Cass. soc., 22 mai 1995, n° 91-45.675
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Waquet
Rapporteur :
Mme Ridé
Avocat général :
M. Kessous
Avocat :
Me Blondel
Sur le moyen unique :
Attendu que M. Z... a été embauché en août 1982 par la société Well en qualité de VRP ;
que, le 24 avril 1990, le salarié, reprochant à la société d'avoir interrompu le paiement de son salaire, l'a informée qu'il considérait le contrat commme rompu à son initiative et l'a invitée à engager la procédure de licenciement ;
que, bien que l'employeur n'ait pas eu recours à cette procédure, le salarié, s'estimant licencié, a quitté l'entreprise et refusé d'éxécuter un préavis ;
qu'il a saisi le conseil de prud'hommes de demandes en paiement d'indemnités de rupture et de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
que l'employeur a formé une demande reconventionnelle en paiement d'une indemnité de préavis et de dommages-intérêts pour concurrence déloyale ;
Attendu que le salarié fait grief à l'arrêt attaqué de l'avoir débouté de ses demandes et de l'avoir condamné au paiement d'une indemnité de préavis et de dommages-intérêts alors que, d'une part, la cour d'appel ne répond pas comme elle se le devait à la ligne de défense de M. Z... faisant valoir qu'avant d'être embauché par la société Well il avait sa propre clientèle et un fichier d'environ 400 noms utilisé par ladite société, d'où une forte rémunération dès son embauche ;
étant de plus observé qu'on ne sauait reprocher à un salarié non lié par une clause de non-concurrence, de constituer avant la cessation de ses fonctions une société destinée à avoir une activité de nature à concurrencer celle de son employeur de naguère dès lors que la création et a fortiori l'exploitation de ladite société ne commence qu'après la cessation du contrat de travail et que tel allait être le cas en l'espèce, puisque la société a été créée le 29 juin 1990, la rupture du contrat de travail remontant du 24 avril 1990 et qu'on ne voit pas comment le salarié aurait pu utilement demander à un autre salarié de la société de lui fournir les articles diffusés par la société Well avec leurs références puisqu'il est évident que les VRP connaissaient mieux que quiconque les produits qu'ils commercialisaient, ainsi que leurs fournisseurs ;
qu'en laissant de côté les vraies questions ainsi posées, la cour d'appel au regard des faits de concurrence déloyale imputés à M. Z... : -méconnait les exigences de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;
-prive son arrêt de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil, ensemble des articles L. 122-14-4, L. 122-6 et L. 122-9 du Code du travail ;
alors que, par ailleurs, en l'absence de toute clause de non-concurrence, la cour d'appel ne pouvait utilement reprocher à M. Z... des actes de concurrence déloyale qu'à condition de relever des faits pouvant être ainsi qualifiés ;
or il appert de l'arrêt qu'aucun fait précis de concurrence déloyale n'est imputé audit salarié ;
ainsi le détournement de la collection de fournitures est imputé à M. Y... et non à M. Z..., la lettre de la société Well à M. Z... en date du 9 mai 1990 et le constat d'huissier font état d'un prétendu détournement de fichier clientèle reproché à M. X... et non à M. Z... ;
quant à la création d'une société concurrente, elle n'est pas en soit fautive dès lors qu'elle est postérieure à la rupture du contrat de travail, en sorte que c'est sur le fondement de motifs inopérants que la cour d'appel retient à l'endroit de M. Z... des faits de concurrence déloyale, que ce faisant, elle viole l'article 1382 du Code civil ;
ensemble les articles L. 122-6, L. 122-9 et L. 122-14-14 du Code du travail ;
alors, au surplus, que la modification unilatérale et drastique apportée au mode de rémunération de M. Z... ne pouvait en rien être justifiée par de prétendus faits de concurrence déloyale non caractérisés à l'endroit de celui-ci, si bien que c'est à tort que la cour d'appel croit pouvoir imputer au salarié la rupture de son contrat de travail et partant elle viole l'article 1382 du Code civil, ensemble les articles L. 122-6 et L. 122-14-4 du Code du travail ;
alors que, de surcroît, quel qu'en soit le motif, le fait pour l'employeur de ne plus rémunérer un salarié nonobstant l'édition d'une fiche de payer non suivie d'un paiement effectif, et en croyant pouvoir ainsi se faire justice à lui-même et opérer de prétendues compensations, constitue une modification unilatérale illicite du contrat de travail du fait de l'employeur portant sur une obligation essentielle, le paiement du salarié, que ce faisant c'est l'employeur qui est responsable de la rupture du contrat de travail, et ce même si le salarié en prend l'initiative ;
qu'en jugeant le contraire sur le fondement de motifs inopérants, la cour d'appel viole les articles L. 122-6 et L. 122-14-4 du Code du travail ;
et alors, enfin, que la faute lourde suppose l'intention de nuire de celui à qui on l'oppose ;
qu'en ne caractérisant pas ladite intention, la lcour d'appel qui retient une faute lourde à la charge de M. Z... pour le priver de l'indemnité de licenciement ne met pas à même la Cour de Cassation d'exercer son contrôle sur la légalité de l'arrêt quant à ce point au regard des articles L. 122-9 et L. 223-14 du Code du travail ;
Mais attendu que la cour d'appel, appréciant les éléments de fait et de preuve qui lui étaient soumis, a constaté qu'au cours de l'exécution de leur contrat de travail, M. Z... et deux autres salariés de l'entreprise s'étaient procuré par des moyens frauduleux le fichier des fournisseurs, qu'ils avaient ensuite tous trois brusquement quitté l'entreprise pour créer une société concurrente qui a utilisé le fichier, ainsi qu'une collection irrégulièrement conservée par l'un d'entre eux, afin de capter la clientèle de la société Well ;
qu'elle a ainsi déterminé la cause et la rupture, et caractérisé les manquements du salarié au devoir de fidélité qui pesait sur lui jusqu'à la rupture du contrat de travail, les actes de concurrence déloyale qu'il a commis postérieurement et enfin son intention de nuire à l'employeur ;
Que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi.