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Décisions

CA Amiens, 1re ch. civ., 26 novembre 2019, n° 16/02355

AMIENS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Défendeur :

Alata Expertise Comptable (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Delbano

Conseillers :

M. Adrian, Mme Segond

TGI Senlis, du 12 avr. 2016

12 avril 2016

DECISION :

Suivant acte sous seing privé du 20 janvier 2003, la société Ebénisterie A. a acquis la totalité des parts du capital de la société Sélection internationale pour un prix de 304 500 euros, financé par un emprunt auprès de la société Scalbert D. devenue la société Scalbert D. ' CIN (la banque) et pour lequel Carmen A., Boniface A. et Pascal A. se sont portés cautions solidaires et hypothécaires.

Cette cession a été précédée d'une étude prévisionnelle effectuée par la société Alata expertise comptable dite Alexco et d'un rapport établi le 14 janvier 2003 par M. O., désigné commissaire à la transformation dans le cadre de la transformation de la société Sélection internationale, de société à responsabilité limitée en société par actions simplifiées.

Suite à la découverte d'irrégularités dans les comptes présentés lors de la cession, la société Ebénisterie A. a demandé son annulation devant le tribunal de commerce qui a homologué une transaction le 28 juillet 2010, prévoyant notamment la réduction du prix de la cession et le versement au cessionnaire de dommages et intérêts.

Entre temps, la société Ebénisterie A. ayant fait l'objet d'une liquidation judiciaire, la banque a, par acte du 18 décembre 2006, engagé la procédure de saisie de l'immeuble hypothéqué en garantie du prêt. L'immeuble a été vendu sur adjudication par jugement du 22 septembre 2009.

Par acte du 20 novembre 2012, Carmen R. veuve A. et Pascal A. (les cautions), deux des trois cautions du prêt, ont assigné M. O. et la société Alexco en réparation de leurs préjudices.

Par jugement du 12 avril 2016, le tribunal de grande instance de Senlis a déclaré prescrite l'action en responsabilité contre M. O., débouté les cautions de leur action en responsabilité contre la société Alexco et débouté M. O. de sa demande de dommages et intérêts.

Par déclaration du 13 mai 2016, les cautions ont régulièrement fait appel du jugement.

Par ordonnance du 15 novembre 2017, le conseiller de la mise en état a admis la recevabilité des conclusions de M. O..

L'instruction a été clôturée le 24 juin 2019 et l'affaire a été fixée à l'audience des débats du 1eroctobre 2019.

Vu les dernières conclusions des cautions du 25 mai 2018 ;

Vu les dernières conclusions de M. O. du 10 juillet 2017 ;

Vu les dernières conclusions de la société Alexco du 12 septembre 2016 ;

MOTIFS

- Sur la prescription de l'action à l'encontre de M. O.

M. O. soulève la prescription de l'action sur le fondement de l'article L. 225-242 du code de commerce prévoyant une prescription triennale des actions en responsabilité des commissaires aux comptes. Les cautions se prévalent de la prescription de droit commun.

Or, ce n'est pas en qualité de commissaire aux comptes que M. O. a été désigné commissaire à la transformation. Il n'a pas agi dans le cadre des missions obligatoires de contrôle du commissaire aux comptes prévues par les articles L. 223-43 et L. 224-3 du code de commerce. C'est donc à tort que le premier juge a appliqué la prescription prévue par l'article L. 225-242 du code de commerce qui vise uniquement les commissaires aux comptes dans l'exercice de leurs missions.

A défaut de texte spécial et dans les rapports entre non commerçants, la prescription de droit commun doit être appliquée.

Selon l'article 2270-1 du code civil, applicable avant la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, les actions en responsabilité civile extracontractuelle se prescrivent par dix ans à compter de la manifestation du dommage ou de son aggravation. La loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 a ramené cette prescription à cinq ans. L'article 2224 du code civil dispose désormais que les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer. Cette durée s'applique aux prescriptions à compter du jour de l'entrée en vigueur de la loi, sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure.

En l'espèce, la prescription a commencé à courir pour les cautions le 18 décembre 2006, date d'engagement de la procédure de saisie de l'immeuble hypothéqué puisqu'à ce moment, les cautions ont su que les obligations résultant de leurs engagements allaient être mises à exécution du fait de la défaillance du débiteur principal.

Au 20 novembre 2012, date de l'assignation devant le premier juge, la durée de dix ans prévue par la loi antérieure n'était pas atteinte, de sorte que l'action en responsabilité à l'encontre de M. O. n'est pas prescrite.

Le jugement sera donc infirmé en ce qu'il a déclaré prescrite l'action en responsabilité contre M. O., action qui sera déclarée recevable.

