée, mais également sur des équipements à caractère purement personnel et d'un montant de 1 277 970 francs TTC ;
Qu'elle relève, pour déclarer Claude H... complice des abus de biens de la société ALCATEL-ALSTHOM et auteur des abus des biens des sociétés immobilières et de l'abus de confiance commis au préjudice du GIE, que le prévenu a organisé la prise en charge des dépenses engagées dans le seul intérêt de Pierre A...en toute opacité et, notamment, grâce à de fausses factures ; qu'elle ajoute que l'intention frauduleuse résulte de la dissimulation, par les prévenus, de l'emploi des fonds aux organes des sociétés intéressées, du recours à des documents falsifiés ou tronqués et de l'affirmation mensongère, par Pierre A..., qu'il avait personnellement supporté ces charges ; qu'elle note aussi que Claude H... avait un intérêt personnel à favoriser les projets du président de la société-mère ;
Que, pour écarter le fait justificatif tiré de l'intérêt du groupe que constituaient les différentes sociétés, les juges retiennent, notamment, l'absence de poursuite d'un intérêt commun ;
Attendu qu'en cet état, la cour d'appel a caractérisé en tous leurs éléments constitutifs les délits dont elle a déclaré les prévenus coupables ;
Que, dès lors, les moyens ne peuvent qu'être écartés ;
Attendu que les peines prononcées étant justifiées par les déclarations de culpabilité des chefs précités, il n'y pas lieu d'examiner le 4ème moyen qui discute le recel et la complicité de recel d'abus de biens sociaux au préjudice de la société ALCATEL-CIT ;
Sur le huitième moyen de cassation, proposé en faveur de Claude H..., pris de la violation des articles 437-3 de la loi du 24 juillet 1966, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Claude H... coupable d'abus de biens sociaux au détriment des sociétés SIBL et SIET pour avoir versé à Micheline G... des sommes destinées à la rémunération occulte de Robert G... ;
" alors qu'il n'y a abus de biens sociaux que si l'usage des biens ou du crédit de la société est fait par le dirigeant à des fins personnelles, ou pour favoriser une entreprise où il aurait un intérêt ; que l'arrêt attaqué ne constate en aucun de ses motifs que la rémunération visée par Claude H..., en contrepartie de travaux exécutés au sein du groupe ALCATEL, aurait servi à un intérêt personnel de Claude H..., ou à une entreprise où il aurait été personnellement intéressé ; que l'abus de biens sociaux n'est ainsi pas caractérisé, peu important que, par ailleurs, les salaires eussent régulièrement été versés " ;
Attendu que, pour déclarer Claude H... coupable d'abus de biens sociaux au préjudice des sociétés SIBL et SIET dont il était le président, la cour d'appel relève, notamment, qu'il a fait prendre en charge par celles-ci les salaires de Micheline G... qui ne correspondaient à aucun travail effectif, mais constituaient la rémunération occulte de son mari qui exerçait son activité dans trois autres sociétés présidées ou administrées par Claude H... ;
Attendu que, par ces énonciations, aux termes desquelles le demandeur a favorisé des sociétés dans lesquelles il était directement intéressé, les juges du second degré ont fait l'exacte application de l'article 437-3 de la loi du 24 juillet 1966 ;
D'où il suit que le moyen ne saurait être admis ;
Sur le neuvième moyen de cassation, proposé en faveur de Pierre A...et Claude H..., pris de la violation des articles 1843-5 du Code civil, 245 et 252 de la loi du 24 juillet 1966, 437 de la même loi, des articles 2 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
" en ce que l'arrêt attaqué a condamné Pierre A...à verser à la société SA ALCATEL, anciennement dénommée ALCATEL-ALSTHOM CGE, agissant par l'un de ses actionnaires, Alain D..., la somme de 3 100 000 francs à titre de dommages-intérêts ;
" aux motifs qu'Alain D..., en tant qu'associé de la société ALCATEL-ALSTHOM, est recevable à agir, pour le compte de la société, et à obtenir la réparation des conséquences dommageables des infractions commises par ses dirigeants ; qu'il peut réclamer tant le préjudice subi par la SA ALCATEL-ALSTHOM elle-même du fait de l'abus de ses biens, que celui qu'elle peut invoquer en sa qualité d'actionnaire d'autres sociétés victimes de pareils abus et résultant d'une atteinte à la valeur de ses participations ; que le préjudice matériel d'ALCATEL-ALSTHOM est précisément chiffré à 1 961 168 francs, et que la privation de cette somme pendant plusieurs années a nécessairement provoqué un préjudice financier supplémentaire, le préjudice s'élevant toutes causes confondues à 2, 5 millions de francs ; que la SIML étant détenue à 100 % par ALCATEL-ALSTHOM, elle a subi également le préjudice de cette société, soit le montant des fonds frauduleusement recelés (473 980 francs), le préjudice s'élevant à 600 000 francs, toutes causes confondues, avec l'incidence financière du détournement ;
" alors, d'une part, que l'action dite " ut singuli " ne peut être engagée par un actionnaire au nom de la société qu'à raison des faits dont les dirigeants de cette société se sont éventuellement rendus coupables à son détriment ; que l'action est irrecevable à propos de faits qu'auraient commis les dirigeants d'une filiale dont la société serait elle-même actionnaire, fût-ce à 100 % ;
" alors, d'autre part, que l'action " ut singuli " ne peut avoir plus d'effet que n'en aurait l'action de la société elle-même à l'encontre de ses dirigeants ; que la constitution de partie civile ne pouvait avoir pour objet que la réparation directe d'infractions commises au détriment de la société dont le dirigeant aurait abusé des biens ou du crédit ; que, dès lors, l'octroi à la société ALCATEL-ALSTHOM, par le biais de l'action " ut singuli ", de dommages-intérêts dus en réparation d'abus de biens sociaux commis au détriment d'une de ses filiales est contraire aux dispositions de l'article 2 du Code de procédure pénale ;
" alors, encore, qu'en affirmant, tant pour ALCATEL-ALSTHOM que pour la SIML, que les détournements commis à leurs préjudices respectifs auraient occassionné un " préjudice financier supplémentaire ", sans en justifier autrement, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;
" alors, enfin, qu'en fixant à 1 961 168 francs le montant des détournements directs commis au préjudice d'ALCATEL-ALSTHOM, et dont Pierre A...devrait réparation, sans tenir compte du fait non contesté que celui-ci avait, à la fin de ses fonctions, restitué à la société ALCATEL-ALSTHOM les installations de sécurité qui n'avaient été mises à sa disposition qu'à raison desdites fonctions, et sans diminuer d'autant la valeur de l'indemnité prétendument due, la cour d'appel, qui n'a pas répondu aux conclusions dont elle était saisie, n'a pas donné de base légale à sa décision " ;
Attendu que, pour allouer à la société ALCATEL, agissant par un de ses actionnaires, la somme de 3, 1 millions de francs de dommages-intérêts, la cour d'appel énonce que la société peut obtenir, non seulement la réparation du préjudice qu'elle a subi du fait de l'abus de ses biens, mais également l'indemnisation du dommage résultant des abus de biens sociaux subis par une société filiale ;
Attendu qu'en cet état, les juges du second degré ont justifié leur décision ;
Que, d'une part, il résulte des constatations de l'arrêt que la société ALCATEL, qui était actionnaire à 100 % de sa filiale, pouvait seule intervenir pour obtenir la réparation du préjudice subi par cette dernière ;
Que, d'autre part, en évaluant comme elle l'a fait le montant des dommages-intérêts alloués, elle n'a fait qu'user de son pouvoir souverain d'apprécier, dans la limite des conclusions des parties, les indemnités propres à réparer les dommages résultant directement des infractions ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE les pourvois.