Livv
Décisions

CJUE, 3e ch., 16 février 2023, n° C-707/20

COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Gallaher Limited

Défendeur :

The Commissioners for Her Majesty’s Revenue and Customs

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

Mme Jürimäe

Juges :

M. Safjan, M. Piçarra, Jääskinen, M. Gavalec

Avocat général :

M. Rantos

Avocats :

M. Afzal, M. Baker, Mme Bond, M. Buxton

CJUE n° C-707/20

15 février 2023

LA COUR (troisième chambre),

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 49, 63 et 64 TFUE.

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Gallaher Limited (ci-après « GL »), une société ayant sa résidence fiscale au Royaume-Uni, aux Commissioners for Her Majesty’s Revenue and Customs (administration fiscale et douanière, Royaume-Uni) (ci-après l’« administration fiscale ») au sujet de l’assujettissement de GL à une obligation fiscale, sans faculté de reporter le paiement de l’impôt, concernant deux opérations de cession d’actifs à des sociétés n’ayant pas leur résidence fiscale au Royaume-Uni, faisant partie du même groupe de sociétés que GL.

Le cadre juridique

L’accord de retrait

3 L’accord sur le retrait du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord de l’Union européenne et de la Communauté européenne de l’énergie atomique (JO 2020, L 29, p. 7, ci-après l’« accord de retrait ») a été approuvé par la décision (UE) 2020/135 du Conseil, du 30 janvier 2020 (JO 2020, L 29, p. 1).

4 Selon le préambule de l’accord de retrait, le droit de l’Union dans son ensemble cesse, sous réserve des modalités définies dans cet accord, d’être applicable au Royaume-Uni à partir de la date d’entrée en vigueur dudit accord.

5 L’accord de retrait prévoit, à son article 126, une période de transition, qui commence à la date d’entrée en vigueur de cet accord et qui se termine le 31 décembre 2020, pendant laquelle le droit de l’Union est applicable au Royaume-Uni, sauf disposition contraire prévue dans ledit accord.

6 L’article 86 de l’accord de retrait, intitulé « Affaires en instance devant la Cour de justice de l’Union européenne », prévoit, à ses paragraphes 2 et 3 :

« 2. La Cour de justice de l’Union européenne demeure compétente pour statuer à titre préjudiciel sur les demandes des juridictions du Royaume-Uni présentées avant la fin de la période de transition.

3. Aux fins du présent chapitre, [...] une demande de décision préjudicielle est considérée comme ayant été présentée [...] au moment où l’acte introductif d’instance a été enregistré par le greffe de la Cour de justice [...] »

7 L’article 89, paragraphe 1, de l’accord de retrait énonce :

« Les arrêts et ordonnances de la Cour de justice de l’Union européenne prononcés avant la fin de la période de transition, ainsi que les arrêts et ordonnances prononcés après la fin de la période de transition dans des procédures visées aux articles 86 et 87, ont force obligatoire dans tous leurs éléments pour le Royaume-Uni et au Royaume-Uni. »

8 En application de l’article 185 de l’accord de retrait, celui-ci est entré en vigueur le 1er février 2020.

Le droit du Royaume-Uni

9 En vertu des articles 2 et 5 du Corporation Tax Act 2009 (loi de 2009 relative à l’impôt sur les sociétés, ci-après le « CTA 2009 ») ainsi que de l’article 8 du Taxation of Chargeable Gains Act 1992 (loi de 1992 relative à l’imposition des plus-values, ci-après le « TCGA 1992 »), une société ayant sa résidence fiscale au Royaume-Uni est redevable de l’impôt sur les sociétés pour tous ses bénéfices (y compris les plus-values) réalisés au cours de l’exercice comptable concerné.

10 Conformément à l’article 5, paragraphe 3, du CTA 2009, une société qui n’a pas sa résidence fiscale au Royaume-Uni mais qui y exerce une activité commerciale par l’intermédiaire d’un établissement stable établi au Royaume-Uni est redevable de l’impôt sur les bénéfices attribuables à cet établissement stable. En outre, en vertu de l’article 10 B du TCGA 1992, une telle société est redevable de l’impôt sur les plus-values qu’elle réalise lors de la cession d’actifs si ces actifs sont situés au Royaume-Uni et s’ils sont utilisés pour les besoins de l’activité commerciale ou pour ceux de l’établissement stable. Ces actifs sont qualifiés d’« actifs imposables » par l’article 171(1 A) du TCGA 1992.

11 Selon les articles 17 et 18 du TCGA 1992, la cession d’actifs est réputée être effectuée pour une rémunération égale à la valeur du marché de ces actifs lorsque cette cession n’est pas accomplie dans le cadre d’un accord conclu dans des conditions autres que les conditions de concurrence normale ou lorsqu’elle est réalisée en faveur d’une personne liée.

12 L’article 170 du TCGA 1992 dispose :

« (1) Le présent article a pour effet d’interpréter les articles 171 à 181, sauf indication contraire [...].

(2) Sauf dispositions contraires,

[...]

(b) les paragraphes (3) à (6) ci-dessous s’appliquent pour déterminer si des sociétés forment un groupe et, le cas échéant, quelle est la société principale du groupe ;

[...]

d) les notions de “groupe” et de “filiale” doivent être interprétées avec toutes les adaptations nécessaires lorsqu’elles s’appliquent à une société constituée selon le droit d’un État autre que le Royaume-Uni.

(3) Sous réserve des paragraphes (4) à (6) ci-dessous,

(a) une société (qualifiée ci-après et aux articles 171 à 181 de “société principale du groupe”) et toutes ses filiales détenues à 75 % forment un groupe ; si l’une de ces filiales possède des filiales détenues à 75 %, celles-ci sont comprises dans le groupe, de même que leurs filiales détenues à 75 %, et ainsi de suite, mais

(b) un groupe ne comprend aucune société (autre que la société principale du groupe) qui n’est pas une filiale effective détenue à 51 % par la société principale du groupe.

(4) Une société ne peut être la société principale d’un groupe si elle est elle-même une filiale détenue à 75 % par une autre société.

[...] »

13 L’article 171 du TCGA 1992 et les articles 775 et 776 du CTA 2009 (ci-après, ensemble, les « règles de transfert de groupe ») prévoient qu’une cession d’actifs, effectuée entre des sociétés d’un groupe qui sont assujetties à l’impôt sur les sociétés au Royaume-Uni, doit avoir lieu sur une base fiscalement neutre.

14 L’article 171 du TCGA 1992 dispose :

« (1) Lorsque

(a) une société (“société A”) cède un actif à une autre société (“société B”) à une date à laquelle les deux sociétés appartiennent au même groupe et que

(b) les conditions du paragraphe (1A) ci-dessous sont remplies,

La société A et la société B sont traitées, aux fins de l’impôt sur les sociétés frappant les plus-values, comme si cet actif était acquis par la société B en contrepartie d’une rémunération d’un montant tel qu’il garantit que la société A n’enregistre ni plus-value ni perte lors de la cession.

(1A) Les conditions visées au paragraphe (l)(b) ci-dessus sont les suivantes :

a) la société A est résidente au Royaume-Uni à la date de la cession, ou l’actif est un actif imposable pour cette société immédiatement avant cette date, et

b) la société B est résidente au Royaume-Uni à la date de la cession, ou l’actif est un actif imposable pour cette société immédiatement après cette date.

À cette fin, un actif est un “actif imposable” pour une société à une date donnée lorsque, si l’actif devait être cédé par cette société à cette date, toute plus-value réalisée par la société serait une plus-value imposable et ferait partie, en vertu de l’article 10B, de ses bénéfices imposables aux fins de l’impôt sur les sociétés.

[...] »

15 L’article 775 du CTA 2009 énonce :

« (1) Le transfert d’une immobilisation incorporelle d’une société (le “cédant”) à une autre société (le “cessionnaire”) est fiscalement neutre aux fins de la présente partie si

a) à la date du transfert, les deux sociétés appartiennent au même groupe,

b) immédiatement avant le transfert, l’actif en cause constitue, pour le cédant, un actif incorporel imposable, et

(c) immédiatement après le transfert, l’actif en cause constitue, pour le cessionnaire, un actif incorporel imposable.

(2) Pour les conséquences d’un transfert fiscalement neutre aux fins de la présente partie, voir l’article 776.

[...] »

16 L’article 776 du CTA 2009 dispose :

« (1) Cet article énonce les conséquences d’un transfert d’actif qui est “fiscalement neutre” aux fins de la présente partie.

(2) Le transfert est traité à ces fins comme n’impliquant pas

(a) de réalisation de l’actif par le cédant, ou

(b) d’acquisition de l’actif par le cessionnaire.

(3) Le cessionnaire est traité à ces fins

(a) comme ayant détenu l’actif à tout moment lorsque celui-ci était détenu par le cédant, et

(b) comme ayant fait toutes les diligences relatives à l’actif qui ont été faites par le cédant.

(4) En particulier,

(a) le coût initial de l’actif entre les mains du cédant est traité comme le coût initial de l’actif entre les mains du cessionnaire, et

(b) tous les crédits et débits relatifs à l’actif qui ont été pris en compte à des fins fiscales par le cédant en vertu de la présente partie sont traités comme s’ils avaient été pris en compte par le cessionnaire.

(5) Les références au coût de l’actif dans le paragraphe (4)(a) se rapportent au coût reconnu à des fins fiscales. »

17 L’article 764 du CTA 2009 énonce :

« (1) Le présent chapitre s’applique aux fins de la présente partie pour déterminer si des sociétés forment un groupe et, le cas échéant, quelle est la société principale du groupe.

[...] »

18 L’article 765 du CTA 2009 prévoit :

« (1) La règle générale est que

(a) une société (“A”) et toutes ses filiales détenues à 75 % forment un groupe, et

(b) si l’une de ces filiales a des filiales détenues à 75 %, le groupe les inclut, ainsi que leurs filiales détenues à 75 %, et ainsi de suite.

(2) A est désignée dans le présent chapitre et au chapitre 9 comme la société principale du groupe.

(3) Les paragraphes (1) et (2) sont soumis aux dispositions suivantes du présent chapitre. »

19 L’article 767 du CTA 2009 dispose :

« (1) La règle générale est qu’une société (“A”) n’est pas la société principale d’un groupe si elle est elle-même filiale à 75 % d’une autre société (“B”).

[...] »

20 L’article 59D du Taxes Management Act 1970 (loi de 1970 sur la gestion des impôts, ci-après le « TMA 1970 ») prévoit :

« (1) L’impôt sur les sociétés portant sur un exercice comptable est dû et exigible le jour suivant l’expiration d’une période de neuf mois à compter de la fin de cet exercice.

(2) Si l’impôt à payer est alors dépassé par le total de tous les montants pertinents payés précédemment (tels qu’ils ressortent de la déclaration d’impôt sur les sociétés correspondante), l’excédent est remboursé.

[...] »

21 En vertu de l’article 87A du TMA 1970, les intérêts sont imputables sur l’impôt impayé à partir de la date à laquelle celui-ci est exigible.

22 En vertu des articles 55 et 56 du TMA 1970, lorsqu’une décision de l’administration fiscale (y compris un avis de clôture partielle) modifiant la déclaration d’une société pour une période comptable donnée a fait l’objet d’un recours devant le First-tier Tribunal (Tax Chamber) [tribunal de première instance (chambre de la fiscalité), Royaume-Uni], le paiement de l’impôt fixé peut être reporté par accord avec l’administration fiscale ou sur demande présentée auprès du First-tier Tribunal (Tax Chamber) [tribunal de première instance (chambre de la fiscalité)], de sorte que cet impôt ne devient exigible que lorsqu’il a été statué sur le recours formé devant cette juridiction.

23 L’article 13, paragraphe 5, de la convention conclue entre le Royaume-Uni et la Confédération suisse et visant à éviter la double imposition, inspirée du modèle de convention fiscale de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) concernant le revenu et la fortune, prévoit que les plus-values résultant d’un transfert d’actifs, telles que celles qui sont concernées par la procédure en cause au principal, ne sont imposables que sur le territoire où le cédant est résident.

Le litige au principal et les questions préjudicielles

24 GL appartient au groupe de sociétés Japan Tobacco Inc. (ci-après le « groupe JT »).

25 Le groupe JT est un groupe de dimension mondiale qui distribue des produits du tabac dans 130 pays à travers le monde. La société située à la tête de ce groupe est une société cotée en bourse qui a sa résidence fiscale au Japon.

26 Il ressort de la décision de renvoi que la société à la tête du groupe JT pour l’Europe est JTIH, une société qui a sa résidence fiscale aux Pays-Bas (ci-après la « société néerlandaise ») et qui est la société mère indirecte de GL, le lien de parenté entre la société néerlandaise et GL étant établi par l’intermédiaire de quatre autres sociétés, toutes établies au Royaume-Uni.

27 Au cours de l’année 2011, GL a cédé à une société sœur, JTISA, qui a sa résidence fiscale en Suisse (ci-après la « société suisse ») et qui est une filiale directe de la société néerlandaise, des droits de propriété intellectuelle relatifs à des marques de tabac ainsi que des actifs connexes (ci-après la « cession de 2011 »). La rémunération reçue par GL en contrepartie de cette cession a été versée par la société suisse, qui, à cette fin, s’était vu accorder des prêts interentreprises par la société néerlandaise pour un montant correspondant à celui de cette rémunération.

