Cass. crim., 16 juin 2004, n° 02-87.520
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Cotte
Rapporteur :
M. Dulin
Avocat général :
M. Chemithe
Avocats :
SCP Piwnica et Molinie, Me Capron
Vu les mémoires en demande, en défense et les observations complémentaires produits ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 6.1 de la Convention européenne des droits de l'homme, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale, ensemble violation des droits de la défense ;
"en ce que l'arrêt attaqué a omis d'examiner la demande de supplément d'instruction présentée par Jean-Pierre X... dans ses conclusions régulièrement déposées" ;
Attendu que l'opportunité d'ordonner une mesure de supplément d'information est une question de pur fait qui échappe au contrôle de la Cour de Cassation ;
D'où il suit que le moyen est irrecevable ;
Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 242-6 du Code de commerce (437-3 de la loi du 24 juillet 1966), 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Jean-Pierre X... coupable d'abus de biens sociaux ;
"aux motifs que - les qualités de président du conseil d'administration de Samovie et de Financière SAM pour la période visée à la prévention et de président du conseil d'administration de ITD, et d'administrateur de Samovie à compter de mars 1997 jusqu'à 1999 sont établies ; que les qualités visées à la prévention, en l'espèce de dirigeant de droit des sociétés Fluidelec/Somatec, ITD et JP Finances, sociétés dans lesquelles Jean-Pierre X... était directement intéressé, sont établies ; qu'il est établi que Samovie et Financière SAM ont apporté de multiples concours financiers aux sociétés bénéficiaires selon les méthodes précédemment décrites ; que si l'ensemble des sociétés étaient intégrées dans le groupe ITD au sens où le groupe est caractérisé par des participations dans le capital, par la complémentarité des activités et intérêts administratifs, financiers et commerciaux, il résulte de l'ensemble des faits que les concours de Samovie ont été dépourvus de contreparties, ont manifesté une rupture d'équilibre entre les engagements respectifs des diverses autres sociétés vis-à-vis de Samovie et ont excédé les possibilités financières de Samovie qui en a supporté la charge, et ce, nonobstant les conventions de trésorerie et d'assistance conclues, qui ne pouvaient aller au-delà des conditions limitant les concours financiers acceptables au sein d'un groupe ; que la convention d'assistance entre JP Finances et Samovie n'a connu d'exécution établie qu'au regard du travail limité en temps, de suivi de la comptabilité par Mme Y... qui ne se déplaçait à Lorient qu'une fois par mois en moyenne ; que, par ailleurs, M. Z... a décrit son activité constante pendant des mois pour réorganiser les méthodes de gestion, le personnel et le service paye qui ne constituait pas des prestations ayant impliqué la convention d'assistance mais le travail de recherche et de mise en oeuvre des techniques de modifications des méthodes ; qu'en tout cas, le relevé du contrôle fiscal de Samovie, contesté par Jean-Pierre X... qui, cependant, n'a pas offert de justification contraire, corrobore la surélévation des conséquences de la convention d'assistance ; qu'il résulte de l'exposé des faits, que la gestion financière, dans la société Samovie et intersociétés, relevait du seul prévenu, Jean-Pierre X..., qui a choisi : - de privilégier le recours à la seule trésorerie dont il disposait pour tout règlement des échéances d'emprunts, des prestations sociales ; - sans que des contreparties équivalentes aient été mises en oeuvre au profit de la société Samovie, aucun des intervenants compétents, ni les coprévenus, ni le commissaire aux comptes, et même Jean-Pierre X... n'ayant au demeurant fait état de véritables contreparties ; ainsi, le fait qu'ITD (la holding) ait fait payer le rachat de Samovie par elle-même ; l'augmentation de capital, en "circuit fermé" payé par Samovie, sur laquelle le dirigeant de droit s'est vu imposer une prise de participation à hauteur de 4 millions de francs ; les comptes courants débiteurs de toutes les sociétés dans la comptabilité de Samovie, sans qu'il soit fait état de facturation de contreparties équivalentes, et ce, sans que Jean-Pierre X... n'accepte de respecter les limites de la notion de gestion de groupe, alors que le commissaire aux comptes, en juin 1998, lui avait rappelé que le concours financier ne devait pas dépasser la "capacité" de la société Samovie ; que l'intention coupable résulte de la connaissance par Jean-Pierre X... des conséquences financières de ses méthodes de gestion par concours financiers immodérés de toutes natures ;
"1) alors que l'existence de l'intérêt personnel du dirigeant, élément essentiel du délit d'abus de biens sociaux, suppose que l'abus prétendu serve les intérêts de ce dirigeant et a contrario ne les desserve pas ; que l'absence d'enrichissement personnel de Jean-Pierre X... était expressément constaté par les juges du fond ; que, dans ses conclusions régulièrement déposées, celui-ci faisait valoir que l'intérêt personnel manquait en l'espèce en sa personne dès lors, d'une part, qu'il détenait pas moins de 78 % du capital de la société Samovie au détriment de laquelle les abus poursuivis auraient été commis c'est-à-dire une part du capital exactement semblable à celle qu'il détenait dans la société (Fluidelec) au profit de laquelle l'abus aurait été commis et dès lors, d'autre part, qu'il s'était porté caution personnelle dans la société Samovie dans des proportions plus importantes que celles qu'il avait consenties au profit de Fluidelec et de Somatec et qu'en ne s'expliquant pas sur ces chefs péremptoires de conclusions, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ;
"2) alors qu'en se bornant à affirmer que les concours de Samovie étaient dépourvus de contrepartie et avaient manifesté une rupture d'équilibre entre les engagements respectifs des diverses autres sociétés vis-à-vis de Samovie sans analyser, fût-ce succinctement, les conventions de trésorerie et d'assistance technique régulièrement versées aux débats par Jean-Pierre X... au soutien de ses conclusions (pièces n° 25 à 30 bis), la cour d'appel a mis la Cour de Cassation dans l'impossibilité de s'assurer que l'exception de groupe avait été écartée en conformité avec les dispositions de l'article L. 242-6 du Code de commerce ;
"3) alors que la notion de contrepartie dans le cadre d'un groupe de sociétés doit être appréciée, non seulement au regard de critères purement financiers mais également au regard de critères économiques lesquels commandent l'avenir tant du groupe que des sociétés qui le composent ; que, dans ses conclusions régulièrement déposées, Jean-Pierre X... faisait valoir qu'il était essentiel pour la survie de Samovie de conserver sa filiale Fluidelec car elle permettait, par sa notoriété, son savoir-faire et ses brevets, l'accès aux grands marchés publics et l'accès à certains partenariats européens et qu'en omettant de s'expliquer sur ce chef péremptoire de conclusions justifiant les concours apportés par Samovie à Fluidelec, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ;
"4) alors que les résultats d'un contrôle fiscal sauraient d'autant moins être retenus par les juges correctionnels saisis de faits susceptibles de constituer des abus de biens sociaux pour justifier leur décision que, d'une part, dans le cadre de leur saisine, le prévenu n'est pas recevable à invoquer devant eux le cas échéant les conditions irrégulières dans lesquelles le contrôle a pu être effectué, que, d'autre part, n'étant saisis d'aucune plainte par cette administration, ils ne disposent pas de l'entier dossier de la procédure fiscale et qu'enfin ils ne sauraient, par les motifs de leur décision, anticiper sur une éventuelle procédure ouverte pour fraude fiscale ;
"5) alors que la mauvaise foi au sens de l'article L. 242-6 du Code de commerce suppose la volonté de commettre en connaissance de cause un acte contraire à l'intérêt social et que la seule connaissance des conséquences financières de méthodes de gestion inadaptées ne permet pas à elle seule de caractériser cet élément constitutif du délit d'abus de biens sociaux" ;
Sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 126-1 et suivants du Code de commerce (196 et 197 de la loi n° 85-98 du 25 janvier 1985), 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Jean-Pierre X... coupable de banqueroute par emploi de moyens ruineux ;
"alors que l'intention frauduleuse, élément essentiel du délit de banqueroute par emploi de moyens ruineux en vue de retarder ou d'éviter le placement en redressement judiciaire manque lorsque le dirigeant ne retarde le dépôt de bilan qu'en raison de perspectives sérieuses de reprise de la société en cause ; que Jean-Pierre X... faisait valoir dans ses conclusions régulièrement déposées que la société Thyssen-Teledoc avait, dès le mois de décembre 1997 (c'est-à-dire dès avant la date de cessation des paiements des sociétés du groupe fixée par l'arrêt au 31 mars 1998), engagé des négociations de reprise des sociétés Fluidelec et Samovie ; que ces négociations avaient été marquées par des étapes précises et étaient suivies par les banques du groupe ITD ; que leur caractère sérieux excluait toute intention frauduleuse de sa part et qu'en ne recherchant pas si le retard dans le dépôt de bilan des sociétés Samovie et Fluidelec n'était pas justifié dans l'esprit du dirigeant par les perspectives sérieuses de reprise des sociétés du groupe, la cour d'appel n'a pas, abstraction faite de motifs inopérants, légalement justifié sa décision des condamnations" ;
Les moyens étant réunis ;
Attendu que les énonciations de l'arrêt attaqué mettent la Cour de Cassation en mesure de s'assurer que la cour d'appel a, sans insuffisance ni contradiction, répondu aux chefs péremptoires des conclusions dont elle était saisie et caractérisé en tous leurs éléments, tant matériels qu'intentionnel, les délits dont elle a déclaré le prévenu coupable ;
D'où il suit que les moyens, qui se bornent à remettre en question l'appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause, ainsi que des éléments de preuve contradictoirement débattus, ne sauraient être admis ;
Mais sur le moyen relevé d'office, après avis donné aux parties et les observations de l'avocat du demandeur, pris de la violation de l'article 131-27 du Code pénal ;
Vu ledit article ;
Attendu que l'interdiction d'exercer une activité professionnelle ou sociale est soit définitive soit temporaire ; que, dans ce dernier cas, elle ne peut excéder une durée de 5 ans ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué qu'après avoir déclaré Jean-Pierre X... coupable de banqueroute, les juges du second degré l'ont condamné à 10 ans de faillite personnelle qui, aux termes de l'article L. 625-2 du Code de commerce, emporte interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole et toute personne morale ayant une activité économique ;
Mais attendu qu'en prononçant ainsi, la cour d'appel a méconnu le texte susvisé ;
D'où il suit que la cassation est encourue ; qu'elle aura lieu sans renvoi, la Cour de Cassation étant en mesure d'appliquer directement la règle de droit et de mettre fin au litige, ainsi que le permet l'article L. 131-5 du Code de l'organisation judiciaire ;
Par ces motifs,
CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Versailles, en date du 6 novembre 2002, en ses seules dispositions ayant prononcé, à l'encontre de Jean-Pierre X..., la peine de 10 ans de faillite personnelle, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
DIT que la durée de la faillite personnelle que doit subir Jean-Pierre X... est de 5 ans ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi.