CA Bordeaux, 2e ch., 2 février 2023, n° 22/02660
BORDEAUX
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Défendeur :
Pigeon San (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Poirel
Conseillers :
M. Desalbres, Mme Defoy
Avocats :
Me Lecomte-Roger, Me Aymard Cezac
EXPOSE DU LITIGE ET DE LA PROCÉDURE
Monsieur [X] [H] a acquis auprès de la S.A.R.L. Pigeon San, concessionnaire de la marque Nissan implanté dans la commune de [Localité 3], un véhicule de marque Nissan modèle Juke 1,6L Acenta/Tekna, immatriculé [Immatriculation 4]. L'engin était doté d'une boîte automatique. Le montant de la transaction, en l'occurrence la somme de 20.370 €, a été réglé par l'acquéreur le 31 janvier 2013.
Ce véhicule a été régulièrement entretenu par la S.A.R.L. Pigeon San en 2014, 2015, 2016, 2017, et 2018.
Le 01 mars 2019, M. [H], déclarant au concessionnaire que son automobile émettait un bruit métallique lorsqu'elle était en fonctionnement, lui a demandé de réaliser un diagnostic et procéder à une estimation du coût de son intervention afin de remédier à ce problème.
Après avoir réalisé une première estimation du coût des travaux, la S.A.R.L. Pigeon San fournissait un deuxième avis technique daté du 1er mars 2019 concluant à la nécessité de procéder au remplacement de la boîte de vitesses pour un montant de 14.050,07 € TTC.
Des échanges de courriers entre le propriétaire de l'engin, la S.A.R.L. Pigeon San mais également le constructeur n'ont pas permis de parvenir à un accord sur la somme devant demeurer à charge de M. [H].
Par acte du 24 octobre 2019, M. [H] a assigné la S.A.R.L. Pigeon San et la Société par Actions Simplifiées Nissan West Europe devant le président du tribunal d'instance de Bordeaux afin d'obtenir l'instauration d'une mesure d'expertise judiciaire.
L'ordonnance du 10 juillet 2020 a fait droit à sa demande et désigné M. [O] tout en mettant hors de cause la S.A.S. Nissan West Europe.
Le rapport de l'expert judiciaire a été déposé le 29 mars 2021.
Suivant un acte d'huissier du 10 septembre 2021, M. [H] a assigné la S.A.R.L. Pigeon San afin d'obtenir, sur le fondement de l'article 1116 du code civil ou subsidiairement sur le fondement de la garantie des vices cachés, le remboursement de frais de réparation, de location et d'assurance.
Dans des conclusions d'incident en date du 26 novembre 2021, la société Pigeon San a demandé au juge de la mise en état de déclarer l'action de M. [H] irrecevable en raison de sa prescription et de le condamner à lui verser la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
L'ordonnance rendue le 10 mai 2022 par le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Bordeaux a :
- déclaré irrecevable la demande de M. [H] ;
- dit que chaque partie conserve à sa charge les frais engagés non compris dans les dépens ;
- condamné M. [H] aux dépens.
M. [H] a relevé appel de l'intégralité du dispositif de cette décision le 1er juin 2022.
M. [H], dans ses dernières conclusions d'appelant en date du 27 juillet 2022, demande à la cour, au visa des articles du 1137, 1231 et suivants, 1641, 514 et suivants, 2233 et 2234 du code civil et 122 du code de procédure civile, de :
- réformer l'ordonnance du juge de la mise en état du 10 mai 2022 en ce qu'elle :
- a déclaré irrecevable sa demande,
- a dit que chaque partie conservant sa charge les frais engagés non compris dans les dépens,
- l'a condamné aux dépens.