28 Au cours de l’année 2014, GL a cédé la totalité du capital social qu’elle détenait dans une de ses filiales, une société constituée sur l’île de Man, à la société néerlandaise (ci-après la « cession de 2014 »).

29 L’administration fiscale a adopté deux avis de clôture partielle concernant respectivement la cession de 2011 et la cession de 2014, déterminant le montant des plus-values et des bénéfices imposables qui ont été réalisés par GL dans le cadre de ces cessions au cours des périodes comptables pertinentes. Les cessionnaires n’ayant pas leur résidence fiscale au Royaume-Uni, la plus-value sur les actifs a fait l’objet d’une obligation fiscale immédiate, aucune disposition du droit fiscal national ne prévoyant un report de cette obligation ou un paiement de l’impôt par des versements échelonnés.

30 GL a formé deux recours contre ces deux avis de clôture partielle devant le First-tier Tribunal (Tax Chamber) [tribunal de première instance (chambre de la fiscalité)].

31 Dans le cadre de ces recours, GL a fait valoir, en substance, une différence de traitement fiscal entre les cessions d’actifs en cause au principal et les cessions effectuées entre les membres d’un groupe de sociétés ayant leur résidence ou leur établissement stable au Royaume-Uni, qui bénéficient d’une exonération de l’impôt sur les sociétés. Il ressort en effet de la décision de renvoi que les règles de transfert de groupe prévoient qu’une cession d’actifs effectuée entre des sociétés d’un groupe qui sont assujetties à l’impôt au Royaume-Uni doit avoir lieu sur une base fiscalement neutre.

32 D’une part, s’agissant du recours dirigé contre l’avis de clôture partielle concernant la cession de 2011 (ci-après le « recours de 2011 »), GL a fait valoir, premièrement, que le fait de ne pas pouvoir reporter le paiement de l’obligation fiscale constituait une restriction à la liberté d’établissement de la société néerlandaise. Deuxièmement, à titre subsidiaire, elle a soutenu que le fait de ne pas pouvoir reporter ce paiement entraînait une restriction au droit de la société néerlandaise et/ou de GL à la libre circulation des capitaux. Troisièmement, GL a avancé que, si le Royaume-Uni, sur la base d’une répartition équilibrée des pouvoirs d’imposition entre les États membres, était habilité à imposer les plus-values réalisées, l’obligation de payer l’impôt immédiatement, sans option de report de paiement, était disproportionnée.

33 D’autre part, s’agissant du recours dirigé contre l’avis de clôture partielle concernant la cession de 2014 (ci-après le « recours de 2014 »), GL a fait valoir, premièrement, que le fait de ne pas pouvoir reporter le paiement de l’obligation fiscale constituait une restriction à la liberté d’établissement de la société néerlandaise. Deuxièmement, elle a soutenu que, si, en principe, le Royaume-Uni, sur la base d’une répartition équilibrée des pouvoirs d’imposition entre les États membres, était habilité à imposer les plus-values réalisées, l’obligation de payer l’impôt immédiatement, sans option de report de paiement, était disproportionnée.

34 Au motif qu’elle avait formé les recours de 2011 et de 2014, GL a reporté le paiement de l’impôt sur les sociétés jusqu’à ce qu’il soit statué sur le fond, ainsi qu’elle était en droit de le faire, en vertu de l’article 55 du TMA 1970.

35 Le First-tier Tribunal (Tax Chamber) [tribunal de première instance (chambre de la fiscalité)] a conclu que chaque cession d’actifs répondait à de bonnes raisons commerciales, qu’aucune de ces cessions ne faisait partie de montages entièrement artificiels ne reflétant pas la réalité économique et que l’évasion fiscale ne constituait pas l’objectif principal ou l’un des objectifs principaux desdites cessions.

36 Cette juridiction a jugé que le droit de l’Union avait été enfreint en ce qui concerne la cession de 2014, mais qu’il ne l’avait pas été en ce qui concerne la cession de 2011. Elle a ainsi accueilli le recours de 2014, mais a rejeté le recours de 2011.

37 À cet égard, s’agissant du recours de 2011, elle a notamment jugé qu’il n’existait pas de restriction à la liberté d’établissement de la société néerlandaise. En ce qui concerne le droit à la libre circulation des capitaux, elle a estimé que ce droit ne pouvait être invoqué, car la législation en cause au principal ne s’appliquait qu’aux cas des groupes composés de sociétés sous contrôle commun.

38 Dans le cadre du recours de 2014, elle a notamment jugé qu’il existait une restriction à la liberté d’établissement de la société néerlandaise, que cette société était objectivement comparable à une société assujettie à l’impôt au Royaume-Uni  et que l’absence de droit de reporter le paiement de l’obligation fiscale était disproportionnée.

39 GL a interjeté appel de la décision du First-tier Tribunal (Tax Chamber) [tribunal de première instance (chambre de la fiscalité)] rejetant le recours de 2011 devant la juridiction de renvoi, l’Upper Tribunal (Tax & Chancery Chamber) [tribunal supérieur (chambre de la fiscalité et de la Chancery), Royaume-Uni]. L’administration fiscale a, quant à elle, interjeté appel de la décision accueillant le recours de 2014 devant cette même juridiction.

40 La juridiction de renvoi indique que la question qui se pose dans l’affaire au principal est celle de savoir si, dans le cadre des cessions de 2011 et de 2014, l’assujettissement à une obligation fiscale sans disposer de la faculté de reporter le paiement de l’impôt est compatible avec le droit de l’Union, plus précisément, en ce qui concerne ces deux cessions, avec la liberté d’établissement prévue à l’article 49 TFUE, et, en ce qui concerne la cession de 2011, avec la libre circulation des capitaux visée à l’article 63 TFUE. Cette juridiction s’interroge en outre sur la mesure corrective appropriée qu’il conviendrait de prévoir dans l’hypothèse où l’assujettissement à une obligation fiscale sans disposer de la faculté de reporter le paiement de l’impôt serait considéré comme contraire au droit de l’Union.

41 Dans ces conditions, l’Upper Tribunal (Tax & Chancery Chamber) [tribunal supérieur (chambre de la fiscalité et de la Chancery)] a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1) L’article 63 TFUE peut-il être invoqué à l’égard d’une législation nationale telle que les règles de transfert de groupe, qui ne s’applique qu’aux groupes de sociétés ?

2) Dans l’hypothèse dans laquelle l’article 63 TFUE ne peut pas être invoqué de manière plus générale à l’égard des règles de transfert de groupe, peut-il néanmoins être invoqué :

a) à l’égard de mouvements de capitaux effectués par une société mère résidente dans un État membre de l’Union vers une filiale résidente en Suisse, lorsque la société mère détient 100 % des parts tant de la filiale résidente en Suisse que de la filiale résidente au Royaume-Uni qui est assujettie à l’obligation fiscale en cause ?

b) à l’égard d’un mouvement de capitaux effectué par une filiale à 100 % résidente au Royaume-Uni vers une filiale à 100 % résidente en Suisse appartenant à la même société mère résidente dans  un État membre de l’Union, sachant que les deux sociétés sont des sociétés sœurs et qu’il n’existe pas entre elles de relation mère-filiale ?

3) Une législation telle que les règles de transfert de groupe, qui assujettit à une obligation fiscale immédiate un transfert d’actifs effectué par une société résidente au Royaume-Uni vers une société sœur résidente en Suisse (et qui n’exerce pas d’activité commerciale au Royaume-Uni par l’intermédiaire d’un établissement stable) dans le cas dans lequel ces deux sociétés sont des filiales à 100 % d’une société mère commune qui est résidente dans un autre État membre, constitue-t-elle, dans des circonstances dans lesquelles un tel transfert serait effectué sur une base fiscalement neutre si la société sœur était également résidente au Royaume-Uni (ou y exerçait une activité par l’intermédiaire d’un établissement stable), une restriction à la liberté d’établissement de la société mère au sens de l’article 49 TFUE ou, le cas échéant, une restriction à la liberté de circulation des capitaux au sens de l’article 63 TFUE ?

4) Dans l’hypothèse dans laquelle l’article 63 TFUE peut être invoqué :

a) le transfert des marques et des actifs connexes effectué par GL à [la société suisse] en contrepartie d’une rémunération visant à refléter la valeur de marché de ces marques constituait-il un mouvement de capitaux aux fins de l’article 63 TFUE ?

b) les mouvements de capitaux effectués par [la société néerlandaise] en faveur de [la société suisse], sa filiale résidente en Suisse, constituaient-ils des investissements directs aux fins de l’article 64 TFUE ?

c) l’article 64 TFUE, dès lors qu’il ne s’applique qu’à certains types de mouvement de capitaux, peut-il s’appliquer dans des circonstances dans lesquelles les mouvements de capitaux peuvent être qualifiés comme étant à la fois des investissements directs (qui sont visés audit article) et un autre type de mouvement de capitaux qui n’est pas visé au même article ?

5) S’il existait une restriction, cette restriction, dont il est constant qu’elle était en principe justifiée par des raisons impérieuses d’intérêt général (à savoir par la nécessité de préserver une répartition équilibrée des pouvoirs d’imposition), était-elle nécessaire et proportionnée au sens de la jurisprudence de la Cour, en particulier dans des circonstances dans lesquelles le contribuable concerné a réalisé, en contrepartie de la cession de l’actif en cause, un produit égal à la pleine valeur de marché de cet actif ?

6) Dans l’hypothèse d’une violation de la liberté d’établissement ou de la liberté de circulation des capitaux, ou encore de ces deux libertés :

a) le droit de l’Union exige-t-il que la législation nationale soit interprétée ou laissée inappliquée de manière à ce que GL se voit accorder une option de report du paiement de l’impôt ?

b) si tel est le cas, le droit de l’Union exige-t-il que la législation nationale soit interprétée ou laissée appliquée de manière à ce que GL se voit accorder une option de report du paiement de l’impôt jusqu’à la cession des actifs en dehors du sous-groupe dont la société résidente de l’autre État membre constitue la société mère (c’est-à-dire “sur la base d’une réalisation”), ou une option de paiement de l’impôt par [des] versements échelonnés (c’est-à-dire “sur la base d’un échelonnement”) est-elle de nature à constituer une mesure corrective proportionnée ?

c) dans l’hypothèse dans laquelle, en principe, une option de paiement de l’impôt par [des] versements échelonnés est de nature à constituer une mesure corrective proportionnée :

i) [en est-il ainsi uniquement] si cette option figurait dans le droit national à la date des cessions d’actifs ou est-il compatible avec le droit de l’Union qu’une telle option soit accordée au titre d’une mesure corrective a posteriori (à savoir que la juridiction de renvoi accorde une telle option a posteriori en faisant une interprétation conforme de la législation ou en laissant cette dernière inappliquée) ?

ii) le droit de l’Union exige-t-il des juridictions nationales qu’elles accordent une mesure corrective qui interfère le moins possible avec la liberté du droit de l’Union concernée ou suffit-il qu’elles accordent une mesure corrective qui, tout en étant proportionnée, s’écarte le moins possible du droit national existant ?

iii) sur quelle durée les versements doivent-ils s’échelonner ? et

iv) une mesure corrective impliquant un plan de paiement échelonné dans le cadre duquel les paiements sont dus avant la date à laquelle les différends entre les parties sont définitivement tranchés est-elle contraire au droit de l’Union, en d’autres termes, les dates d’échéance des paiements échelonnés doivent-elles être des dates futures ? »

Sur la demande de réouverture de la phase orale de la procédure

42 À la suite de la présentation des conclusions de M. l’avocat général, GL a, par acte déposé au greffe de la Cour le 29 septembre 2022, demandé la réouverture de la phase orale de la procédure, en application de l’article 83 du règlement de procédure de la Cour.

43 À l’appui de cette demande, GL fait valoir, en substance, que M. l’avocat général a eu une mauvaise compréhension de certains aspects du droit du Royaume-Uni ainsi que de certains faits du litige au principal, ce qui justifierait la tenue d’une audience.

44 À cet égard, il y a lieu de rappeler d’emblée que, en vertu de l’article 252, second alinéa, TFUE, l’avocat général présente publiquement, en toute impartialité et en toute indépendance, des conclusions motivées sur les affaires qui, conformément au statut de la Cour de justice de l’Union européenne, requièrent son intervention. La Cour n’est liée ni par ces conclusions ni par la motivation au terme de laquelle l’avocat général parvient à celles-ci [arrêt du 8 septembre 2022, Finanzamt R (Déduction de TVA liée à une contribution d’associé), C 98/21, EU:C:2022:645, point 29 et jurisprudence citée].

45 Il convient également de rappeler que le statut de la Cour de justice de l’Union européenne et le règlement de procédure ne prévoient pas la possibilité pour les parties intéressées de présenter des observations en réponse aux conclusions présentées par l’avocat général. Par conséquent, le désaccord d’un intéressé avec les conclusions de l’avocat général, quelles que soient les questions qu’il examine dans celles-ci, ne peut constituer en soi un motif justifiant la réouverture de la phase orale de la procédure [arrêt du 8 septembre 2022, Finanzamt R (Déduction de TVA liée à une contribution d’associé), C 98/21, EU:C:2022:645, point 30 et jurisprudence citée].

