Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 7, 16 février 2023, n° 20/14632

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Roche (SAS), Roche Holding AG SA (Sté), Genentech Inc (Sté), Novartis Pharma (SAS), Novartis Groupe France (SA), Novartis AG (Sté)

Défendeur :

Autorité de la concurrence, Ministre de l'Economie

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Maitrepierre

Conseillers :

Mme Schmidt, M. Barbier

Avocats :

Me Hardouin, Me Thill-Tayara, Me Teytaud, Me Freget, Me Eskenazi

CA Paris n° 20/14632

15 février 2023

FAITS ET PROCÉDURE

1. La Cour est saisie des recours des sociétés Roche, Genentech, Inc., et Roche Holding AG, d'une part, des sociétés Novartis Pharma SAS, Novartis AG et Novartis Groupe France SA, d'autre part, contre la décision de l'Autorité de la concurrence n° 20-D-11 du 9 septembre 2020 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur du traitement de la dégénérescence maculaire liée à l'âge (DMLA).

2. Par cette décision (ci-après, « la décision attaquée »), l'Autorité de la concurrence (ci-après « l'Autorité ») a sanctionné des pratiques en rapport avec la prescription de l'Avastin, qui ne dispose pas d'une autorisation de mise sur le marché (ci-après « AMM ») pour le traitement de la DMLA, en lieu et place du Lucentis, qui, lui, dispose d'une telle autorisation.

I. LE SECTEUR CONCERNÉ

A. Les produits concernés

1. L'Avastin

3. Le laboratoire Genentech, basé aux États-Unis, a mené des recherches sur le processus de croissance de nouveaux vaisseaux sanguins à partir de vaisseaux existants (angiogénèse), qui ont permis en 1989 la découverte d'une protéine appelée « facteur de croissance de l'endothélium vasculaire » (« vascular endothelial growth factor »), ou « VEGF ».

4. Cette protéine jouant un rôle déterminant dans la fabrication des vaisseaux sanguins, son inhibition permet de bloquer le phénomène de vascularisation dans le corps. Les chercheurs de Genentech ont en conséquence développé un anticorps pour contrer le développement vasculaire de tumeurs cancéreuses.

5. Ce laboratoire a ainsi développé en 1996 une molécule dénommée « bevacizumab » qui constitue le principe actif du médicament commercialisé sous le nom d'Avastin, créé pour traiter le cancer colorectal métastasé.

6. Ce médicament a reçu une AMM délivrée par la Commission européenne, en oncologie, en tant que médicament issu de l'un des procédés biotechnologiques mentionnés au point 1 de l'annexe au règlement n° 726/2004, le 12 janvier 2005. Il est commercialisé en France depuis le 4 avril de la même année par le laboratoire Roche, qui détient une licence d'exploitation à cette fin.

7. L'Avastin est un médicament réservé à l'hospitalisation.

2. Le Lucentis

8. Le laboratoire Genentech a étendu ses recherches au traitement de certaines maladies oculaires, en particulier la dégénérescence maculaire liée à l'âge (ci-après, « 'DMLA' ») résultant du développement excessif de la vascularisation de l''il (DMLA humide ou exsudative, différente de la DMLA sèche ou atrophique).

9. Il a, à cette fin, développé un nouvel anticorps à partir du bevacizumab, dénommé « ranibizumab' », spécifiquement conçu pour pouvoir être injecté dans l''il sans diffusion dans l'ensemble du corps (sans effet systémique), au contraire du bevacizumab. Cet anticorps constitue le principe actif du médicament commercialisé sous le nom de Lucentis.

10. Les deux anticorps, s'ils sont tous deux des « anti-VEGF », n'ont ni la même forme, ni le même poids moléculaire, ni la même durée de demi-vie systémique. Ces anticorps peuvent être représentés ainsi (schéma repris de la décision attaquée, § 75) :

11. Le Lucentis a obtenu une AMM délivrée par la Commission européenne le 22 janvier 2007, en tant que médicament issu de l'un des procédés biotechnologiques mentionnés au point 1 de l'annexe au règlement n° 726/2004, pour le traitement de la DMLA exsudative. Il est commercialisé en France par le laboratoire Novartis, qui bénéficie à cette fin d'une licence du laboratoire Genentech.

12. Il s'agit d'un médicament, remboursé par la sécurité sociale, qui n'est pas réservé à l'hôpital mais est également disponible « en ville ».

3. L'utilisation hors AMM de l'Avastin pour le traitement de la DMLA

13. Entre la commercialisation de l'Avastin et celle du Lucentis, à partir de 2005, des médecins ont fait la constatation empirique que l'état de patients atteints de DMLA auxquels l'Avastin avait été prescrit pour le traitement d'un cancer s'améliorait. La pratique s'est développée de procéder à l'injection de doses d'Avastin du patient, pour le traitement de la DMLA, après fractionnement et reconditionnement de ces doses conçues pour le traitement en oncologie.

14. Cette utilisation de l'Avastin en dehors de l'indication pour laquelle il a été mis sur le marché, est dite « hors AMM ».

15. Cet usage a perduré, dans une mesure contestée par les parties et variable dans le temps, après la commercialisation du Lucentis.

4. L'Eylea

16. Le laboratoire américain Regeneron a développé une molécule dénommée « aflibercept », dont sont issus deux médicaments distincts, le Zaltrap, commercialisé par le laboratoire Sanofi, indiqué pour certains types de cancers, et le Eylea, indiqué en injection oculaire intravitréenne, commercialisé par le laboratoire Bayer (décision attaquée, § 83).

17. L'Eylea a obtenu une AMM de la Commission européenne le 22 novembre 2012 pour le traitement de la DMLA et a été commercialisé en France à partir du mois de novembre 2013. L'Eylea a pris 36 % des parts de marché en trois mois (décision attaquée, § 183).

18. Compte tenu de la part de marché rapidement prise par ce médicament, le rapporteur, puis l'Autorité, ont considéré que le mois de novembre 2013 marquait le retour à un marché concurrentiel et la fin de la pratique (décision attaquée, n° 759).

B. Les entreprises concernées

1. Genentech

19. Genentech Inc. (ci-après, « Genentech ») est une société de droit américain fondée en 1976 et spécialisée dans le développement de médicaments issus des biotechnologies. Son siège social se trouve à [Adresse 21]. Cette société a développé l'Avastin et le Lucentis et en a confié la commercialisation, hors États-Unis, respectivement, aux laboratoires Roche et Novartis.

20. Cette société a été détenue à 70 % par la société Roche Holding AG à compter de 1990. Depuis le 26 mars2009, cette dernière société détient la totalité du capital social de Genentech (décision attaquée, § 186 et suivants).

2. Roche

21. Le groupe Roche, fondé en 1896, est une entreprise pharmaceutique internationale. La société Hoffmann-La Roche AG, basée en Suisse, principale société opérationnelle du groupe, est détenue intégralement par la société Roche Holding AG, société faîtière du groupe dont le siège social est situé à [Localité 5].

22. La société Roche Holding AG est contrôlée par un groupe d'actionnaires réunissant des membres de plusieurs familles, qui exercent en commun les droits de vote qu'ils détiennent, à hauteur de 45,01 % des actions conférant un droit de vote.

23. Novartis est l'autre actionnaire important de cette société, puisque ce laboratoire détient 6,2 % du capital et 33,33 % des droits de vote de la société Roche Holding AG (décision attaquée, § 192 et suivants).

24. La société Roche SAS, filiale de distribution, commercialise l'Avastin en France. Elle est détenue à 100 % par la société Roche Holding AG via la société Roche Finanz AG.

3. Novartis

25. La société Novartis AG, dont le siège social se situe également en Suisse, à [Localité 5], est la société faîtière du groupe Novartis.

26. La Novartis Pharma SAS, détenue à 100 % par la société Novartis AG via la société Novartis Groupe France, commercialise le Lucentis en France (décision attaquée, § 189 et suivants).

4. Schéma d'ensemble

27.Les relations entre Genentech et les groupes Roche et Novartis sont résumées par la décision attaquée dans le schéma ci-dessous reproduit :

C. Les autorités de santé publique concernées

1. La DGS

28. La DGS (direction générale de la santé) est l'une des directions du ministère en charge de la santé. Elle est chargée de préparer la politique de santé publique et de contribuer à sa mise en œuvre.

29. L'article D. 1421-1 du code de la santé publique, créé par le décret n° 2012-1143 du 10 octobre 2012 portant organisation de la direction générale de la santé, précise notamment que celle-ci :

Propose les objectifs et les priorités de la politique de santé publique en veillant, notamment, à la prévention des risques,

Élabore les textes législatifs et réglementaires,

veille à la qualité et à la sécurité des produits de santé, et contribue à garantir l'accès des patients aux innovations.

2. L'AFSSAPS devenue l'ANSM

30. L'AFSSAPS (agence française de sécurité sanitaire et des produits de santé) est devenue en 2012 l'ANSM (agence nationale de sécurité des médicaments).

31. Cette agence est chargée d'évaluer les bénéfices et les risques liés à l'utilisation des produits de santé. Elle a pour vocation de permettre, au nom de l'État, l'accès à ces produits en France et d'assurer leur sécurité tout au long de leur cycle de vie. Elle assure la mise en œuvre des systèmes de vigilance.

32. Comme l'ANSM le précise dans un courrier du 21 juin 2021 (pièce 3 annexée aux observations de l'Autorité), elle recueille, en vue de l'accomplissement de ses missions, « les données scientifiques et techniques nécessaires et évalue les informations sur les effets et risques d'effets indésirables, inattendus ou néfastes des produits mentionnés à l'article L. 5311-1 du code de la santé publique ».

33. Il s'agit donc de l'autorité compétente en France « pour assurer la sécurité sanitaire des médicaments à usage humain, depuis les recherches sur la personne humaine, jusqu'à la mise à disposition des produits auprès des patients ».

3. La HAS et la commission de la transparence

34. La HAS (haute autorité de la santé), créée par la loi n° 2004-810 du 13 août 2004 relative à l'assurance maladie, est une autorité publique indépendante à caractère scientifique dotée de la personnalité morale. Elle a notamment pour mission d'évaluer d'un point de vue médical et économique les produits, actes, prestations et technologies de santé, en vue de leur admission au remboursement.

35. La commission de la transparence, définie à l'article L. 162-17 du code de la sécurité sociale et à l'article L. 5123 du code de la santé publique, dépend de la HAS.

36. Cette commission a notamment pour mission de donner un avis aux ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale sur la prise en charge des médicaments par la sécurité sociale ou sur leur utilisation à l'hôpital, notamment au vu du « service médical rendu » (SMR), lequel prend en compte la gravité de la pathologie, l'efficacité et les effets indésirables du médicament et sa place dans la stratégie thérapeutique. L'avis de la commission porte également sur « l'amélioration du service médical rendu » (ASMR) que les médicaments sont susceptibles d'apporter par rapport aux traitements déjà disponibles.

37. Selon la doctrine de la commission de la transparence, une ASMR de niveau II correspond à la reconnaissance d'un progrès thérapeutique important.

4. Le CEPS

38. Le CEPS (comité économique des produits de santé), organisme administratif, contribue à l'élaboration de la politique économique du médicament, qui porte notamment sur les moyens propres à assurer le respect de « l'objectif national de dépenses d'assurance maladie » (Ondam), lequel constitue un indicateur de maîtrise des dépenses de santé.

39. À cette fin, il fixe les prix de vente au public des médicaments, lesquels sont publiés au bulletin officiel des produits de santé (art. L. 162-17-3 du code de la sécurité sociale).

40. L'article L. 162-16-4 du code précité, dans ses différentes versions applicables pendant la période des pratiques reprochées (2008-2013) prévoyait notamment, comme c'est toujours le cas, que :

« Le prix de vente au public de chacun des médicaments ['] est fixé par convention entre l'entreprise exploitant le médicament et le Comité économique des produits de santé ['] ou, à défaut, par décision du comité, sauf opposition conjointe des ministres concernés ['] ».

41. Et que :

« La fixation de ce prix tient compte de l'amélioration du service rendu apportée par le médicament, des prix des médicaments à même visée thérapeutique, des volumes de vente prévus ou constatés ainsi que des conditions prévisibles et réelles d'utilisation du médicament. »

42. En raison de son intérêt avéré pour le traitement de la DMLA et de son caractère novateur, le Lucentis s'est vu reconnaître une ASMR de niveau II.

43. Comme l'expose l'Autorité (décision attaquée, § 39 et suivants), pour les médicaments ayant une ASMR de niveau I à IV, le prix est fixé en se référant au prix de « comparateurs », lorsqu'il en existe, à savoir des médicaments figurant dans la même classe thérapeutique. Ainsi, chaque médicament peut obtenir un avantage tarifaire d'autant plus élevé que son ASMR est importante par rapport aux « comparateurs » identifiés.

44. Le choix du comparateur pour la formation du prix du médicament appartient au CEPS. Le Conseil d'État aainsi jugé que le CEPS est libre de prendre en compte l'usage hors AMM de certaines spécialités lorsque celui-ci est suffisamment développé (CE, 20 mars 2013, Addemedica, n° 356'661).

45. Le régime des conventions conclues entre le laboratoire et le CEPS pour fixer le prix de vente public d'un médicament bénéficiant d'une AMM est précisé par l'accord-cadre signé entre le LEEM (« Les entreprises du médicament », organisation professionnelle des entreprises du médicament opérant en France) et le CEPS. L'accord-cadre de 2003 a défini les grandes lignes d'une politique globale du médicament, en vigueur à l'époque de la période des pratiques reprochées. Cet accord prévoyait pour les produits disposant notamment d'une ASMR de niveau II, la reconnaissance de l'innovation par l'octroi de prix stables pendant cinq ans, fixés en référence aux prix pratiqués dans les autres pays européens, plus particulièrement l'Espagne, l'Italie, l'Allemagne et le Royaume- Uni. Ce système est dénommé « garantie de prix européen ».

46. La négociation du prix des médicaments intègre également fréquemment celle de clauses de rabais, en fonction de la quantité vendue, qui ont pour objet d'assurer la meilleure adéquation possible de l'usage du médicament aux besoins identifiés, qui peuvent être évolutifs. Ces engagements sont dits de type « prix/volume ».

47. Enfin, les prix fixés par convention peuvent, en principe, être révisés. Dans son rapport annuel de l'année 2012, le CEPS indique (décision attaquée, § 42) que « [s]agissant des produits bénéficiant d'une garantie de prix européen, le prix et les clauses afférentes peuvent être malgré tout révisés dès lors que survient une modification des conditions qui les avaient justifiés : prix européens, variation importante des coûts de production, évaluation de la spécialité, analyse médico-économique et volumes de ventes constatés ».

48. Le CEPS a fixé le prix du Lucentis à 1161 euros prix fabricant hors taxe (1297,77 euros prix public TTC), selon l'avis publié au JORF le 30 juin 2007. Ce prix a été déterminé en tenant compte de la garantie de prix européen ainsi que d'un accord « prix/volume » pour une durée de cinq ans.

49. Le prix du Lucentis a fait l'objet de plusieurs baisses entre 2008 et 2013 et d'une renégociation par le CEPS à l'expiration de la garantie de prix européen, en 2012. Il était de 789,50 euros par dose en février 2013 (cote 45 091).

50. Le prix de l'Eyléa a été fixé à 710,55 euros HT par dose, lors de son lancement en novembre 2013 (JO du 30 octobre 2013).

51. Le CEPS ne fixe en revanche pas les prix des médicaments vendus aux hôpitaux. En effet, dans le cas des hôpitaux, les prix des médicaments sont fixés librement, dans le cadre de procédures d'appels d'offres ou de marchés négociés, comme l'explique l'Autorité (décision attaquée, § 44 et suivants).

II. LE CADRE JURIDIQUE APPLICABLE EN MATIÈRE DE MÉDICAMENTS

A. Le droit de l'Union

52. La directive n°'2001/83/CE du Parlement européen et du Conseil du 6 novembre 2001 instituant un code communautaire relatif aux médicaments à usage humain (ci-après, la « directive 2001/83 »), comporte les dispositions suivantes :

53. L'article 3 de la directive 2001/83 dispose qu'elle ne s'applique pas, notamment :

« 1) aux médicaments préparés en pharmacie selon une prescription médicale destinée à un malade déterminé (dénommés communément formule magistrale)';

2) aux médicaments préparés en pharmacie selon les indications d'une pharmacopée et destinés à être délivrés directement aux patients approvisionnés par cette pharmacie (dénommés communément formule officinale) »

54. L'article 5 précise que :

« Un État membre peut, conformément à la législation en vigueur et en vue de répondre à des besoins spéciaux, exclure des dispositions de la présente directive les médicaments fournis pour répondre à une commande loyale et non sollicitée, élaborés conformément aux spécifications d'un praticien agréé et destinés à ses malades particuliers sous sa responsabilité personnelle directe. »

55. L'article 6, paragraphe 1 de la directive, dans sa rédaction issue du règlement CE n° 1394/2007 du 13novembre 2007, dispose que :

« Aucun médicament ne peut être mis sur le marché d'un Etat membre sans qu'une autorisation de mise sur le marché n'ait été délivrée par l'autorité compétente de cet État membre, conformément à la présente directive, ou qu'une autorisation n'ait été délivrée conformément aux dispositions combinées du règlement (CE) n° 726/2004 et du règlement (CE) n° 1394/2007 »

56. L'article 40 ajoute enfin, notamment, que :

« 1. Les États membres prennent toutes les dispositions utiles pour que la fabrication des médicaments sur leur territoire soit soumise à la possession d'une autorisation. Cette autorisation de fabrication est requise même si le médicament est fabriqué en vue de l'exportation.

2. L'autorisation visée au paragraphe 1 est exigée tant pour la fabrication totale ou partielle que pour les opérations de division, de conditionnement ou de présentation.

Toutefois, cette autorisation n'est pas exigée pour les préparations, divisions, changements de conditionnement ou présentation, dans la mesure où ces opérations sont exécutées, uniquement en vue de la délivrance au détail, par des pharmaciens dans une officine ou par d'autres personnes légalement autorisées dans les États membres à effectuer lesdites opérations. »

57. Ces textes sont éclairés par les considérants de la directive, tels que :

le (2) : « Toute réglementation en matière de production, de distribution ou d'utilisation des médicaments doit avoir comme objectif essentiel la sauvegarde de la santé publique » ;

le (3) : « Toutefois ce but doit être atteint par des moyens qui ne puissent pas freiner le développement de l'industrie pharmaceutique et les échanges de médicaments au sein de la Communauté »';

le (7) : « (') Les documents et renseignements qui doivent être joints à la demande d'autorisation de mise sur le marché doivent démontrer que le bénéfice lié à l'efficacité l'emporte sur les risques potentiels »';

le (35) : « (il) y a lieu d'exercer un contrôle sur l'ensemble de la chaîne de distribution des médicaments, depuis leur fabrication ou leur importation dans [l'Union] jusqu'à la délivrance au public, de façon à garantir que les médicaments soient conservés, transportés et manipulés dans des conditions adéquates [...] »';

le (54) : « Pour garantir la sécurité des médicaments après leur mise sur le marché, les systèmes de pharmacovigilance dans la Communauté doivent être adaptés constamment aux progrès scientifiques et techniques » ;

le (58) : « Par ailleurs, les titulaires d'autorisation de mise sur le marché sont responsables du suivi de la pharmacovigilance concernant les médicaments qu'ils mettent sur le marché ».

58. Le règlement (CE) n° 726/2004 mentionné à l'article 6 de la directive établit une procédure centralisée pour l'autorisation des médicaments au niveau de l'Union européenne. Conformément à l'article 3, paragraphe 1, de ce règlement, « [a]ucun médicament figurant à l'annexe ne peut être mis sur le marché dans [l'Union] sans qu'une [AMM] n'ait été délivrée par [l'Union] conformément au présent règlement ». Le point 1 de cette annexe, relative aux « Médicaments devant être autorisés par [l'Union] », inclut les médicaments issus de certains procédés biotechnologiques. Selon l'article 13, paragraphe 1, du même règlement, l'AMM octroyée au terme de la procédure centralisée est valable dans l'ensemble de l'Union et confère dans chaque État membre les mêmes droits et obligations qu'une AMM délivrée par cet État membre en application de la directive 2001/83/CE.

B. Le droit interne

1. Notions de « préparation magistrale » et « hospitalière »

59. L'article L. 5121-1 du code de la santé publique, qui définit les notions de préparation magistrale et hospitalière, a connu de nombreuses évolutions. Pour la compréhension de la présente affaire, il suffit de rappeler que dans la version en vigueur du 22 juin 2000 au 24 décembre 2002, cet article était ainsi rédigé :

« On entend par :

1° Préparation magistrale, tout médicament préparé extemporanément en pharmacie selon une prescription destinée à un malade déterminé ;

2° Préparation hospitalière, tout médicament, à l'exception des produits de thérapies génique ou cellulaire, préparé selon les indications de la pharmacopée et en conformité avec les bonnes pratiques mentionnées à l'article L. 5121-5, en raison de l'absence de spécialité pharmaceutique disponible ou adaptée dans une pharmacie à usage intérieur d'un établissement de santé, ou dans l'établissement pharmaceutique de cet établissement de santé autorisé en application de l'article L. 5124-9. Les préparations hospitalières sont dispensées sur prescription médicale à un ou plusieurs patients par une pharmacie à usage intérieur dudit établissement. Elles font l'objet d'une déclaration auprès de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé, dans des conditions définies par arrêté du ministre chargé de la santé. »

60. Ces dispositions ont été ultérieurement modifiées, sans que ces modifications aient d'incidence pour la compréhension de la présente affaire.

61. L'article L. 5121-1, issu de la loi n° 2011-12 du 29 décembre 2011 (ci-après, la « loi Bertrand »), était rédigé ainsi :

« On entend par :

1° Préparation magistrale, tout médicament préparé selon une prescription médicale destinée à un malade déterminé en raison de l'absence de spécialité pharmaceutique disponible disposant d'une autorisation de mise sur le marché, de l'une des autorisations mentionnées aux articles L. 5121-9-1 et L. 5121-12, d'une autorisation d'importation parallèle ou d'une autorisation d'importation délivrée à un établissement pharmaceutique dans le cadre d'une rupture de stock d'un médicament, soit extemporanément en pharmacie, soit dans les conditions prévues à l'article L. 5125-1 ou à l'article L. 5126-2 ;

2° Préparation hospitalière, tout médicament, à l'exception des produits de thérapies génique ou cellulaire, préparé selon les indications de la pharmacopée et en conformité avec les bonnes pratiques mentionnées à l'article L. 5121-5, en raison de l'absence de spécialité pharmaceutique disponible ou adaptée disposant d'une autorisation de mise sur le marché, par une pharmacie à usage intérieur d'un établissement de santé (') »

2. Droit de la prescription médicale

62. L'article L. 162-2 du code de la sécurité sociale dispose que :

« Dans l'intérêt des assurés sociaux et de la santé publique, le respect de la liberté d'exercice et de l'indépendance professionnelle et morale des médecins est assuré conformément aux principes déontologiques fondamentaux que sont le libre choix du médecin par le malade, la liberté de prescription du médecin, le secret professionnel, le paiement direct des honoraires par le malade, la liberté d'installation du médecin, sauf dispositions contraires en vigueur à la date de promulgation de la loi n° 71-525 du 3 juillet 1971. »

63. L'article R. 4127-8 du code de la santé publique, dans sa rédaction en vigueur du 8 août 2004 au 9 mai 2012, énonce que :

« Dans les limites fixées par la loi, le médecin est libre de ses prescriptions qui seront celles qu'il estime les plus appropriées en la circonstance. Il doit, sans négliger son devoir d'assistance morale, limiter ses prescriptions et ses actes à ce qui est nécessaire à la qualité, à la sécurité et à l'efficacité des soins. Il doit tenir compte des avantages, des inconvénients et des conséquences des différentes investigations et thérapeutiques possibles. »

64. Ce texte a connu une évolution à compter du 9 mai 2012. La rédaction du premier alinéa a été ainsi modifiée :

« Dans les limites fixées par la loi et compte tenu des données acquises de la science, le médecin est libre de ses prescriptions qui seront celles qu'il estime les plus appropriées en la circonstance. »

65. Par ailleurs, la loi Bertrand a introduit dans le code de la santé publique un article L. 5121-12-1, qui précise notamment :

« I. Une spécialité pharmaceutique peut faire l'objet d'une prescription non conforme à son autorisation de mise sur le marché en l'absence d'alternative médicamenteuse appropriée disposant d'une autorisation de mise sur le marché ou d'une autorisation temporaire d'utilisation, sous réserve :

1° Que l'indication ou les conditions d'utilisation considérées aient fait l'objet d'une recommandation temporaire d'utilisation [RTU] établie par l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, cette recommandation ne pouvant excéder trois ans ;

2° Ou que le prescripteur juge indispensable, au regard des données acquises de la science, le recours à cette spécialité pour améliorer ou stabiliser l'état clinique du patient.

[']

IV. Les recommandations temporaires d'utilisation mentionnées au I sont établies après information du titulaire de l'autorisation de mise sur le marché. Les recommandations temporaires d'utilisation sont élaborées dans des conditions fixées par décret en Conseil d'État. ['] »

66. L'article L. 5121-12-1 du code de la santé publique a fait l'objet d'une modification l'année suivante, par l'adjonction d'un V par la loi n° 2012-1404 du 17 décembre 2012 de financement de la sécurité sociale pour 2013, ainsi rédigé :

« V. Par dérogation au I et à titre exceptionnel, en présence d'alternative médicamenteuse appropriée disposant d'une autorisation de mise sur le marché, une spécialité pharmaceutique peut faire l'objet d'une recommandation temporaire d'utilisation établie dans les conditions prévues aux I à IV. Cette recommandation temporaire d'utilisation ne peut être établie que dans l'objectif soit de remédier à un risque avéré pour la santé publique, soit d'éviter des dépenses ayant un impact significatif sur les finances de l'assurance maladie. »

67. Ce V est demeuré inappliqué, faute de décret d'application mentionné au IV.

68. Le texte a ensuite fait l'objet d'une refonte d'ensemble par la loi n° 2014-891 du 8 août 2014 de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2014. Il a alors été rédigé ainsi :

« I. Une spécialité pharmaceutique peut faire l'objet d'une prescription non conforme à son autorisation de mise sur le marché en l'absence de spécialité de même principe actif, de même dosage et de même forme pharmaceutique disposant d'une autorisation de mise sur le marché ou d'une autorisation temporaire d'utilisation dans l'indication ou les conditions d'utilisation considérées, sous réserve qu'une recommandation temporaire d'utilisation établie par l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé sécurise l'utilisation de cette spécialité dans cette indication ou ces conditions d'utilisation et que le prescripteur juge indispensable le recours à cette spécialité pour améliorer ou stabiliser l'état clinique de son patient.

En l'absence de recommandation temporaire d'utilisation dans l'indication ou les conditions d'utilisation considérées, une spécialité pharmaceutique ne peut faire l'objet d'une prescription non conforme à son autorisation de mise sur le marché qu'en l'absence d'alternative médicamenteuse appropriée disposant d'une autorisation de mise sur le marché ou d'une autorisation temporaire d'utilisation et sous réserve que le prescripteur juge indispensable, au regard des données acquises de la science, le recours à cette spécialité pour améliorer ou stabiliser l'état clinique de son patient. [...] »

3. Médicaments réservés à l'hospitalisation

69. L'article R. 5121-82 du code de la santé publique (dans ses différentes versions successives) précise que :

« le classement dans la catégorie des médicaments réservés à l'usage hospitalier ne peut intervenir que si les restrictions apportées à la prescription, à la délivrance et à l'administration du médicament sont justifiées par des contraintes techniques d'utilisation ou par des raisons de sécurité d'utilisation, nécessitant que le traitement s'effectue sous hospitalisation ».

70. Il résulte encore de l'article R. 5121-83 du même code, en substance, que la prescription d'un tel médicament est réservée à un médecin hospitalier, que sa dispensation est réservée aux pharmacies à usage intérieur des établissements hospitaliers, et que son administration ne peut être effectuée qu'au cours d'une hospitalisation.

III. CHRONOLOGIE DES PUBLICATIONS SCIENTIFIQUES ET DES COMMUNICATIONS DES AUTORITÉS DE SANTÉ PUBLIQUE

A. L'année 2009 : le point d'information de l'AFSSAPS du 10 septembre 2009

71. Le 10 septembre 2009, l'AFSSAPS a publié un point d'information sur l'utilisation hors AMM de l'Avastin en ophtalmologie (cotes 48 387 à 48 389) qui précise notamment que « la forme pharmaceutique actuelle d'Avastin n'est pas adaptée à une administration intravitréenne », que « le bénéfice d'Avastin en ophtalmologie n'est pas clairement démontré à ce jour. (') les données disponibles sur le sujet apportent un niveau de preuve insuffisant », enfin que « les données de sécurité d'emploi d'Avastin en ophtalmologie sont encore limitées » « en raison probablement d'une forte sous-notification des effets indésirables survenant dans cette utilisation sans AMM ».

72. Le point d'information ajoute que « dans l'attente des résultats de ces études [GEFAL], l'AFSSAPS rappelle l'existence de médicaments autorisés après évaluation pour le traitement de la DMLA et conseille la prudence dans l'utilisation d'Avastin en intravitréen (...) ».

B. L'année 2010

1. La publication du livre de Mme [C] concernant le Médiator

73.Au mois de juin 2010 a débuté le scandale dit du « Médiator » à la suite de la publication du livre de la pneumologue Mme [O] [C], « Médiator 150 mg : combien de morts'' ».

2. L'étude « Matsuyama »

74.Le 14 juin 2010 a été publiée une étude menée par K. Matsuyama, notamment, intitulée « Plasma levels of vascular endothelial growth factor and pigment epithelium-derived factor before and after intravitreal injection of bevacizumab » (cote 4 291) [traduction libre : « Taux plasmatiques du facteur de croissance de l'endothélium vasculaire et du facteur dérivé de l'épithélium pigmentaire avant et après l'injection intravitréenne de bevacizumab »]. Cette étude fait état du signalement de rares complications générales après une injection intravitréenne de bevacizumab (Avastin).

3. L'article de U. Schmidt-Erfurth

75.Par ailleurs, un article consacré au Lucentis publié en 2010 par U. Schmidt-Erfurth dans la revue Expert Opinion on Drug Safety intitulé « Clinical safety of ranibizumab in age-related macular degeneration » [traduction libre :

« Tolérance clinique du ranibizumab dans la DMLA »] indique en conclusion que le ranibizumab [Lucentis] est un traitement efficace pour les patients atteints de néovascularisation choroïdienne due à la DMLA, est bien toléré et n'est pas associé à un risque cliniquement significatif d'effets indésirables oculaires ou systémiques. Texte original : « In conclusion, ranibizumab is an effective treatment for patients with CNV due to AMD, is well tolerated and is not associated with a clinically significant risk of ocular or systemic adverse events » (cote 4 282).

4. L'étude « Curtis »

76. En octobre 2010, a été publié une étude rétrospective, dénommée Curtis, portant sur les risques de mortalité, d'infarctus du myocarde, d'hémorragie, et d'AVC associés aux thérapies pour la DMLA. Cette étude, qui utilise la base de donnée Medicare aux États-Unis, avait pour objet de comparer le profil de sécurité des molécules de ranibizumab (Lucentis) et de bevacisumab (Avastin) avec les traitements utilisés auparavant (décision attaquée, n° 98 s., cotes 14 525 à 14 531).

77. Cette étude indique notamment qu'après ajustement en fonction des caractéristiques des patients, sesauteurs ont observé une réduction significative du risque de mortalité toutes causes confondues, infarctus du myocarde, et accident vasculaire cérébral, avec le traitement par le ranibizumab par rapport au traitement par le bevacizumab. Texte original : « After adjustment for patient characteristics, we observed significantly lower hazards of all-cause mortality, incident myocardial infarction, and incident stroke with ranibizumab therapy compared with bevacizumab therapy » (cote 14 529).

C. L'année 2011

1. L'étude « Gower »

78.En avril 2011 a été publié un résumé de l'étude « Gower ». Il s'agit d'une analyse rétrospective des effets indésirables de l'Avastin et du Lucentis dans le traitement de la DMLA (cotes 14'532, 14'533). Les auteurs relèvent, notamment, s'agissant des effets systémiques, un risque de mortalité 11 % supérieur et un risque d'AVC hémorragique 57 % supérieur en cas d'usage de l'Avastin (décision attaquée, § 101 s.). Ils concluent que les données issues du Medicare suggèrent des différences entre le Lucentis et l'Avastin quant à leur profil de tolérance tout en précisant que l'étude comporte des limites en raison du caractère incomplet des données sur certains facteurs importants de comorbidité. Texte original : « HRs adjusted for baseline comorbidities, demographics and socio-economic status proxies showed an 11 % higher risk in overall mortality (HR: 1.11; 99 % CI: 1.01 - 1.23) and a 57 % higher risk of hemorrhagic cerebrovascular accident (CVA) in the Bev group (HR: 1.57; 99 % CI: 1.04-2.37) »'; « Data from this Medicare claims analysis suggest différences in the safety profile of Bev vs Ran. However, this study is limited by incomplète information on some important confounding factors, e.g., smoking, lipid and blood pressure levels, which would further clarify the relative safety of these treatments in wet AMD. » (cote 14 533).

2. L'étude « CATT » à un an

79. Le 19 mai 2011 a été publiée l'étude « CATT » (« Comparison of Age-related macular degeneration Treatments Trials ») à un an (cotes 53 à 78). Il s'agit d'un essai multicentrique (44 site) de « non-infériorité » dont l'objectif était de comparer l'Avastin au Lucentis en termes d'efficacité clinique sur l'acuité visuelle de patients atteints de la DMLA (décision attaquée, § 105 s.)

80. Cette étude indique (cote 53), notamment, que les taux de décès, d'infarctus du myocarde, et d'AVC sont similaires pour les patients traités par le bevacizumab (Avastin) et le ranibizumab (Lucentis). Elle ajoute que la part des patients souffrant d'effets secondaires systémiques graves (nécessitant une hospitalisation) est plus élevée dans le cas d'un traitement par le bevacizumab que dans le cas d'un traitement par le ranibizumab (24 % contre 19 %).

81. Les auteurs notent que ces effets secondaires concernent des affections diverses qui n'ont pas été identifiées lors des études antérieures (cote 53). Ils soulignent encore que la puissance statistique de l'étude est limitée en ce qui concerne la détection de certains effets secondaires graves (décès, thrombose artérielle, thrombose veineuse) (cote 63).

82. Les auteurs concluent qu'à un an, les deux molécules ont des effets équivalents sur l'acuité visuelle quand elles sont administrées selon la même procédure, et que les différences de taux d'effets secondaires graves appellent de nouvelles études (cote 53).

83. Texte source, cote 53 :

« Rates of death, myocardial infarction, and stroke were similar for patients receiving either bevacizumab or ranibizumab (P > 0.20). The proportion of patients with serious systemic adverse events (primarily hospitalizations) was higher with bevacizumab than with ranibizumab (24.1 % vs. 19.0 % ; risk ratio, 1.29 ; 95 % confidence interval,

1.01 to 1.66), with excess events broadly distributed in disease categories not identified in previous studies as areas of concern ».

« At 1 year, bevacizumab and ranibizumab had equivalent effects on visual acuity when administered according to the same schedule. Ranibizumab given as needed with monthly evaluation had effects on vision that were equivalent to those of ranibizumab administered monthly. Differences in rates of serious adverse events require further study ».

84. Texte source, cote 63 :

« With a limited statistical power to detect important adverse events, we found no significant differences between the two drugs in rates of death, arteriothrombotic events, or venous thrombotic events ».

3. Le point d'information de l'AFSSAPS du 16 septembre 2011

85.Le 16 septembre 2011, l'AFSSAPS a publié un nouveau point d'information portant sur l'utilisation hors AMMde l'Avastin (cote 49 619). Ce document indique notamment que : « Avastin (bévacizumab) est un médicament anticancéreux qui est proche, de par son mode d'action, de certains médicaments utilisés en ophtalmologie pour le traitement de la dégénérescence maculaire liée à l'âge (DMLA). Des travaux de recherche clinique sont en cours pour préciser l'intérêt du médicament dans cette indication, non autorisée en Europe. Au vu de premiers résultats encourageants, l'Afssaps a sollicité le laboratoire Roche qui ne souhaite pas entreprendre, à ce stade, de développement d'Avastin en ophtalmologie ».

D. L'année 2012

1. La note du DGS du 20 mars 2012

86.Le 20 mars 2012, le directeur général de l'AFSSAPS a adressé une note au directeur général de la santé (ci-après

« le DGS ») précisant notamment que la prescription de l'Avastin dans les indications couvertes par l'AMM de la spécialité Lucentis ne correspond pas aux termes de l'article L 5121-12-1 du code de la santé publique (dans sa rédaction issue de la loi Bertrand) relatives aux RTU (cote 13 469).

2. La recommandation de la HAS de juin 2012

87. Au mois de juin 2012, la HAS a publié une recommandation (cotes 14 359 à 14 391, sans les annexes) qui indique, au sujet de l'utilisation de l'Avastin hors AMM (page 20, cote 14 378) qu'une « étude disponible à ce jour [la HAS, en note de bas de page n° 6, fait référence aux données disponibles des études CATT et IVAN], à un et à deux ans, démontre une efficacité du bevacizumab [Avastin] non inférieure à celle du traitement de référence sur la variation moyenne d'acuité visuelle. Il n'y a pas de différence statistiquement significative en termes de tolérance à deux ans entre les deux molécules sur le risque de décès, d'accidents thrombo-emboliques. La proportion observée de patients avec un ou plusieurs effets indésirables graves systémiques est plus importante avec le bevacizumab [Avastin] que pour le ranibizumab. (Lucentis) Ce résultat est à interpréter avec prudence en raison de la diversité des pathologies rapportées dans l'étude CATT ».

88. La HAS ajoute qu' « à ce jour, il n'existe pas de données publiées à partir d'études randomisées comparatives de haut niveau de preuve mettant en évidence une mauvaise tolérance du bevacizumab [Avastin] à long terme dans le traitement des néovaisseaux choroïdiens de la dégénérescence maculaire liée à l'âge. Néanmoins, il faut rester vigilant. Les données futures des différentes études comparatives prospectives et internationales doivent pouvoir apporter un élément de réponse. Il est recommandé de se référer au point d'information de l'Afssaps/ANSM sur l'utilisation hors AMM d'Avastin en ophtalmologie (septembre 2009). Dans ce document, l'Afssaps/ANSM reste sur une position de prudence et rappelle notamment les incertitudes de cet usage au regard de la sécurité des patients, du fait d'une forme pharmaceutique inadaptée à cet usage et de données de sécurité limitées. Ce point est présenté en annexe 8 de ces recommandations. »

3. L'étude « CATT » à deux ans

89. Au mois de juillet 2012 a été publiée l'étude « CATT » à deux ans (cotes 14 514 à 14 524). Le résumé de cette étude indique (cote 14 514) notamment que les deux médicaments ont la même efficacité sur l'acuité visuelle quand ils sont administrés selon la même procédure, mais également que la part des patients ayant souffert d'au moins un effet indésirable systémique grave a été plus élevée dans le cas du traitement par l'Avastin que dans le cas du traitement par le Lucentis (39,9 % c. 31,7 %). Texte original : « Among patients following the same regimen for 2 years, mean gain in visual acuity was similar for both drugs (bevacizumab-ranibizumab difference, -1.4 letters; 95 % confidence interval [Cl], -3.7 to 0.8; P ' 0.21) ». « Rates of death and arteriothrombolic events were similar for both drugs (P > 0.60). The proportion of patients with 1 or more systemic serious adverse events was higher with bevacizumab than ranibizumab (39.9 % vs. 31.7 %; adjusted risk ratio, 1.30; 95 % Cl, 1.07-1.57; P = 0.009). Most of the excess events have not been associated previousiy with systemic therapy targeting vascular endothelial growth factor (VEGF) ».

90. Les auteurs concluent qu'il n'existe pas de différence entre les deux médicaments en ce qui concerne les taux de décès ou d'événement thrombo-emboliques et que l'interprétation de la persistance d'un taux d'effets indésirables systémiques graves est « incertaine » en raison du fait que ces effets ne peuvent être reliés à des affections généralement associées à l'inhibition des VEGF. Texte original : « There were no differences between drugs in rates of death or arteriothrombotic events. The interprétation of the persistence of higher rates of serious adverse events with bevacizumab is uncertain because of the lack of specificity to conditions associated with inhibition of VEGF ».

4. L'étude « IVAN » à un an

91. En juillet 2012 a été publiée l'étude « IVAN » (« Inhibit VEGF in Age-related choroidal macular Neovascularization ») à un an (cotes 14 534 à 14 546). Il s'agit d'un essai multicentrique dont l'objectif était de comparer l'efficacité et la sécurité des deux molécules pour le traitement de la DMLA à deux ans. La publication après un an présentait donc des résultats provisoires. Les auteurs ont en outre procédé à une méta-analyse combinant leurs résultats et ceux de l'étude « CATT ».

92. Leur conclusion générale est que les deux molécules présentent des bénéfices équivalents au plan des fonctions visuelles. Les auteurs ajoutent qu'elles ont des profils de sécurité similaires et que l'étude ne révèle pas de risque accru d'événement thrombo-embolique dans le cas du bevacizumab (Avastin). Ils précisent encore que les études « CATT » et « IVAN » révèlent dans le cas de cette molécule une faible proportion supérieure d'effets indésirables systémiques graves.

93. Texte original : « Considering all of the evidence now available, we conclude that ranibizumab andbevacizumab confer equivalent visual function benefits, but that bevacizumab is substantially less expensive. Ranibizumab, and continuous treatment, result in significantly better morphologie outcomes, but there was no similar différence in visual function. The safety profiles of the 2 drugs are similar and do not support increased risk of arteriothrombotic events with bevacizumab. Both the CATT and the IVAN reported slightly more systemic serious adverse events with bevacizumab. » (Cote 14 545).

5. L'instruction de la DGS du 11 juillet 2012

94.La DGS a diffusé une instruction datée du 11 juillet 2012 interdisant la préparation de l'Avastin pour le traitement de la DMLA, compte tenu de l'existence d'une spécialité adaptée, le Lucentis, sur le fondement de l'article L. 5121-1 du code de la santé publique (instruction DGS/PP2/2012/278, cotes 1 574 à 1 576).

6. Le courrier du président de la HAS à Novartis du 31 juillet 2012

95.Le 31 juillet 2012, dans un courrier adressé à Novartis, le président de la HAS a indiqué que le collège de la HAS avait renoncé à saisir l'ANSM en vue de l'établissement d'une RTU pour l'usage de l'Avastin dans le traitement de la DMLA en raison des doutes sur la possibilité juridique d'adopter une RTU en présence d'une alternative thérapeutique régulièrement autorisée, « compte tenu du libellé de l'article L. 5121-12-1 qui définit les critères d'élaboration d'une RTU » (cote 3 336).

7. L'instruction du DGS du 10 août 2012

96.Le 10 août 2012, le DGS a adressé aux directeurs régionaux des agences régionales de santé (ci-après, « ARS ») une instruction ayant pour objet de compléter l'instruction du 11 juillet 2012 et de préciser les conditions dans lesquelles l'Avastin peut être utilisé hors AMM dans le respect des dispositions de l'art. L. 5121-12-1 CSP (Instruction DGS/PP2/2012, cotes 553 à 555 et 48 524 à 48 526).

E. L'année 2013

1. L'étude « IVAN » à deux ans

97. Au mois de juillet 2013 a été publiée l'étude « IVAN » à deux ans (cotes 47 135 à 47 145).

98. Les auteurs concluent que du point de vue de l'efficacité, le bevacizumab et le ranibizumab peuvent être considérés comme équivalents, à cet égard, pour le traitement de la DMLA. Ils ajoutent que « les comparaisons entre les médicaments après 2 ans sont rassurantes, et ne suggèrent pas de différence dans la mortalité ou les effets thrombo-emboliques, dont il a déjà été suggéré qu'ils étaient liés à l'utilisation de médicaments anti-VEGF. L'analyse groupée [CATT et IVAN] de tout effet indésirable systémique grave semble confirmer un risque accru avec le bevacizumab (Avastin), ce qui a été signalé pour la première fois dans le CATT. Cependant, l'analyse groupée masque l'incohérence entre les estimations des essais séparés ».

99. Textes originaux : « Bevacizumab and ranibizumab have similar efficacy and can be considered équivalent in this respect in the treatment of neovascular age-related macular degeneration » (cote 47 144). « The comparisons between the drugs after 2 years are reassuring, with no suggestion of any difference in mortality or arterial thrombotic events, which have previously been suggested to be related to use of anti-VEGF drugs. The pooled analysis for any systemic SAE [systemic serious adverse event] seems to confirm an increased risk with bevacizumab, which was first reported in CATT. However, the pooled analysis disguises the inconsistency between the separate trial estimates » (cote 47'143).

2. L'étude « GEFAL »

100. L'étude « GEFAL » (« Groupe d'évaluation Français Avastin vs. Lucentis ») est une étude multicentrique (38 centres) qui a été publiée en novembre 2013 (cotes 14 547 à 14 556 pour l'article en anglais, voir également la présentation du projet poursuivi par l'étude, datée du 6 juin 2008, cotes 2'268 à 2'342). Elle a été menée en France sous l'égide des Hospices civils de [Localité 17] et a eu pour objectif principal d'évaluer l'efficacité et la tolérance comparées d'injections intravitréennes du bevacizumab (Avastin) et du ranibizumab (Lucentis) pour le traitement de la DMLA.

101. Les auteurs de l'étude concluent que l'étude « GEFAL » est la seconde à démontrer avec un haut niveau de preuve la non-infériorité du bevacizumab par rapport au ranibizumab en ce qui concerne l'acuité visuelle à un an.

102. Ils concluent également qu'aucune différence en ce qui concerne la tolérance n'a été mise en évidence. Ils précisent par ailleurs que la part des patients qui présentent un événement secondaire grave était de 12,6 % dans le groupe traité par le bevacizumab (Avastin) et de 12,1 % dans le groupe traité par le ranibizumab (Lucentis) et que la proportion des patients sujet à un événement secondaire systémique ou oculaire grave était similaire dans les deux groupes.

103. Texte original : « In conclusion, the double-blind randomized GEFAL study is the second study to demonstrate with a high level of evidence the noninferiority of bevacizumab versus ranibizumab for Visual acuity at 1 year. The number of injections administered was similar for both drugs. No differences in safety or new safety concerns were identified. » Cote 14 554. « The proportion of patients with serious adverse events was 12.6 % in the bevacizumab group and 12.1 % in the ranibizumab group (P = 0.88). The proportion of patients with serious systemic or ocular adverse events was similar in both groups » (cote 14'547).

F. L'année 2014

1. L'étude « Solomon »

104. L'étude dirigée par le Dr Solomon (pièce 24 de Roche) est une méta-analyse effectuée à partir de 12 études portant sur 5 496 patients qui a été publiée en 2014 (décision attaquée, § 127).

105. Les auteurs confirment l'efficacité des deux molécules pour le traitement de la DMLA. Ils mentionnent incidemment que moins de patients du groupe traité par le ranibizumab (Lucentis) ont été sujets à un effet indésirable systémique grave que de patients du groupe traité par le bevacizumab (Avastin) (page 43). Texte original : « At both one and two-year follow ups, fewer participants in the ranibizumab groups experienced any serious systemic adverse event compared with participants in the bevacizumab groups ». (pièce 24 de Roche, page 43).

2. L'étude « Moja »

106. L'étude « Moja » est également une méta-analyse effectuée à partir de neuf études portant sur 3 665 patients, qui a été publiée en 2014 (décision attaquée, § 128)

107. Son objectif était d'évaluer l'innocuité systémique du bevacizumab intravitréen (Aventis) par rapport au ranibizumab intravitréen (Lucentis) chez les personnes atteintes de DMLA néovasculaire. Les auteurs précisent que « les principaux critères d'évaluation ont été le décès et tous les effets indésirables systémiques graves, (...). Les critères d'évaluation secondaires ont eu pour objet d'examiner certains effets spécifiques : infarctus du myocarde mortels et non mortels, accidents vasculaires cérébraux, effets thrombo-emboliques, infections graves et [certains autres] effets (...) » (Roche, pièce 25, page 2).

108. Les auteurs concluent que « cette revue systématique d'essais contrôlés randomisés non financés par l'industrie n'a pas pu déterminer de différence entre le bevacizumab intravitréen et le ranibizumab que ce soit pour les décès ou pour les effets indésirables systémiques graves ou des sous-ensembles spécifiques de ces effets au cours des deux premières années de traitement, à l'exception des troubles gastro-intestinaux. Les données probantes actuelles sont imprécises et peuvent varier selon les niveaux de risque pour les patients, mais dans l'ensemble, elles suggèrent que s'il existe une différence, elle est probablement faible » (même pièce, page 4).

109. Texte original : « Primary outcomes were death and all serious systemic adverse events (all SSAEs), the latteras a composite outcome in accordance with the International Conference on Harmonisation Good Clinical Practice.

Secondary outcomes examined specific SSAEs: fatal and non-fatal myocardial infarctions, strokes, arteriothrombotic events, serious infections, and events grouped in some Medical Dictionary for Regulatory Activities System Organ Classes (MedDRA SOC). We assessed the safety at the longest available follow-up to a maximum of two years » (Roche, pièce 25, page 2) ; « This systematic review of non-industry sponsored RCTs could not determine a difference between intravitreal bevacizumab and ranibizumab for deaths, all SSAEs, or specific subsets of SSAEs in the first two years of treatment, with the exception of gastrointestinal disorders. The current evidence is imprecise and might vary across levels of patient risks, but overall suggests that if a difference exists, it is likely to be small » (même pièce, page 4).

3. Formation d'un consensus scientifique

110. Les représentants de l'ANSM, entendus par le rapporteur le 20 avril 2018, ont indiqué (cotes 14 272 à 14 276) que :

« Sur Avastin, le débat scientifique a été évolutif. Ce n'est que progressivement que les méta-analyses se sont stabilisées en faveur d'Avastin. Les connaissances ont évolué. Tout cela est contemporain. Les méta-analyses sont arrivées au moment où on étudiait la RTU » (page 2)

« C'est vrai qu'il y a eu un vrai débat scientifique. En 2014 il était en train de se décanter. Il y avait un vrai débat contradictoire sur les risques. On retrouvait ce débat en interne » (page 3).

111. Ils ont encore précisé que c'est l'étude « Moja » qui a apporté « des éléments de sécurité déterminants » (cote 14 274).

G. L'année 2015 : la mise en place de la RTU concernant l'Avastin

112. L'ANSM indique dans un courrier du 21 juin 2021 adressé à la Présidente de l'Autorité de la concurrence (pièce 3 annexée aux observations de l'Autorité) ce qui suit :

« [...] Les différents essais et méta-analyses comparant Avastin et Lucentis (ranibizumab) dans cette indication ont été présentés aux membres de la Commission d'évaluation initiale du rapport bénéfice/risque des produits de santé le 19 mars 2015. Ces essais ont montré l'efficacité d'Avastin dans le traitement de la DMLA néovasculaire et une non infériorité par rapport à Lucentis en termes d'efficacité fonctionnelle (acuité visuelle).

Concernant sa tolérance générale (effets systémiques), les résultats de la méta-analyse faite par Moja et al, la plus complète et la plus récente lors de l'examen des données par la Commission sus-citée, ne semblaient pas démontrer de différence significative pour les effets systémiques graves en comparaison au Lucentis, excepté pour les effets gastro-intestinaux. Sur le plan local, les effets indésirables oculaires observés (effets inflammatoires ou traumatiques) étaient ceux de tous les anti-angiogéniques administrés par voie intra-vitréenne telles que des infections intraoculaires (endophatalmies) principalement liées ici au mode de préparation d'Avastin (celui-ci sera d'ailleurs strictement encadré lors de la mise en place de la RTU afin d'éviter ce type d'effet indésirable). À ce jour, compte-tenu du nombre d'effets indésirables rapportés dans le cadre de la RTU, et de la nature de ces effets, la sécurité d'Avastin dans la DMLA dans les conditions d'utilisation prévues par cette RTU n'est pas remise en question.'[...] »

113. La RTU attribuée à l'Avastin pour le traitement de la DMLA a pris effet le 1er septembre 2015 et a été modifiée le 11 septembre 2015 afin de permettre aux Hospices civils de [Localité 17] d'assurer la fonction de suivi des patients à la place de Roche.

IV. LA PROCÉDURE DEVANT L'AUTORITÉ ET LA DÉCISION ATTAQUÉE

A. La genèse de l'affaire

114. Le 19 octobre 2012, la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (ci-après la « DGCCRF ») a communiqué à la Rapporteure générale de l'Autorité de la concurrence un dossier comprenant notamment un courrier intitulé « proposition de pratiques anticoncurrentielles » que la DIRECCTE Rhône-Alpes lui avait adressé (Autorité, cotes 931 et suivantes). Ce document indiquait notamment :

« Le Lucentis, fabriqué par le laboratoire Novartis qui a acheté à Genentech le brevet, est le seul médicament autorisé en France pour le traitement de la DMLA par injection. Genentech perçoit de ce fait des royalties de la part de Novartis. Le laboratoire ROCHE, devenu propriétaire de Genentech en 2009, touche donc les royalties encaissées par sa filiale sur la vente du Lucentis par le laboratoire NOVARTIS. À titre d'information, une injection de Lucentis est facturée 800 € à un hôpital alors qu'une injection d'Avastin ne coûte que 50 € à ce dernier.

Conscientes des économies réalisables par l'utilisation de l'Avastin pour traiter la DMLA courant 2011 les autorités sanitaires françaises ont invité sans succès le laboratoire ROCHE à déposer un dossier d'AMM pour ce médicament. La réticence de ce laboratoire à déposer un tel dossier pourrait s'expliquer en partie par un principe de précaution. Si le laboratoire ROCHE reste sur de telles positions, alors que les autorités françaises de santé l'incitent à développer l'Avastin en ophtalmologie, c'est plus vraisemblablement parce que les royalties qu'il perçoit indirectement, par le biais de sa filiale Genentech, sur la vente du Lucentis par NOVARTIS sont supérieures au bénéfice qu'il tirerait lui-même de la vente de l'Avastin, sur le marché du traitement de la DMLA par injection intraoculaire ».

B. La procédure engagée

115. Le 23 novembre 2012, la Rapporteure générale de l'Autorité a indiqué à la DGCCRF qu'elle prenait en charge la direction des investigations (cote 929). Le 8 avril 2014, elle a procédé à des opérations de visite et saisie dans les locaux des sociétés Novartis Pharma France SAS et Roche SAS.

116. Par une décision du 17 septembre 2015 (n° 15-SO-12), l'Autorité s'est saisie d'office de pratiques mises en œuvre dans le secteur du traitement de la DMLA.

117. Au terme de l'instruction, le rapporteur a notifié deux griefs.

118. Un premier grief a été notifié aux sociétés Novartis Pharma SAS (RCS 410 349 070), en tant qu'auteur des pratiques, Novartis AG, en tant qu'auteur des pratiques et en tant que société mère de la précédente, et Novartis Groupe France SA (RCS 709 804 538), en tant que société mère de la première, (ci-après, ensemble dénommée « Novartis »). Par ce grief, il était reproché auxdites sociétés d'avoir (soulignement ajouté) :

« abusé de la position dominante détenue collectivement avec Roche et Genentech, sur le marché français du traitement de la DMLA exsudative par anti-VEGF, en élaborant et en exécutant une stratégie visant à limiter le recours par les médecins ophtalmologistes au produit Avastin, concurrent de son médicament Lucentis pour ce type de pathologies, au travers de différentes actions de communication à caractère trompeur vis-à-vis des professionnels de santé, des autorités du secteur de la santé, des patients et du grand public. Cet ensemble de comportements, ayant débuté le 10 mars 2008 et ayant pris fin à tout le moins au mois de novembre 2013, constitue une pratique prohibée par les articles 102 du TFUE et L. 420-2 du code de commerce. »

119. Un second grief a été notifié aux sociétés précédentes, prises en leurs mêmes qualités, ainsi qu'aux sociétés Roche (RCS 552 012 031), en tant qu'auteur des pratiques (ci-après, « Roche »), Genentech, Inc. en tant qu'auteur des pratiques (ci-après, « Genentech »), et Roche Holding AG (ci-après, « Roche »), en tant que société mère de Roche et Genentech, Inc. Il leur était reproché d'avoir (soulignement ajouté) :

« abusé de la position dominante qu'elles détiennent collectivement sur le marché français du traitement de la DMLA exsudative par anti-VEGF, en élaborant et en exécutant une stratégie visant à faire obstacle aux initiatives des pouvoirs publics français permettant d'autoriser administrativement l'usage d'Avastin pour le traitement de la DMLA, au travers d'un ensemble de comportements de blocage administratif et de diffusion d'un discours trompeur aux responsables politiques et aux autorités de santé. Cet ensemble de comportements, ayant débuté le 7 avril 2008 et ayant pris fin à tout le moins au mois de novembre 2013, constitue une pratique prohibée par les articles 102 du TFUE et L. 420-2 du code de commerce ».

C. La décision de l'Autorité de la concurrence et sa communication

120. Par la décision n° 20-D-11 du 9 septembre 2020 (la décision attaquée), l'Autorité a décidé que (soulignement ajouté) :

« Article 1er : Il est établi que les sociétés Novartis Pharma SAS et Novartis AG, en tant qu'auteures des pratiques, et les sociétés Novartis Groupe France SA et Novartis AG, en leurs qualités de sociétés mères, ont enfreint les dispositions de l'article L. 420-2 du code de commerce ainsi que celles de l'article 102 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, en mettant en œuvre une pratique de dénigrement d'Avastin sur les marchés français du traitement de la DMLA exsudative par anti-VEGF et des autres indications oculaires (OMD, OBVR, OVCR ou baisse visuelle due à une NVC) traitées par anti-VEGF, combinant la ville et l'hôpital.'

Article 2 : Il est établi que les sociétés Novartis Pharma SAS, Novartis AG, Roche SAS et Genentech Inc., en tant qu'auteures des pratiques, et les sociétés Novartis Groupe France SA, Novartis AG et Roche Holding AG, en leurs qualités de sociétés mères, ont enfreint les dispositions de l'article L. 420-2 du code de commerce ainsi que celles de l'article 102 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, en diffusant un discours alarmiste, voire trompeur, auprès des autorités publiques sur les risques liés à l'utilisation d'Avastin sur les marchés français du traitement de la DMLA exsudative par anti-VEGF et des autres indications oculaires (OMD, OBVR, OVCR ou baisse visuelle due à une NVC) traitées par anti-VEGF, combinant la ville et l'hôpital.

Article 3 : Au titre de la pratique visée à l'article 1er, il est infligé conjointement et solidairement aux sociétés Novartis Pharma SAS, Novartis AG et Novartis Groupe France SA, la sanction pécuniaire de 253 905 750 euros, dans les conditions exposées au paragraphe 1202 de la présente décision.

Article 4 : Sont infligées, au titre de la pratique visée à l'article 2, les sanctions pécuniaires suivantes :

131 197 500 euros, conjointement et solidairement aux sociétés Novartis Pharma SAS, Novartis AG et Novartis Groupe France SA dans les conditions exposées au paragraphe 1302 de la présente décision ;

59 748 726 euros, conjointement et solidairement aux sociétés Roche, Genentech Inc., et Roche Holding AG, dans les conditions exposées au paragraphe 1302 de la présente décision. »

121. L'Autorité a, le jour même, communiqué sur la teneur de sa décision au cours d'une conférence de presse etat mis en ligne, sur les réseaux sociaux, une vidéo illustrant sa décision.

V. LES RECOURS ENTREPRIS ET LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR

122. Par leurs recours, Roche et Genentech, d'une part, Novartis, d'autre part, demandent l'annulation ou la réformation de cette décision sur le fondement de moyens tirés, à titre principal, de sa légalité externe et, à titre subsidiaire, de sa légalité interne. Elles contestent également le montant de la sanction qui leur a été infligée.

A. Les demandes de Roche et Genentech

123. À la suite du dépôt par l'Autorité de ses observations accompagnées de nouvelle pièces, Roche et Genentech ont saisi la Cour de conclusions d'incident le 29 octobre 2021. Déplorant l'absence de retranscription des observations orales de la représentante de la DGS lors de la séance du collège du 12 mars 2020 ayant précédé l'adoption de la décision attaquée, Roche a demandé à la Cour, à titre principal, d'entendre, préalablement à l'audience au fond, la représentante de la DGS.

124. L'incident a été joint au fond, et un calendrier de procédure propre à cet incident a été notifié aux parties. La Cour a invité l'Autorité à produire, le cas échéant, le procès-verbal de séance du collège du 12 mars 2020 et à préciser, dans ses observations en réponse à l'incident, si elle conteste les propos de la représentant de la DGS tels que résumés par Roche de la manière suivante :

« Lors de la séance, la DGS est ainsi venue expliquer, en substance, que l'Instruction avait été décidée dans le contexte particulier de la Loi Bertrand, laquelle, à la suite des Assises du médicament et du scandale du Mediator® lié à un usage hors AMM sans contrôle, avait pour objectif d'encadrer plus strictement l'usage hors AMM des médicaments, d'une part, et de préciser, d'autre part, les conditions dans lesquelles il était possible d'avoir recours à des préparations magistrales ou hospitalières. La DGS a par ailleurs indiqué, lors de son intervention, que l'Instruction, publiée six mois après l'adoption de la Loi Bertrand, avait été jugée nécessaire au regard de remontées de l'ensemble des acteurs, notamment l'ANSM et l'ARS d'Ile-de-France, concernant les modalités d'utilisation d'Avastin® hors AMM qui n'étaient, selon les propos tenus en séance par Mme [B], « pas neutres », la préparation de seringues d'Avastin® reconditionnées devant se faire dans des conditions d'asepsie extrêmement strictes. La DGS a enfin tenu à rappeler que cette Instruction constituait un strict rappel du cadre législatif pour qu'il s'applique, et qu'en conséquence elle « ne produit pas du droit », quand bien même elle aurait réduit l'utilisation d'Avastin® dans le traitement de la DMLA. »

125. Dans ses observations déposées le 23 novembre 2021 en réponse à l'incident, l'Autorité n'a pas contesté la véracité des propos tels que résumés par Roche dans ses écritures mais a indiqué que :

« (17) S'il est exact que l'Autorité n'a pas fait référence à l'intervention de la représentante de la DGS dans la décision attaquée, il doit être relevé que les propos tenus en séance par cette dernière, même à les supposer fondés en droit "ce que l'Autorité conteste", ne peuvent, en eux-mêmes, suffire à démontrer que les pratiques en litige ont été sans effet sur l'adoption de l'instruction de la DGS du 11 juillet 2012. [...] » (§ 17, soulignement ajouté par la Cour).

126. Au fond, Roche et Genentech demandent à la Cour :

In limine litis

de juger que la procédure et la décision de l'Autorité de la concurrence n° 20-D-11 du 9 septembre 2020 relativeà des pratiques mises en œuvre dans le secteur du traitement de la dégénérescence maculaire liée à l'âge (DMLA) sont entachées de vices de forme substantiels';

de juger que l'Autorité de la concurrence n'a pas compétence pour se prononcer sur les pratiques visées au titre du second grief sanctionné par la décision n°20-D-11 du 9 septembre 2020 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur du traitement de la dégénérescence maculaire liée à l'âge (DMLA)';

En conséquence,

d'annuler l'intégralité de la décision n° 20-D-11 ainsi que la procédure l'ayant précédée';

À tout le moins,

d'annuler les articles 2 et 4 de la décision n° 20-D-11 pour défaut de compétence de l'Autorité de la concurrence relativement au grief notifié aux sociétés Roche SAS et Genentech Inc., en tant qu'auteures des pratiques, et Roche Holding AG, en sa qualité de société faîtière du groupe Roche.

À titre principal

de juger que la définition d'un marché français du traitement de la DMLA exsudative par anti-VEGF, incluantaussi bien Avastin® que Lucentis® et combinant la ville et l'hôpital, telle que retenue par la décision n° 20-D-11, est entachée d'erreurs de fait et de droit';

de juger que les sociétés Roche SAS, Genentech Inc., Novartis Pharma SAS et Novartis AG ne détiennent pas de position dominante collective sur le marché français du traitement de la DMLA exsudative par anti-VEGF, combinant la ville et l'hôpital, et plus encore sur les marchés français du traitement des autres indications oculaires (OMD, OBVR, OVCR ou baisse visuelle due à une NVC) traitée par anti-VEGF, combinant la ville et l'hôpital';

En conséquence,

d'annuler l'intégralité de la décision de l'Autorité de la concurrence n° 20-D-11 du 9 septembre 2020 relative àdes pratiques mises en œuvre dans le secteur du traitement de la DMLA';

Le cas échéant,

de renvoyer les questions préjudicielles suivantes à la Cour de Justice de l'Union européenne'en application de l'article 267 du Traité sur le Fonctionnement de l'Union européenne :

1) Dans les circonstances de l'affaire au principal, où l'une des entreprises partie à l'entité collective alléguée détient déjà, individuellement, une position de « quasi-monopole » sur le marché pertinent et pourrait de ce fait être considérée comme dominante, l'article 102 TFUE doit-il être interprété comme s'opposant à la caractérisation de l'existence d'une position dominante collective, même dans la situation où cette entreprise est liée à une ou plusieurs autres entreprises par des liens contractuels et structurels de faible portée tels que ceux en cause dans l'affaire au principal'''

2) Dans les circonstances de l'affaire au principal, l'article 102 TFUE doit-il être interprété en ce sens que les liens entre deux entreprises, caractérisés par :

l'existence d'une participation inférieure à 10 % d'une entreprise au capital de l'autre entreprise, n'entrainant aucun contrôle ou influence déterminante sur cette entreprise'; et

l'existence de contrats de licence entre (i) une société en tant que donneur de licence et sa société mère (accord intra-groupe au sein de la première entreprise) pour la commercialisation d'une spécialité utilisée hors AMM pour le traitement d'une certaine pathologie, d'une part, et (ii) la même société et la seconde entreprise pour la commercialisation de la spécialité autorisée pour le traitement de la même pathologie, d'autre part';

doivent être analysés comme des liens structurels suffisants pour démontrer l'existence d'une entité collective à laquelle un abus de position dominante peut être imputé''

3) Le critère posé par la Cour de Justice dans l'arrêt Compagnie maritime belge (aff. jointes C-395/96 et C-396/96 du 16 mars 2000), selon lequel une entité collective peut être caractérisée « à condition que, du point de vue économique, [les entreprises intéressées] se présentent ou agissent ensemble sur un marché spécifique comme une entité collective » (point 36), doit-il être interprété comme s'opposant à la constatation d'une position dominante collective dans l'hypothèse où les entreprises visées ne seraient pas actives sur le même marché pertinent''

4) Dans l'hypothèse où les entreprises concernées ne se présentent pas ni n'agissent ensemble sur le marché pertinent comme une entité collective, l'article 102 TFUE doit-il être interprété en ce sens qu'une position dominante collective peut malgré tout être caractérisée sur le fondement des comportements relevés au titre de l'abus présumé''

À titre infiniment subsidiaire

de juger qu'aucun comportement abusif ne peut être imputé aux sociétés Roche SAS et Genentech Inc.';

que les pratiques visées par la décision de l'Autorité de la concurrence n°20-D-11 du 9 septembre 2020 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur du traitement de la dégénérescence maculaire liée à l'âge (DMLA) n'ont pu avoir aucun effet anticoncurrentiel';

De ce fait,

d'annuler l'article 2 de la décision n°20-D-11, en ce qu'il a établi que les sociétés Roche SAS, Genentech Inc., en tant qu'auteures des pratiques, et Roche Holding AG, en sa qualité de société mère, ont enfreint les dispositions de l'article L. 420-2 du code de commerce, ainsi que celles de l'article 102 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, en diffusant un discours alarmiste, voire trompeur, auprès des autorités publiques sur les risques liés à l'utilisation d'Avastin® sur les marchés français du traitement de la DMLA exsudative par anti-VEGF et des autres indictions oculaires (OMD, OBVR, OVCR ou baisse visuelle due à une NVC) traitées par anti-VEGF, combinant la ville et l'hôpital';

Par voie de conséquence,

d'annuler également l'article 4 de la décision de l'Autorité de la concurrence n° 20-D-11, en ce qu'il a prononcé une sanction pécuniaire à l'encontre des sociétés Roche SAS, Genentech Inc., en tant qu'auteures des pratiques, et Roche Holding AG, en sa qualité de société mère';

À tout le moins,

de juger qu'aucun comportement abusif ne peut être imputé aux sociétés Roche SAS et Genentech Inc. entre le mois de juin 2009 et le 28 avril 2011';

De ce fait,

de réformer les articles 2 et 4 de la décision de l'Autorité de la concurrence n° 20-D-11 en réduisant la durée de l'infraction constatée dans le chef des sociétés Roche SAS, Genentech Inc., et Roche Holding AG.

À titre subsidiaire

de réformer l'article 4 de la décision de l'Autorité de la concurrence n° 20-D-11 du 9 septembre 2020 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur du traitement de la dégénérescence maculaire liée à l'âge (DMLA) en réduisant le montant de l'amende prononcée par l'Autorité de la concurrence à l'encontre des sociétés Roche SAS, Genentech Inc., et Roche Holding AG.

Le cas échéant,

d'ordonner la production par Novartis Pharma SAS, Novartis Groupe France SA et Novartis AG de la valeur annuelle des ventes de Lucentis® en France pour le traitement de la DMLA, sur la période allant de 2008 à 2013.

Et en tout état de cause,

de condamner l'Autorité de la concurrence à la somme de 300 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

127. L'Autorité, sur l'incident, considère en conclusion que les mesures demandées n'apparaissent pas utiles à a résolution du litige. Sur le fond, elle demande le rejet des moyens proposés par Roche et Genentech.

128. Le ministre chargé de l'économie partage cette position, ainsi que le ministère public.

B. Les demandes de Novartis

129. À la suite du dépôt par l'Autorité de ses observations en réponse au fond accompagnées de nouvelles pièces, Novartis a déposé des conclusions d'incident le 18 octobre 2021 demandant à la Cour d'ordonner une mesure d'enquête en réaction, comme elle l'indique dans ses conclusions, à la production par l'Autorité desdites pièces. La mesure d'enquête sollicitée tend à l'audition des représentants de l'ANSM, du CEPS et de la HAS, préalablement à l'audience de plaidoirie au fond. La Cour a joint l'incident au fond et un calendrier de procédure propre à l'incident a été notifié aux parties.

130. Au fond, Novartis demande à la Cour :

À titre principal

d'annuler dans son intégralité la décision de l'Autorité de la concurrence n° 20-D-11 du 9 septembre 2020relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur du traitement de la dégénérescence maculaire liée à l'âge (DMLA)';

d'annuler la décision implicite et indissociable, non débattue contradictoirement et non motivée de l'Autorité de la concurrence de mettre en œuvre une campagne de communication relevant de l'article L. 464-2, I al. 5 du code de commerce, en procédant à une large publication et une large diffusion par voie de communiqué de presse, d'une conférence de presse et d'une vidéo diffusée sur de multiples réseaux sociaux, de la décision n° 20-D-11 précitée et/ou d'extraits ou résumés de celle-ci ;

À titre subsidiaire

de réformer la décision de l'Autorité de la concurrence n° 20-D-11 du 9 septembre 2020 en ce qu'elle tient pour établi, aux articles 1 et 2, que la société NOVARTIS AG a enfreint les dispositions de l'article L. 420-2 du code de commerce ainsi que celles de l'article 102 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne en tant qu'auteure des pratiques';

de réformer la décision de l'Autorité de la concurrence n° 20-D-11 du 9 septembre 2020, et plus particulièrement ses articles 3 et 4, lus en conjonction avec les paragraphes 1202 et 1302 de la décision, en ce qu'elle tient la société NOVARTIS PHARMA S.A.S. responsable des sanctions prononcées à hauteur, respectivement, de 50.781.150 euros et 26.239.500 euros.

de réformer la décision de l'Autorité de la concurrence n° 20-D-11 du 9 septembre 2020 en ce qu'elle condamne conjointement et solidairement les sociétés NOVARTIS PHARMA S.A.S., NOVARTIS GROUPE France S.A. et NOVARTIS AG à payer, à titre de sanctions pécuniaires, une somme de 253 905 750 euros (dont 50 781 150 euros pour la seule société NOVARTIS PHARMA S.A.S.) au titre de la pratique visée à l'article 1er de la Décision et une somme de 131 197 500 euros (dont 26 239 500 euros pour la seule société NOVARTIS PHARMA S.A.S.) au titre de la pratique visée à l'article 2 de la Décision, en SUPPRIMANT ou en RÉDUISANT TRÈS SUBSTANTIELLEMENT le montant desdites sanctions ;

En tout état de cause

d'ordonner au Trésor Public le remboursement immédiat aux sociétés Novartis Pharma S.A.S., Novartis Groupe France S.A. et Novartis AG du montant des sommes indûment versées, avec intérêt au taux légal à compter de la date du paiement effectué en règlement du (ou des) titre(s) de perception afférent(s) ;

de juger que les intérêts échus produiront eux-mêmes des intérêts dans les conditions prévues à l'article 1343-2 du Code civil ;

de condamner l'Autorité de la concurrence à verser aux sociétés NOVARTIS PHARMA S.A.S., NOVARTIS GROUPE France S.A. et NOVARTIS AG une somme qui ne saurait être inférieure à 647 033 euros, à parfaire, au titre de

l'article 700 du code de procédure civile ;

de condamner l'Autorité de la concurrence aux entiers dépens.

131. L'Autorité considère que les éléments nécessaires à l'exercice par la Cour de son pouvoir de contrôle figurent dans le dossier d'instruction et en conséquence que les mesures d'enquête sollicitées n'apparaissent pas utiles à la résolution du litige. Sur le fond, elle considère que les recours doivent être rejetés.

132. Le ministre chargé de l'économie demande à la Cour de rejeter les demandes d'instruction de Novartis et, sur le fond, de rejeter les moyens proposés par cette partie.

133. Le ministère public est du même avis.

C. L'audience devant la Cour et ses suites

134. Lors de l'audience du 10 février 2022, la Cour a notamment interrogé les parties requérantes et l'Autorité sur la différence de rédaction du grief 2 et de l'article 2 du dispositif de la décision attaquée après avoir constaté que cet article ne fait pas mention, contrairement audit grief, « d'un ensemble de comportements de blocage administratif ».

135. L'Autorité a répondu qu'il fallait lire et compléter le dispositif à la lumière des motifs (not. § 924 et suivants) et qu'en conséquence il fallait comprendre que l'Autorité avait entendu, au titre de l'article 2, sanctionner notamment les « comportements de blocage administratif » visés par le second grief.

136. Par ailleurs, la Cour a mis dans le débat les travaux parlementaires afférents aux lois n° 2011-12 du 29 décembre 2011 (loi Bertrand), n° 2012-1404 du 17 décembre 2012 de financement de la sécurité sociale pour 2013, et n° 2014-892 du 8 août 2014 de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2014. Une impression d'une partie de ces travaux a été distribuée à l'ensemble des parties en début d'audience, laquelle s'est tenue toute la journée.

137. À la fin des débats à l'audience, en présence de l'ensemble des parties, la Cour a invité Roche, Genentech et Novartis à produire, d'ici le 30 juin 2022, une note en délibéré sur les suites de la procédure devant le Tribunal des conflits et, le cas échéant, sur l'issue du pourvoi dans l'affaire Janssen-Cilag.

138. Roche a communiqué une note en délibéré reçue au greffe le 20 juin 2022. Novartis a transmis une note en délibéré reçue le 30 juin 2022. L'Autorité a contesté, par observations du 5 juillet 2022, la recevabilité desdites notes.

139. Par un courriel du 12 juillet 2022, la Cour a réitéré sa demande, en tant que de besoin, et l'a complétée, en autorisant les sociétés requérantes à présenter des observations complémentaires, dans le prolongement des débats, à la suite de la communication par le rapporteur d'éléments sur les travaux préparatoires à l'adoption de la loi Bertrand et sur l'évolution législative en la matière.

140. La Cour, par ledit courriel, a invité l'Autorité à répondre à ces notes pour le 15 septembre 2022. L'Autorité a déposé une note en réponse le 14 septembre 2022.

MOTIVATION

141. Seront successivement discutés, les incidents, les moyens de légalité externe, enfin les moyens de légalité interne.

I. SUR LES INCIDENTS

A. L'incident de Roche et Genentech

142. Les dernières conclusions de Roche et Genentech, du 14 janvier 2022, ne comportent pas de dispositif reprenant les demandes formées dans ses premières conclusions d'incident du 29 octobre 2021. La Cour n'est donc pas saisie desdites demandes, que Roche est présumée avoir abandonnées, et ce conformément aux dispositions de l'article R. 464-25-1 du code de commerce.

B. L'incident de Novartis

143. L'Autorité, en annexe à ses observations du 22 juin 2021, a produit devant la Cour trois pièces qui ne se trouvaient pas dans le dossier de l'instruction transmis en vertu de l'article R. 464-14 du code de commerce. Il s'agit des pièces suivantes :

la copie sur CD-Rom d'un reportage intitulé « Big Pharma- Labos tout puissants » de 2020, diffusé le 15 septembre 2020 sur Arte, ainsi que la transcription de certaines parties de ce reportage';

une lettre de la directrice générale de l'ANSM à la présidente de l'Autorité, daté du 21 juin 2021, qui relate notamment « les difficultés rencontrées par l'ANSM dans la mise en place de la RTU ».

144. Cette lettre fait état des recours engagés devant le Conseil d'État par Roche et Novartis, d'une part, contre le décret n° 2014-1703 du 30 décembre 2014 pris pour l'application des dispositions législatives créant les RTU, d'autre part, contre la RTU du 24 juin 2015. Elle indique encore que ces recours ont été rejetés par plusieurs décisions du Conseil d'État du « 29 juin 2016 (Req n° 387890) » et « du 30 janvier 2017 (Req n° 392459 et 392810) ». Enfin, elle indique que Roche a refusé d'assurer directement le suivi des patients concernés par la RTU, conduisant l'ASNM à confier ce suivi aux Hospices Civils de [Localité 17], et qu'à cette fin, une convention financière, notamment, a été conclue entre l'ANSM, les HCL et Roche, le 5 juillet 2015.

145. Novartis demande, au nom du principe de l'égalité des armes, que la Cour ordonne une enquête comprenant notamment l'audition des représentants de l'ANSM, du CEPS, de la HAS.

146. Dans ses observations sur incident du 23 novembre 2021, l'Autorité conclut que « (12) bien que les documents en litige n'aient pas été produits en vue de justifier du bien-fondé de la décision attaquée, il a néanmoins paru utile à l'Autorité de les verser aux débats afin d'enrichir la présentation des faits de l'espèce et de faciliter la compréhension du contexte de l'affaire » et que «  (13) (') dès lors que ces documents ont été produits pour la première fois devant la Cour et n'ont pas été utilisés pour fonder la décision attaquée, l'invocation d'une méconnaissance des exigences du débat contradictoire devant l'Autorité est inopérante.  »

147. Le ministre chargé de l'économie relève que les trois autorités dont Novartis demande l'audition ont déjà été entendues au cours de l'instruction.

148. Le ministère public rejoint la position du ministre chargé de l'économie et ajoute que l'apport de nouveaux éléments par l'Autorité, a fortiori en réponse aux arguments allégués par les requérantes, s'inscrit dans le cadre de la mission du régulateur relevant de l'ordre public économique. Il conclut au rejet de la demande de Novartis.

Sur ce, la Cour,

149. Par un arrêt du 7 décembre 2010, dans l'affaire dite « Vebic » (Confédération flamande regroupant les associations de boulangers et pâtissiers, de glaciers et de chocolatiers, C-439/08), la Cour de justice de l'Union européenne (ci-après la « CJUE ») a dit pour droit que l'article 35 du règlement (CE) n° 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 et 82 du traité, doit être interprété en ce sens qu'il s'oppose à une réglementation nationale qui n'accorde pas la faculté à une autorité de concurrence nationale de participer, en tant que partie défenderesse, à une procédure judiciaire dirigée contre la décision dont cette autorité est l'auteur.

150. La CJUE a notamment considéré que le fait de ne pas accorder à l'autorité de concurrence nationale les droits d'une partie au litige et, partant, de l'empêcher de défendre la décision qu'elle a adoptée dans l'intérêt général, comporte le risque que la juridiction saisie soit entièrement « captive » des moyens et arguments développés par la ou les entreprises requérantes. Or, la CJUE a souligné que dans un domaine tel que celui de la constatation d'infractions aux règles de concurrence et d'imposition d'amendes, qui comporte des appréciations juridiques et économiques complexes, l'existence même d'un tel risque est susceptible de compromettre l'exercice de l'obligation particulière qui incombe aux autorités de concurrence nationales, en vertu du règlement, de garantir l'application effective des articles 101 TFUE et 102 TFUE.

151. Il en résulte que l'Autorité, à qui l'article R. 464-11 du code de commerce confère la qualité de partie dans les conditions déterminées par les articles R. 464-12 et suivants du même code, doit pouvoir défendre la décision qu'elle a adoptée en présentant les arguments qui lui apparaissent pertinents sur la matérialité des faits, leur qualification et leur sanction, tant que cette argumentation n'invoque aucun nouvel élément de fait qui ne soit pas issu de l'enquête et de l'instruction et qu'elle reste dans la limite de la qualification retenue par la notification des griefs.

152. En l'espèce, en premier lieu, la communication à la Cour d'un reportage ayant déjà fait l'objet d'une diffusion par une chaîne de télévision et qui porte sur les faits qui ont fait l'objet de l'enquête de concurrence n'appelle pas d'autre réponse que le droit pour les parties d'en critiquer la teneur, droit qu'elles ont exercé. Au demeurant, ce reportage n'apporte que des éléments de contexte largement développés par l'Autorité dans la décision attaquée.

153. En deuxième lieu, la lettre de l'ANSM du 21 juin 2021 n'apporte pas d'enseignements nouveaux.

154. En effet, d'une part, les recours de Novartis devant la juridiction administrative étaient déjà connus de la Cour. En effet, l'Autorité évoque aux paragraphes 23 et 28 de la décision attaquée les arrêts du Conseil d'État des 29 juin 2016 (n° 387890) et 24 février 2017 (n° 392459) mentionnés par le courrier de l'ANSM du 21 juin 2021 (avec une erreur de date), dont la lecture révèle qu'ils ont été rendus à la suite de recours de ces laboratoires (notamment).

155. D'autre part, le refus de Roche d'apporter son concours à la mise en œuvre de la RTU « tout en ayant cependant accepté de conclure une convention financière avec les HCL et l'ANSM » se situe dans le droit fil de sa position constante consistant à ne pas vouloir coopérer au développement de l'Avastin pour le traitement de la DMLA. Il ne s'agit pas d'une information qui présenterait Roche sous un jour nouveau.

156. La lettre du 21 juin 2021 constitue ainsi une illustration supplémentaire d'éléments cités et analysés dans la décision attaquée. En outre, ni cette lettre, ni le reportage ne sont indispensables à la caractérisation de la pratique ni ne constituent un fondement nécessaire aux poursuites et à la décision attaquée.

157. En tout état de cause, la requérante ne démontre pas en quoi les éléments produits par l'Autorité seraient de nature à rompre l'équilibre entre les parties en leur faisant perdre toute possibilité de défendre à ces éléments ou en les plaçant dans une situation de net désavantage par rapport à l'Autorité.

158. En conséquence, l'incident est rejeté.

II. SUR LES MOYENS DE LÉGALITÉ EXTERNE

159. Roche présente plusieurs moyens de légalité externe portant, d'une part, sur des vices de forme de la décision et, d'autre part, sur l'incompétence de l'Autorité pour connaître de questions d'ordre scientifique et pour apprécier la mise en œuvre par les autorités de santé de leurs prérogatives de puissance publique.

A. Sur les moyens pris de vices de forme

1. Sur la composition du collège

160. Roche affirme, en premier lieu, que la décision attaquée est entachée d'un vice de forme substantiel, en ce qu'elle a été délibérée par MM. [G] et [SC], membres du collège qui n'étaient pas présents lors de la séance du 12 mars 2020. Elle produit sur ce point une attestation de son conseil, Me Thil-Tayara.

161. Roche affirme, en second lieu, qu'il « existe à tout le moins une discordance entre la liste des membres du Collège ayant assisté à la séance, telle que reflétée par le procès-verbal de séance, et la liste des participants au délibéré, telle qu'elle ressort des mentions de la Décision. En effet, si la Décision indique que Mme [YJ] a délibéré, le procès-verbal de séance ne fait aucune mention de sa présence à celle-ci. » (Conclusions récapitulatives, § 283)

162. L'Autorité soutient que les mentions d'un jugement font foi jusqu'à preuve contraire et que cette jurisprudence vaut également, de façon certaine, pour les décisions administratives (§ 37), en sorte qu'elle doit être transposée aux décisions prises par l'Autorité quand elle se prononce notamment sur des pratiques anticoncurrentielles sur le fondement de l'article L. 464-2 du code de commerce. Elle produit des attestations de la présidente de l'Autorité ainsi que de MM. [G] et [SC] faisant état de la présence de ces derniers lors de la séance du Collège du 12 mars 2020.

163. Le ministre chargé de l'économie et le ministère public rejoignent l'analyse de l'Autorité.

Sur ce, la Cour,

164. Lors de l'audience du 10 février 2022, le conseil de Roche a déclaré devant la Cour ne plus soutenir la première partie de son argumentation, afférente à l'absence lors de la séance de MM. [G] et [SC].

165. Roche a toutefois maintenu la deuxième partie de son argumentation, afférente à Mme [YJ].

166. L'absence de mention de la présence de Mme [YJ] sur le procès-verbal de séance (Roche, pièce 40) procède à l'évidence d'une simple erreur matérielle, ainsi qu'il ressort de l'attestation (Roche, pièce 39) de Mme [JT], conseil de Roche, qui précise « Cette séance, à laquelle j'ai assistée dans son intégralité, s'est tenue en présence des membres du collège de l'Autorité suivants : ['], Mme [A] [YJ], [...] », et de la décision attaquée elle-même (page 205).

167. Le moyen est rejeté.

2. Sur l'absence d'établissement d'un procès-verbal au cours de l'instruction

168. Roche se prévaut d'une rupture manifeste des droits de la défense en raison de l'absence d'établissement par le rapporteur d'un procès-verbal de l'audition de représentants de la HAS du 18 janvier 2016, rien ne permettant de conclure que la requérante n'ait pas été privée d'éléments utiles à sa défense. Elle soutient ainsi qu'a minima, l'absence de procès-verbal l'a privée de la possibilité de connaître et de débattre contradictoirement de la position de la HAS sur le débat scientifique qui entourait l'usage de l'Avastin hors AMM dans la DMLA, sujet qui a dû être abordé pendant la réunion.

169. Dans ses observations en réponse, l'Autorité se réfère à l'arrêt Intel de la CJUE (affaire C-413/14, arrêt du 6 mars 2017), et fait valoir, s'agissant de l'absence de documents prétendument à décharge, qu'il incombe non seulement à l'entreprise d'établir qu'elle n'a pas eu accès à ces éléments de preuve, mais également qu'elle aurait pu les utiliser pour sa défense. Elle ajoute qu'en l'espèce, les échanges qui ont eu lieu le 18 janvier 2016, dont la finalité est connue par les échanges de courriers électroniques versés au dossier, avaient pour objet d'évoquer et de commenter les documents produits par la HAS et n'ont pas fondé le grief notifié à Roche et Genentech, en sorte qu'il n'a pas pu être porté atteinte aux droits de la défense.

170. Le ministre chargé de l'économie, après avoir relevé, à la suite de la décision attaquée (§ 575), que les sociétés en cause n'ont pas demandé que les représentants de la HAS soient entendus au cours de la séance de l'Autorité, conclut au rejet du moyen.

171. Le ministère public partage l'analyse de l'Autorité et du ministre chargé de l'économie.

Sur ce, la Cour,

172. Aux termes de l'article R. 463-6 du code de commerce « [l]es auditions auxquelles procède le rapporteur donnent lieu à un procès-verbal, signé par les personnes entendues. En cas de refus de signer, il en est fait mention par le rapporteur. Les personnes entendues peuvent être assistées d'un conseil ».

173. Il se déduit de la jurisprudence de la CJUE (6 mars 2017, Intel, C-413/14) que dans le cas où l'établissement d'un procès-verbal a été omis, il appartient à la partie requérante d'apporter des indices susceptibles d'accréditer sa thèse selon laquelle des éléments à décharge utiles à sa défense n'auraient pas été versés au dossier de la procédure.

174. En l'espèce, le rapporteur et la HAS ont échangé par écrit et, à la suite de ces échanges, la HAS a adressé au premier, le 9 décembre 2015, plusieurs publications concernant le traitement de la DMLA (cotes 13'197 s.). Par courriel du 14 décembre 2015, le rapporteur a accusé réception de ces documents et a adressé à la HAS un questionnaire portant sur le traitement de la DMLA et sur deux documents, à savoir le courrier du 31 juillet 2012 que le président de la HAS avait adressé à Novartis, et l'instruction de la DGS du 11 juillet 2012 (cotes 13'450 s.). La HAS a fait parvenir ses réponses au questionnaire ainsi que des documents complémentaires par courriel du 13 janvier 2016 (cote 13 517).

175. C'est dans ces circonstances qu'une réunion a eu lieu entre le rapporteur et des représentants de la HAS le 28 janvier 2016, qui n'a pas donné lieu à l'établissement d'un procès-verbal.

176. À la suite de l'envoi de la notification de griefs, Roche et Genentech ont sollicité (cotes 47 394 et 47'395), le 5 février 2019, la communication du procès-verbal de l'audition des représentants de la HAS qui a eu lieu le 18 janvier 2016, l'existence de cette audition étant mentionnée notamment par les cotes 13'197 et 13'517.

177. Par courriel du 7 février 2019 (cote 47 397 ; Roche, pièce 42), le rapporteur a répondu que « [c]omme indiqué au sein des annexes 165, 166 et 168 à la Notification de Griefs, les échanges intervenus au cours du mois de décembre 2015 et du mois de janvier 2016 entre le rapporteur alors en charge du dossier et la HAS ont pris la forme de fourniture de documents et de réponses à un questionnaire écrit. Dans ce contexte, la réunion intervenue du 18 janvier 2016 ne portait que sur les éléments déjà fournis par écrit et n'a donné lieu à aucun procès-verbal ».

178. En premier lieu, Roche n'invoque aucun indice susceptible d'accréditer sa thèse selon laquelle des éléments à décharge utiles à sa défense n'auraient pas été versés au dossier de la procédure.

179. En second lieu, dans ses réponses au questionnaire du rapporteur, la HAS a fait preuve de prudence et a pris soin de ne pas répondre aux questions qui, selon elle, ne relevaient pas de son champ de compétence (cotes 13 519 s.). Ainsi, à titre d'exemples :

« 9. La HAS est-elle intervenue dans l'adoption de la circulaire de la DGS du 11 juillet 2012 « Quelle était la position de votre institution sur cette instruction du ministère de la santé »

Réponse : La HAS n'est pas intervenue et n'avait pas à intervenir dans cette circulaire car cela ne relève pas de son champs de compétence qui est l'évaluation médicale en vue du remboursement. »

« 10. La circulaire du 11 juillet 2012 considère le reconditionnement d'Avastin par le PUI en plusieurs seringues destinées à des injections vitréennes comme des préparations hospitalières ou magistrales au sens de l'article L. 5121-1 du code de la santé publique. Selon vous, cette qualification est-elle justifiée et pour quelles raisons''

Réponse : Cette question n'entre pas dans le champ de compétences de la HAS. »

180. En outre, la HAS a livré une analyse de la loi Bertrand (mêmes cotes) :

« 5. Pouvez-vous nous indiquer les raisons qui avaient, à l'époque, poussé la HAS à envisager l'élaboration d'une RTU pour Avastin dans le traitement de la DMLA (études scientifiques, pratiques des autres autorités de santé, etc.)''

Réponse : A la suite de la réalisation de sa recommandation de bonne pratique sur la DMLA, la HAS a envisagé de signaler l'intérêt médical et économique (études CATT et IVAN) d'une RTU à l'ANSM, puis l'analyse (exposée infra) du cadre juridique en vigueur en 2012 l'a conduite à renoncer temporairement à cette proposition.

6. Quelles sont les raisons qui ont amené la HAS à renoncer à cette proposition de RTU

Réponse : Le cadre général des RTU tel qu'issu de la loi du 29 décembre est le suivant : Les dispositions du code de la santé publique (article L. 5121 du CSP) ne confient pas l'initiative et la réalisation d'une RTU à la HAS mais à l'ANSM ; en effet, s'agissant d'une modification et/ou extension de l'autorisation de mise sur le marché, il [ne] saurait en être autrement. La HAS intervient après la RTU sur l'intérêt médical de la prise en charge par l'assurance maladie. En revanche, la HAS peut signaler à l'ANSM l'intérêt et l'opportunité d'une RTU, mais l'ANSM décide seule in fine de faire une RTU ou pas, mais si et seulement s'il n'y a pas d'alternatives thérapeutiques appropriées ». [Soulignement dans le texte]

Dans le cas spécifique de la DMLA, il faut distinguer deux périodes.

Entre le 29 décembre 2011 et le 17 décembre 2012, le cadre juridique ne permettait pas à l'ANSM de faire une RTU dans le traitement de la DMLA car une alternative thérapeutique existait comme c'est indiqué dans le courrier.

C'est pour cela que la HAS a renoncé à signaler l'intérêt d'une RTU, car celle-ci ne pouvait pas juridiquement aboutir dans cette rédaction des articles législatifs.

L'article 57 de la loi de financement de la sécurité sociale du 17 décembre 2012, a levé cet obstacle et a permis d'envisager une RTU y compris quand il existe une alternative thérapeutique mais moins efficiente, ouvrant la voie à l'ANSM à une RTU sur ce sujet. »

181. Enfin, le questionnaire n'aborde pas l'évolution dans le temps de la teneur des différentes études scientifiques portant sur les mérites comparés de l'Avastin et du Lucentis pour le traitement de la DMLA.

182. Il résulte ainsi de la teneur des réponses de la HAS que cette autorité ne peut être suspectée d'avoir livré oralement au rapporteur des éléments à charge ou décharge qui n'auraient pas déjà été contenus dans ses réponses écrites, en sorte que les allégations de Roche sur ce point, qu'aucun indice n'accrédite, doivent être écartées.

183. Il s'ensuit que l'omission du rapporteur d'établir un procès-verbal ne saurait en l'espèce avoir vicié la procédure.

184. La note adressée en cours de délibéré par Roche et Genentech comporte des observations complétant leurs précédents mémoires sur la question de l'absence de procès-verbal d'audition, par lesquelles elles discutent la portée de l'arrêt du Tribunal de l'Union Européenne du 15 juin 2022, Qualcomm / Commission (affaire T235/18).

185. Toutefois, la Cour ne les ayant pas invités à les faire, ces observations complémentaires sont irrecevables en application de l'article 445 du code de procédure civile.

186. Dès lors, il convient de rejeter le moyen.

B. Sur le moyen pris de l'incompétence de l'Autorité

187. Roche soutient, en premier lieu, que l'analyse, par l'Autorité, de son discours à l'adresse des institutions de santé publique n'a en pratique pas pu se faire indépendamment d'une appréciation des éléments du débat scientifique qui avait cours à l'époque des pratiques. L'Autorité ne pouvait en conséquence conclure au caractère alarmiste des propos tenus par Roche.

188. Elle estime, en second lieu, que l'Autorité était incompétente, à tout le moins pour la période de 2008 à 2009, pour apprécier la mise en œuvre par l'AFSSAPS de ses prérogatives de puissance publique, ce qu'elle a nécessairement fait en reprochant à Roche de ne pas avoir voulu fournir à cette autorité de santé les échantillons qu'elle sollicitait en vue de la réalisation d'une étude de stabilité. Selon Roche, s'il était loisible, le cas échéant, à l'AFSSAPS de faire usage de ses pouvoirs de police sanitaire, l'Autorité de la concurrence ne saurait, en substance, s'arroger les prérogatives de l'autorité de santé.

189. L'Autorité répond qu'elle est compétente pour connaître de toute pratique susceptible de constituer une infraction aux règles de concurrence, quel que soit le secteur d'activité ou le vecteur concerné, et notamment de pratiques visant à entraver la commercialisation de médicaments concurrents. Il lui appartient dès lors de replacer les pratiques incriminées dans leur contexte juridique et factuel, sauf à être captive d'une analyse du contexte qui pourrait avoir été retenue par une autorité administrative à la suite d'un comportement susceptible d'être anticoncurrentiel. Elle conclut que sous couvert d'une contestation sur sa compétence, Roche conteste la solution retenue au fond.

190. Le ministre chargé de l'économie soutient, d'abord, que l'Autorité s'est contentée de déterminer si les entreprises mises en cause avaient reproduit fidèlement les arguments scientifiques opposés dans le cadre du débat public sur l'efficacité et la sécurité comparées de l'Avastin et du Lucentis, sans immixtion indue dans l'appréciation scientifique du débat public qui avait alors cours. Il soutient ensuite que l'Autorité ne s'est livrée à aucune appréciation de la légalité des décisions prises par les autorités de santé.

191. Le ministère public est d'avis, d'une part, que sous couvert d'une argumentation portant sur l'immixtion de l'Autorité dans un débat scientifique, Roche ne tend qu'à discuter le fond de l'affaire, et, d'autre part, que l'Autorité n'a pas outrepassé ses compétences s'agissant de l'appréciation de la légalité des décisions prises par les autorités de santé.

Sur ce, la Cour,

192. S'agissant de la première branche du moyen, l'Autorité peut être saisie de toute pratique susceptible de constituer une infraction aux règles de concurrence, quel que soit le secteur d'activité concerné. Aux fins d'apprécier leur éventuel caractère anticoncurrentiel, elle a le devoir de replacer les pratiques incriminées dans leur contexte juridique, qui diffère suivant le marché sur lequel les pratiques se déroulent, et factuel.

193. Le point de savoir si, en analysant le cadre factuel et juridique tel qu'elle l'a fait dans la présente affaire, l'Autorité a implicitement mais nécessairement procédé à une évaluation scientifique des études ayant constitué le support du discours de Roche, ce qu'elle n'aurait pas les moyens de faire, faute de disposer elle-même de compétences scientifiques, relève d'une appréciation de la légalité interne de la décision attaquée.

194. Il ne saurait donc, en l'état, être conclu à l'incompétence de l'Autorité sur ce fondement.

195. S'agissant de la seconde branche, il incombe à l'Autorité d'apprécier le comportement des opérateurs économiques au regard des règles de concurrence. L'appréciation du comportement de Roche, s'agissant de son refus initial de fournir des échantillons à l'AFFSAPS, dès lors qu'elle a considéré qu'il s'inscrivait dans une pratique anticoncurrentielle, relève de sa compétence. L'Autorité n'a fait qu'user des pouvoirs qui sont les siens sans empiéter sur les prérogatives de l'AFSSAPS.

196. Le moyen, pris en ses deux branches, sera donc rejeté.

III. SUR LA DÉLIMITATION DU MARCHÉ PERTINENT

A. Sur la substituabilité concrète de l'Avastin et du Lucentis pour le traitement de la DMLA exsudative

197. Dans la décision attaquée, l'Autorité a retenu que l'Avastin et le Lucentis ont été des médicaments substituables pendant la période couverte par les pratiques reprochées, donc entre le 10 mars 2008 et le mois de novembre 2013, sur « les marchés français du traitement de la DMLA exsudative par anti-VEGF et des autres indications oculaires (OMD, OBVR, OVCR ou baisse visuelle due à une NVC) traitées par anti-VEGF, combinant la ville et l'hôpital » (reprise du dispositif de la décision attaquée). Elle considère, en se fondant sur un document intitulé « panel Rekam » saisi dans les locaux de Novartis (cotes 2368, 4705, 13 977 et 13 978) que la part de marché détenue par l'Avastin sur le marché du traitement de la DMLA exsudative était d'environ 15 % en janvier 2008 et a décru à 6 % en novembre 2009, puis à 3 % en décembre 2012 (décision attaquée, § 180 et le tableau de la page 38, § 629).

198. Roche et Genentech font valoir, en premier lieu, qu'en réalité, les volumes d'Avastin totaux (toutes indications confondues) comptabilisés au sein des données du PMSI [Programme de Médicalisation des Systèmes d'Information, outil de description et de mesure médico-économique de l'activité hospitalière, cf. la décision attaquée, § 624, note 36] sont quasiment identiques aux volumes totaux contenus dans les bases de données des ventes de Roche aux hôpitaux, et en conclut que l'utilisation de l'Avastin pour la DMLA est toujours restée marginale. Par suite, selon Roche, ces deux médicaments ne peuvent être regardés comme substituables pour le traitement de la DMLA exsudative par anti-VEGF.

199. Roche et Genentech soutiennent, en second lieu, que les données retenues par l'Autorité, provenant depièces saisies chez Novartis concernant des sondages (« panel Rekam »), ne sont pas pertinentes, le rapporteur ayant procédé à une sélection arbitraire des données qu'il a utilisées.

200. À l'appui de cette argumentation, les laboratoires produisent une étude économique qui répertorie l'ensemble des pièces saisies dans les locaux de Novartis qui mentionnent les parts de marché prises par l'Avastin (étude CRA actualisée, 8 décembre 2021, pièce Roche n° 55 bis). Il en ressort qu'il est possible de construire des tableaux alternatifs à celui qui figure au paragraphe 180 de la décision attaquée (pièce précitée, tableaux pages 18 à 20) en établissant non pas une ligne continue, mais un nuage de points.

201. Roche et Genentech ajoutent que les données de Novartis ne rendent pas compte de l'expansion du marché du traitement de la DMLA avec l'arrivée sur le marché de nouveaux traitements, en sorte que la baisse relative de la part de marché de l'Avastin n'implique pas une diminution en valeur absolue de son utilisation.

202. Novartis soutient que l'utilisation de l'Avastin est demeurée marginale, comme le révèle, notamment, la mise en œuvre de la RTU depuis 2015.

203. En réponse, l'Autorité rappelle que la substituabilité entre deux médicaments doit être appréciée de façon concrète au regard de la structure de la demande et de l'offre, en prenant en compte le point de vue des médecins prescripteurs, dont la perception est dépendante des indications et contre-indications thérapeutiques.

204. Elle soutient que la circonstance que l'Avastin aurait, en comparaison du Lucentis, été moins prescrit dans le traitement de la DMLA ne saurait conduire à exclure ce médicament du marché pertinent, dans la mesure où, pour que l'existence d'un rapport de substituabilité soit admise, il faut qu'une utilisation du médicament soit concrètement observée, de sorte que ledit médicament puisse être regardé comme de nature à exercer une pression concurrentielle sur les autres médicaments utilisés pour le traitement de la même pathologie. Dans le cas d'un médicament non couvert par une AMM, le rapport de substituabilité n'a donc pas à être déterminé au regard de sa part de marché.

205. Elle précise que les données de sondage émanant de Novartis sont probantes quant à utilisation de l'Avastin pour traiter la DMLA, et que ce fait est confirmé par les déclarations de plusieurs médecins ainsi que par l'étude « GEFAL ». Corrélativement, elle critique l'utilisation que Roche fait des données issues du PMSI, lesquelles, ne couvrent que très imparfaitement l'utilisation hors AMM de l'Avastin dans le traitement de la DMLA et ne rendent pas compte du nombre réel d'injections qu'il est possible de préparer à partir d'un flacon. L'Autorité se fonde par ailleurs sur diverses sources, telles que les auditions de médecins ou les communiqués d'autorités de santé.

206. Le ministre chargé de l'économie et le ministère public développent une argumentation analogue à celle de l'Autorité.

Sur ce, la Cour,

207. La Commission européenne, dans sa communication sur la définition du marché en cause aux fins du droit communautaire de la concurrence (JOCE 1997, C 372, p. 5), a indiqué, comme le rappelle la décision attaquée (§ 613 et suivants), que :

« un marché de produits en cause comprend tous les produits et/ou services que le consommateur considère comme interchangeables ou substituables en raison de leurs caractéristiques, de leur prix et de l'usage auquel ils sont destinés » (point 7).

208. Comme la CJUE l'a précisé,

« il ressort de la jurisprudence que la notion de marché pertinent implique qu'une concurrence effective puisse exister entre les produits ou les services qui en font partie, ce qui suppose un degré suffisant d'interchangeabilité en vue du même usage entre tous les produits ou les services faisant partie d'un même marché.

L'interchangeabilité ou la substituabilité ne s'apprécie pas au seul regard des caractéristiques objectives des produits et des services en cause. Il convient également de prendre en considération les conditions de la concurrence et la structure de la demande et de l'offre sur le marché (arrêt du 23 janvier 2018, F. Hoffmann-La Roche e.a., C-179/16, EU:C:2018:25, point 51 ainsi que jurisprudence citée) » (CJUE, 30 janvier 2020, Generics (UK), aff. C-307/18, point 129).

209. Dans le secteur des médicaments, leur substituabilité ne dépend pas fondamentalement de leur identité physique ou chimique, mais de leur substituabilité fonctionnelle du point de vue du dispensateur, et donc, dans le cas des médicaments soumis à prescription, du point de vue des médecins prescripteurs.

210. En effet, la décision d'achat n'est pas prise par l'utilisateur final, mais par le médecin prescripteur, qui choisit le médicament devant être administré à son patient en fonction des indications et contre-indications thérapeutiques de ce médicament, des particularités de son patient et du système de santé.

211. En l'espèce, de nombreuses sources documentaires permettent d'établir l'utilisation de l'Avastin hors AMM pour le traitement de la DMLA exsudative.

212. Certaines sources documentaires sont constituées par des pièces saisies dans les locaux de Roche etNovartis.

213. Ainsi, dans un courriel du 1er décembre 2006, Mme [RA] [N], employée par Roche (pièce 64, dossier Roche), indiquait à l'époque que :

« ['] nous [Roche] avons été informés que de nombreuses demandes concernant l'utilisation d'Avastin dans les DMLA arrivaient à l'Afssaps. En conséquence, Avastin a été identifié comme pouvant faire l'objet d'un référentiel. Roche s'est clairement positionné en informant les autorités que nous ne cautionnions pas cette utilisation, qu'aucune promotion n'en était faite et que nous ne la recommandions pas. »

214. En outre, selon des documents émanant de Novartis, l'Avastin était utilisé en 2010 pour le traitement de la DMLA au point que la pénétration de l'Avastin était perçue comme un risque (cotes 13 977 / 13 978).

215. D'autres sources documentaires sont constituées par les déclarations de médecins, recueillies sous forme de témoignage par Roche ou d'auditions par le rapporteur de l'Autorité.

216. Dans son attestation du 18 novembre 2020, le professeur [T] [X], chef du service d'ophtalmologie de l'hôpital

[20] à [Localité 11] (pièce 59, dossier Roche) indique :

« Au CHU de [Localité 11], nous avons pu utiliser Avastin en ophtalmologie entre 2005 et 2007. A compter du remboursement de Lucentis en juillet 2007, notre utilisation d'Avastin en ophtalmologie a disparu en DMLA car nous préférions utiliser le produit autorisé, d'autant plus qu'il est pris en charge intégralement dans le cadre d'un médicament d'exception ».

217. Dans son audition du 25 janvier 2016 (cotes 13 583 et suivantes), le professeur [BU], chef du service d'ophtalmologie au [13] ([Localité 19]), indique notamment :

« ['], la classe thérapeutique des anti-VEGF a révolutionné la prise en charge de la DMLA néovasculaire. (') Après l'arrivée de ces nouveaux traitements, nous avons utilisé Avastin hors AMM et Macugen puis nous sommes passés à Lucentis et Eylea. (') j'ai été un utilisateur d'Avastin dès la publication de M. le professeur [MR], soit dès 2005. (')

Quand Lucentis est arrivé et a obtenu son remboursement nous avons considéré que nous ne pouvions pas continuer à utiliser Avastin pour les indications pour lesquelles Lucentis avait l'AMM. En revanche, nous avons continué à utiliser Avastin dans les autres indications qui se sont rétrécies progressivement. (...) »

218. Le professeur [W], praticien hospitalier au CHRU de [Localité 16], indique dans son audition du 28 janvier2016 (cotes 13 593 et suivantes) :

« J'ai été un utilisateur d'Avastin en DMLA jusqu'à l'arrivée de Lucentis. Puis j'ai continué à l'utiliser pour toutes les indications pour lesquelles Lucentis n'avait pas d'AMM. Il faut noter que certains praticiens qui n'ont pas accès à Avastin utilisent, pour les indications hors AMM, du Lucentis. »

219. Dans un courriel daté du 24 janvier 2012, le professeur [R], chef de service à [14], à [Localité 19], précise (cote 7015, dossier Autorité) :

« ['] nous avons, effectivement, fait le choix d'utiliser Avastin (Bevacizumab) en dehors des indications de l'AMM plutôt que Lucentis (Ranibizumab) selon les modalités de l'AMM, non seulement pour des raisons économiques (Lucentis est en effet 40 fois plus coûteux que notre préparation et cette attitude nous a permis d'économiser environ 3,5 millions d'euros en 5 ans), mais en fondant notre analyse sur diverses publications scientifiques. Les 3 644 injections pratiquées à [14] entre 2006 et 2011 nous permettent de préciser les indications pour lesquelles cet anti-VEGF a été prescrit : DMLA : 59,6 % [...] »

220. Enfin, certaines sources proviennent d'institutions publiques.

221. En 2009, l'AFFSAPS a publié le point d'information déjà cité dans le présent arrêt au paragraphe 71 sur l'utilisation « hors AMM » de l'Avastin en ophtalmologie (cotes 48 387 / 48 388) où elle précise :

« L'utilisation hors AMM d'Avastin en ophtalmologie conduit l'Agence française en sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) à porter à votre connaissance les données disponibles relatives à cette utilisation.

À la demande des autorités de santé, un essai multicentrique, institutionnel, est mis en place en France [GEFAL]. Il vise à comparer l'efficacité clinique d'Avastin à celle de Lucentis dans le traitement de la DMLA. ['] Son [Avastin] mode d'action anti-VEGF, identique à celui des médicaments ayant une AMM en ophtalmologie (Macugen et Lucentis), conduit des ophtalmologistes à utiliser Avastin en injections intravitréennes dans le traitement des atteintes oculaires avec néovascularisation, telles que la dégénérescence maculaire liée à l'âge (DMLA) [...] ».

222. Entendue devant l'Assemblée Nationale le 26 octobre 2012, Mme [F] [KV], alors ministre de la Santé indiquait :

« ['] Je rappellerai que ce médicament [Avastin], qui ne peut plus être utilisé dans le domaine ophtalmologique, l'a été à cette fin pendant des années. On ne peut donc pas dire que l'on ne connaissait pas son fonctionnement et que l'on manquait de recul. [...] »

223. Enfin, une RTU a été mise en œuvre pour permettre l'utilisation de l'Avastin pour le traitement de la DMLA depuis 2015.

224. De l'ensemble de ces éléments, il résulte que, si la prescription de l'Avastin pour le traitement de la DMLA n'a pas fait l'unanimité parmi les chefs de service hospitaliers après que le Lucentis a obtenu une AMM pour le traitement de la DMLA (2007), pour autant, l'utilisation de l'Avastin à cette fin s'est poursuivie dans suffisamment d'hôpitaux pour faire craindre à Novartis un risque d'expansion de la prescription de ce médicament hors AMM. Il ne s'agissait donc pas d'une utilisation marginale.

225. Elle considère ainsi que les médecins prescripteurs ont pu traiter les patients atteints de DMLA en leur administrant soit l'Avastin, soit le Lucentis. Au demeurant, l'instruction ne prétend ni ne démontre que seul l'Avastin, à l'exclusion du Lucentis, aurait été approprié au cas de patients particuliers pour des raisons strictement thérapeutiques.

226. Ces éléments suffisent à la Cour pour conclure que l'Avastin et le Lucentis doivent être regardés comme concrètement substituables entre eux sur le marché du traitement de la DMLA exsudative par anti-VEGF, sans qu'il soit nécessaire de discuter de la solidité comparée des données émanant du PMSI et du « panel Rekam ».

227. Il convient donc de rejeter les moyens.

B. Sur la connexité des marchés du traitement de certaines pathologies oculaires traitées par anti-VEGF et de celui du traitement de la DMLA

228. Dans la décision attaquée, l'Autorité (§ 653 et suivants) a retenu que le Lucentis et l'Avastin sont utilisés pour le traitement de certaines pathologies oculaires, à savoir l'OMD ('dème maculaire diabétique), l'OBVR (occlusion d'une branche veineuse rétinienne), l'OVCR (occlusion de la veine centrale de la rétine), ou encore la baisse visuelle due à une NVC (néovascularisation choroïdienne). Elle a conclu que les marchés correspondant au traitement de ces pathologies sont connexes au marché du traitement de la DMLA exsudative par anti-VEGF.

229. Aux paragraphes 78 et 79 de la décision attaquée, l'Autorité a indiqué, sans être contredite, que lesindications du Lucentis ont été étendues au traitement de ces pathologies par deux AMM délivrées par la Commission européenne, la première, le 6 janvier 2011, pour le traitement de l'OMD, la seconde, le 27 mai 2011, pour le traitement des OBVR, OVCR et NVC secondaire à une myopie forte.

230. Elle a conclu que « compte tenu de leur mode d'administration identique, l'examen de la question de la tolérance de ces spécialités est indifférent à la pathologie exacte pour laquelle chacune est utilisée », et qu'il convient de relever la connexité existante entre, d'une part, le marché français du traitement de la DMLA exsudative par anti-VEGF et, d'autre part, les autres marchés d'indications traités par anti-VEGF » (§ 660 et 661).

231. Roche et Genentech soutiennent qu'il convient d'écarter la délimitation des marchés proposée par la décision attaquée en ce qui concerne le traitement des pathologies oculaires autres que la DMLA, non visés par le second grief, et dont l'analyse par l'Autorité est insuffisante.

232. Novartis critique également la possibilité de retenir une connexité entre le marché français du traitement de la DMLA par anti-VEGF et les autres marchés d'indications traitées par anti-VEGF, déniant toute pertinence à l'argumentation de l'Autorité, aux bases scientifiques incertaines et lacunaires.

233. En réplique, l'Autorité rappelle que l'utilisation tant de l'Avastin que du Lucentis est attestée pour le traitement des pathologies en cause par les déclarations de médecins hospitaliers, par divers documents internes à Novartis, et qu'elle est conforme à l'instruction du DGS du 10 août 2012. Elle rappelle avoir indiqué que pour le traitement de ces pathologies, le traitement par anti-VEGF constituait un choix thérapeutique de première intention. Elle conclut que les pratiques reprochées ont également eu un impact sur ces marchés.

234. Le ministre chargé de l'économie et le ministère public développent une argumentation analogue à celle de l'Autorité.

Sur ce, la Cour,

235. À titre liminaire, c'est en vain que Roche soutient que le grief n° 2 ne vise pas les marchés connexes.

236. En effet, il convient de rappeler que les développements préalables du rapporteur dans l'acte de notification des griefs peuvent pallier la rédaction imparfaite du grief notifié (Com. 6 avril 1999, pourvoi n° 97-12.776, Bulletin civil 1999, IV, n° 79).

237. En l'espèce, comme l'indique à juste titre l'Autorité aux paragraphes 591 et suivants de la décision attaquée, la notification de griefs aborde la question des marchés connexes (cotes 47243 et 47244, notamment).

238. Le rapporteur conclut notamment :

« 551. Par conséquent, il convient de relever la connexité existant entre, d'une part, le marché français du traitement de la DMLA exsudative par anti-VEGF et, d'autre part, les autres marchés d'indications traitées par anti- VEGF. »

239. Le moyen soulevé par Roche selon lequel l'Autorité n'aurait pas été saisie du cas des marchés connexes doit donc être écarté.

240. En outre, sur le fond, il résulte de plusieurs documents que l'Avastin a été prescrit pour le traitement des pathologies oculaires autres que la DMLA.

241. Le professeur [BU] (audition précitée, 25 janvier 2016, cotes 13 583 et suivantes), précise :

« (') nous avons continué à utiliser Avastin dans les autres indications qui se sont rétrécies progressivement. ».

242. Le professeur [W] (audition précitée, 28 janvier 2016, cotes 13 593 et suivantes) ajoute :

« [question : utilisez-vous Avastin dans le traitement de maladies autres que la DMLA'' Si oui, pour quelles indications'']

Réponse' : Oui, pour des indications telles que les néo-vaisseaux sous rétiniens dans les pathologies inflammatoires, les cicatrices post-traumatiques, les stries angioïdes, les cas idiopathiques, les glaucomes néovasculaires ou les néovascularisations prérétiniennes diabétiques, par exemple. Par an, ces indications représentent près de 1 000 injections. À titre de comparaison, nous faisons environ 2 000 injections annuelles dans la DMLA. De manière générale, le service effectue environ 4 000 injections annuelles. »

243. La Professeure [M], chef du service d'ophtalmologie du CHU de Dijon, entendue le 24 novembre 2015 (cotes 7088 et suivantes, not. 7090), indique :

« [Question : utilisez-vous Avastin dans le traitement de maladies autres que la DMLA'' Si oui, pour quelles indications'']'

Réponse : Oui, essentiellement pour tous les néo-vaisseaux (uvéites et pathologies inflammatoires) qui n'ont pas d'AMM avec les anti-VEGF et également les glaucomes néo-vasculaires , les néo-vascularisation cornéennes... ».

244. Le professeur [R], chef de service à [14], entendu le 26 novembre 2015, explique (cote 7094 et suivantes) :

« [Préparez-vous Avastin dans le traitement de maladies autres que la DMLA ' Si oui, dans quelles indications ']

Réponse : Oui. 40 % de nos préparations concernaient d'autres maladies que la DMLA. Depuis septembre 2015, nous respectons strictement la RTU qui ne vise que la DMLA. »

245. Le communiqué de l'AFSSAPS de 2009, précité au paragraphe 71 du présent arrêt, explique encore que :

« En dehors de la DMLA, Avastin est également administré dans des pathologies pour lesquelles Lucentis et Macugen ne sont pas autorisés (incluant rétinopathie diabétique proliférative, néovaisseaux choroïdiens maculaires en dehors de la DMLA, occlusions veineuses rétiniennes). »

246. Par ailleurs, le Lucentis a également été utilisé pour le traitement de ces pathologies, même avant qu'il n'obtienne une extension de son AMM.

247. Ce fait est notamment établi par l'audition du professeur [P] (9 février 2016, cotes 13 606 et suivantes, not. 13 608), qui indique :

« [Utilisez-vous Avastin dans le traitement de maladies autres que la DMLA'' Si oui, dans quelles indications'']

Réponse : Non car, encore une fois, les ophtalmologues n'ont pas d'accès à Avastin. Pour les quelques très rares pathologies pour lesquelles aucun médicament n'a d'AMM, nous pouvons utiliser Lucentis ou Eyléa, mais dans la plupart des cas, nous les adresserons à un CHU. »

248. L'objectif commercial de Novartis d'augmenter le volume de Lucentis commandé par la pharmacie hospitalière du CHU de Besançon avec les nouvelles indications remboursées, OMD et OVR, est attesté par un document interne de Novartis (« Mareg Franche Comté 2012, 29 juin 2012 », cote 15 700).

249. C'est ainsi à bon droit que l'Autorité a retenu que l'Avastin avait été concrètement substituable au Lucentis pour le traitement des pathologies en cause.

250. Il en résulte que les marchés du traitement de ces pathologies peuvent être regardés comme connexes àcelui du traitement de la DMLA exsudative.

251. Il convient donc de rejeter les moyens.

C. Sur la délimitation des marchés de la ville et de l'hôpital

252. Dans la décision attaquée, l'Autorité a retenu que l'Avastin et le Lucentis ont entretenu un rapport de concurrence à l'hôpital comme en ville, les praticiens hospitaliers ayant le choix entre utiliser le premier dans le cadre d'une hospitalisation ou prescrire le second dans le cadre d'une consultation externe (§ 666). Elle indique en outre que l'Avastin, quoique médicament de réserve hospitalière, pouvait être administré en ville (§ 667, 632, cotes 50 409 et 13 995), et qu'une certaine concurrence par les prix était possible, le CEPS étant en mesure de faire pression pour obtenir une baisse du prix de Lucentis, fourni par les pharmaciens de ville (§ 669 et 672). L'Autorité en a conclu qu'il convenait, en l'espèce, de ne pas distinguer le marché de la ville et le marché de l'hôpital, mais qu'en tout état de cause, la délimitation d'un seul ou de deux marchés est sans incidence sur la détermination de la position dominante collective détenue par Novartis, Roche et Genentech (§ 674 et 675).

253. Roche et Genentech soutiennent que l'Avastin étant un médicament de réserve hospitalière et le Lucentis étant vendu en ville, ils ne sont pas substituables, ce que relèvent par ailleurs plusieurs médecins qui indiquent avoir cessé de prescrire l'Avastin quand le Lucentis a obtenu son AMM. Le laboratoire conteste en outre la pertinence des documents internes de Novartis invoqués par l'Autorité tout comme la pertinence de la référence à l'étude « GEFAL ».

254. Novartis conteste toute connexité entre les marchés de ville et de l'hôpital, l'Avastin étant un médicament de réserve hospitalière qui ne peut être vendu en ville.

255. L'Autorité précise à titre liminaire que la question de la distinction entre un marché de la ville et un marché de l'hôpital n'est pas décisive dans le cadre de l'analyse de l'affaire et peut être laissée ouverte (§ 174). Elle réitère sur le fond l'argumentation contenue dans la décision attaquée et se réfère, outre aux documents internes de Novartis, à l'étude « GEFAL ».

256. Le ministre chargé de l'économie développe une argumentation analogue à celle de l'Autorité. Le ministère public fait de même.

Sur ce, la Cour,

257. À titre liminaire, il y a lieu de rappeler que dans la décision attaquée (§ 678 à 680), l'Autorité a considéré quele marché du traitement de la DMLA exsudative par anti-VEGF et les autres marchés d'indications traitées par anti- VEGF sont de dimension nationale.

258. Elle a relevé notamment, d'une part, que le Lucentis et l'Eyléa sont remboursés par le système de sécurité sociale français et sont vendus sur l'ensemble du territoire national, d'autre part, que la pression concurrentielle que l'Avastin a pu faire peser sur les autres anti-VEGF est « étroitement liée à l'organisation des systèmes nationaux de sécurité sociale et de remboursement des médicaments, ainsi qu'au cadre juridique de l'usage hors AMM des médicaments ».

259. Cette conclusion n'est pas remise en cause par les requérantes. La Cour la partage pour les raisons mentionnées par l'Autorité.

260. L'Autorité a également rappelé dans sa décision (§ 662 et suivants) qu'elle distingue habituellement le marché de la ville du marché hospitalier pour les raisons suivantes, énoncées par exemple dans sa décision n° 10-D-02 du 14 janvier 2010 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des héparines à bas poids moléculaire (§ 55) :

« En ville, les prix sont régulés alors que sur le marché hospitalier les prix sont libres. Par ailleurs, si l'offre est la même, la demande est différente : pour le marché de la ville, la demande intermédiaire est constituée par les grossistes et les pharmacies, et pour le marché de l'hôpital, par les établissements hospitaliers, publics (par exemple, les hôpitaux de l'Assistance publique) ou privés (cliniques privées). Par ailleurs, l'élasticité-prix des acheteurs n'est pas la même : à l'hôpital elle est forte car le prix d'achat affecte le budget des hôpitaux tandis qu'en ville elle est faible, car le patient n'assume pas directement le prix de l'héparine qui lui est remboursé par l'Assurance maladie ».

261. L'Autorité a, en outre, également indiqué que pour certaines spécialités pharmaceutiques, vendues en ville et à l'hôpital, il pouvait exister un « effet source » des prescriptions à l'hôpital réalisées ensuite en ville qui permettrait de considérer que les deux marchés sont connexes. Au paragraphe 52 de la décision attaquée, l'Autorité a rappelé que « l'effet source » « désigne la propension des prescriptions délivrées à l'hôpital à générer des ventes en officine de ville, notamment par le biais de renouvellements prescrits par des médecins de ville ».

262. En l'espèce, l'Autorité a considéré que « la distinction entre le marché de la ville et le marché de l'hôpital doit être fortement atténuée » « compte tenu des particularités des produits concernés » et que « contrairement à ce que soutiennent Roche, Genentech et Novartis, Avastin et Lucentis entretiennent bien un rapport de concurrence, à l'hôpital comme en ville » en sorte qu'il convient « en l'espèce, de ne pas distinguer le marché de la ville et le marché de l'hôpital » (§ 674 de la décision attaquée).

263. L'Autorité ajoute encore que même si elle « devait distinguer les marchés de la ville et de l'hôpital en l'espèce, les abus mis en œuvre par les membres de l'entité collective seraient, en tout état de cause, de nature à affecter ces deux segments ou marchés connexes » (§ 675).

264. En premier lieu, la Cour constate que la substituabilité de l'Avastin au Lucentis à l'hôpital est établie par de nombreuses sources déjà citées (auditions de médecins hospitaliers, étude « GEFAL » menée par les Hospices civils de [Localité 17], communications des autorités de santé publique).

265. Le rapport de concurrence concrète, à l'hôpital, entre ces deux médicaments, pour le traitement de la DMLA, et incidemment également pour celui des autres pathologies précitées (OMD, OBVR, OVCR et NVC secondaire à une myopie forte), est avéré.

266. Par ailleurs, certains médecins hospitaliers ont eu pour pratique d'inviter leurs patients à acquérir le Lucentis auprès d'un pharmacien de ville puis de l'administrer en milieu hospitalier (voir, à titre d'illustrations, les auditions du Dr [BU], cote 13 585, et du Dr [W], cote 13 595).

267. En second lieu, la Cour estime que la présence de l'Avastin « en ville », alléguée par l'Autorité, ne peut avoirété que marginale, à supposer qu'elle ait été possible.

268. En effet, l'Avastin est un médicament dit de réserve hospitalière et n'est donc disponible, en principe, qu'à l'hôpital, et non en pharmacie de ville, alors que le Lucentis, remboursé par la sécurité sociale, est commercialisé par les pharmacies de ville.

269. L'argumentation de l'Autorité selon laquelle l'Avastin et le Lucentis ont pu entretenir un rapport de concurrence en ville repose sur deux assertions selon lesquelles, d'une part, l'Avastin était effectivement disponible en ville (§ 667 renvoyant au § 632 de la décision attquée) bien qu'il s'agisse d'un médicament de réserve hospitalière, d'autre part, une certaine concurrence par le prix était possible, le CEPS pouvant être amené à remettre en question le prix du Lucentis (§ 669) en utilisant l'Avastin comme comparateur.

270. S'agissant de la disponibilité de l'Avastin en ville, cette première assertion suppose que les ophtalmologuesde ville avaient accès à des formes reconditionnées de l'Avastin réalisées soit en pharmacie de ville, soit en pharmacie hospitalière.