Et, statuant à nouveau sur ces points :
Sur les dispositions de l'article 1137 du code civil relatif au dol et au défaut d'information,
- le déclarer recevable en son action,
- rejeter les demandes formulées par la société Pigeon San visant à le voir déclarer irrecevable en ses demandes,
Sur les dispositions de l'article 1641 et suivant du code civil relatif aux vices cachés,
- le déclarer recevable en son action,
- rejeter les demandes formulées par la société Pigeon San visant à le voir déclarer irrecevable en ses demandes,
- rejeter les demandes formulées par la société Pigeon San visant à le voir déclarer irrecevable en ses demandes sur le fondement de l'autorité de chose jugée,
- condamner la société Pigeon San au paiement de la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens de l'incident et d'appel,
La société Pigeon San, dans ses dernières conclusions d'intimée en date du 18 novembre 2022, demande à la cour, au visa des articles 122, 789 codes de procédure civile, L.110-4 du code de commerce, de :
- la déclarer recevable et bien fondée,
- confirmer en toutes ses dispositions l'ordonnance attaquée qui a déclarée M. [H] irrecevable en ses demandes formées à son encontre,
Y ajoutant,
- débouter Monsieur [H] de ses demandes fins et conclusions,
- condamner Monsieur [H] à payer à la société Pigeon San la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner Monsieur [H] aux entiers dépens.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 21 novembre 2022.
Pour une plus ample connaissance du litige et des prétentions et moyens des parties, il est fait expressément référence aux dernières conclusions et pièces régulièrement communiquées par les parties.
MOTIVATION
Sur la recevabilité de l'action fondée sur le dol,
Le juge de la mise en état a fait droit à la fin de non-recevoir soulevée par S.A.R.L. Pigeon San et a estimé que l'action était prescrite en considérant que le point de départ du délai de cinq années devait être fixé à la date de la vente, soit le 31 janvier 2013, alors que l'assignation en référé a été initiée par M. [H] le 24 octobre 2019.
L'appelant sollicite la réformation de l'ordonnance attaquée en soutenant à raison que la prescription quinquennale de l'action en nullité pour dol a pour point de départ le jour où le contractant a découvert l'erreur ou la réticence dolosive qu'il allègue (Civ. 1re, 11 sept. 2013, n° 12-20.816).
Il n'appartient pas à la cour de se prononcer à ce stade sur l'existence du dol mais, au regard des éléments fournis par les parties, il doit être considéré que M. [H] a eu connaissance des dysfonctionnements de la boîte de vitesses qui lui auraient été volontairement cachés par son vendeur :
- soit à la date 1er avril 2019 qui correspond à la connaissance par l'acquéreur de l'avis technique établi par la S.A.R.L. Pigeon San ;
- soit à la date du 29 mars 2021 qui correspond à celle du dépôt du rapport d'expertise judiciaire.
Il sera précisé que le report du point de départ n'a pas pour effet de porter le délai de la prescription extinctive au-delà de vingt ans à compter du jour de la naissance du droit en application des dispositions de l'article 2232 du code civil.
L'assignation au fond de M. [H] ayant été délivré à la S.A.R.L. Pigeon San le 10 septembre 2021, soit moins de cinq années après la date à laquelle il peut être considéré qu'il a eu connaissance des éléments lui laissant penser que son vendeur s'est rendu coupable d'un dol à son égard.
L'ordonnance entreprise est donc infirmée de ce chef.
Sur la prescription de l'action en garantie des vices cachés.
Aux termes des dispositions de l'article 1648 du code civil, l'action en résolution de la vente doit être intentée dans un délai de deux ans à compter de la découverte du vice rédhibitoire.
L'article 2224 du code civil prévoit une prescription quinquennale identique en matière d'actions personnelles ou mobilières courant à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'agir.
Le tribunal a fait droit à la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action fondée sur la garantie des vices cachés au motif que « si M. [H] a bien saisi le tribunal dans le délai de deux ans de l'article 1648 à compter du dépôt [du rapport] d'expertise ayant comme point de départ la connaissance du vice, il reste que ce délai doit s'articuler avec le délai de prescription de cinq ans qui commence à courir à compter de la vente, en l'espèce le 31 janvier 2013 ».
