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Décisions

Cass. crim., 17 novembre 1986, n° 85-93.444

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Ledoux

Rapporteur :

M. Tacchella

Avocat général :

M. Robert

Avocats :

SCP Lyon-Caen, Fabiani et Liard, SCP Guiguet, Bachellier, Potier de la Varde, SCP Riché-Blondel, SCP Boré et Xavier, Me Foussard, Me Copper-Royer

Colmar, du 30 avr. 1985

30 avril 1985

REJET des pourvois dirigés contre un arrêt de la Chambre correctionnelle de la Cour d'appel de Colmar en date du 30 avril 1985 et formés :

1° / par X... Bernard qui, pour abus de biens sociaux, complicité d'abus de biens sociaux, fraude fiscale, a été condamné à 3 ans d'emprisonnement dont un an ferme et deux ans avec sursis et mise à l'épreuve pendant 3 ans, l'arrêt s'étant prononcé en outre sur les demandes de l'administration des Impôts, partie civile, et de Me Y... en qualité de syndic de la société Erge, également partie civile.

2° / par Z... Blanche, veuve X... Robert qui, pour abus de biens sociaux, a été condamnée à 3 ans d'emprisonnement dont 1 an ferme et 2 ans avec sursis et mise à l'épreuve pendant 3 ans, l'arrêt s'étant prononcé sur la demande de dommages-intérêts de Y... en qualité de syndic de la société Erge, partie civile.

3° / par A... Guy qui, pour complicité et recel d'abus de biens sociaux, a été condamné à 2 ans d'emprisonnement dont 1 an ferme et l'autre avec sursis et mise à l'épreuve pendant 3 ans, l'arrêt s'étant prononcé sur la demande de dommages-intérêts de Y... en qualité de syndic de la société Erge, partie civile.

4° / par B... Julien qui, pour complicité et recel d'abus de biens sociaux, a été condamné à 2 ans d'emprisonnement dont un an ferme et l'autre avec sursis et mise à l'épreuve pendant 3 ans, l'arrêt s'étant prononcé sur la demande de dommages-intérêts de Y... en qualité de syndic de la société Erge, partie civile.

5° / par l'administration des Douanes, exerçant l'action à fins fiscales et qui a été déboutée de ses demandes dans les poursuites engagées contre Bernard X... et veuve Blanche X..., relaxés pour constitution irrégulière d'avoirs à l'étranger.

LA COUR,

Joignant les pourvois en raison de la connexité ;

Vu les mémoires produits tant principaux qu'additionnels, et les mémoires en défense ;

I.- Sur le premier moyen du mémoire principal, proposé par Bernard X... et Julien B... et pris de la violation des articles 80, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;

" en ce que l'arrêt attaqué a rejeté l'exception de nullité de la procédure soulevée par X... et tenant à ce que le juge d'instruction avait prononcé son renvoi à raison d'un fait dont il n'était pas saisi ;

" aux motifs que si Bernard X... soutient que le juge d'instruction n'était pas régulièrement saisi à son encontre des poursuites concernant le transfert frauduleux de 5 473 117, 74 francs en Suisse au profit de la société Sovami, il ressort des pièces annexées au réquisitoire introductif du 8 avril 1982 que l'attention du Ministère public a été attirée par la situation de la société Erge et sur les agissements de Bernard X... et plus particulièrement sur la fictivité de la créance de la société Sovami sur la société Erge par la lettre du commissaire aux comptes C... ; que les premières investigations des inspecteurs des services régionaux de police judiciaire chargés de l'enquête préliminaire ont tendu à identifier l'inventeur et à rechercher la valeur des contrats souscrits entre les sociétés Sovami et Erge ainsi que les liens existant entre celles-ci ; que dès lors la saisine du juge d'instruction ne pouvait être limitée à un abus de biens sociaux portant sur la somme de 1 009 873,94 francs encaissée par Bernard X... alors que celle-ci représentait seulement l'un des quatre versements effectués en règlement des redevances dues au titre de l'allocation du brevet et qu'elle ne pouvait être dissociée de l'ensemble de l'opération considérée d'emblée comme suspecte par les plaignants ; que c'est donc cet ensemble d'opérations, à savoir l'allocation et l'achat du brevet n° 18 886-71 qui constituait le fait litigieux déterminant la saisine du juge d'instruction ;

