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Décisions

Cass. com., 6 décembre 2016, n° 15-10.180

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Mouillard

Avocats :

SCP Marc Lévis, SCP Matuchansky, Poupot et Valdelièvre

Pau, du 28 févr. 2014

28 février 2014

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Pau, 28 février 2014), que le 9 mai 1996, M. Z...-X...a cédé à M. Christian Y... soixante-dix actions qu'il détenait dans le capital de la Société anonyme des usines d'Orthez (la SUO) et à M. Bruno Y... trente actions de cette société ; qu'en 1998, les actionnaires de la SUO ont vendu leurs actions au groupe espagnol SAICA ; que soutenant que MM. Christian et Bruno Y... (les consorts Y...) l'avaient, lors de la cession, tenu dans l'ignorance tant de la valeur réelle des titres cédés que du projet de prise de contrôle de la Société anonyme des papeteries du Sud-Ouest (la SAPSO) par les actionnaires de la SUO, M. Z...-X...les a, après expertise, assignés en annulation des cessions pour réticence dolosive et restitution de sommes ;

Sur le second moyen du pourvoi incident, qui est préalable :

Attendu que les consorts Y... font grief à l'arrêt d'annuler les cessions et de les condamner à restitution alors, selon le moyen :

1°/ que seul l'acte qui est réalisé dans l'intention de tromper
peut être constitutif de dol ; qu'en se bornant à affirmer que les consorts Y... avaient fait preuve de réticence dolosive en n'attirant pas l'attention de M. Z...-X...sur « la prise de contrôle parallèlement de la SAPSO par un groupe d'actionnaires membres de la famille Y...autour de la SUO », sans caractériser l'intention de tromper constitutive de dol prétendument commis, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1116 du code civil ;

2°/ qu'en reprochant aux consorts Y... de n'avoir pas attiré l'attention de M. Z...-X...sur la volonté d'une prise de contrôle de la SAPSO par un groupe d'actionnaires autour de la SUO, après avoir cependant constaté que M. Z...-X...avait été destinataire « du tableau des participations de la SUO joint aux comptes de juin 1995 faisant déjà apparaître la progression notable de la participation de la SUO au capital de la SAPSO, élément qui était de nature à influer notablement la valorisation des actions SUO mais également de nature à éclairer l'intérêt porté par les dirigeants cessionnaires aux actions SUO, lesquelles permettaient de contrôler le capital de la SAPSO », la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, violant l'article 1116 du code civil ;

3°/ qu'en se bornant à affirmer que les consorts Y... avaient fait preuve de réticence dolosive en n'attirant pas l'attention de M. Z...-X...sur l'accord conclu par le conseil d'administration de la SAPSO en suite du litige opposant un actionnaire, M. Dominique Y..., sur la valorisation de la société SAPSO, sans caractériser l'intention de tromper constitutive de dol prétendument commis, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1116 du code civil ;

4°/ qu'en se bornant à affirmer que les consorts Y... avaient fait preuve de réticence dolosive en n'attirant pas l'attention de M. Z...-X...sur la non-réalisation in fine de la prévision pessimiste d'activité pour l'exercice 1995 annoncée dans le rapport du conseil d'administration à l'assemblée générale extraordinaire des actionnaires du 13 avril 1995, sans caractériser l'intention de tromper constitutive de dol prétendument commis, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1116 du code civil ;

5°/ qu'après avoir constaté que M. Z...-X...possédait les actions de la société SUO depuis 1983, soit pendant près de douze ans avant la cession litigieuse, qu'il était le fils de l'ancien directeur de la Banque Y..., dont il était devenu cadre, la cour d'appel a jugé qu'il ne pouvait être considéré comme un investisseur avisé, habitué aux opérations de cessions d'actions et qu'il n'était pas allégué qu'il se soit particulièrement investi dans la vie de la société SUO et de la société SAPSO en tant qu'actionnaire ; qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et violé l'article 1116 du code civil ;