46 Par ses arguments, il apparaît que GL cherche à répondre aux conclusions de M. l’avocat général en mettant en cause certaines de ses appréciations.

47 Certes, en vertu de l’article 83 de son règlement de procédure, la Cour peut, à tout moment, l’avocat général entendu, ordonner la réouverture de la phase orale de la procédure, notamment si elle considère qu’elle est insuffisamment éclairée, ou lorsqu’une partie a soumis, après la clôture de cette phase, un fait nouveau de nature à exercer une influence décisive sur la décision de la Cour, ou encore lorsque l’affaire doit être tranchée sur la base d’un argument qui n’a pas été débattu entre les parties ou les intéressés visés à l’article 23 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne.

48 Toutefois, force est de constater que les prétendues erreurs de fait et de droit invoquées par GL ne justifient pas la réouverture de la phase orale de la procédure.

49 D’une part, s’agissant de la prétendue compréhension erronée du droit national, il convient de relever que GL invoque une erreur d’appréciation tirée d’une interprétation erronée de l’arrêt du 13 mars 2007, Test Claimants in the Thin Cap Group Litigation (C 524/04, EU:C:2007:161). Toutefois, la circonstance que GL interprète différemment cet arrêt ne saurait constituer une erreur d’appréciation du cadre juridique national, dont la description effectuée aux points 7 à 14 des conclusions de M. l’avocat général n’est pas remise en cause par cette société.

50 D’autre part, s’agissant de la prétendue compréhension erronée de certains faits au principal, il suffit de constater que l’analyse de M. l’avocat général dans ses conclusions se fonde sur les faits tels qu’ils ont été communiqués par la juridiction de renvoi et présentés aux points 15 à 30 de ces conclusions.

51 En l’occurrence, la Cour, après avoir entendu M. l’avocat général, considère ainsi qu’elle dispose de tous les éléments nécessaires pour répondre aux questions posées par la juridiction de renvoi.

52 Il s’ensuit qu’il n’y a pas lieu d’ordonner la réouverture de la phase orale de la procédure.

Sur les questions préjudicielles

Sur la compétence de la Cour

53 Il résulte de l’article 86 de l’accord de retrait, lequel est entré en vigueur le 1er février 2020, que la Cour demeure compétente, en dépit du retrait du Royaume-Uni de l’Union le 31 janvier 2020, pour statuer à titre préjudiciel sur les demandes des juridictions du Royaume-Uni, présentées avant la fin de la période de transition fixée au 31 décembre 2020. Tel est le cas de la présente demande de décision préjudicielle qui est parvenue à la Cour le 30 décembre 2020 (voir, en ce sens, arrêt du 3 juin 2021, Tesco Stores, C 624/19, EU:C:2021:429, point 17). Il s’ensuit que la Cour est compétente pour répondre aux questions préjudicielles dans la présente affaire.

Sur les première et deuxième questions

54 Par ses première et deuxième questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 63 TFUE doit être interprété en ce sens qu’une législation nationale qui ne s’applique qu’aux groupes de sociétés relève de son champ d’application.

55 À cet égard, il résulte d’une jurisprudence constante que, pour déterminer si une législation nationale relève de l’une ou de l’autre des libertés fondamentales garanties par le traité FUE, il convient de prendre en considération l’objet de la législation concernée [voir, en ce sens, arrêt du 7 avril 2022, Veronsaajien oikeudenvalvontayksikkö (Exonération des fonds d’investissement contractuels), C 342/20, EU:C:2022:276, point 35 et jurisprudence citée].

56 La Cour a jugé que relève du champ d’application de l’article 49 TFUE une législation nationale qui a vocation à s’appliquer aux seules participations permettant d’exercer une influence certaine sur les décisions d’une société et de déterminer les activités de celle-ci. En revanche, des dispositions nationales qui trouvent à s’appliquer à des participations effectuées dans la seule intention de réaliser un placement financier sans intention d’influer sur la gestion et le contrôle de l’entreprise doivent être examinées exclusivement au regard de la libre circulation des capitaux (arrêt du 13 novembre 2012, Test Claimants in the FII Group Litigation, C 35/11, EU:C:2012:707, points 91 et 92 ainsi que jurisprudence citée).

57 De plus, lorsqu’une mesure nationale se rapporte à la fois à la liberté d’établissement et à la libre circulation des capitaux, il convient, selon la jurisprudence constante de la Cour, d’examiner la mesure en cause, en principe, au regard d’une seule de ces deux libertés s’il s’avère que, dans les circonstances de l’affaire au principal, l’une d’elles est tout à fait secondaire par rapport à l’autre et peut lui être rattachée (voir, en ce sens, arrêt du 17 septembre 2009, Glaxo Wellcome, C 182/08, EU:C:2009:559, point 37 et jurisprudence citée).

58 Par ailleurs, il ressort de la jurisprudence de la Cour que, dans la mesure où une réglementation nationale ne vise que des relations au sein d’un groupe de sociétés, elle affecte de manière prépondérante la liberté d’établissement (arrêt du 26 juin 2008, Burda, C 284/06, EU:C:2008:365, point 68 et jurisprudence citée).

59 En l’occurrence, la législation en cause au principal porte sur le traitement fiscal des cessions d’actifs au sein d’un même groupe de sociétés. De même, il ressort de la décision de renvoi que les règles de transfert de groupe ne s’appliquent qu’aux cessions effectuées au sein d’un groupe de sociétés, la notion de « groupe de sociétés » étant définie par la législation nationale en cause au principal comme visant une société et ses filiales détenues à 75 % ainsi que les filiales de celles-ci détenues elles-mêmes à 75 %.

60 En outre, ainsi que le souligne le gouvernement du Royaume-Uni, il apparaît que ces règles s’appliquent aux cessions d’actifs entre une société mère et les filiales (ou sous-filiales) sur lesquelles elle exerce une influence directe (ou indirecte) certaine ainsi qu’aux cessions d’actifs entre des filiales (ou sous-filiales) sœurs qui ont une société mère commune exerçant une influence certaine sur celles-ci. Dans ces deux cas de figure, les règles de transfert de groupe semblent ainsi s’appliquer en raison de la participation de la société mère dans le capital de ses filiales, permettant à celle-ci d’exercer une influence certaine sur ses filiales.

61 À supposer que lesdites règles aient des effets restrictifs sur la libre circulation des capitaux, de tels effets seraient la conséquence inéluctable d’une éventuelle entrave à la liberté d’établissement et ne justifient pas, dès lors, un examen autonome de celles-ci au regard de l’article 63 TFUE (voir, en ce sens, arrêt du 18 juillet 2007, Oy AA, C 231/05, EU:C:2007:439, point 24 et jurisprudence citée).