- Sur les demandes en réparation des cautions

Aux termes de l'article 1382 devenu 1240 du code civil, tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer. La responsabilité civile suppose la démonstration d'une faute, d'un préjudice et d'un lien de causalité entre les deux.

Les cautions sollicitent des dommages et intérêts à l'encontre de M. O. et la société Alexco, estimant qu'ils ont commis des fautes en ne vérifiant pas la régularité des comptes de la société Sélection internationale, leur causant un préjudice lié aux pertes subies du fait de la vente sur adjudication de leur bien immobilier.

Sur la demande à l'encontre de M. O., selon l'article L. 224-3 du code de commerce, dans sa rédaction applicable au litige, le commissaire à la transformation apprécie sous sa responsabilité la valeur des biens composant l'actif social et les avantages particuliers. Il atteste, en application de l'article 56- 1 du décret n° 67-236 du 23 mars 1967, que le montant des capitaux propres est au moins égal au capital social.

Ainsi, il n'effectue pas d'audit ni ne certifie la régularité des comptes sur lesquels il s'appuie et qu'il n'a pas pour mission de vérifier. Il est débiteur d'une obligation de moyen.

Dans son rapport du 14 janvier 2003, M. O. indique que ses observations portent sur les comptes clos au 31 décembre 2002 et atteste que le montant des capitaux propres est au moins égal au capital social.

Il ressort de la transaction homologuée le 28 juillet 2010 par le tribunal de commerce des factures comptablement enregistrées sur l'exercice clos au 31 octobre 2002 ont donné lieu à livraison postérieure à la clôture de cet exercice, gonflant ainsi le montant de l'actif net. Cependant, les parties ont accepté de transiger sur la base de 28 factures litigieuses représentant un montant total de 41 334 euros et de diminuer le prix de la cession de ce montant. Les irrégularités comptables sont donc établies à hauteur de 41 334 euros et non de 140 000 euros comme l'affirment les cautions en se fondant sur les autres chefs de la transaction dont il n'est pas établi qu'elles avaient pour objet de réparer le préjudice lié aux irrégularités alléguées.

Ces irrégularités pour le montant retenu ne sont pas de nature à diminuer sensiblement l'actif net, ni à remettre en cause l'attestation de M. O. selon laquelle le montant des capitaux propres est au moins égal au capital social. En outre, M. O., en sa qualité de commissaire à la transformation, n'avait pas pour mission de vérifier la régularité des comptes, de sorte qu'aucune faute ne peut être retenue à son encontre.

En conséquence, les cautions seront déboutées de leur demande de dommages et intérêts à l'encontre de M. O..

Sur la demande à l'encontre de la société Alexco, il n'est pas établi que celle-ci ait été chargée de vérifier les comptes de la société Sélection internationale, en l'absence de production d'une lettre de mission et de l'audit allégué ainsi que le premier juge l'a justement relevé.

En cause d'appel, les cautions produisent une « étude prévisionnelle », non datée et non signée. Cependant, ce document n'est pas un audit mais une étude de la viabilité du projet de cession sur la base des comptes annuels arrêtés au 31 octobre 2001 alors que les irrégularités concernent l'exercice suivant. En tout état de cause, en l'absence de production d'une lettre de mission, l'étendue de la mission de l'expert-comptable n'est pas précisément définie, de sorte qu'aucune faute ne peut être retenue à son encontre.

En conséquence, le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté les cautions de leur action en responsabilité contre la société Alexco.

- Sur la demande en réparation de M. O. pour procédure abusive

L'exercice d'une action en justice ne dégénère en abus pouvant donner naissance à des dommages et intérêts que dans le cas de malice, de mauvaise foi ou d'erreur équipollente au dol.

En l'espèce, si la responsabilité de M. O. a été écartée, l'action en justice des cautions n'est pas pour autant fautive, l'erreur de droit n'étant pas en elle-même constitutive d'une faute. Au surplus et ainsi que l'a relevé le premier juge, M. O. ne prouve ni son préjudice moral ni son préjudice économique.

Parties perdantes, les cautions seront condamnées in solidumaux dépens d'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par mise à disposition au greffe, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,

- Confirme le jugement en toutes ses dispositions sauf celle ayant déclaré prescrite l'action en responsabilité contre Pascal O.,

Statuant à nouveau sur le chef infirmé :

- Déclare recevable l'action en responsabilité contre Pascal O.,

- Déboute Carmen R. veuve A. et Pascal A. de leur demande de dommages et intérêts contre Pascal O.,

Y ajoutant :

- Condamne Carmen R. veuve A. et Pascal A. in solidumaux dépens d'appel, avec paiement direct profit de la société d'avocats Lexavoué,

- Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne Carmen R. veuve A. et Pascal A. in solidum à payer à Pascal O. la somme de 2 000 euros et conjointement à payer à la société Alexco la somme de 2 000 euros.

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