6°/ que, pour juger que les consorts Y... auraient dû attirer l'attention de M. Z...-X...sur la volonté d'une prise de contrôle de la SAPSO par un groupe d'actionnaires de la SUO, sur l'accord du conseil d'administration de la SAPSO et la non-réalisation des prévisions pessimistes pour l'exercice 1995, la cour d'appel a jugé que M. Z...-X...était un véritable profane de la question de l'évaluation des actions d'une société anonyme non cotée ; qu'en se déterminant par des motifs impropres à établir que M. Z...-X..., actionnaire depuis près de douze ans de la SUO, actionnaire de la SAPSO et de la Banque Y..., fils de l'ancien directeur de la Banque Y..., dont il était devenu lui-même cadre, était un investisseur profane, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1116 du code civil ;

7°/ que, dans leurs conclusions, les consorts Y... faisaient valoir que, par lettre du 5 janvier 1994 adressée aux actionnaires de la SUO aux fins de leur offrir la possibilité de vendre leurs actions, ils avaient indiqué qu'ils proposaient l'achat des actions « à des conditions que nous vous expliquerons si vous êtes intéressés par cette proposition » et que M. Z...-X..., gradé de la Banque Y..., dont il était au demeurant actionnaire, actionnaire tant de la SAPSO que de la SUO, disposait de tous les moyens intellectuels et techniques pour apprécier lui-même la valeur patrimoniale ou de rentabilité de l'entreprise SAPSO et de l'entreprise SUO au travers tant des informations qui lui étaient fournies en qualité d'actionnaire qu'au travers des informations externes et notamment du courrier de M. Dominique Y... sur la valeur des titres SAPSO et qu'il était libre, en toute hypothèse, de venir quérir d'éventuels renseignements qu'il aurait jugé utiles ; qu'en s'abstenant de répondre à ce moyen déterminant, la cour d'appel a méconnu les exigences de l'article 1116 du code civil ;

Mais attendu, en premier lieu, qu'ayant souverainement retenu que les consorts Y..., dirigeants de la SUO et de la SAPSO, avaient manqué à leur devoir de loyauté envers M. Z...-X...en n'attirant pas son attention sur le projet de prise de contrôle de la SAPSO par un groupe d'actionnaires membres de la famille Y..., et en ne l'informant ni du prix de cession obtenu par M. Dominique Y... et d'autres actionnaires minoritaires avec l'accord du conseil d'administration de la SAPSO, ni de la non-réalisation de la prévision pessimiste de l'activité de la SAPSO pour l'exercice 1995, la cour d'appel, qui a caractérisé l'élément intentionnel de la réticence imputée à ces dirigeants, a légalement justifié sa décision ;

Et attendu, en second lieu, qu'après avoir constaté que M. Z...-X...avait hérité des actions des sociétés SUO et SAPSO au décès de son père, l'arrêt relève qu'il était, à la date de la cession, un simple agent de banque qui n'était pas " parfaitement au fait de l'ensemble des relations du groupe et de la situation économique de la branche " ; qu'il ajoute qu'en sa qualité d'actionnaire, il ne s'était pas particulièrement investi dans la vie des deux sociétés ; qu'en l'état de ces constatations, desquelles elle a pu déduire que M. Z...-X...était, au jour de la cession, un investisseur profane sur la question de l'évaluation des actions d'une société anonyme non cotée, la cour d'appel, qui a répondu, en les écartant, aux conclusions prétendument délaissées, a légalement justifié sa décision ;

D'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

Sur le moyen unique du pourvoi principal :

Attendu que M. Z...-X...fait grief à l'arrêt de limiter à certaines sommes les condamnations prononcées contre les consorts Y... au titre des conséquences de l'annulation des cessions alors, selon le moyen :

1°/ que le juge ne peut, en se fondant sur l'insuffisance des preuves fournies par les parties, refuser de trancher une difficulté qu'il regarde lui-même comme de nature à influer sur la solution du litige ; que la cour d'appel, qui avait constaté qu'« il aurait été intéressant de comparer les prix d'acquisition des actions SUO par MM. Christian et Bruno Y... au cours de la période » écoulée entre les cessions consenties par M. Z...-X...en mai 1996 et la revente faite par les cessionnaires au groupe SAICA en 1998, mais qui a renoncé à appliquer cette méthode d'appréciation, par la considération que les cessionnaires s'étaient abstenus de communiquer les prix des actions par eux acquises pendant la période considérée, cependant qu'il lui incombait, dans un tel cas, d'ordonner la production aux débats de tous éléments de preuve utiles détenus par les parties, a violé l'article 4 du code civil ;

2°/ que M. Z...-X...avait fait valoir que la cession des actions qu'il détenait dans le capital de la SUO s'inscrivait dans une opération de restructuration du capital destinée à assurer le contrôle de la SAPSO par la SUO, afin de pouvoir procéder à l'introduction en bourse de la SAPSO sans exposer celle-ci à un risque d'offre publique d'achat inamicale ; qu'il en déduisait que la valeur des actions de la SUO s'en trouvait majorée ; qu'en se bornant néanmoins à relever, pour évaluer le prix des actions de la SUO à la moyenne de la valeur patrimoniale et de la valeur de rentabilité, diminuée d'un abattement de 30 %, que ces deux valeurs auraient dû participer à la détermination du prix dans une négociation loyale entre le cédant, détenant un peu plus d'un pour cent des actions de la SUO et privilégiant la rentabilité de son capital, et les cessionnaires, désireux de constituer un noyau dur d'actionnaires et ayant en perspective une valorisation patrimoniale liée à la prise de contrôle du groupe, sans rechercher, comme elle y était pourtant invitée, si le projet même d'une prise de contrôle du groupe n'était pas de nature à valoriser les titres litigieux au-delà de leur simple valeur patrimoniale et, en toute hypothèse, au-delà de l'estimation qu'elle retenait, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1116 du code civil ;

3°/ que si les juges du fond ne sont pas tenus de suivre l'avis d'un expert judiciaire, il leur appartient, lorsqu'ils s'écartent en tout ou partie d'un tel avis, d'énoncer les motifs qui ont déterminé leur conviction ; qu'en se bornant néanmoins à affirmer, pour appliquer un abattement de 30 % à l'évaluation des actions de la SUO telle qu'elle aurait dû résulter d'une négociation loyale entre les parties, que la cession litigieuse portait sur des actions minoritaires ne permettant pas, au jour de leur acquisition, de prendre le contrôle de la SUO, cependant que l'expert avait, à l'inverse, écarté et même déconseillé l'application d'un abattement pour participation minoritaire dès lors qu'une majorité de contrôle était en cours de constitution et que la méthode patrimoniale était généralement considérée comme une valeur plancher, sans énoncer les motifs l'ayant conduite à réfuter l'opinion de l'expert, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

4°/ que la cour d'appel, qui avait relevé que la somme de 9 234, 50 francs, correspondant à la moyenne des valeurs proposées par l'expert pour les actions de la SUO, était proche du prix de 9 093 francs auquel MM. Christian et Bruno Y... avaient acquis des actions en janvier 1997, et qui a néanmoins appliqué à cette valeur moyenne un abattement de 30 % du fait du caractère minoritaire de la participation cédée par M. Z...-X..., sans rechercher, comme l'imposaient pourtant ses propres constatations, si l'acquisition faite par MM. Christian et Bruno Y... en janvier 1997 n'avait pas porté, elle aussi, sur une participation minoritaire, circonstance justifiant, a minima, que soit retenue une valeur proche du prix convenu lors de cette cession et non la valeur de 6 464, 15 francs fixée par l'arrêt après abattement, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1116 du code civil ;

Mais attendu, en premier lieu, que la cour d'appel, qui a constaté que la moyenne des deux évaluations proposées par l'expert déterminait une valeur proche du prix auquel les consorts Y... avaient acquis d'autres actions de la SUO en janvier 1997, n'a pas refusé de statuer sur la difficulté dont elle était saisie ;

Et attendu, en second lieu, qu'ayant appliqué un abattement de 30 % à l'évaluation des actions de la SUO après avoir retenu que la cession litigieuse portait sur des actions minoritaires qui ne permettaient pas, au jour de leur acquisition, de prendre le contrôle de cette société, la cour d'appel, qui a effectué les recherches prétendument délaissées, a légalement justifié sa décision ;

D'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

Et attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur le premier moyen du pourvoi incident qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE les pourvois, principal et incident.