62 Partant, une législation nationale, telle que les règles de transfert de groupe, qui ne s’applique qu’aux groupes de sociétés, relève de manière prépondérante du champ d’application de l’article 49 TFUE qui garantit la liberté d’établissement, sans qu’il soit nécessaire de l’examiner au regard de la libre circulation des capitaux garantie par l’article 63 TFUE.

63 Par ailleurs, il convient de rappeler que l’article 63 TFUE ne saurait, en tout état de cause, trouver application dans une situation qui relèverait, en principe, du champ d’application de l’article 49 TFUE, lorsqu’une des sociétés concernées est fiscalement établie dans un pays tiers, ce qui est le cas de la société suisse dans le cadre de la cession de 2011.

64 En effet, dès lors que le traité FUE n’étend pas la liberté d’établissement aux pays tiers, il importe d’éviter que l’interprétation de l’article 63, paragraphe 1, TFUE, en ce qui concerne les relations avec ces États, permette à des opérateurs économiques qui n’entrent pas dans les limites du champ d’application territorial de la liberté d’établissement de tirer profit de celle-ci (arrêt du 24 novembre 2016, SECIL, C 464/14, EU:C:2016:896, point 42 et jurisprudence citée).

65 Il n’y a donc pas lieu d’examiner, à titre complémentaire, l’applicabilité de l’article 63 TFUE comme évoqué dans le libellé de la deuxième question.

66 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre aux première et deuxième questions que l’article 63 TFUE doit être interprété en ce sens qu’une législation nationale qui ne s’applique qu’aux groupes de sociétés ne relève pas de son champ d’application.

Sur la troisième question

67 Par sa troisième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 49 TFUE doit être interprété en ce sens qu’une législation nationale qui assujettit à une obligation fiscale immédiate une cession d’actifs effectuée par une société ayant sa résidence fiscale dans un État membre à une société sœur ayant sa résidence fiscale dans un pays tiers et qui n’exerce pas d’activité commerciale dans cet État membre par l’intermédiaire d’un établissement stable, dans le cas où ces deux sociétés sont des filiales détenues à 100 % par une société mère commune qui a sa résidence fiscale dans un autre État membre, constitue une restriction à la liberté d’établissement, au sens de l’article 49 TFUE, de cette société mère, dans des circonstances dans lesquelles une telle cession serait effectuée sur une base fiscalement neutre si la société sœur avait également sa résidence fiscale dans le premier État membre ou y exerçait une activité par l’intermédiaire d’un établissement stable.

68 À titre liminaire, il convient d’observer, à l’instar de M. l’avocat général aux points 41 et 42 de ses conclusions, d’une part, que la troisième question vise uniquement le type d’opérations correspondant à la cession de 2011, à savoir une cession d’actifs par une société assujettie à l’impôt au Royaume-Uni à une société ayant sa résidence fiscale dans un pays tiers, en l’occurrence en Suisse, et qui n’est pas assujettie à l’impôt au Royaume-Uni.

69 D’autre part, cette question vise la situation dans laquelle une société mère, en l’occurrence la société néerlandaise, a exercé sa liberté au titre de l’article 49 TFUE en établissant une filiale au Royaume-Uni, en l’occurrence GL.

70 Selon la jurisprudence constante de la Cour, la liberté d’établissement, que l’article 49 TFUE reconnaît aux ressortissants de l’Union, comprend, en vertu de l’article 54 TFUE, pour les sociétés constituées en conformité avec la législation d’un État membre et ayant leur siège statutaire, leur administration centrale ou leur principal établissement au sein de l’Union, le droit d’exercer leur activité dans d’autres États membres par l’intermédiaire d’une filiale, d’une succursale ou d’une agence [voir, en ce sens, arrêt du 22 septembre 2022, W (Déductibilité des pertes définitives d’un établissement stable non-résident), C 538/20, EU:C:2022:717, point 14 et jurisprudence citée].

71 La liberté d’établissement vise à garantir le bénéfice du traitement national dans l’État membre d’accueil aux ressortissants d’autres États membres et aux sociétés visées à l’article 54 TFUE et interdit, pour ce qui concerne les sociétés, toute discrimination fondée sur le lieu du siège (arrêt du 6 octobre 2022, Contship Italia, C 433/21 et C 434/21, EU:C:2022:760, point 34 ainsi que jurisprudence citée).

72 Or, ainsi que l’a constaté M. l’avocat général au point 45 de ses conclusions, une législation nationale, telle que les règles de transfert de groupe, n’entraîne aucune différence de traitement en fonction du lieu de résidence fiscale de la société mère, dans la mesure où elle traite une filiale ayant sa résidence fiscale au Royaume-Uni d’une société mère ayant son siège dans un État membre de la même manière qu’une filiale ayant sa résidence fiscale au Royaume-Uni d’une société mère ayant son siège au Royaume-Uni. En l’occurrence, il apparaît ainsi que GL aurait reçu le même traitement fiscal si la société mère, à savoir la société néerlandaise, avait eu sa résidence fiscale au Royaume-Uni.

73 Il s’ensuit qu’une telle législation nationale ne traite pas de manière moins favorable une filiale d’une société ayant sa résidence fiscale dans un État membre par rapport à une filiale comparable d’une société ayant sa résidence fiscale au Royaume-Uni.

74 Partant, une telle législation n’entraîne aucune restriction à la liberté d’établissement dans le chef de la société mère.

75 Cette conclusion ne saurait être infirmée par les arguments avancés par GL. Selon cette dernière, l’incapacité à transférer des actifs de GL, une société ayant sa résidence au Royaume-Uni acquise par la société néerlandaise, à une filiale de cette dernière sur une base fiscalement neutre aurait rendu moins attrayante l’acquisition de GL par la société néerlandaise et aurait été susceptible de la dissuader d’effectuer cette acquisition.

76 À cet égard, il convient de constater que la jurisprudence invoquée par GL, selon laquelle il existerait une restriction à la liberté d’établissement lorsqu’une mesure rend « moins attrayant l’exercice de cette liberté », couvre des situations qui se distinguent de celle en cause au principal, à savoir des situations dans lesquelles une société cherchant à exercer sa liberté d’établissement dans un autre État membre subit un désavantage par rapport à une société similaire qui n’exerce pas cette liberté (voir, en ce sens, arrêt du 29 novembre 2011, National Grid Indus, C 371/10, EU:C:2011:785, points 36 et 37).

77 Toutefois, en l’occurrence, les règles de transfert de groupe assujettissent à une obligation fiscale immédiate la cession d’actifs, effectuée par une filiale ayant sa résidence fiscale au Royaume-Uni d’une société mère n’ayant pas sa résidence fiscale au Royaume-Uni, vers un pays tiers et imposent la même obligation fiscale dans la situation comparable d’une cession d’actifs, effectuée par une filiale ayant sa résidence fiscale au Royaume-Uni d’une société mère ayant sa résidence fiscale au Royaume-Uni, vers un pays tiers.

78 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la troisième question que l’article 49 TFUE doit être interprété en ce sens qu’une législation nationale qui assujettit à une obligation fiscale immédiate une cession d’actifs effectuée par une société ayant sa résidence fiscale dans un État membre à une société sœur ayant sa résidence fiscale dans un pays tiers et qui n’exerce pas d’activité commerciale dans cet État membre par l’intermédiaire d’un établissement stable, dans le cas où ces deux sociétés sont des filiales détenues à 100 % par une société mère commune qui a sa résidence fiscale dans un autre État membre, ne constitue pas une restriction à la liberté d’établissement, au sens de l’article 49 TFUE, de cette société mère, dans des circonstances dans lesquelles une telle cession serait effectuée sur une base fiscalement neutre si la société sœur avait également sa résidence fiscale dans le premier État membre ou y exerçait une activité par l’intermédiaire d’un établissement stable.

Sur la quatrième question

79 La quatrième question étant posée à titre subsidiaire, à savoir uniquement dans l’hypothèse d’une réponse affirmative de la Cour aux première et deuxième questions en ce qui concerne l’applicabilité, en l’occurrence, de l’article 63 TFUE, il n’y a pas lieu de répondre à cette question.

Sur la cinquième question

80 Par sa cinquième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 49 TFUE doit être interprété en ce sens qu’une restriction du droit à la liberté d’établissement résultant de la différence de traitement entre les cessions nationales et transfrontières d’actifs effectuées à titre onéreux au sein d’un groupe de sociétés en vertu d’une législation nationale qui assujettit à une obligation fiscale immédiate une cession d’actifs effectuée par une société ayant sa résidence fiscale dans un État membre, peut, en principe, être justifiée par la nécessité de préserver une répartition équilibrée des pouvoirs d’imposition entre les États membres, sans qu’il soit nécessaire de prévoir une possibilité de reporter le paiement de l’imposition pour garantir le caractère proportionné de cette restriction, lorsque le contribuable concerné a obtenu, en contrepartie de la cession des actifs, un montant égal à la pleine valeur de marché de ces actifs.

81 À titre liminaire, il convient de préciser qu’il n’y a pas lieu de répondre à cette question dans le cadre de la cession de 2011. D’une part, selon la réponse apportée à la troisième question, une législation telle que les règles de transfert de groupe n’entraîne aucune restriction à la liberté d’établissement dans le chef de la société mère. D’autre part, s’agissant d’une éventuelle restriction à la liberté d’établissement dans le chef de GL, il y a lieu de constater qu’une cession d’actifs par une société assujettie à l’impôt au Royaume-Uni à une société ayant sa résidence fiscale en Suisse et qui n’est pas assujettie à l’impôt au Royaume-Uni ne relève pas du champ d’application de l’article 49 TFUE, dès lors que la Confédération suisse n’est pas un État membre. En effet, le traité FUE n’étend pas la liberté d’établissement aux pays tiers et le champ d’application de l’article 49 TFUE ne s’étend pas au cas de l’établissement d’une société d’un État membre dans un pays tiers (voir, en ce sens, ordonnance du 10 mai 2007, A et B, C 102/05, EU:C:2007:275, point 29).

82 En ce qui concerne la cession de 2014, dans le cadre de laquelle GL a cédé des actions d’une filiale à la société néerlandaise, il est constant que les règles de transfert de groupe aboutissent à un traitement fiscal différent parmi les sociétés assujetties à l’impôt sur les sociétés au Royaume-Uni qui effectuent des cessions d’actifs intragroupe, selon que la cession en cause est faite au bénéfice d’une société britannique ou d’une société établie dans un État membre. Alors qu’aucune obligation fiscale ne naît lorsqu’une telle société cède des actifs à une société du groupe assujettie à l’impôt au Royaume-Uni, ces règles ne prévoient pas un tel avantage lorsque la cession est effectuée, comme dans le cadre de la cession de 2014, en faveur d’une société du groupe assujettie à l’impôt dans un État membre.

83 Il s’ensuit que de telles règles constituent une restriction à la liberté d’établissement dans la mesure où elles aboutissent à un traitement fiscal moins favorable des sociétés assujetties à l’impôt au Royaume-Uni qui réalisent des cessions d’actifs intragroupe à des sociétés qui ne sont pas assujetties à l’impôt au Royaume-Uni par rapport aux sociétés assujetties à l’impôt au Royaume-Uni qui réalisent des cessions d’actifs intragroupe à des sociétés assujetties à l’impôt au Royaume-Uni.

84 La juridiction de renvoi semble admettre qu’une telle restriction peut être justifiée par des raisons impérieuses d’intérêt général, à savoir la nécessité de préserver la répartition équilibrée des pouvoirs d’imposition entre les États membres.

85 Selon le gouvernement du Royaume-Uni, la Cour a reconnu que la préservation d’une répartition équilibrée des pouvoirs d’imposition entre les États membres peut, en principe, justifier une différence de traitement entre les opérations transfrontalières et les opérations effectuées au sein d’un même ressort de compétence fiscale. Ce gouvernement estime que les mesures nationales en cause au principal poursuivent un tel objectif, sont proportionnées et ne vont pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre leur objectif.

86 Ainsi que la Cour l’a itérativement jugé, la justification tirée de la nécessité de préserver la répartition équilibrée du pouvoir d’imposition entre les États membres peut être admise lorsque le régime en cause vise à prévenir des situations de nature à compromettre le droit d’un État membre d’exercer sa compétence fiscale en relation avec les activités réalisées sur son territoire (voir, en ce sens, arrêt du 20 janvier 2021, Lexel, C 484/19, EU:C:2021:34, point 59 et jurisprudence citée).

87 Toutefois, la réglementation en cause au principal et la restriction qu’elle implique ne doivent pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif (voir, en ce sens, arrêt du 8 mars 2017, Euro Park Service, C 14/16, EU:C:2017:177, point 63 et jurisprudence citée).

88 Ainsi que l’a constaté M. l’avocat général au point 62 de ses conclusions, la seule question sur laquelle les parties au principal sont en désaccord concerne le caractère proportionné, par rapport audit objectif, de l’exigibilité immédiate du paiement de l’impôt en cause, sans option de report de paiement. En effet, l’interrogation de la juridiction de renvoi semble viser, en réalité, la conséquence découlant de l’exclusion de GL du bénéfice de l’exonération fiscale par les règles de transfert de groupe, à savoir la circonstance que le montant de l’impôt dû est immédiatement exigible.

