CA Versailles, 7 avril 2016, n° 16/00068
VERSAILLES
Ordonnance
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
C Plus (SAS), PHI Groupe (EURL)
Défendeur :
KBC Bank NV (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Colin
Nous, Michèle COLIN, Président de chambre à la cour d'appel de VERSAILLES, statuant en matière de référé à ce délégué par ordonnance de madame le premier président de ladite cour, assisté de Marie-Line PETILLAT, greffier.
En novembre 2013, la société C PLUS détenue majoritairement par la société PHI GROUPE dirigée par monsieur Jean-Pierre P., a acquis les actions de la société TBI spécialisée dans la construction et la rénovation de logements et bureaux pour un montant de 19 millions d'euros financés par la banque belge KBC.
Le financement de cette acquisition a été octroyé par KBC à raison d'un prêt de 14 millions d'euros (contrat de crédit senior) et de la souscription par KBC d'obligations convertibles mezzanine à bons de souscription d'actions (OCBSA) émises par C PLUS pour un montant de 5 millions d'euros.
Il était précisément prévu qu'en cas de survenance d'un cas de défaut, chaque titulaire d'OCBSA aurait la faculté d'obtenir à tout moment la conversion de ses obligations en actions.
Le 2 avril 2014, C PLUS et TBI ont fait l'objet d'une procédure de mandat ad hoc sous l'égide de maître J..
A compter du 31 mars 2014 C PLUS a cessé de payer les échéances d'amortissement au titre du contrat de crédit senior et des obligations convertibles et les intérêts à compter du 30 juin 2014.
En juillet 2014 KBC a demandé la réalisation d'un audit financier et opérationnel de C PLUS qui a mis en évidence que la situation de TBI était préoccupante, que C PLUS était virtuellement en cessation de paiement si KBC n'avait pas sursis à demander l'exigibilité des sommes dues, mais qu'elle continuait à rembourser PHI GROUPE des avances en compte courant subordonnées bien qu'il ait été prévu que les dites avances ne pourraient l'être qu'après que l'ensemble des sommes dues au titre du contrat de crédit Senior et des obligations convertibles aient été elles-mêmes remboursées.
Le 31 mars 2015, une procédure de conciliation a été ouverte sous l'égide de Maître J. mais aucune solution n'ayant abouti, KBC a averti C PLUS de sa volonté de procéder à la conversion en actions de ses 500 obligations convertibles.
C PLUS a refusé de prendre acte de cette conversion.
Le 31 août 2015, un protocole a finalement été signé par KBC, C PLUS et PHI GROUPE et constaté par le président du tribunal de commerce aux termes duquel la banque KBC acceptait de ramener sa créance à 10 millions d'euros moyennent le remboursement anticipé du solde de son financement et les sociétés C PLUS et PHI GROUPE acceptaient de ne pas poursuivre l'action pénale engagée, l'accord prévoyant que si le rachat de la créance envisagé n'était pas possible, C PLUS s'engageait à procéder à la finalisation du processus de conversion..
Cependant, le financement de 10 millions d'euros que devait assurer la société THOMAS CROWN FINANCE ayant tourné court, KBC, après une lettre de mise en demeure à C PLUS et PHI GROUPE de déférer à leurs obligations respectives qui demeurait sans réponse, assignait en référé les deux sociétés devant le tribunal de commerce de Versailles.
Aux termes de son ordonnance rendue le 27 janvier 2016, le président du tribunal de commerce de Versailles a notamment dit que la société C PLUS avait l'obligation de ne pas s'opposer à la conversion des 500 obligations convertibles détenues par KBC BANK et de prendre l'ensemble des mesures nécessaires à la dite conversion, a donné mission à Maître J. de convoquer une assemblée générale de la société C PLUS et de mettre à l'ordre du jour la révocation éventuelle de sa présidente, la société PHI GROUPE, et la nomination éventuelle d'un nouveau président.
Le Président du tribunal a rappelé que l'exécution provisoire était de droit.
Par déclaration reçue au greffe de la Cour le 8 février 2016, la SAS C PLUS et l'EURL PHI GROUPE ont relevé appel de cette décision.
Par acte daté du 26 février 2016, la SAS SOCIETE C PLUS et la société EURL PHI GROUPE ont assigné la KBC BANK NV et maître Philippe J. aux fins d'ordonner l'arrêt immédiat de l'exécution provisoire de l'ordonnance rendue le 27 janvier 2016.
Aux termes de leurs conclusions développées oralement à l'audience, elles confirment leur demande tendant à l'arrêt immédiat de l'exécution provisoire et concluent à titre subsidiaire à la mise sous séquestre des obligations convertibles jusqu'à l'issue de la procédure d'appel, à titre encore plus subsidiaire à la fixation du jour auquel l'audience sera appelée par priorité et à la condamnation de la société KBC BANK NV à leur verser la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.
Elles soutiennent que la décision du président du tribunal de commerce viole manifestement l'article 12 du code de procédure civile en ce que l'ordonnance de référé est exempte de toute motivation personnelle et s'est bornée à recopier les arguments développés par KBC, faisant ainsi peser un doute certain sur l'impartialité de la juridiction et violant manifestement le principe du contradictoire, que des échanges ont eu lieu entre le premier juge et KBC hors leur présence, et que le juge a statué en faisant abstraction des dispositions du code de commerce applicable à la procédure de conciliation (article L.611-10-1) qui prévoit l'arrêt des poursuites en cas d'accord constaté ou homologué, commettant par là une erreur de droit manifeste.
Elles exposent que l'exécution provisoire entraînerait pour elles des conséquences manifestement excessives dans la mesure où la conversion des obligations aurait pour effet de permettre à KBC de prendre le contrôle total des sociétés C PLUS et TBI en disposant de 83,33 % du capital, de révoquer son président actuel, PHI GROUPE pour le remplacer par elle-même, ou de vendre le groupe et de décider de mettre fin à l'ensemble des procédures judiciaires initiées à son encontre par C PLUS, en ce compris la procédure d'appel à l'encontre de l'ordonnance rendue le 27 janvier 2016, la privant ainsi de son droit fondamental à un procès équitable.
Elles évoquent au surplus la possible désorganisation du groupe alors qu'il est sorti de la crise grâce aux efforts de ses actuels dirigeants, notamment monsieur P., sachant que la société TBI fait travailler près de 2000 personnes.
Aux termes de ses conclusions développées oralement à l'audience, la société KBC BANK NV conclut au débouté des sociétés C PLUS et PHI GROUPE tant de leurs demandes principales que subsidiaires et à leur condamnation in solidum à lui payer la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.
Elle soutient qu'il n'y a pas violation manifeste de l'article 12 ou du principe du contradictoire, que la violation de l'obligation de motivation ne constitue pas un excès de pouvoir ; qu'en tout état de cause, le premier juge n'a pas repris l'ensemble de l'argumentation de C PLUS, mais a adopté une motivation personnelle et a d'ailleurs réduit les demandes de C PLUS ; qu'en soutenant que le premier juge aurait commis un excès de pouvoir en ne mettant pas en oeuvre l'article L.611-10-1 du code de commerce, C PLUS et PHI GROUPE mettent en cause le bien-fondé de la décision prise par le premier juge alors qu'il n'appartient pas au premier président d'en apprécier la régularité ou le bien fondé ; qu'en tout état de cause, les demandes présentées par KBC ne visaient nullement à contourner l'accord mais au contraire à en assurer l'exécution, l'accord prévoyant la finalisation du processus de conversion en cas d'impossibilité du rachat de la créance ; que les conséquences manifestement excessives invoquées ne sont pas fondées, une cession de l'entreprise, d'ailleurs envisagée par C PLUS et PHI GROUPE elles-mêmes, étant insusceptible d'intervenir avant l'examen de l'affaire en appel; que celles-ci ne sauraient présenter maintenant le changement d'actionnariat comme un danger alors qu'elles en ont accepté le principe dans les contrats de financement ; que la révocation de monsieur P. n'est que pure conjecture ; que le véritable risque est celui d'une procédure collective de C PLUS si la conversion n'intervient pas alors qu'elle est de nature à réduire la dette de C PLUS ; que les actions judiciaires entreprises à son encontre par C PLUS et PHI GROUPE sont de pure opportunité; que la demande de mise sous séquestre des obligations convertibles équivaut de manière détournée à priver l'ordonnance de ses effets en empêchant la conversion; que C PLUS et PHI GROUPE ne sauraient davantage faire valoir que leurs droits sont en péril sur le fondement de l'article 917 du code de procédure civile, sachant qu'après avoir formé une telle demande au moment de l'appel, elles y ont renoncé pour une demande à jour fixe.
Aux termes de ses conclusions oralement soutenues à l'audience, Maître J., ès qualité de mandataire ad hoc, demande qu'il soit constaté qu'il s'en remet à justice sur le mérite de la demande de suspension de l'exécution provisoire.
Il conclut à la condamnation des sociétés C PLUS et PHI GROUPE à lui payer la somme de 1500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
SUR CE :
Selon l'article 524 du code de procédure civile, le premier président peut arrêter l'exécution provisoire de droit en cas de violation manifeste du principe du contradictoire ou de l'article 12 et lorsque l'exécution provisoire risque d'entraîner des conséquences manifestement excessives.
Ces deux conditions sont cumulatives.
Sur la violation manifeste du principe du contradictoire ou de l'article 12 :
En l'espèce, s'il ne peut être contesté que l'ordonnance du premier juge reprend à quelques variantes près, un certain nombre d'arguments développés par la société KBC, force est de constater que la dite ordonnance, qui ne comporte que 10 pages, alors que les conclusions litigieuses en comporte plus de 20, a fait un exposé complet des faits constants, mettant ainsi en évidence que le juge a pris l'exacte mesure de toutes les composantes du dossier.
L'examen de l'ordonnance révèle également qu'il a évacué certains arguments dont il n'a manifestement pas retenu la pertinence, montrant ainsi qu'il a entendu les arguments de la partie adverse et procédé à une analyse sélective et critique des écritures de la société KBC, fût-ce en s'en appropriant les motifs essentiels.
Il en résulte qu'à supposer que puisse être invoqué un défaut de motivation de la décision, dont il sera rappelé qu'il ne constitue pas une violation manifeste de l'article 12, celui-ci ne saurait constituer une violation manifeste du principe du contradictoire, les sociétés C PLUS et PHI GROUPE ne rapportant au surplus nullement la preuve que des échanges auraient eu lieu à son insu entre le juge et KBC hors leur présence et sans qu'elles en soient informées, ainsi qu'elles le soutiennent.
S'agissant du grief tiré de l'erreur de droit, voire de l'excès de pouvoir du juge des référés quant à l'application de l'article L.611-10 -1 du code de commerce, il y a lieu de rappeler que l'erreur dans l'application ou l'interprétation d'une règle de droit ne constitue pas une violation manifeste de l'article 12, étant au surplus constaté que l'accord intervenu entre les parties comporte un calendrier d'exécution fixant au 30 septembre 2015 la réalisation du rachat des créances de la société KBC, date à compter de laquelle l'article 8 stipule que "l'accord expirera de plein droit, étant précisé que monsieur P. s'engage en sa qualité de président de C PLUS et de TBI à ne pas s'opposer à la conversion des obligations convertibles et à effectuer toutes les démarches nécessaires à la dite conversion".
Il en résulte qu'à supposer qu'une erreur ou un excès de pouvoir ait été commis il ne saurait constituer une violation manifeste et grossière de l'article 12, sachant qu'en tout état de cause, il ne contrevient pas à l'intention initiale des parties.
La première condition alternative requise par le dernier alinéa de l'article 524 du code de procédure civile étant cumulative avec la seconde, la demande d'arrêt de l'exécution provisoire sera rejetée sans qu'il y ait lieu de rechercher si l'exécution de l'ordonnance risquerait d'entraîner des conséquences manifestement excessives.
Sur la mise sous séquestre des obligations convertibles :
Force est de constater que la présente demande, justifiée par les sociétés C PLUS et PHI GROUPE par les conséquences manifestement excessives de la conversion litigieuse, tend à contourner les conditions cumulatives qui président à l'arrêt de l'exécution provisoire de droit et qu'elle n'entre pas au surplus dans les prérogatives du premier président statuant en référé, les articles 521 deuxième alinéa et 522 du code civile l'autorisant seulement à ordonner la mise sous séquestre pour tout versement d'un capital ou à substituer une garantie à une autre, ce qui n'est pas le cas en l'espèce.
Il s'ensuit que la demande ne peut être accueillie.
Sur la demande de fixation prioritaire :
Il y a lieu de constater que cette demande est sans objet dans la mesure ou le dossier a déjà fait l'objet d'une fixation prioritaire à la date du 6 juillet 2016 par la 14ème chambre.
Sur les demandes accessoires :
Partie succombante, les sociétés C PLUS et PHI GROUPE seront déboutées de leur demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile, condamnée in solidum à payer à la société KBC BANK NV la somme de 3 000 euros et celle de 1 000 euros à Maître J. ès qualité, ainsi qu'aux dépens.
PAR CES MOTIFS
LA COUR
STATUANT par ordonnance contradictoire,
REJETONS la demande d'arrêt de l'exécution provisoire attachée à l'ordonnance rendue le 27 janvier 2016 par monsieur le Président du tribunal de commerce de Versailles ;
REJETONS la demande de placement sous séquestre des obligations convertibles ;
CONSTATONS que la demande de fixation prioritaire est sans objet, l'affaire ayant d'ores et déjà été fixée à titre prioritaire à l'audience de la 14e chambre de la Cour du 6 juillet 2016 ;
DEBOUTONS les sociétés K PLUS et PHI GROUPE de leur demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
LES CONDAMNONS in solidum à payer sur le même fondement la somme de 3 000 euros (TROIS MILLE EUROS) à la société KBC BANK NV et celle de 1 000 euros (MILLE EUROS) à Maitre J. ;
LES CONDAMNONS aux dépens.