Cass. 1re civ., 8 février 2023, n° 21-22.828
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
Samson (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Chauvin
Rapporteur :
Mme Le Gall
Avocats :
SCP Piwnica et Molinié, SCP Boullez
Faits et procédure
2. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 9 septembre 2021), rendu sur renvoi après cassation (1re Civ., 22 mai 2019, pourvoi n° 17-31.320, publié), la société [X] conseil (la société [X]), ayant pour objet « toutes prestations des services et d'information dans les domaines administratifs, commerciaux, civils et financiers », ainsi que « l'aide, l'assistance à toute personne physique ou morale et les formalités de toutes natures auprès d'administrations, organismes de toutes sortes », exploite notamment un site internet intitulé www.sauvermonpermis.com.
3. Le 21 octobre 2013, la société Samson, société d'avocats, soutenant que la société [X] se livrait à des actes de concurrence déloyale et de parasitisme, ainsi qu'à des pratiques commerciales trompeuses, au moyen de son site internet, l'a assignée, ainsi que Mme [M] [X], sa gérante, en paiement de dommages-intérêts et en injonction, sous astreinte, de retirer de ce site toutes publicité et offre de service et tous actes de démarchage, visant des consultations juridiques et la rédaction d'actes juridiques, ainsi que toute publicité et toute offre de service constitutives de pratiques commerciales trompeuses.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
4. La société Samson fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes formées contre la société [X] au titre du site « sauvermonpermis.com », alors « que constitue un acte de démarchage prohibé en matière juridique le fait pour une personne qui n'y est pas légalement habilitée d'offrir ses services en vue de donner des consultations ou de rédiger des actes en matière juridique ; qu'il n'est pas nécessaire qu'il y ait exercice consommé d'une activité illicite de consultation juridique de la part de l'auteur du démarchage, lequel est interdit en tant que tel ; que la Selarl Samson faisait valoir que le site « sauvermonpermis.com » proposait d'assister et faire représenter les justiciables devant les juridictions de jugement en étudiant leur dossier et en leur proposant les services d'un avocat, ce que la cour d'appel a elle-même constaté ; qu'elle a ainsi relevé que le site « sauvermonpermis.com » offrait les services d'avocats partenaires en vue d'exercer un mandat d'assistance et de représentation en justice et que la société [X], société de nature commerciale, diffusait des offres de services en vue de faire délivrer des consultations juridiques par des avocats partenaires, lesquels pouvaient également les assister en cas de « convocation au tribunal » ; qu'en énonçant de façon inopérante, pour dire qu'il n'y avait pas en l'espèce démarchage juridique prohibé, que la Selarl Samson n'établissait pas qu'étaient réalisées pour l'internaute des consultations juridiques telles que précédemment définies, soit une prestation intellectuelle personnalisée concourant à la prise de décision du bénéficiaire de la consultation, ou qu'étaient rédigés des actes en matière juridique, les services proposés étant ceux de l'avocat partenaire et non ceux de la société [X], la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et a violé les articles 66-4 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 et 1er du décret n° 72-785 du 25 août 1972 modifié. »
Réponse de la Cour
5. L'article 66-4 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 sanctionne pénalement quiconque se sera livré au démarchage en vue de donner des consultations ou de rédiger des actes en matière juridique.
6. L'article 1er du décret n° 72-785 du 25 août 1972 précise que constitue un acte de démarchage, au sens de l'article 66-4, le fait d'offrir ses services en vue de donner des consultations ou de rédiger des actes en matière juridique ou de provoquer à la souscription d'un contrat aux mêmes fins, notamment en se rendant personnellement ou en envoyant un mandataire soit au domicile ou à la résidence d'une personne, soit sur les lieux de travail, de repos, de traitement ou dans un lieu public.
7. Ayant retenu que le site internet litigieux ne donnait à l'internaute que des informations à caractère documentaire sur l'état du droit et de la jurisprudence et qu'il se bornait à proposer une mise en relation avec un avocat partenaire sans assurer de consultation juridique ni de rédaction d'actes juridiques, la cour d'appel en a justement déduit que la société [X] n'avait pas commis de démarchage juridique.
8. Le moyen n'est donc pas fondé.
Sur le deuxième moyen
Enoncé du moyen
9. La société Samson fait le même grief à l'arrêt, alors :
« 1°/ que la représentation et l'assistance en justice sont exclues des activités relevant du commerce électronique, par lequel une personne propose ou assure à distance et par voie électronique la fourniture de biens ou de services ; que le site internet édité par une société commerciale, proposant à distance et par voie électronique la fourniture de services tendant à la mise en relation de l'internaute avec un avocat et donc à une assistance et à une représentation en justice, contrevient à la prohibition en ce domaine du commerce électronique ; qu'en énonçant que la proposition à distance, par voie électronique, d'une mise en relation de l'internaute avec un avocat indépendant n'était pas constitutive en soi d'une représentation ou d'une assistance en justice, et n'était donc pas interdite, la cour d'appel a violé les articles 14 et 16, 2° de la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique ;
2°/ qu'il appartient à l'annonceur de démontrer l'exactitude de ses allégations publicitaires ; qu'en énonçant, pour débouter la société Samson de ses demandes, qu'elle ne rapportait pas la preuve de la fausseté des affirmations de la société [X] selon lesquelles les internautes étaient mis en relation avec des avocats, quand il incombait à la société [X], annonceur, de démontrer la véracité des allégations figurant sur son site, la cour d'appel, qui a exigé de la société Samson de rapporter une preuve négative, et en a inversé la charge, a violé l'article 1353 du code civil. »
Réponse de la Cour
10. Il résulte des articles 14 et 16, 2°, de la loi du n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique que l'activité économique de commerce électronique par laquelle une personne propose ou assure à distance et par voie électronique la fourniture de biens ou de services ne peut inclure la représentation et l'assistance en justice.
11. Ayant retenu que le site litigieux ne proposait pas à l'internaute une représentation ou une assistance en justice, mais seulement une mise en relation avec un avocat partenaire, c'est à bon droit et sans inverser la charge de la preuve que la cour d'appel en a déduit que cette mise en relation n'était pas constitutive d'une prestation prohibée par l'article 16, 2°, précité.
12. Le moyen n'est donc pas fondé.
Sur le troisième moyen
Enoncé du moyen
13. La société Samson fait le même grief à l'arrêt, alors :
« 1°/ que l'usage par une société de nature commerciale du terme « avocat » pour proposer ses services, accompagné de tous les signes visuels de représentation de cette profession réglementée, est de nature à altérer de manière substantielle le comportement économique du consommateur, en lui laissant penser que le site est exploité par des avocats ou que tous les services proposés émanent d'avocats ; qu'en énonçant, pour écarter néanmoins toute pratique commerciale trompeuse de la société [X] , que l'usage répété du terme "avocat" sur le site « sauvermonpermis.com », ou les photographies illustrant ces écrans, n'étaient pas de nature à créer dans l'esprit du public une confusion sur la qualité du site, dès lors que les conditions générales d'utilisation de celui-ci précisaient que la société éditrice ne représentait pas un cabinet d'avocats et que le site se limitait à mettre en relation l'internaute avec un avocat partenaire, indépendant du site et de la société qui l'exploite, la cour d'appel a violé l'article L 121-1, devenu L 121-2, du code de la consommation ;
2°/ qu'il appartient à l'annonceur de démontrer l'exactitude de ses allégations publicitaires ; que la Selarl Samson faisait valoir que la société [X] usait de pratiques commerciales trompeuses en prétendant sur son site travailler avec des « avocats partenaires », ce qui n'était pas le cas ; qu'en énonçant, pour rejeter ce grief, que la société Samson ne rapportait pas la preuve de la fausseté desdits messages publicitaires, quand il incombait à la société [X], annonceur, de démontrer la véracité de ses allégations et de justifier de ce que les internautes démarchés étaient effectivement mis en relation avec des avocats, dont le nom leur était communiqué, la cour d'appel a violé l'article L 121-1, devenu L 121-2, du code de la consommation, ensemble l'article 1353 du code civil. »
Réponse de la Cour
14. Selon l'article L. 121-1, 3°, devenu L. 121-2, 3°, du code de la consommation, une pratique commerciale est trompeuse si elle est commise notamment lorsque la personne pour le compte de laquelle elle est mise en oeuvre n'est pas clairement identifiable.
15. Ayant relevé, d'abord, que les conditions générales d'utilisation du site litigieux précisaient que la société éditrice ne représentait pas un cabinet d'avocat et n'était pas un cabinet d'avocats, que le site se limitait à mettre en relation l'internaute avec un avocat partenaire, que la société n'avait aucun rôle juridique, n'était habilitée à donner aucune consultation et se bornait à un accompagnement administratif et comptable, ensuite, que les captures d'écran du site montraient qu'il n'était proposé à l'internaute qu'une mise en relation avec un avocat, la cour d'appel en a souverainement déduit, sans inverser la charge de la preuve, que l'internaute normalement informé et raisonnablement attentif comprenait qu'il n'était pas sur le site d'un cabinet d'avocats.
16. Le moyen n'est donc pas fondé.
Sur le quatrième moyen
Enoncé du moyen
17. La société Samson fait le même grief à l'arrêt, alors :
« 1°/ que la société Samson produisait un constat d'huissier du 23 octobre 2014 faisant état d'une annonce commerciale pour le site « sauvermonpermis.com » sur le moteur de recherche Google, dans laquelle figurait le terme « avocat » ; qu'en énonçant, pour débouter la société Samson de ses demandes fondées sur les annonces commerciales de la société [X] faisant indûment état du titre d'avocat et créant la confusion sur cette qualité, que le lien proposé par le moteur de recherche Google vers le site litigieux n'évoquait pas la qualité d'avocat, la cour d'appel a méconnu le principe de l'interdiction faite au juge de dénaturer les documents de la cause ;
2°/ qu'en s'abstenant de répondre aux conclusions de la Selarl Samson qui faisait valoir que les annonces commerciales diffusées par la société [X] sur un moteur de recherche étaient constitutives d'actes de démarchage prohibé en matière juridique, la cour d'appel a méconnu les exigences de l'article 455 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
18. La cour d'appel n'a pas dénaturé le constat d'huissier en relevant que l'annonce commerciale en cause présentait, sous l'indication "avocat droit routier" également utilisée par d'autres sites, le nom du site www.sauvermonpermis.com/Code-la-route, puis "Besoin d'un expert pour récupérer votre permis ? On s'occupe de vous", puis en énonçant que cette indication sous le nom du site ne faisait pas référence à la qualité d'avocat.
19. Dès lors qu'elle a retenu que le site litigieux indiquait clairement qu'il proposait une mise en relation avec des avocats partenaires, précisait qu'il n'était pas un cabinet d'avocat et ne pratiquait pas de démarchage juridique, la cour d'appel n'était pas tenue de suivre les parties dans le détail de leur argumentation.
20. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Samson aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Samson et la condamne à payer à la société [X] la somme de 4 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du huit février deux mille vingt-trois.