89 À cet égard, il ressort de la jurisprudence de la Cour que les États membres étant en droit d’imposer les plus-values générées par les cessions d’actifs alors que les actifs en cause se trouvaient sur leur territoire ont le pouvoir de prévoir un fait générateur de l’impôt autre que la réalisation effective de ces plus-values, afin de garantir l’imposition de ces actifs (voir, en ce sens, arrêt du 21 mai 2015, Verder LabTec, C 657/13, EU:C:2015:331, point 45). Il apparaît qu’un État membre peut ainsi assujettir les plus-values latentes à une obligation fiscale afin de garantir l’imposition de ces actifs.

90 Toutefois, une réglementation d’un État membre qui impose le recouvrement immédiat de l’impôt afférent aux plus-values latentes générées dans le cadre de sa compétence fiscale, à l’occasion du transfert du siège de direction effective d’une société en dehors de son territoire, a été jugée disproportionnée, en raison de l’existence de mesures moins attentatoires à la liberté d’établissement que le recouvrement immédiat de cet impôt. À cet égard, la Cour a considéré qu’il convenait de laisser à l’assujetti le choix entre, d’une part, le paiement immédiat de cet impôt et, d’autre part, le paiement différé du montant dudit impôt, assorti, le cas échéant, d’intérêts selon la réglementation nationale applicable (arrêt du 16 avril 2015, Commission/Allemagne, C 591/13, EU:C:2015:230, point 67).

91 Dans ce contexte, ainsi que l’a constaté M. l’avocat général au point 68 de ses conclusions, lorsqu’il s’agit de distinguer entre les plus-values réalisées par le cédant des actifs au sein d’un groupe de sociétés et les plus-values latentes, deux circonstances sont particulièrement pertinentes, à savoir, d’une part, le fait que les cas d’imposition à la sortie se caractérisent par le problème de trésorerie auquel est confronté le contribuable qui doit s’acquitter d’un impôt sur une plus-value qu’il n’a pas encore réalisée et, d’autre part, le fait que les autorités fiscales doivent s’assurer du paiement de l’impôt sur les plus-values réalisées pendant la période durant laquelle les actifs se trouvaient dans leur juridiction fiscale (voir, en ce sens, arrêt du 29 novembre 2011, National Grid Indus, C 371/10, EU:C:2011:785, point 52) et que le risque de non-paiement de l’impôt peut augmenter en fonction de l’écoulement du temps (voir, en ce sens, arrêts du 29 novembre 2011, National Grid Indus, C 371/10, EU:C:2011:785, point 74, et du 21 mai 2015, Verder LabTec, C 657/13, EU:C:2015:331, point 50).

92 Or, dans le cas d’une plus-value réalisée à la suite d’une cession d’actifs, le contribuable n’est, en principe, pas confronté à un problème de trésorerie et peut s’acquitter de l’impôt sur les plus-values avec le produit de cette cession d’actifs. En l’occurrence, il ressort de la décision de renvoi ainsi que du libellé même de la cinquième question que, s’agissant de la cession de 2014, il est constant que GL a reçu en contrepartie de celle-ci une rémunération correspondant à la valeur du marché des actifs concernés par ladite cession. Par conséquent, les plus-values pour lesquelles GL était soumise à l’impôt correspondaient aux plus-values réalisées.

93 Ainsi, dans des circonstances dans lesquelles, d’une part, les plus-values ont été réalisées lors du fait générateur de l’impôt, d’autre part, les autorités fiscales doivent s’assurer du paiement de l’impôt sur les plus-values réalisées pendant la période durant laquelle les actifs se trouvent dans leur juridiction fiscale et, enfin, le risque de non-paiement de l’impôt peut augmenter en fonction de l’écoulement du temps, une obligation fiscale immédiatement recouvrable apparaît proportionnée à l’objectif de préserver une répartition équilibrée des pouvoirs d’imposition entre les États membres, sans qu’une possibilité de report du paiement doive être accordée au contribuable.

94 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la cinquième question que l’article 49 TFUE doit être interprété en ce sens qu’une restriction du droit à la liberté d’établissement résultant de la différence de traitement entre les cessions nationales et transfrontières d’actifs effectuées à titre onéreux au sein d’un groupe de sociétés en vertu d’une législation nationale qui assujettit à une obligation fiscale immédiate une cession d’actifs effectuée par une société ayant sa résidence fiscale dans un État membre, peut, en principe, être justifiée par la nécessité de préserver une répartition équilibrée des pouvoirs d’imposition entre les États membres, sans qu’il soit nécessaire de prévoir une possibilité de reporter le paiement de l’imposition pour garantir le caractère proportionné de cette restriction, lorsque le contribuable concerné a obtenu, en contrepartie de la cession des actifs, un montant égal à la pleine valeur de marché de ces actifs.

Sur la sixième question

95 Compte tenu de la réponse apportée à la cinquième question, il n’y a pas lieu de répondre à la sixième question.

Sur les dépens

96 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (troisième chambre) dit pour droit :

1) L’article 63 TFUE doit être interprété en ce sens qu’une législation nationale qui ne s’applique qu’aux groupes de sociétés ne relève pas de son champ d’application.

2) L’article 49 TFUE doit être interprété en ce sens qu’une législation nationale qui assujettit à une obligation fiscale immédiate une cession d’actifs effectuée par une société ayant sa résidence fiscale dans un État membre à une société sœur ayant sa résidence fiscale dans un pays tiers et qui n’exerce pas d’activité commerciale dans cet État membre par l’intermédiaire d’un établissement stable, dans le cas où ces deux sociétés sont des filiales détenues à 100 % par une société mère commune qui a sa résidence fiscale dans un autre État membre, ne constitue pas une restriction à la liberté d’établissement, au sens de l’article 49 TFUE, de cette société mère, dans des circonstances dans lesquelles une telle cession serait effectuée sur une base fiscalement neutre si la société sœur avait également sa résidence fiscale dans le premier État membre ou y exerçait une activité par l’intermédiaire d’un établissement stable.

3) L’article 49 TFUE doit être interprété en ce sens qu’une restriction du droit à la liberté d’établissement résultant de la différence de traitement entre les cessions nationales et transfrontières d’actifs effectuées à titre onéreux au sein d’un groupe de sociétés en vertu d’une législation nationale qui assujettit à une obligation fiscale immédiate une cession d’actifs effectuée par une société ayant sa résidence fiscale dans un État membre, peut, en principe, être justifiée par la nécessité de préserver une répartition équilibrée des pouvoirs d’imposition entre les États membres, sans qu’il soit nécessaire de prévoir une possibilité de reporter le paiement de l’imposition pour garantir le caractère proportionné de cette restriction, lorsque le contribuable concerné a obtenu, en contrepartie de la cession des actifs, un montant égal à la pleine valeur de marché de ces actifs.