Alors qu'il n'est pas contesté que l'action a bien été intentée dans les deux ans de la découverte du vice et que seul fait litige le délai dans lequel l'action est encadrée, M. [H] soutient que le premier juge a fait une mauvaise application des dispositions de l'article L. 110-4 du code de commerce en ce qu'il a retenu que ce délai courait à compter de la vente, ne tenant pas compte d'une évolution jurisprudentielle faisant courir le point de départ de la prescription de l'article L. 110-4 du code de commerce à compter de la découverte du vice. Il prétend encore que le délai de l'article 1648 qui est un délai glissant ne peut être encadré dans un délai lui-même glissant et qu'en conséquence le délai butoir à appliquer depuis la réforme de la prescription du 17 juin 2008 serait celui de l'article 2232 du code civil.
C'est à juste titre que M. [H] soutient que le délai dans lequel l'action en garantie des vices cachés qui court à compter de la connaissance du vice est encadrée ne peut lui même être un délai glissant sauf à vider de toute utilité ce délai d'encadrement.
Cependant le tribunal a retenu que le délai de prescription de l'article 1648 du code civil est encadrée dans le délai de cinq ans courant à compter de la vente de l'article L. 110-4 du code [de commerce] qui ne constitue donc pas un délai glissant.
Pour autant, l'article L. 110-4 du code de commerce dans sa rédaction résultant de la loi du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription ne prévoit aucun point de départ du délai de 5 ans qu'il institue, alors même que la réforme de la prescription a institué des délais de prescription plus court mais courant à compter de la connaissance des faits permettant d'agir.
Par ailleurs, L'article L. 110-4 du code de commerce institue un délai de prescription autonome mais n'est pas rédigé comme constituant un délai butoir.
Or, la loi du 17 juin 2008 a créé l'article 2232 du code civil selon lequel le report du point de départ, la suspension ou l'interruption de la prescription ne peut avoir pour effet de porter le délai de la prescription extinctive au-delà de vingt ans à compter du jour de la naissance du droit. Il s'agit d'un véritable délai butoir courant à compter de la naissance du droit, soit en matière de vice caché à compter de la vente, en sorte que pour les actions en garantie des vices cachés intentées à compter du 19 juin 2008, celles-ci sont encadrées dans le double délai de l'article 1648 du code civil et de l'article 2232 du code civil courant à compter de la vente, y compris pour les ventes entre particuliers et commerçant.
En conséquence, la demande subsidiaire présentée le 10 septembre 2021 à l'encontre de la S.A.R.L. Pigeon San sur le fondement de la garantie des vices cachés n'est pas prescrite. L'ordonnance déférée sera donc également infirmée sur ce point.
Sur l'article 700 du code de procédure civile.
Si la décision de première instance doit être confirmée, il y a pas en cause d'appel, au regard de l'infirmation de la décision attaquée, de mettre à la charge de la S.A.R.L. Pigeon San le versement au profit de M. [H] d'une indemnité de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et de rejeter les autres demandes de ce chef.
Les dépens de première instance et d'appel seront à la charge de la S.A.R.L. Pigeon San.
PAR CES MOTIFS
- Confirme l'ordonnance rendue le 10 mai 2022 par le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Bordeaux en ce qu'il a rejeté les demandes présentées par les parties sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- L'infirme pour le surplus et, statuant à nouveau :
- Déclare recevable la demande principale en résolution de la vente du véhicule de marque Nissan modèle Juke 1,6L Acenta/Tekna, immatriculé [Immatriculation 4] en raison de l'existence d'un dol présentée par M. [X] [H] à l'encontre de la société à responsabilité limitée Pigeon San ;
- Déclare recevable la demande en résolution de la vente du 29 décembre un véhicule de marque Nissan modèle Juke 1,6L Acenta/Tekna, immatriculé [Immatriculation 4] présentée à titre subsidiaire par M. [X] [H] à l'encontre de la société à responsabilité limitée Pigeon San sur le fondement de la garantie des vices cachés ;
- Condamne la société à responsabilité limitée Pigeon San au paiement des dépens de première instance ;
Y ajoutant ;
- Condamne la société à responsabilité limitée Pigeon San à verser à M. [X] [H] une somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Rejette les autres demandes présentées sur ce fondement ;
- Condamne la société à responsabilité limitée Pigeon San au paiement des dépens d'appel.