CA Rennes, 2e ch., 19 juin 2007, n° 04/06898
RENNES
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Mazureau
Défendeur :
Charal (SAS), Cabinet Loic Josso (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Cocchiello
Conseillers :
Mme Serrin, Mme Boisselet
Avoués :
SCP Jacqueline Brebion et Jean-David Chaudet, SCP Castres, Colleu, Perot & Le Couls-Bouvet
Avocats :
Me Le Fustec, Me Barbeau
EXPOSE DU LITIGE
I /
La société LES CHARCUTERIES DU DON a été créée en 1987, les parts de cette société étant détenues par Messieurs AIRIAUD, ROUSSEL, MOQUET et MAZUREAU.
En 1995, Monsieur AIRIAUD a racheté par l'intermédiaire d'une société holding, la société AIRDOR les participations de tous les autres associés, de telle sorte que la société AIRDOR possédait 100 % du capital social de la société LES CHARCUTERIES DU DON.
Le 12 décembre 2000, la société CHARAL a racheté 100 % des parts sociales détenues par la société AIRDOR dans la société LES CHARCUTERIES DU DON.
En 2004, le fonds de commerce de la société LES CHARCUTERIES DU DON a été donné en location-gérance à la société CHARAL.
II /
La société à responsabilité limitée LE LAC a été créée en 1991 par la société LES CHARCUTERIES DU DON. Elle détient, dans le cadre de contrats de crédit-bail, des bâtiments à usage de bureaux et de production de la société LES CHARCUTERIES DU DON. Les immeubles ainsi pris en crédit-bail ont été loués à la société LES CHARCUTERIES DU DON.
Son capital était détenu à l'origine par la famille AIRIAUD à 90 % et par Monsieur MAZUREAU à hauteur de 10 %. Ultérieurement, 10 % du capital a été rétrocédé par la famille AIRIAUD à la société LES CHARCUTERIES DU DON de telle sorte que le capital était détenu à hauteur de 10 % par la société LES CHARCUTERIES DU DON, à hauteur de 80 % par la famille AIRIAUD, et à hauteur de 10 % par Monsieur MAZUREAU.
Le 31 mars 2001, la société CHARAL a acheté 80 % des parts de la société LE LAC que détenait la famille AIRIAUD.
III /
Lors de l'assemblée générale extraordinaire du 31 décembre 2001, la fusion absorption de la société LE LAC par la société LES CHARCUTERIES DU DON était décidée, en dépit de l'opposition de Monsieur MAZUREAU.
C'est la validité de cette opération que conteste Monsieur MAZUREAU qui en demande la nullité.
Selon jugement du 16 septembre 2004, le tribunal de commerce de NANTES a :
Reçu Jean MAZUREAU dans sa demande ;
Constaté la régularité de la fusion intervenue entre les sociétés LE LAC et LES CHARCUTERIES DU DON ;
Constaté la régularité de la fusion intervenue entre les sociétés LE LAC et LES CHARCUTERIES DU DON ;
Constate l'inexistence d'un quelconque abus de majorité de la part de l'actionnaire majoritaire, la société CHARAL ;
Débouté Jean MAZUREAU de ses demandes ;
Condamné Jean MAZUREAU à verser 1 Euro de dommages- intérêts à la société CHARAL et l Euro de dommages - intérêts à la société LES CHARCUTERIES DU DON ;
Condamné Jean MAZUREAU à verser à la société CHARAL une somme de 10.000 Euros au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;
Décerne acte au Cabinet JOSSO que la communication des pièces demandées par Jean MAZUREAU est satisfaisante ;
Constate que Jean MAZUREAU ne formule aucune autre demande au Cabinet LOIC JOSSO ;
Jean MAZUREAU a interjeté appel de cette décision.