" alors que la saisine du juge d'instruction étant strictement limitée aux faits résultant expressément des pièces visées par le réquisitoire introductif, il s'ensuit en l'espèce où, contrairement à ce qu'a affirmé la Cour par suite d'une lecture erronée des pièces annexées au réquisitoire introductif, celles-ci et notamment la lettre du commissaire aux comptes ne faisaient état que de l'encaissement par X... de la somme de 1 009 873 francs ainsi que de la perception de deux indemnités d'assurances, seuls faits sur lesquels au demeurant l'intéressé fut appelé à s'expliquer au cours de l'enquête préliminaire dans deux procès-verbaux portant les numéros 623-17 et 623-15 également visés par le réquisitoire introductif, le juge d'instruction n'étant saisi par conséquent uniquement que de la question de la perception par X... de ces trois sommes, ne pouvait, sans outrepasser les limites de sa saisine, renvoyer ce dernier devant le Tribunal correctionnel pour abus de biens sociaux, concernant le prétendu transfert frauduleux en Suisse de la somme de 5 473 617,14 francs au profit de la société Sovami ;

que dès lors, la Cour, qui, par une dénaturation manifeste du contenu des pièces visées par le réquisitoire introductif a décidé que le juge d'instruction était bien saisi de ce dernier fait, n'a pas légalement justifié sa décision " ;

Sur le deuxième moyen du mémoire principal, proposé par Bernard X... et Julien B... et pris de la violation des articles 114, 170, 591 et 593 du Code de procédure pénale, violation des droits de la défense, défaut de motif et manque de base légale ;

" en ce que l'arrêt attaqué a rejeté l'exception de nullité soulevée par X... pour inobservation des dispositions de l'article 114 du Code de procédure pénale ;

" aux motifs que si l'article 114 du Code de procédure pénale impose au juge d'instruction de faire connaître expressément à l'inculpé " chacun des faits qui sont imputés ", la mention de la formule légale établit que l'inculpé a dûment eu connaissance de ces faits ; qu'en l'espèce Bernard X... ne conteste pas avoir été inculpé d'abus de biens sociaux concernant les sommes de 1 009 873, 94 francs, 14 699,94 francs et 48 821 francs ; que la première comparution de Bernard X... s'est déroulée en présence de son conseil qui a pu consulter le dossier et communiquer librement avec lui ; que les termes du procès-verbal de première comparution faisant référence à " entre autres choses " ont été à juste titre considérés par les premiers juges comme se rapportant à l'ensemble des opérations contractuelles relatives au brevet sur lesquelles d'ailleurs, par la suite, Bernard X... s'est expliqué sans réticence ; qu'il n'apparaît pas que les dispositions de l'article 114 du Code de procédure pénale aient été violées en l'espèce ;

" alors qu'en cas de pluralité d'inculpation portant sur divers faits relevant de la même qualification juridique mais commis dans des circonstances distinctes, le respect des dispositions de l'article 114 du Code de procédure pénale impose que soit notifié à l'inculpé chacun des faits pris séparément et non une qualification juridique globale, ce qui n'a précisément pas été le cas en l'espèce où Bernard X... s'est vu simplement notifier sans davantage de précision une inculpation pour abus de biens sociaux dont en l'état des interrogatoires auxquels il avait été soumis au cours de l'enquête préliminaire et qui ne l'avaient amené à s'expliquer que sur la perception des sommes de 1 009 873,94 francs, 14 699,74 francs et 48 821 francs, il ne pouvait supposer qu'elles concernent l'ensemble des relations contractuelles relatives à l'exploitation par la société Erge du brevet appartenant à la société Sovami ; que dès lors la Cour ne pouvait sans méconnaître l'esprit et la lettre de l'article 114 du Code de procédure pénale et violer ainsi les droits de la défense, se refuser d'annuler l'interrogatoire de première comparution ainsi que la procédure subséquente par application de l'article 170 du même Code " ;

Les moyens étant réunis ;

Attendu que Bernard X... a déposé, avant tout débat au fond des conclusions qui soutenaient que le seul abus de biens sociaux dont le juge d'instruction avait été saisi par le réquisitoire introductif portait sur une somme de 1 009 873, 94 francs et non sur celle complémentaire de 5 473 117, 74 francs laquelle avait pourtant été retenue à son encontre par l'ordonnance de renvoi ; que ces conclusions arguaient également, pour conclure à la nullité de l'ensemble de la procédure d'instruction dès le procès-verbal de première comparution, que le juge d'instruction avait aussi méconnu les dispositions de l'article 114 du Code de procédure pénale ;

Attendu que pour rejeter ces deux exceptions proposées par le seul Bernard X..., la Cour d'appel énonce que des pièces annexées au réquisitoire introductif et notamment de la lettre de dénonciation du commissaire aux comptes de la société Erge, il résultait qu'étaient révélés au procureur de la République comme suspects le ou les contrats liant la société française Erge dont Bernard X... était alors le président, à une société suisse Sovami, et que, par suite, étaient remis en cause tous les mouvements de capitaux effectués entre les deux personnes morales, comme les prélèvements opérés dans la trésorerie d'Erge par ses dirigeants et passés en comptabilité sous la rubrique de redevances dues par la société Erge à ladite société Sovami, au titre de la location puis du rachat d'un brevet ; que l'arrêt attaqué ajoute que conformément aux mentions portées au procès-verbal de première comparution, Bernard X..., qui était alors assisté de son conseil, a bien été avisé de l'ensemble des faits qui lui étaient imputés sous la qualification d'abus de biens sociaux et que dès lors il ne saurait invoquer une quelconque violation des dispositions édictées par l'article 114 du Code de procédure pénale ;

Attendu qu'en prononçant ainsi, et contrairement aux griefs des moyens, la Cour d'appel a justifié sa décision ;

Qu'en effet, lorsqu'une information est ouverte pour abus de biens sociaux, après la dénonciation par un commissaire aux comptes de l'irrégularité des opérations passées au nom d'une société avec un tiers, le juge d'instruction se trouve saisi de l'ensemble des conséquences financières desdites opérations ;

Que par ailleurs, le magistrat instructeur, en notifiant en application de l'article 114 du Code de procédure pénale à une personne qu'elle se trouve inculpée au vu d'un réquisitoire introductif du délit d'abus de biens sociaux n'a pas à lui faire connaître le montant, même approximatif, du préjudice subi par la personne morale victime de ses agissements ;

Que dès lors les moyens, irrecevables en ce qui concerne Julien B..., les exceptions en cause n'ayant pas été soulevées par lui, doivent être rejetés pour ce qui est de Bernard X... ;

II. - Sur le premier moyen du mémoire additionnel proposé par Bernard X... et Julien B... et pris de la violation des articles 5, de la Convention européenne d'entraide judiciaire en matière pénale, de l'article 2 des réserves et déclarations figurant dans l'instrument de ratification déposé par la Suisse le 20 décembre 1966, 427, 591 et 593 du Code de procédure pénale, violation des droits de la défense, défaut de motifs et manque de base légale ;

" en ce que l'arrêt attaqué a rejeté l'exception de nullité de la commission rogatoire du 23 juin 1982 ;

" aux motifs que c'est à tort qu'il est soutenu que le magistrat-instructeur aurait abusé les autorités helvétiques requises en omettant de viser à la commission rogatoire qui le saisissait les chefs d'inculpation de fraude fiscale et d'infraction à la législation sur les changes dont il était également saisi dans deux procédures distinctes qu'il instruisait contre X... ; que s'il est effectif que le juge d'instruction saisi à titre principal du chef d'abus de biens sociaux à l'encontre de X..., était également saisi à son encontre d'une procédure pour fraude fiscale et d'une procédure pour infraction à la législation sur les changes, aucune disposition légale n'impose cependant au magistrat-instructeur de viser dans une commission rogatoire relative à une procédure d'abus de biens sociaux, les autres chefs d'infraction instruits dans deux procédures distinctes diligentées en l'espèce à la requête de l'Administration disposant d'un pouvoir de transaction ; que le juge d'instruction était donc fondé à requérir des mesures coercitives telles que perquisition ou saisie dans la seule procédure qu'il instruisait du chef d'abus de biens sociaux, sans que les autorités requises puissent s'y opposer, sauf pour elles à prévoir l'utilisation restrictive des pièces d'exécution conformément aux dispositions de l'article 5 de la Convention dont elles pouvaient en toute hypothèse se prévaloir ; que la jonction prononcée par le magistrat instructeur par ordonnance du 4 juin 1984, en raison de leur connexité, des procédures fiscales et douanières à la procédure suivie du chef d'abus de biens sociaux, n'est entachée d'aucune irrégularité dès lors que les autorités requises n'ont émis aucune réserve quant à l'utilisation des pièces d'exécution dans d'autres procédures que celles ayant motivé la demande d'entraide ; que les réserves formulées par lettre personnelle de l'un des magistrats helvétiques délégués au magistrat mandant postérieures à l'ordonnance de jonction ne sauraient avoir une quelconque portée juridique ; que la jonction des procédures dans les conditions susvisées ne saurait constituer une violation du principe de la loyauté dans la recherche de la preuve ; que l'exception de nullité de la commission rogatoire du 23 juin 1982 doit donc être rejetée ;

