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Décisions

CA Paris, 1re ch. A, 5 juillet 2006, n° 05/11923

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

JC Decaux (Sté)

Défendeur :

Rambaud Martel (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Debû

Conseillers :

M. Grellier, Mme Horbette

Avoués :

SCP Bernabe - Chardin - Cheviller, SCP Hardouin

Avocats :

Me Monod, Me Cornut-Gentille

TGI Paris, 1re ch., 1re sect., du 11 mai…

11 mai 2005

La Société JC Decaux a pour activité la commercialisation d'espaces publicitaires, le montage et l'entretien de mobiliers urbains, l'entretien de mobiliers de voirie et les prestations d'assistance et de conseil dans les domaines administratif, juridique et immobilier, social et industriel destinées aux filiales du groupe.

Début 1999, le groupe publicitaire Havas a décidé de céder l'ensemble Havas Media Communication Outdoor Advertising et mandaté à cette fin la banque Lazard Frères avec mission d'organiser cette cession au moyen d'appel d'offres mettant en concurrence divers candidats acquéreurs.

Le 15 février 1999, la société JC Decaux a été contactée par la banque Lazard Frères qui lui a proposé de participer à la procédure d'appel d'offres.

Cette procédure prévoyait que les candidats remettent leur offre d' acquisition le 19 mars 1999 au plus tard, qui devait préciser le prix proposé pour la totalité des actions, les hypothèses retenues pour la détermination du prix, et l'étendue des travaux d'audit auxquels ils serait souhaitable de procéder; qu'après étude de ces offres, Havas admettrait les candidats qui lui apparaissent correspondre le mieux à ses attentes à une deuxième phase comprenant des réunions avec les dirigeants d'Havas, ainsi que la remise au candidat acquéreur d'un projet de contrat de cession rédigé par Havas et l'accès à une data - room de 4 jours du 6 au 9 avril, en fonction de documents comptables choisis par Havas.

Une data room complémentaire a été organisée le 16 avril 1999, les offres devant être formalisées le 23 avril au plus tard.

La société JC Decaux a demandé à la SCP d'avocats, spécialisée dans le domaine de l'audit juridique et des fusions acquisitions, Rambaud Martel de l'assister lors des deux data room. Celle-ci a remis à la société JC Decaux deux rapports, les 14 et 20 avril, après chaque data room.

L'offre de la société Decaux, d'un montant de 5.750.000.000 francs a été retenue par Havas et la vente a eu lieu le 7 mai 1999 ; la société Decaux détenait dès lors l'intégralité du capital social des sociétés Havas soit Avenir, Havas Communication, Claude, Havas Publicité, et prenait le contrôle de la SNC Aguesseau détenue à 99, 90% par la société Avenir et pour le surplus, soit 0,10% par Havas Communication.

Or, la SNC Aguesseau était titulaire selon acte notarié du 25 juin 1993 d'un crédit-bail consenti par les sociétés Natiocréditbail et Sogefinancement sur un immeuble situé [...]. Il s'agissait là du principal actif immobilier des sociétés acquises par JC Decaux. Cet immeuble était donné à bail par la société Aguesseau à Avenir et Havas Communication, qui y avaient établi leur siège social.

JC Decaux a engagé en vue de la cession de cet immeuble des pourparlers avec la société allemande Deka Immobilien Investment GmbH, qui a subordonné son acceptation à la réponse à la question posée par la non-conformité au permis de construire du nombre d'emplacements de stationnement réalisé, très inférieur à celui prévu au permis de construire et imposé par le cahier des charges et le plan d'aménagement de la zone, ce qui conduisait à en oeuvre les dispositions de l'article L 421-3 du code de l'urbanisme.

La SA JC Decaux a transféré la propriété de l'immeuble en cause dans l'attente de la vente à la société Deka, à la SCI Troisjean de sorte que l'acte de vente à la société Deka a eu lieu le 24 octobre 2002, deux actes successifs en date du 26 décembre 2001 ayant d'abord constaté la vente à la SNC Aguesseau, puis à la SCI Troisjean, qui s'est engagée, garantie par la SNC Aguesseau, à payer à la ville de Boulogne-Billancourt la taxe pour non-réalisation des emplacements de stationnements.

Le 30 juin 2002, la commune de Boulogne Billancourt a émis à l'encontre de la SCI Troisjean un titre exécutoire de participation pour non-réalisation des aires de stationnement de 963 405 €, réglé par la sci Troisjean le 25 septembre 2002, puis refacturé à la SNC Aguesseau.

Estimant que la SCP Rambaud Martel avait commis des manquements fautifs à son endroit, de nature à engager sa responsabilité professionnelle, notamment en ce que lors de la première data room , elle n'avait pas décelé, à partir des documents qui lui avaient été soumis ou qui auraient du être demandés, l'existence de la violation du permis de construire, génératrice d'une obligation de régulariser par une nouvelle construction, ou par une compensation financière et exigé la production de l'acte de vente en l'état futur d'achèvement du 25 juin 1993 auquel faisait référence les documents mis à la disposition des candidats acquéreurs, la société JC Decaux a sollicité la condamnation de son conseil à l'indemniser de toutes les conséquences en relation avec le manquement allégué, la distorsion existant entre les places de stationnement prévues et celles réalisées ayant pu conférer une marge de manoeuvre plus importante dans la négociation du prix d' acquisition de l'ensemble des sociétés Havas.

Selon jugement prononcé le 11 mai 2005 par le tribunal de grande instance de Paris, la SA JC Decaux a été déboutée de toutes ses demandes.