Il demande à la cour de :
Constater que l'action en nullité de la fusion entre les sociétés LE LAC et LES CHARCUTERIES DU DON, fondée sur la fraude, n'est pas prescrite,
Constater que la demande de la société CHARAL est dénuée de fondement dès lors que Monsieur MAZUREAU n'a jamais formulé de demande visant à constater la nullité de l'assemblée ayant décidé le principe de fusion,
Constater que les demandes de Jean MAZUREAU ne constituent pas de nouvelles prétentions,
Déclarer Jean MAZUREAU recevable dans l'intégralité de ses demandes en appel,
Constater que l'approbation par la société LE LAC de la fusion entre elle et la SAS LES CHARCUTERIES DU DON devait intervenir au plus tard le 31 décembre 2001 à peine de caducité,
Constater qu'au cours de la réunion du 3l décembre 200l, les première, deuxièmes et troisièmes résolutions proposées à l'assemblée générale de la société LE LAC ayant pour objet l'approbation de ladite fusion et ses conséquences n'ont recueilli que 900 voix sur les 1000 droits de vote attachés aux parts sociales composant le capital de la société LE LAC,
Dire en conséquence que lesdites résolutions n'ont pas été adoptées à défaut de l'unanimité requise,
Constater en conséquence que la date du 31 décembre 2001 est survenue sans que le projet de traité de fusion entre la société LE LAC et la SAS LES CHARCUTERIES DU DON ait été régulièrement approuvé par la société LE LAC,
constater en conséquence que le traité de fusion du 24 octobre 2001 entre les sociétés LE LAC et LES CHARCUTERIES DU DON est nul et non avenu,
ordonner en conséquence au représentant légal des sociétés LE LAC et LES CHARCUTERIES DU DON de procéder dans le mois suivant l'arrêt de la Cour à intervenir, à la modification des mentions de publicité légales concernant lesdites sociétés afin de les mettre en conformité avec la décision de la Cour,
Assortir cette obligation d'une astreinte de 1.500 Euros par jour de retard
À titre subsidiaire,
Vu les articles 143 du Nouveau Code de Procédure Civile,
ordonner, aux frais avancés de la société CHARAL, la désignation de tel expert qu'il lui plaira avec pour mission d'auditer la valorisation des sociétés LE LAC et LES CHARCUTERIES DU DON ainsi que les conditions de parité dans lesquelles la fusion de ces sociétés est intervenue, de dire si les conditions de réalisation de la fusion des sociétés LE LAC et LES CHARCUTERIES DU DON ont été équitables pour l'ensemble des associés, d'évaluer le préjudice subi par Monsieur MAZUREAU du fait du caractère inéquitable des conditions de la fusion des sociétés LE LAC et LES CHARCUTERIES DU DON,
Vu l'article 1382 du code civil,
constater que la fusion entre les sociétés LE LAC et LES CHARCUTERIES DU DON n'a été réalisée que pour contourner l'exigence posée par l'article L 227-3 du Code de commerce qui exige une décision unanime des associés pour transformer une société en SAS,
en conséquence, déclarer la nullité de la fusion intervenue entre les sociétés LE LAC et LES CHARCUTERIES DU DON pour fraude à la loi,
constater, dire et juger que la société CHARAL, venue aux droits de la société LES CHARCUTERIES DU DON, a commis une fraude par abus de majorité au détriment de Monsieur MAZUREAU ayant abouti à la dilution abusive de la participation de ce dernier dans le capital de la société LES CHARCUTERIES DU DON, devenue société CHARAL,
en conséquence, déclarer la nullité de la fusion intervenue entre les sociétés LE LAC et LES CHARCUTERIES DU DON, devenue société CHARAL,
constater, dire et juger que les agissements de la société CHARAL ont causé un préjudice à Monsieur MAZUREAU qui peut être estimé au minimum à 152.449,01 Euros, majoré des intérêts légaux à compter de la date d'effet de la fusion, à parfaire en fonction de l'expertise qui sera ordonnée par la Cour,
condamner la société CHARAL, au titre du préjudice subi par Monsieur MAZUREAU, au paiement de la somme de 152.449,01 Euros majoré des intérêts légaux à compter de la date de la fusion, à parfaire en fonction des résultats de l'expertise qui sera ordonnée,
ordonner, à titre provisoire et conservatoire, et dans l'attente des résultats de l'expertise sollicitée, le paiement immédiat à Monsieur MAZUREAU de la somme de 152.449,01 Euros,
Débouter la société CHARAL de toutes ses demandes,
Vu les articles 696 et 700 du nouveau Code de procédure civile,
condamner la société CHARAL au paiement de la somme de 20.000 Euros majorée de la TVA au titre de l'article 700 du Nouveau Code de procédure civile,
Condamner la société CHARAL au paiement des entiers aux entiers dépens de première instance et d'appel, en ce compris les frais d'expertises, qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile par la SCP JJ BAZILLE - P GENICON - S GENICON, Avoués Associés.
Monsieur MAZUREAU expose :
Que sa demande n'est pas prescrite, qu'il agit en nullité pour fraude à la loi, que sa demande n'est pas nouvelle, que demander la nullité du traité de fusion ou demander la nullité de la fusion tendent au même objet, qu'il ne demande pas la nullité de l'assemblée générale,
que la fusion est intervenue frauduleusement, qu'elle a été utilisée pour détourner les dispositions de l'article L 227-3 du Code de commerce qui exige une décision unanime des associés, qu'en effet, l'article L 227-3 Code de commerce, texte applicable à la transformation en société par actions simplifiée est applicable selon la doctrine à l'absorption par une société par actions simplifiée d'une société d'une autre forme, que l'unanimité des actionnaires s'impose, qu'en l'espèce, la décision n'a pas été prise à l'unanimité, que le traité de fusion est nul et non avenu, qu'on voulait en fait lui imposer une forme sociale dont il ne voulait pas, la société par actions simplifiée,
subsidiairement, que la fusion est intervenue frauduleusement, de telle sorte qu'elle est nulle, que l'action se prescrit ainsi par trente ans, que la fraude avait pour objet de léser l'actionnaire minoritaire par le biais d'un abus de majorité, que des évaluations de l'actif de la société absorbée (ensembles immobiliers, rentabilité) ont été faites frauduleusement, que LES CHARCUTERIES DU DON ont été surévaluées, que les conditions de la fusion sont opaques, qu'il fallait diluer la participation de Monsieur MAZUREAU au profit de l'actionnaire majoritaire, qu'il a subi un préjudice.
La société CHARAL demande à la cour de :
In limine litis :
Concernant la demande de Monsieur MAZUREAU tendant à la nullité pour non-respect des règles de majorité applicable de l'assemblée ayant décidé le principe de la fusion,
Vu l'article 564 du Nouveau Code de procédure civile et le principe de l'immutabilité du litige, et vu l'article L. 235-9 du Code de commerce,
Déclarer irrecevable la demande de M. MAZUREAU tendant à la nullité pour non-respect des règles de majorité applicable de l'assemblée ayant décidé le principe de la fusion en ce que celle-ci constitue une demande nouvelle au sens de l'article 564 du Nouveau Code de procédure civile,
En tout état de cause, constater que cette demande est prescrite, car présentée hors le délai prévu par l'article L235-9 du Code de commerce,
Rejeter en conséquence les demandes de M. MAZUREAU à ce titre,
Sur la demande principale de M. MAZUREAU tendant à voir constater la nullité pour fraude de la fusion contestée,
Vu l'article L235-9 alinéa 2 du Code de commerce,
Déclarer forclose l'action en nullité de la fusion intervenue entre les sociétés LE LAC et LES CHARCUTERIES DU DON intentée par Monsieur MAZUREAU,
Rejeter la demande de nullité de la fusion intervenue entre les société LE LAC et LES CHARCUTERIES DU DON intentée par Monsieur MAZUREAU,
En conséquence, le débouter de toutes ses demandes et conclusions.
Si, par extraordinaire, la Cour décidait d'un examen au fond de ces demandes, AU FOND :
Concernant la demande de Monsieur MAZUREAU tendant à la nullité pour non-respect des règles de majorité applicable de l'assemblée ayant décidé le principe de la fusion,
Vu les articles L223-30, L223-43, L227-3, L236-1 à L236-24, du Code de commerce, et les divers principes généraux du droit cités aux présentes,
Constater que la demande de Monsieur MAZUREAU est mal fondée en droit comme en fait,
rejeter en conséquence la demande présentée par Monsieur MAZUREAU tendant à faire constater la nullité de l'assemblée ayant décidé la fusion contestée au motif du non-respect des règles de majorité applicables,
Sur la demande principale de Monsieur MAZUREAU tendant à voir constatée la nullité pour fraude de la fusion contestée
Vu l'article 1134 du Code civil,
Constater la régularité de la fusion intervenue entre les sociétés LE LAC et LES CHARCUTERIES DU DON, notamment en ce qui concerne la procédure en elle-même et les parités retenues,
Constater que Monsieur MAZUREAU a reçu toutes informations utiles et que les obligations légales ont été respectées,
Constater l'inexistence d'un quelconque abus de majorité de la part de l'actionnaire majoritaire, la société CHARAL, dans le cadre de cette fusion, ainsi que dans celui, plus général, des diverses opérations de réorganisation du Groupe CHARCUTERIES DU DON,
Reconnaître la mauvaise foi de Monsieur MAZUREAU,
Constater, au vu de ce qui précède et notamment du rapport d'expertise de Monsieur CHARRON, l'inexistence des préjudices dont il se prévaut,
En conséquence, le débouter de toutes ses demandes et conclusions,
Concernant l'ensemble des demandes et conclusions de Monsieur MAZUREAU,
Vu le comportement abusif de Monsieur MAZUREAU, ainsi que la résistance dolosive dont il fait preuve,
Le condamner à verser 5.000 € de dommages et intérêts à la société CHARAL pour procédure abusive et dilatoire,
Le condamner à verser, au titre de l'article700 du Nouveau Code de procédure civile une somme de 25.000 €, majorée de la TVA à la société CHARAL, qui a dû engager des frais importants, pour faire face aux multiples demandes abusives de M. MAZUREAU et à de nombreuses procédures.
Le condamner aux entiers dépens, tant de première instance que d'appel et accorder à la SCP BREBION, avoués, le bénéfice de l'article 699 du Nouveau Code de procédure civile.
Elle expose que :
La demande de nullité du traité de fusion est nouvelle, par ailleurs elle tend aux mêmes fins que la demande de nullité de l'assemblée générale et se trouve donc prescrite, étant faite hors délai, au fond, l'article L 227-9 du Code de commerce ne s'applique pas à l'espèce,
La demande de nullité de la fusion est prescrite,
La fraude n'est pas établie, il n' y a eu ni sous-évaluation de la société absorbée ni surévaluation de la société absorbante, il n' y a pas eu d'abus de majorité, il n'y a pas de préjudice.
La cour se réfère expressément aux écritures des parties pour l'exposé des moyens développés au soutien de leurs demandes respectives.
DISCUSSION
SUR LA NULLITE DU TRAITE DE FUSION :
Sur l'existence d'une demande nouvelle :
En première instance, Monsieur MAZUREAU demandait, outre un certain nombre de mesures avant-dire droit, au fond, que soit constatée l'existence d'un abus de majorité ayant abouti à la dilution abusive de sa participation, qui lui porte préjudice, que soit déclarée nulle la fusion, que la société CHARAL soit condamnée à lui verser des dommages-intérêts
Devant la cour, Monsieur MAZUREAU demande à la cour de prononcer la nullité de la fusion au motif en premier lieu que le traité de fusion serait nulle faute de réalisation de la condition suspensive, au motif en second lieu, de la fraude à ses droits.
La demande tirée de la nullité du traité de fusion en raison de l'absence d'approbation du traité par l'assemblée générale que forme MONSIEUR MAZUREAU devant la cour a une apparence de nouveauté, mais elle constitue en réalité un moyen nouveau destiné à étayer une prétention qui est toujours la même, la nullité de la fusion.
Sur la prescription :
L'article 235-8 alinéa 1 du Code de commerce prévoit les cas dans lesquels la nullité des opérations de fusion peut être demandée au tribunal.
La lecture de ce texte permet de constater que les cas sont limitativement énoncés, et que si une régularisation est possible, elle doit être ordonnée ; le législateur a voulu manifestement que la nullité des opérations de fusion reste exceptionnelle.
Ce texte s'applique à la demande en nullité du traité de fusion : tout d'abord le traité de fusion est une opération de fusion, ensuite, un des cas de nullité prévu concerne directement cette affaire..
Quoiqu'il s'en défende, en faisant état dans ses écritures, du défaut d'approbation du projet MAZUREAU invoque ni plus ni moins l'annulation de la délibération de l'assemblée générale des associés du 31 décembre 2001, qui a pris une décision à une majorité irrégulière, alors que cette décision était une des conditions nécessaires à la validité du traité de fusion. Il ne sera pas contesté que la fusion absorption réalisée par une société par actions simplifiée d'une société ayant une autre forme est soumise à un vote d'approbation unanime des associés. Toutefois, par les moyens qu'il invoque et en dépit de ses protestations, Monsieur MAZUREAU tente, en fait, de faire « tomber » le traité de fusion, en raison d'une irrégularité de la décision de l'assemblée générale sur la fusion.
L'article L 235-9 alinéa 2 du Code de commerce précise que l'action en nullité des opérations de fusion se prescrit par six mois à compter de la date de la dernière inscription au registre du commerce et des sociétés rendue nécessaire par l'opération.
Monsieur MAZUREAU a entendu habilement détourner les règles de la prescription. Or, en assignant la société CHARAL le 30 octobre 2002 devant le tribunal de commerce de NANTES alors que la dernière inscription au registre du commerce et des sociétés avait eu lieu le 25 février 2002, Monsieur MAZUREAU agissait au-delà du délai de six mois qui lui était imparti et était forclos.
La demande de nullité du traité de fusion est ainsi prescrite.
NULLITÉ DE LA FUSION POUR FRAUDE :
Sur la fraude à la loi :
Il est soutenu qu'en réalisant une opération de fusion- absorption par une société par actions simplifiées d'une autre société, alors qu'il y avait lieu de réaliser une opération de transformation de la société, les actionnaires majoritaires ont fraudé la loi en contournant les règles pour transformer une société pour transformer une société.
Désormais et depuis peu, les règles de la transformation d'une société en société par actions simplifiées sont transposables à la fusion absorption d'une société par une société par actions simplifiées en ce qui concerne les règles de majorité pour la prise de décision de l'opération de fusion ; la question avait été largement débattue pendant plusieurs années. Il est toutefois difficilement acceptable de soutenir a posteriori, en raison de la solution très récemment prise par la Cour de cassation, qu'il existe une fraude à la loi là où la loi était muette et la discussion permise.
D'ailleurs, la chronologie que rappelle Monsieur MAZUREAU dans ses écritures ne permet pas de vérifier l'existence d'une volonté des actionnaires majoritaires de spolier les intérêts de l'actionnaire minoritaire en procédant à une fusion au lieu d'une transformation. Aucun autre élément ne la justifie non plus : le processus de restructuration et de simplification engagé par le groupe CHARAL a commencé bien avant l'opération actuellement critiquée, et a logiquement intégré, à un moment donné, la société LE LAC.
Le moyen tiré de la nullité pour fraude à la loi sera rejeté.
Sur la nullité pour fraude aux droits des actionnaires minoritaires :
Monsieur MAZUREAU soutient, tout d'abord, qu'il y a un abus de majorité flagrant dont l'objet d'actionnaire minoritaire, tant par la sous-évaluation de la société LE LAC que par la fusion d'actionnaire minoritaire, tant par la sous-évaluation de la société LE LAC que par la surévaluation de la société LES CHARCUTERIES DU DON, aucune motivation n'étant donnée quant aux valeurs retenues pour déterminer la parité d'échange. Il estime qu'il subit un préjudice. Il rappelle que cette demande de nullité fondée sur 1' existence d'une fraude est recevable, étant soumise à la prescription trentenaire.
La société CHARAL soutient tout d'abord que cette demande en nullité de la fusion est prescrite selon les termes de l'article L 237-8 du Code de commerce, ensuite que cette demande suppose que soient justifiées la rupture de l'égalité entre les actionnaires et la violation des intérêts des sociétés, lesquelles ne sont pas rapportées selon les documents versés aux débats, qu'enfin, il n'existe pas de fraude aux droits de Monsieur MAZUREAU.