" alors qu'aux termes de l'article 2 de la Convention européenne d'entraide judiciaire en matière pénale du 20 avril 1959, telle que complétée par la réserve des autorités suisses en date du 20 décembre 1966, ces dernières se sont réservées le droit de subordonner leur concours à l'utilisation restrictive des documents qu'elles transmettent dans la procédure ayant motivé l'entraide, laquelle est précisément exclue en matière de fisc et de change, ce qui implique, pour que puisse être exercée cette prérogative, que la commission rogatoire adressée à l'Etat suisse indique précisément l'objet et le motif de la demande conformément aux dispositions de l'article 14 de la Convention susivsée ; que dès lors, en délivrant aux autorités helvétiques une commission rogatoire qui ne faisait état à l'encontre de X... que du chef d'inculpation d'abus de biens sociaux et qui par conséquent leur dissimulait qu'à raison des mêmes faits, deux autres informations étaient également ouvertes à l'encontre de X... des chefs de fraude fiscale et d'infraction à la réglementation des changes, puis en ordonnant peu après la réception du résultat de cette commission rogatoire, la jonction de ces trois procédures, le juge d'instruction a violé non seulement l'article 14 de la Convention du 20 avril 1959 mais également le principe de la loyauté dans la recherche de la preuve, la dissimulation ainsi opérée qui a privé les autorités requises de la possibilité de formuler les restrictions qu'elles n'auraient pas manqué de faire si elles avaient connu l'existence des procédures fiscale et douanière, ayant permis l'obtention d'éléments de preuve qui ont été utilisés dans ces dernières " ;

Que d'ailleurs les deux demandeurs au pourvoi qui soutiennent ce moyen sont sans intérêt à l'invoquer, B... n'ayant pas été condamné pour un quelconque délit fiscal ou cambiaire, et Bernard X... ayant été finalement relaxé pour délit de change, et condamné pour fraude fiscale, mais pour des faits sans rapport avec les redevances versées par la société Erge à la société suisse Sovami que la commission rogatoire contestée avait pour objet de rechercher et d'élucider ;

Que dès lors le moyen proposé est irrecevable ;

III. - Sur le premier moyen de cassation proposé par Z... Blanche, veuve Robert X..., et pris de la violation de l'article 172, 175 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;

" en ce que l'arrêt attaqué a rejeté l'exception de nullité de l'ordonnance de soit-communiqué du 22 août 1984 et de la procédure subséquente, tirée du fait que le réquisitoire définitif du Ministère public a été pris le jour même où était notifiée au conseil de la demanderesse l'ordonnance de soit-communiqué, soit le 23 août 1984 ;

" aux motifs que l'article 175 du Code de procédure pénale prévoit un délai maximum de trois jours entre l'ordonnance de soit-communiqué et le réquisitoire définitif mais qu'aucun délai minimum n'est prescrit ; que si la jurisprudence a sanctionné l'absence de délai suffisant entre l'ordonnance de soit-communiqué et l'ordonnance de renvoi, elle n'a jamais imposé un délai minimum entre l'ordonnance de soit-communiqué et le réquisitoire définitif ;

" alors que les droits de la défense imposent que les inculpés puissent faire valoir une dernière fois leur argumentation aussi bien auprès du procureur de la République que du juge d'instruction, que dès lors un délai minimum doit nécessairement être respecté entre la notification de l'ordonnance de soit-communiqué et le réquisitoire définitif du Ministère public à peine de nullité substantielle " ;

Attendu que Z... Blanche, veuve Robert X..., a déposé avant tout débat au fond des conclusions tendant à ce que soit prononcée la nullité de la procédure à compter de l'ordonnance de soit-communiqué du 22 août 1984, la simultanéité de la notification de cette ordonnance et de la signature du réquisitoire définitif par le procureur de la République constituant une violation des droits de la défense ;

Attendu que pour rejeter cette exception les juges du fond, après avoir noté que l'ordonnance de soit-communiqué était du 22 août 1984 et avait été régulièrement notifiée le lendemain, que le réquisitoire définitif avait été signé le 23 août et l'ordonnance de renvoi rendue le 31 août 1984, énoncent que si l'article 175 du Code de procédure pénale, dans sa rédaction alors applicable, prévoit un délai maximum de trois jours entre l'ordonnance de soit-communiqué et le réquisitoire définitif, ce texte n'a jamais imposé un délai minimum entre ces deux actes de procédure et qu'ainsi n'avaient pas été violés les droits de la défense ;

Attendu qu'en prononçant ainsi les juges ont fait l'exacte application de la loi ;

Que dès lors le moyen ne saurait être accueilli ;

IV. - Sur le troisième moyen de cassation du mémoire principal de Bernard X... et de Julien B..., pris de la violation des articles 6, 8, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;

" en ce que l'arrêt attaqué a rejeté l'exception de prescription concernant l'abus de biens sociaux portant sur les sommes de 5 473 117,74 francs et 1 009 874 francs ;

" aux motifs qu'il est constant que le Ministère public a eu pour la première fois son attention attirée sur les agissements de Bernard X... par lettre de Monsieur C..., commissaire aux comptes de la société Erge, en date du 1er octobre 1981 ; qu'il a ordonné une enquête dès le 8 décembre 1981 ; que c'est seulement à partir de cette enquête que les délits sont apparus et ont été constatés dans les conditions permettant l'exercice de l'action publique ; que tel n'avait pas été le cas auparavant à l'occasion des diverses interventions administratives dont se prévalent à tort les prévenus, alors que rien n'indique que celle-ci avait fait apparaître que la société Erge était elle-même coauteur de l'invention ;

" alors que si en matière d'abus de biens sociaux, le point de départ du délai de prescription de l'action publique peut être retardé jusqu'au jour où le délit est apparu et a pu être constaté, c'est à la condition que cette date ne soit pas hypothétique, ce qu'il appartient aux parties poursuivantes d'établir ; que dès lors la Cour qui a par ailleurs constaté que l'invention brevetée avait été mise au point en 1971 par Robert X... avec des salariés de la société Erge, ce qui excluait par conséquent toute clandestinité, a néanmoins considéré que le délit n'était apparu que le 1er octobre 1981 avec la lettre du commissaire aux comptes en rejetant l'argumentation des prévenus faisant valoir que non seulement le commissaire aux comptes mais également l'administration fiscale qui avait opéré divers contrôles de la société Erge avait été en mesure bien avant cette date de déceler d'éventuelles anomalies, n'a pas en l'état de ce motif hypothétique qui non seulement renverse la charge de la preuve mais surtout ne justifie nullement de ce qu'il était impossible de découvrir les faits litigieux et de les porter à la connaissance du procureur de la République avant le mois d'octobre 1981, légalement justifié sa décision " ;

Attendu que pour rejeter les conclusions déposées au cours des débats de première instance par veuve Blanche X... et son beau-fils Bernard X... tendant à faire constater prescrits deux des trois abus de biens sociaux visés à l'ordonnance de renvoi, à savoir ceux portant sur les sommes de 5 473 117,74 francs et 1 009 874 francs, conclusions reprises par les deux mêmes prévenus devant la Cour d'appel, l'arrêt attaqué énonce qu'en matière d'abus de biens sociaux le point de départ de la prescription triennale doit être fixé au jour où le délit est apparu et a pu être constaté dans des conditions permettant l'exercice de l'action publique ;

Qu'en l'espèce les sommes litigieuses avaient été payées par chèques, virements ou prélèvements signés et réalisés entre le 13 septembre 1977 et le 29 septembre 1978, alors que leur cause apparente résultait des rapports contractuels liant la société Erge à la société suisse Sovami ; que si la demande d'enquête du Parquet, après dénonciation du commissaire aux comptes, n'avait été signée que le 8 décembre 1981, il était constant que le Ministère public avait eu son attention attirée pour la première fois sur les agissements des consorts X... avec la société Sovami, par la lettre dudit commissaire aux comptes en date du 1er octobre 1981 ;

Que rien ne permettait enfin de dire qu'à l'occasion des interventions administratives préalables des agents du fisc ou lors de précédents contrôles du commissaire aux comptes dont se prévalent les deux prévenus, ces investigations avaient fait apparaître au Parquet le rôle exact joué par les deux sociétés française et suisse, et encore moins que partie des fonds provenant de la trésorerie de la société Erge, se trouvait en France à concurrence de plus d'un million de francs grâce à leurs artifices et à ceux de deux hauts fonctionnaires des impôts, en l'espèce Guy A... et Julien B... ;

Attendu qu'en l'état de ces énonciations et constatations, l'arrêt attaqué a fait l'exacte application de l'article 8 du Code de procédure pénale ;

Que, dès lors, le moyen proposé doit être écarté, pour l'un comme pour l'autre des deux demandeurs au pourvoi ;

V. - Sur le cinquième moyen de cassation du mémoire principal de Bernard X... et de Julien B..., pris de la violation des articles 5 du Code pénal, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;

" en ce que l'arrêt attaqué a rejeté l'exception de prescription soulevée par X... ainsi que par B... et concernant la prévention d'abus de biens sociaux portant sur la somme de 1 009 873, 94 francs ;

" au motif que c'est à bon droit que les premiers juges ont estimé qu'il y avait, non pas cumul idéal d'infractions entre le délit de corruption active et passive de fonctionnaire, actuellement prescrit, et les délits d'abus de biens sociaux, complicité d'abus de biens sociaux et recel de biens provenant d'abus de biens sociaux reprochés aux prévenus, mais pluralité d'infractions, dès lors que la corruption avait été commise à l'aide d'un abus de biens sociaux, qu'ils en ont déduit à juste titre que l'on ne saurait, pour soustraire à la répression l'infraction punie de la peine la moins élevée, se fonder sur le fait que celle recevant la qualification la plus haute ne pouvait plus être poursuivie ; que les délits dont il s'agit sanctionnent la violation d'intérêts distinctement protégés, collectifs dans le cas de la corruption et individuels dans le cas de l'abus de biens sociaux et que les infractions simultanées commises par le même moyen sont caractérisées par des éléments constitutifs différents ;