Ceci exposé, la Cour,

Vu l'appel formé le 30 mai 2005 par la SA JC Decaux à l'encontre de ce jugement,

Vu les conclusions du 12 avril 2006, par lesquelles celle-ci, poursuivant l'infirmation du jugement, persiste à solliciter la condamnation de la société d'avocats Rambaud-Martel à lui verser, outre 12 000 € au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile, à titre de dommages et intérêts la somme de 963 405 € outre les intérêts au taux légal à compter de la demande pour la perte de chance de négocier le prix de l' acquisition des titres vendus par le groupe Havas le 7 mai 1999 ou les conditions de garantie de passif, subsidiairement de condamner la société Rambaud-Martel à lui payer à titre de dommages et intérêts pour le montant des pertes subies à raison du différé de la vente de l'immeuble de la SNC Aguesseau, à savoir:

1- 634 487,86 € outre les intérêts au taux légal depuis l'assignation du chef du coût du crédit-bail ;

2-26 754,28 € outre les intérêts depuis l'assignation, du chef de remboursement des taxes foncières et de la taxe sur les bureaux en Ile de France ;

3-448 786,65 € outre les intérêts depuis l'assignation du chef des produits financiers non perçus ;

4-37 691 € pour les frais et honoraires de conseil outre les intérêts depuis l’assignation ;

Vu les conclusions du 12 mai 2006 de la SCP Rambaud-Martel par lesquelles celle-ci demande à la cour de débouter la SA JC Decaux de toutes ses demandes, de l'accueillir en son appel incident, de déclarer la SA JC Decaux irrecevable en toutes ses demandes et de la condamner à lui payer la somme de 12 000 € au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ;

Sur quoi,

Considérant que la société JC Decaux soutient avoir demandé à la SCP Rambaud-Martel un véritable audit juridique à l'effet de vérifier la consistance des actifs et les risques de passif des sociétés de l'ensemble HMC-OA, bien au-delà de la régularité formelle des actes, de sorte qu'en tant que professionnelle du droit, elle était tenue de lui fournir tous les éléments utiles à permettre une décision pleinement éclairée, tous les aspects de l' acquisition ayant été pris en compte; que si certains documents n'étaient pas disponibles, il lui appartenait de les obtenir ou d'exprimer les réserves que suscitait ce défaut de communication; que l'appelante fait grief à son ancien conseil de n'avoir pas réclamé à Lazard Frères le contrat de vente en l'état futur d'achèvement qui aurait pu conduire, par un examen comparé des deux actes, à découvrir la distorsion sur le nombre de places de stationnement;

Considérant que la prestation, ainsi que le soutient JC Decaux, de la SCP Rambaud-Martel, spécialisée en droit immobilier et dans les opérations de fusions absorptions, consistait dans l'examen des aspects juridiques des documents mis à la disposition des acheteurs potentiels du 6 au 9 avril 1999, destiné à vérifier la situation juridique des avoirs immobiliers de l'ensemble dit 'Havas Media Communication Outdoor Advertising '; que le rapport établi le 20 avril 1999 par Rambaud-Martel est régi, nonobstant son intitulé de résumé général des documents disponibles par les dispositions de l'article 156 du décret du 27 novembre 1991 portant organisation de la profession d'avocat, débiteur d'obligation de prudence et de diligence;

Considérant qu'il n'est pas contesté que l'immeuble de Boulogne, siège des sociétés du groupe Havas, représentait une part importante de l'actif immobilier d'Havas; que la divergence relative au nombre d'emplacements de parking était décelable par la simple comparaison des mentions de l'acte de vente en l'état futur d'achèvement du 4 août 1989 et celle du contrat de crédit-bail du 25 juin 1993, le premier acte faisant état d'un engagement de construire 60 places de stationnement, le second faisant état de 40 places existantes; que c'est donc à juste titre que la société JC Decaux relève que la simple consultation du permis de construire et du cahier des charges de la ZAC permettait de vérifier l'existence de la distorsion; que le défaut de consultation du permis de construire à l'origine de la construction du principal immeuble du groupe Havas et du contrat de vente en l'état futur d'achèvement constitue, pour instaurer un cadre juridique intangible, une négligence fautive de la SCP Rambaud Martel que n'effacent ni la délivrance de certificat de conformité, ni le caractère authentique du contrat de crédit-bail, reçu par M. Dufour, notaire;

Considérant cependant que le préjudice allégué par la société Decaux n'est pas, ainsi que l'on exactement relevé les premiers juges, justifié; que l'appelante ne produit aucun élément de nature à établir un lien de causalité quelconque entre l'obligation de payer la taxe pour non réalisation des parkings et la faute de la SCP Rambaud Martel; que cette dernière n'est pas contredite lorsqu'elle observe qu'en toute hypothèse, et quelque soit le poste de préjudice retenu, y compris la garantie de passif, le manquement relevé a été sans incidence tant sur le prix de la transaction en cause que sur le paiement de la taxe, ou sur les frais ou pertes générés par le différé de la vente de l'immeuble; qu'il n'est pas en effet démontré que l'offre d'achat par Deka aurait pu, la distorsion relative au nombre de places de parking connue et discutée, intervenir avant le 21 octobre 2002, date de la délivrance du nouveau permis de construire conforme au changement de destination de 988m² en bureaux;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède et sans qu'il y ait lieu de s'engager plus avant dans le détail de l'argumentation des parties, que le jugement déféré doit être confirmé en toutes ses dispositions ;

Que s'agissant des dépens d'appel, il convient de les mettre à la charge de la SCP Rambrand Martel, eu égard à son manquement ci-dessus relevé ;

Par ces motifs :

- Confirme le jugement,

- Dit n'y avoir lieu à indemnité de procédure,

- Condamne la SCP Rambrand Martel aux dépens qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau code de procédure civile.