Sur la prescription :
L'action en nullité pour fraude fait exception à toutes les règles et est soumise au délai de prescription trentenaire. L'action est ici recevable.
Sur la nullité pour fraude :
La fraude consiste, selon Monsieur MAZUREAU en la surévaluation de la société LES CHARCUTERIES DU DON, en la sous-évaluation de la société LE LAC, alors que les valeurs retenues pour déterminer la parité d'échange ne sont pas motivées.
Sur la sous-évaluation de la société LE LAC :
L'actif immobilier a fait l'objet d'une évaluation dont les méthodes ont été approuvées par Monsieur JOSSO, commissaire à la fusion. Ce dernier a recueilli l'avis de Monsieur CHARRON, donné par écrit en octobre 2001. Un rapport a également été établi par le cabinet ROUX-HERR en février 200 l, à la demande de la société CHARRAL, quant à la valeur vénale de l'ensemble immobilier...
Pour contester l'évaluation, Monsieur MAZUREAU s'appuie essentiellement sur ses propres connaissances et sur un rapport établi par le cabinet ROUX-HERR en 1996, qui avait pour objet de fixer la valeur d'assurance des bâtiments récemment reconstruits après un incendie. Il n'est pas anormal que la valeur alors déterminée dans un but précis d'assurance et plusieurs années avant la fusion ne puisse être retenue alors que les objectifs des évaluations faites en 1996 et en 2001 sont bien différents et alors que les experts retiennent en 200l une valeur vénale après avoir pris en compte des paramètres parfaitement cohérents.
En ce qui concerne la valorisation du crédit-bail, il a été tenu compte de révolution des taux d'intérêts sur le coût réel des loyers entre la date de la conclusion des contrats et celle de la fusion, et il n'a pas été tenu compte des provisions d'impôts sur l'éventuel rachat du terrain à l'échéance du crédit-bail, ce qui n'est nullement défavorable à Monsieur MAZUREAU. Les critiques sur les chiffres qu'il fait par des calculs qui ne sont étayés par aucun document sont dénuées de fondement.
Sur la surévaluation de la société LES CHARCUTERIES DU DON :
Monsieur MAZUREAU soutient que la surestimation de cette société est établie au regard de la baisse manifeste des résultats de l'entreprise dès la fin de l'année 2001.
La société CHARAL expose qu'il a été tenu compte de l'impact réel de l'absorption dans le courant du premier semestre 2001 de la société SALAISONS DU CASTEL, que l'évaluation s'est faite sur les résultats des neuf mois de 2000 et sur les résultats prévisionnels base annuelle 2001. Elle ajoute que la dégradation des résultats de la société LES CHARCUTERIES DU DON était totalement imprévisible, lors de la fusion, compte tenu de la progression constante des résultats au cours des années précédentes.
Selon les documents que versent aux débats les parties, l'évaluation de la société LES CHARCUTERIES DU DON a été réalisée en retenant la capitalisation du résultat moyen des résultats 2000 et prévisionnel 2001, la capitalisation de l'excédant brut d'exploitation sur ces mêmes périodes, le chiffre d'affaires de la société. Il a été tenu compte des perspectives de développement liées à l'intégration récente dans le groupe CHARAL.
Monsieur MAZUREAU qui conteste l'impact réel de l'absorption de la société SALAISONS DU CASTEL ne justifie pas en quoi cette absorption n'aurait aucun effet sur la valeur de la société LES CHARCUTERIES DU DON. Il conteste la valorisation en raison des résultats accusés à la baisse par l'entreprise en 2002 et 2003 sans toutefois rapporter la preuve de ce que, à l'époque où les méthodes ont été retenues alors que la société avait une bonne activité, les résultats déficitaires des années postérieures étaient prévisibles. Enfin, il ne conteste pas sérieusement la période choisie quant à la période de résultats retenue sur 21 mois.
Sur l'absence de motivation et sur le rôle du commissaire à la fusion :
La loi prévoit quelles informations sont données aux actionnaires lors de la fusion (article 254 du décret du 23 mars 1967, L 236-2 et L 236-10 du Code de commerce).