" alors que si un même fait est susceptible de revêtir deux qualifications pénales, les règles du cumul idéal d'infractions, telles que résultant de l'article 5 du Code pénal, prescrivant de ne retenir que celle qui est punie de la peine la plus élevée et s'opposant en tout état de cause à ce qu'un même fait fasse l'objet d'une double déclaration de culpabilité, la Cour ne pouvait sans méconnaître ce principe d'ordre public substituer à la qualification de corruption de fonctionnaire en tout état de cause prescrite, celle d'abus de biens sociaux qui se serait trouvée avoir été le moyen de commettre une première infraction couverte par la prescription " ;

Attendu que les deux demandeurs au pourvoi ont déposé devant le Tribunal correctionnel des conclusions dans lesquelles il était soutenu que les faits ayant abouti à l'émission le 13 septembre 1977 d'un chèque bancaire de 1 009 873,94 francs débité du compte de la SA Erge et émis à l'ordre de Bernard X..., chèque dont le produit avait été finalement remis par lui aux inspecteurs des impôts A... et B... à concurrence de 800 000 francs pour le premier, de 209 873,94 francs pour le second, constitueraient en droit, à les supposer démontrés, les délits de corruption active et passive de fonctionnaires, infractions instantanées prescrites lors de l'intervention initiale du Parquet, et non des délits d'abus de biens sociaux, complicité et recel visés à l'ordonnance de renvoi et qu'il convenait en conséquence, après requalification, de faire application de l'article 5 du Code pénal et de relaxer l'ensemble des prévenus mis en cause à l'occasion de ce fait ;

Attendu que pour confirmer la décision des premiers juges qui avaient refusé de faire droit à cette demande, l'arrêt énonce qu'en l'espèce il n'y avait pas cumul idéal d'infractions entre les délits de corruption active et passive de fonctionnaires dont les prévenus n'avaient pas eu à répondre en raison de la prescription de l'action publique et les délits d'abus de biens sociaux, complicité et recel retenus contre eux par l'ordonnance de renvoi ; qu'en l'espèce on se trouvait en face d'une pluralité d'infractions et que, dès lors, les prévenus ne pouvaient, pour se soustraire à la répression de l'infraction punie de la peine la moins élevée se fonder sur le fait que celle recevant la qualification la plus haute n'avait pu être poursuivie ;

Attendu qu'en prononçant ainsi et alors que les délits visés à l'article 437 de la loi du 24 juillet 1966 et ceux prévus et punis par les articles 177 et 179 du Code pénal sanctionnent la violation d'intérêts distincts et comportent des éléments constitutifs différents, la Cour d'appel, loin d'encourir les griefs allégués, a justifié sa décision ;

Que dès lors le moyen proposé doit être écarté ;

VI. - Sur le deuxième moyen de cassation proposé par Blanche Z..., veuve Robert X... (sans intérêt) ;

Sur le troisième moyen de cassation proposé par veuve Blanche X... (sans intérêt) ;

Sur le quatrième moyen de cassation proposé à titre principal par Bernard X... et Julien B... (sans intérêt) ;

Sur le sixième moyen de cassation proposé à titre principal par Bernard X... et Julien B... (sans intérêt) ;

Sur le septième moyen de cassation proposé à titre principal par Bernard X... et Julien B... (sans intérêt) ;

Sur le second moyen additionnel de cassation proposé par Bernard X... et Julien B... (sans intérêt) ;

Sur le premier moyen de cassation proposé par Guy A... (sans intérêt) ;

Sur le deuxième moyen de cassation proposé par Guy A... (sans intérêt) ;

VII. - Sur le huitième moyen de cassation du mémoire principal proposé par Bernard X... et par Julien B... et pris de la violation des articles 1741 et 1743A du Code général des impôts, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de réponse à conclusions, défaut de motifs et manque de base légale ;

" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Bernard X... coupable de fraude fiscale de ne pas avoir déclaré dans ses revenus les sommes de 14 799,94 francs et de 48 821 francs qu'il avait perçues à titre d'indemnité d'assurance pour des sinistres survenus à deux véhicules appartenant à la société Erge ;

" aux motifs qu'en encaissant ces sommes sans en faire état dans sa déclaration de revenus, le prévenu s'est manifestement soustrait à l'établissement et au paiement des impôts dus au titre de ses revenus ;

" alors qu'en l'état de tels motifs, la Cour, qui s'est abstenue de répondre à l'argument péremptoire des conclusions de X..., faisant valoir que l'Administration elle-même n'avait pas considéré qu'il y avait eu sur ce point manoeuvre frauduleuse, puisqu'elle n'avait pas appliqué les pénalités encourues dans une telle hypothèse, n'a pas établi à l'encontre de X... l'existence d'une intention frauduleuse dont, en application de l'article 1743A du Code général des impôts la preuve incombe aux parties poursuivantes, Ministère public et Administration, et n'a dès lors pas légalement justifié sa décision condamnant X... pour fraude fiscale " ;

Attendu que Julien B... n'a pas été retenu dans les liens du délit de complicité de fraude fiscale qui lui était imputé par l'ordonnance de renvoi ; que le procureur général près la Cour d'appel de Colmar et l'administration des Impôts, partie civile, ne sont pas demandeurs au pourvoi ; que dès lors Julien B... est sans intérêt à soutenir l'argumentation développée au moyen, qui ne peut concerner que Bernard X... ;

Attendu que pour déclarer ce dernier coupable de s'être frauduleusement soustrait au paiement de l'impôt sur le revenu des personnes physiques qu'il devait au titre des années 1978 et 1979 et en cantonnant les faits de cette nature dont la Cour d'appel le tenait pénalement responsable aux deux indemnités d'assurance de 14 799,94 francs et 48 821 francs par lui perçues pour des sinistres survenus à deux véhicules appartenant à la société Erge, les juges énoncent que la matérialité de la non-déclaration au fisc de ces ressources occultes n'est pas contestée par le prévenu qui se borne à invoquer une prétendue négligence de sa part alors que c'est délibérément qu'il a omis dans ses déclarations fiscales de faire mention de la perception personnelle de ces sommes qui l'avaient indûment enrichi ;

Attendu qu'en l'état de ces énonciations qui caractérisent l'élément intentionnel du délit de fraude fiscale dont Bernard X... a été reconnu coupable, seul élément de l'infraction remis en cause par le moyen, la Cour d'appel a, sans insuffisance, justifié sa décision ;

Que dès lors le moyen proposé ne saurait être accueilli ;

VIII. - Sur le troisième moyen de cassation proposé par Guy A... et pris de la violation des articles 60 du Code pénal, 437 de la loi du 24 juillet 1966, 2, 3 et 593 du Code de procédure pénale ; défaut de motifs, manque de base légale ;

" en ce que l'arrêt attaqué a condamné solidairement A... à payer au syndic de la liquidation des biens de la société Erge les sommes de 1 009 873,94 francs et 500 000 francs ;

" aux motifs que les agissements des prévenus ont eu des incidences certaines sur la trésorerie de la société Erge qui a été privée de disponibilités auxquelles elle pouvait prétendre et qu'elle aurait pu utiliser à d'autres fins ; qu'ainsi la société Erge a subi un préjudice direct et certain correspondant au montant des sommes dont ont disposé de façon abusive les consorts X... ainsi qu'un préjudice de trésorerie, dont elle est bien fondée à demander réparation à Blanche X... et à Bernard X... ainsi qu'à A... et à B... ;

" alors qu'en se bornant à relever que le préjudice de la société correspondait au montant des sommes versées à MM. B... et A..., sans répondre aux conclusions de ce dernier qui soutenait qu'à la suite du redressement fiscal une somme de 504 500 francs avait été reversée par Bernard X... à la société, ce qui avait réduit d'autant son préjudice, la Cour d'appel a entaché son arrêt d'un défaut de motifs " ;

Attendu que statuant sur la demande de Claude Y..., syndic à la liquidation des biens de la société Erge, partie civile constituée, l'arrêt attaqué lui a octroyé ès qualités diverses réparations ; que A... Guy a été solidairement avec ses trois coprévenus, Blanche X..., Bernard X... et Julien B..., condamné à restituer à cette partie civile les 1 009 873,94 francs dont elle avait été dépouillée par l'action dolosive et conjuguée des quatre intéressés et à lui verser 500 000 francs complémentaires avec intérêt légal ;

Attendu que pour justifier l'octroi de ces sommes, l'arrêt énonce que les agissements des 4 condamnés ont eu des incidences certaines sur la trésorerie de la société Erge qui a été privée de disponibilités auxquelles elle pouvait prétendre et qu'elle aurait pu utiliser à d'autres fins ; que son préjudice était direct et certain et que le montant de celui-ci, tel que chiffré par les premiers juges, lui paraissait correctement évalué ;

Attendu qu'en prononçant ainsi la Cour d'appel qui a apprécié souverainement, dans les limites de la demande de la partie civile, le montant du préjudice par elle subi a justifié, sans insuffisance, sa décision ;

Que le moyen proposé ne peut donc être accueilli ;

IX. - Sur le premier moyen de cassation proposé par l'administration des Douanes et pris de la violation des articles 3, 4 du décret du 24 novembre 1968, 459 du Code des douanes, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;

" en ce que l'arrêt attaqué a prononcé la relaxe au profit des prévenus du chef d'infraction à la législation sur les changes ;

" aux motifs que " contrairement à l'opinion des premiers juges qui, ayant mis en doute la réalité de la société suisse Sovami et la valeur du brevet concédé par elle à la société Erge, en ont déduit que les consorts X... avaient agi ainsi pour se constituer un avoir à l'étranger, il ne ressort d'aucun élément du dossier que les sommes versées par la société Erge à la société Sovami sont demeurées directement ou indirectement à la disposition de Bernard et de Blanche X... hors de France " ;

" alors que les textes qui régissent la matière des douanes sont d'interprétation stricte et qu'il n'entre pas dans le pouvoir du juge pénal d'en modifier ou d'en étendre la portée ; que l'article 3 du décret du 24 novembre 1968 dispose que " sont prohibés sauf autorisation du ministre de l'Economie et des Finances, tous transferts ou opérations de change en France tendant à la constitution par un résident d'avoirs à l'étranger... " ; qu'il résulte de l'arrêt attaqué que les prévenus ont transféré en Suisse une somme de 5 473 117,74 francs ; que pour prononcer la relaxe, l'arrêt attaqué déclare qu'il n'est pas établi que cette somme soit demeurée en Suisse à la disposition des prévenus ; qu'en ajoutant ainsi au texte légal une disposition qui n'y figure pas, la Cour d'appel a violé l'article 3 du décret du 24 novembre 1968 " ;

Sur le second moyen de cassation proposé par l'administration des Douanes et pris de la violation des articles 3, 4 du décret du 24 novembre 1968, 459 du Code des douanes, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;

" en ce que l'arrêt attaqué a prononcé la relaxe des prévenus du chef du délit cambiaire ;

" aux motifs que " contrairement à l'opinion des premiers juges qui, ayant mis en doute la réalité de la société suisse Sovami et la valeur du brevet concédé par elle à la société Erge, en ont déduit que les consorts X... avaient agi ainsi pour se constituer un avoir à l'étranger, il ne ressort d'aucun élément du dossier que les sommes versées par la société Erge à la société Sovami sont demeurées directement ou indirectement à la disposition de Bernard et de Blanche X... hors de France " ;

" alors que le juge correctionnel n'est pas lié par la qualification donnée à la prévention ou ne peut prononcer une décision de relaxe qu'autant qu'il a vérifié que les faits dont il est saisi ne sont constitutifs d'aucune infraction ; que l'arrêt attaqué relève que les prévenus ont transféré, et ce sans autorisation préalable, en Suisse une somme de 5 473 117,74 francs ; qu'en omettant de rechercher si ces faits dont elle était saisie ne constituaient pas une violation de l'article 4 du décret du 24 novembre 1968, la Cour d'appel a violé les textes visés au moyen " ;

Les moyens étant réunis ;

Attendu que Bernard X... et sa belle-mère Z... Blanche, veuve Robert X..., ont été renvoyés devant le Tribunal correctionnel pour s'être, en 1977 et 1978, rendus coupables du délit cambiaire prévu par l'article 3 du décret du 24 novembre 1968 ; qu'il leur était imputé d'avoir, par transfert irrégulier de 5 473 117,94 francs en Suisse, constitué des avoirs à l'étranger, alors qu'ils étaient résidents français, et ce, sans autorisation du ministre des Finances ;

Attendu que pour les relaxer des fins de cette prévention et infirmer sur ce point la décision des premiers juges, l'arrêt énonce que le Tribunal correctionnel a eu tort de mettre en doute l'existence de la société suisse Sovami et du brevet par elle concédé à la société Erge, fictivités dont les premiers juges avaient déduit que les deux dirigeants de la société Erge s'étaient effectivement constitué clandestinement des avoirs à l'étranger ; que, dans la réalité, la société Sovami ayant une identité propre et se trouvant être la destinataire réelle des fonds sortis de France, rien, dans le dossier, ne permettait d'établir que ces sommes étaient demeurées directement ou indirectement à la disposition des deux prévenus sur le territoire helvétique ;

Attendu qu'en prononçant ainsi, la Cour d'appel dont la saisine était cantonnée aux seuls faits prévus par l'article 3 du décret du 24 novembre 1968, a justifié sa décision ;

Que dès lors les moyens proposés ne sauraient être accueillis ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE les pourvois.