Lors du traité de fusion, des ' indications' doivent être fournies, sur la désignation et l'évaluation de l'actif et du passif dont la transmission à la société absorbante est prévue. La lecture du traité de fusion révèle que ces indications ont été données.
Ultérieurement, le commissaire à la fusion fait, sous sa responsabilité, un rapport écrit sur les modalités de la fusion. Il vérifie que les valeurs relatives attribuées aux actions des sociétés participant à l'opération sont pertinentes et que le rapport d'échange est équitable. I1 indique la ou les méthodes suivies pour la détermination du rapport d'échange, indique si la ou les méthodes proposées sont adéquates, mentionne les valeurs auxquelles les méthodes conduisent, donne un avis sur les méthodes, et indique les difficultés particulières d'évaluation s’il en existe. En outre, il a doit avoir apprécié, sous sa propre responsabilité, la valeur des apports en nature.
Le rapport de Monsieur JOSSO, en date du 24 octobre 2001, dont il n'est pas contesté qu'il a été porté à la connaissance de Monsieur MAZUREAU en temps utile, répond aux exigences ci-dessus rappelées. Il indique également que le commissaire à la fusion s'est fait assister d'un expert pour l'appréciation de l'actif immobilier. L. JOSSO a vérifié la pertinence des valeurs attribuées aux biens immobiliers de la société LE LAC et a conclu que le rapport d'échange était équitable.
Monsieur MAZUREAU soutient qu'il aurait été nécessaire de documenter les méthodes d'évaluation de façon étayée. Toutefois, il n'existait aucune obligation pour les organes dirigeants de la société LES CHARCUTERIES DU DON qui choisissaient les méthodes devant être retenues pour fixer les valeurs, de lui adresser des documents sur ces points. ; tout particulièrement en ce qui concerne les valeurs des actifs immobiliers, le rapport de Monsieur CHARRON n'avait pas à lui être transmis par le commissaire à la fusion ou par les dirigeants. La cour constate toutefois que les rapports de Monsieur CHARRON et du cabinet ROUX-HERR établis en 2001 ont été versés aux débats et que Monsieur MAZUREAU a pu, au cours de la procédure, en prendre connaissance et les discuter.
Monsieur MAZUREAU ne fait pas la preuve que des critiques sérieuses sont possibles quant aux méthodes retenues et aux évaluations qui en ont résulté. Il ne justifie ainsi pas de la fraude à 1 la fusion par un abus de majorité, il reste taisant sur l'existence d'une rupture d'égalité entre les actionnaires et d'une violation des intérêts sociaux. Il n'est pas fondé en sa demande d'annulation pour fraude. L'expertise qu'il sollicite s'avère sans intérêt, ne pouvant suppléer sa carence dans l'administration de la preuve qu'il lui incombe de rapporter.
Monsieur MAZUREAU sera débouté de ses demandes.
SUR LES DOMMAGES-INTÉRÊTS POUR PROCÉDURE ABUSIVE :
Il ne peut être établi dans cette procédure à l'issue de laquelle Monsieur MAZUREAU succombe un comportement dolosif ou une résistance abusive de la part de Monsieur MAZUREAU générateurs de préjudice pour la société CHARAL. Celle-ci sera déboutée de sa demande.
SUR LES FRAIS IRRÉPÉTIBLES ET LES DÉPENS :
Monsieur MAZUREAU qui succombe versera à la société CHARAL la somme de 5000 Euros et supportera les dépens.
PAR CES MOTIFS :
La cour,
Réformant le jugement déféré sur la condamnation à dommages-intérêts,
Déboute la société CHARAL et la société LES CHARCUTERIES DU DON de leurs demandes de dommages-intérêts,
Confirme le jugement déféré pour le surplus,
Y addictant,
Déclare prescrite la demande d'annulation du traité de fusion,
Déboute la société CHARAL de sa demande de dommages-intérêts,
Condamne Monsieur MAZUREAU à payer à la société CHARAL la somme de 5000 Euros en application de l'article 700 du Nouveau Code de procédure civile,
Condamne Monsieur MAZUREAU aux dépens qui seront recouvrés avec le bénéfice des dispositions de l'article 699 Nouveau Code de procédure civile.