271. Or, il ressort tant de la qualification du médicament, de réserve hospitalière, que de l'audition d'ophtalmologues exerçant en libéral, qu'il ne leur était pas permis d'utiliser ou d'accéder à l'Avastin.

272. En effet, les dispositions des articles R. 5121-82 et R. 5121-83 du code de la santé publique (§ 69 du présent arrêt), relatifs aux médicaments réservés à l'hospitalisation, interdisent, en substance, l'utilisation de l'Avastin dans le cadre de l'activité libérale des médecins.

273. Le Dr [P] l'a rappelé dans son audition du 9 février 2016 précitée (cote 13 608) :

« [2. Dans le cadre du traitement de la DMLA, quelle(s) sont la/les spécialité(s) pharmaceutiques que vous utilisez'' Quels sont les motifs de votre choix''

Pour la DMLA, j'utilise Lucentis et Eyléa. ['] Je rappelle que nous ne pouvons utiliser Avastin dans le cadre de notre activité libérale.

['] 6. Utilisez-vous Avastin dans le traitement de maladies autres que la DMLA ' Si oui,dans quelles indications '] Non, car, encore une fois, les ophtalmologues n'ont pas d'accès à Avastin. [...]. » (soulignement ajouté)

274. Mme [S], ophtalmologiste, explique, lors de son audition du 4 mars 2016 (cote 13 716) :

« [Dans le cas où vous auriez cessé d'utiliser Avastin dans le traitement de la DMLA, pouvez-vous nous en indiquer les raisons '] J'ai cessé d'utiliser Avastin car il ne disposait pas d'une AMM pour la DMLA à la différence de Lucentis. Je souhaite rappeler qu'en cabinet libéral, nous ne sommes pas habilités à utiliser Avastin. » (Soulignement ajouté).

275. Le professeur [X], chef du service d'ophtalmologie du CHU de [Localité 11], indique (attestation produite par Roche, pièce 59 de son dossier, précitée au § 216 du présent arrêt) :

« Par ailleurs, à ma connaissance, sur la période 2008 à 2013, les cabinets de ville n'avaient pas accès à Avastin. Le reconditionnement du produit se faisait au sein d'une pharmacie à usage interne, pour un usage interne dans le cadre de l'activité hospitalière. Il n'y a pas de circuit de distribution en ville pour Avastin, alors même qu'environ 70 % des injections d'anti-VEGF en ophtalmologie en France sont faites en ville. Contrairement à l'Allemagne, qui a développé une filière industrielle du reconditionnement de l'Avastin, avec des seringues prêtes à l'emploi, préremplies, disponibles, avec une traçabilité et une chaîne du froid préservées, je comprends que les pharmacies hospitalières françaises n'avaient ni le matériel ni les ressources pour reconditionner de manière industrielle et vendre à l'extérieur ».

276. Au soutien de la thèse de la disponibilité de l'Avastin « en ville », l'Autorité (décision attaquée, § 332) se réfère à deux pièces internes de Novartis cotées 13 995 et 50 409. Dans ses écritures (§ 606), Novartis ne commente pas ces pièces, mais souligne en revanche que l'usage en dehors de l'hôpital d'un médicament de réserve hospitalière est illicite.

277. D'une part, la cote 13 995, invoquée par l'Autorité, correspond à un document saisi chez Novartis qui indique que [14] est :

« Supplier of around 50 centers at 74 € per dose » « in wAMD and other indications » / « fournisseur d'environ 50 centres à 74 € la dose » « pour la DMLA et autres indications » (traduction libre)

278. L'Autorité la commente comme suit (§ 632) :

« La pharmacie à usage intérieur de [14] a, par exemple, développé une pratique consistant à reconditionner Avastin en seringue afin que ces conditionnements soient ensuite utilisés par les ophtalmologues pour des traitements dans des cabinets de ville, comme en atteste un document interne de Novartis de juin 2010 (« internal use + supplier of 50 centers in wAMD and other indications », cote 13 995) ».

279. Cette pièce, initialement classée au titre du secret des affaires, a été déclassée par une décision n° 19-CED-006 du 9 janvier 2019 (cotes 47 147 et suivantes), postérieurement aux auditions de praticiens menées par le rapporteur. Ainsi, le professeur [R] n'a-t-il pas été interrogé sur l'existence éventuelle d'un circuit logistique lors de son audition du 26 novembre 2015 (précitée), alors que l'intéressé expliquait (cotes 7 093 et suivantes) :

« À partir de 2007 et jusqu'en juillet 2012, je réalisais dans l'unité UPSO2 (à [14]) des préparations magistrales d'Avastin pour une utilisation en DMLA et pour d'autres maladies de la rétine. ['] »

280. Or, le mot « center » que mentionne la cote 13 995 est équivoque et sujet à interprétation dans la mesure oùil peut désigner d'autres centres hospitaliers, nombreux à [Localité 19].

281. D'autre part, la cote 50 409 contient un graphique mentionnant les projections de Novartis de l'utilisation en 2013 de l'Avastin pour le traitement de la DMLA. Ce graphique comporte deux colonnes dénommées « Hospital » et « Office based ».

282. L'Autorité commente ce document comme suit :

« [...] un courrier électronique interne de Novartis montre que, dans le cadre d'une étude d'impact de la RTU pour l'année 2013, où Novartis examine non seulement les conséquences du PLFSS sur les ventes de Lucentis à l'hôpital, mais également celles aux médecins de ville (« office based »), le laboratoire reconnaît qu'Avastin était utilisé « hors AMM » pour le traitement de la DMLA en ville (cote 50 409). »

283. La locution « office based » (« basé au bureau », traduction libre) n'est guère explicite. Si elle désigne les ophtalmologues libéraux exerçant en ville (et non en libéral à l'hôpital, selon l'hypothèse de Roche au paragraphe 386 de ses écritures), le document en cause révélerait une utilisation massive de l'Avastin en ville (22 % des injections) qui n'apparaît pas compatible avec la réglementation relative aux médicaments de réserve hospitalière et paraît peu conciliable avec les conditions d'asepsie et de délai d'utilisation que supposait le reconditionnement de l'Avastin pendant la période infractionnelle.

284. L'AFSSAPS a sommairement décrit cette opération dans son point d'information du 10 septembre 2009 (§ 71 du présent arrêt). Elle y indique qu'il convient de recourir à des locaux adaptés, sous hotte à flux laminaire ou isolateur (cote 48 387).

285. Dans un courrier du 24 janvier 2012 (cote 7 107), le professeur [R], précité (audition du 26 novembre 2015), a expliqué que « (') les seringues sont conservées quelques dizaines de minutes à la PUI avant transfert en sac isotherme vers la consultation d'ophtalmologie où les seringues sont utilisées. On peut avoir, toutefois, jusqu'à 120 minutes entre la préparation et l'administration »).

286. Ultérieurement, l'ANSM a précisément décrit les conditions requises pour le reconditionnement de l'Avastin à l'annexe IV du protocole de la RTU qui le concerne. Ce document précise que « la préparation doit impérativement être réalisée dans une pharmacie à usage intérieur (PUI) dans une enceinte de classe A (hotte à flux laminaire vertical (HVLF) ou isolateur) placée dans une zone d'atmosphère contrôlée de classe B a minima pour une HLVF et au moins de classe D pour un isolateur. La HVLF ou l'isolateur ne doivent pas être utilisés pour la préparation de médicaments de chimiothérapie cytotoxiques. Il doit s'agir d'équipements spécifiquement dédiés à la réalisation de préparations stériles non cytotoxiques » (pièce 7 du dossier de Roche).

287. Il en résulte que le reconditionnement et l'utilisation de l'Avastin dans les conditions et délais précités apparaissaient pour le moins délicats et malaisés en cabinet de ville.

288. L'Autorité se réfère enfin, dans ses observations (§ 136) à un passage de l'étude « GEFAL » (cote 2280) ainsi rédigé : « Le bevacizumab est largement utilisé de façon non réglementée pour traiter la DMLA dans les établissements publics mais également par les ophtalmologistes du secteur privé. Les nombreuses publications de cas rapportés ou de séries de cas témoignent de l'utilisation du bevacizumab hors AMM dans le monde et en France. » (Soulignement ajouté).

289. Cependant, comme l'indique Roche (§ 387), l'expression « ophtalmologistes du secteur privé » peut désigner les ophtalmologistes exerçant en clinique privée, par opposition à l'hôpital public, ou exerçant à la fois à l'hôpital et en consultations privées à l'hôpital.

290. En tout état de cause, aucune investigation n'a été menée afin d'étayer les conclusions que l'Autorité a tirées de ces pièces.

291. Ainsi, la Cour ne saurait accorder aux documents invoqués par l'Autorité toute la portée qu'elle leur prête ni tenir pour établi que l'Avastin a pu être largement utilisé pour le traitement de la DMLA par les ophtalmologues de ville.

292. Si la Cour n'exclut pas complètement la possibilité d'une utilisation marginale de l'Avastin en ville, et constate l'achat de Lucentis en ville en vue d'une utilisation à l'hôpital, pour le traitement de la DMLA exsudative par anti- VEGF, ces flux croisés ne constituent pas des raisons suffisantes de remettre en cause la distinction traditionnellement retenue entre les marchés hospitaliers et de ville, et ce pour les raisons énoncées supra (§ 260 du présent arrêt).

293. S'agissant de la seconde assertion, c'est en vain que l'Autorité invoque la capacité et la volonté du CEPS de remettre en cause le prix du Lucentis en considération du coût bien moindre de l'utilisation de l'Avastin et de la possibilité d'utiliser ce dernier comme comparateur.

294. En effet, le Lucentis s'est vu reconnaître une « ASMR » de niveau « II » en raison de son intérêt avéré pour le traitement de la DMLA et de son caractère novateur.

295. Le CEPS a fixé le prix du Lucentis à 1161 euros, prix fabricant hors taxe (1297,77 euros prix public TTC), selon l'avis publié au JORF le 30 juin 2007. A l'époque, la HAS avait connaissance de l'utilisation de l'Avastin hors AMM (Avis de la commission de la transparence du 28 mars 2007, page 11, cotes 13 214 à 13 225, et notammen la cote 13 324).

296. La procédure ayant conduit à la fixation initiale du prix du Lucentis, antérieure au début des pratiques poursuivies, n'a pas lieu d'être mise en cause.

297. Ce prix a par ailleurs été déterminé en tenant compte de la garantie de prix européen ainsi que d'un accord

« prix/volume » pour une durée de cinq ans (§ 48 du présent arrêt). Sur ce point, lors de son audition le 4 mai 2018 (cotes 15 184 et suivantes), M. [PG], président du CEPS a expliqué ainsi le processus de formation du prix du Lucentis :

« Comment se déroule le processus d'établissement/négociation du prix d'une nouvelle spécialité '

['] Les produits d'ASMR I à III qui sont les produits innovants : cela ouvre droit à une double garantie pour l'industriel : pouvoir recourir à la comparaison européenne (Espagne, Italie, Allemagne, Royaume-Uni, qui sont deux marchés à prix libre et deux marchés à prix administrés) et une stabilité du prix pendant cinq ans. La véritable négociation se fait donc sur le prix remisé que le laboratoire va consentir aux autorités françaises ; [']

Sur Lucentis il y avait un prix européen en 2007, combiné à un accord prix/volume qui a conduit à une baisse au fil de l'eau du prix net. Cet accord prix/volume est intervenu en même temps que la fixation du prix. Tant qu'il n'y a pas de motif de modification du prix, l'accord est resté appliqué.

En 2003, Jean-François Mattéi a imposé la garantie de prix européenne pour renforcer l'attractivité de la France. Par attractivité on parle du fait d'amener vite les produits innovants, dans une période où il y avait peu d'innovation. Par exemple sur l'hépatite C, certains pays peuvent avoir le produit deux ou quatre ans plus tard. Sur Lucentis le produit est arrivé vite en France. »

« Comment a été négocié le prix de Lucentis en 2007 ' Quels paramètres ont été pris en compte '

Le prix européen pour le prix facial et par contre il n'y avait pas comparateur donc il y a eu un accord prix/volume pour maîtriser l'impact budgétaire. S'il n'y avait pas de remise à la première boîte, c'est qu'il n'y avait pas de comparateur. La réflexion sur l'impact budgétaire total existe notamment pour les maladies rares. L'objectif est de contrôler le coût total sans se préoccuper du prix de liste. À l'époque, la population cible de Lucentis était moitié moindre qu'aujourd'hui. »

298. Rien ne justifie dès lors de croire que le CEPS aurait été enclin, pendant cette période (2007-2011), à provoquer une renégociation du prix du Lucentis. En effet, de nombreuses raisons s'y opposaient, au nombre desquelles l'existence de la garantie de prix, l'importance du respect des engagements pris pour la crédibilité de la parole de l'institution et ce afin de ne pas nuire à l'attractivité de la France, la possibilité de réviser le prix après une période de cinq ans, donc en 2012.

299. Pendant la période 2007-2011, il n'existe ainsi pas de raisons suffisantes de conclure qu'une certaine concurrence par les prix aurait été possible entre le Lucentis et l'Avastin en raison de la possibilité du CEPS d'utiliser l'Avastin en qualité de comparateur.

300. Comme il sera exposé ci-après, la Cour considère que l'Avastin ne peut pas, à compter de l'entrée en vigueur de la loi Bertrand, le 31 décembre 2011, être considéré comme un concurrent licite du Lucentis sur le marché du traitement de la DMLA et autres affections oculaires traitées par anti-VEGF.

301. De l'ensemble de ces développements, la Cour conclut qu'il n'y a pas de raison suffisante pour remettre en cause, en l'espèce, la distinction entre un marché de la ville et un marché de l'hôpital.

302. Il en résulte que la pratique anticoncurrentielle en cause doit être regardée comme affectant le marché de l'hôpital, seul marché où l'Avastin était accessible licitement et susceptible de faire l'objet ' en l'absence de preuve contraire d'un reconditionnement dans les conditions d'asepsie requises.

303. La décision sera réformée en ce sens.

D. Sur la substituabilité juridique de l'Avastin et du Lucentis pour le traitement de la DMLA

304. Dans la décision attaquée (§ 635 à 652), l'Autorité, a retenu que le reconditionnement et la prescription de l'Avastin n'ont jamais été illicites, en particulier au cours des années 2008 à 2013, période des pratiques qu'elle retient.

305. Se référant à l'arrêt Hoffmann-Laroche de la CJUE (23 janvier 2018, C-179/16, points 52 et 67), elle a rappelé, d'abord, qu'une autorité nationale de la concurrence peut inclure dans le marché pertinent, outre les médicaments autorisés pour le traitement des pathologies concernées, un autre médicament dont l'AMM ne couvre pas ce traitement, mais qui est utilisé à cette fin et présente ainsi un rapport concret de substituabilité avec les premiers.

306. Elle a précisé ensuite que si, selon cet arrêt, pour appartenir au même marché de produits, les médicaments ne doivent pas être fabriqués ou vendus de manière illicite, elle a exposé que même après l'entrée en vigueur de la loi Bertrand, l'utilisation de l'Avastin n'était pas illicite, ainsi que l'a reconnu, selon elle, le Conseil d'État par un arrêt du 24 février 2017, en raison du principe supérieur de liberté de prescription par le médecin (décision attaquée, § 642), en sorte que tant le reconditionnement que la prescription sont demeurés autorisés.

307. L'Autorité a ajouté (§ 644) que les positions des autorités de santé ont été évolutives, celles-ci n'ayant pas interdit l'usage de l'Avastin (point d'information de l'AFFSAPS de 2009, recommandation de la HAS de juin 2012), jusqu'à ce qu'intervienne l'instruction de la DGS du 11 juillet 2012 (§ 94 du présent arrêt), elle-même rectifiée par une autre instruction d'août 2012.

308. Elle a précisé encore (§ 647) qu'elle ne saurait être liée par une analyse du contexte qui pourrait avoir été retenue par une autre autorité administrative à la suite d'un comportement susceptible d'être anticoncurrentiel et ce d'autant moins en l'espèce « qu'il ressort des éléments du dossier que les pratiques des sociétés mises en cause ont directement contribué à l'adoption de la circulaire précitée de la DGS ».

309. Au paragraphe 973 de la décision attaquée (auquel le paragraphe 647 renvoie), l'Autorité a indiqué que cette instruction de la DGS de juillet 2012 « paraît à tout le moins à rebours du contexte législatif et scientifique visant à sécuriser et encadrer l'utilisation « hors AMM » d'Avastin en ophtalmologie. En effet, à la même époque se tenaient les débats parlementaires préalables à l'adoption de la LFSS pour l'année 2013, qui attestent que la proposition de création d'une « RTU économique » visait à répondre spécifiquement à la question des moyens d'assurer « le traitement de la DMLA au meilleur coût pour la société ». ['] D'autre part, les éléments du dossier attestent du fait que la DGS a notamment pris en compte les courriers qu'elle a reçus, puisqu'en réponse à une demande d'information des services d'instruction, elle a cité les courriers du 9 mai 2011 et du 3 juillet 2012 reçus de Novartis parmi les documents sur lesquels elle s'est fondée, concernant, plus précisément les cas d'endophtalmie signalés et les risques liés à l'utilisation d'Avastin en ophtalmologie. [...] ».

310. Roche et Genentech contestent cette analyse et soutiennent que l'Autorité n'a pas correctement interprété le cadre réglementaire français relatif à l'usage hors AMM d'un médicament.

311. D'une part, avant l'entrée en vigueur de la loi Bertrand, il ne pouvait être procédé au reconditionnement de l'Avastin, nécessairement en milieu hospitalier, en raison de la présence sur le marché du Lucentis, et donc de l'existence d'une « spécialité pharmaceutique disponible ou adaptée » au sens de l'article L. 5121-1 du code de la santé publique dans ses diverses rédactions successives.

312. D'autre part, à compter de la loi Bertrand, la prescription hors AMM n'était pas possible en raison de la présence sur le marché du Lucentis, et ainsi de l'existence d'une alternative thérapeutique « appropriée disposant d'une autorisation de mise sur le marché » au sens de l'article L. 5121-12-1 du code de la santé publique dans sa rédaction issue de la loi Bertrand.

313. Novartis conteste également l'analyse retenue par l'Autorité. Le laboratoire fait valoir, d'abord, qu'en application de l'arrêt Hoffmann-Laroche précité (point 60), les évaluations réalisées en France par les autorités de santé s'imposaient à l'Autorité, qui ne pouvait les éluder. Or, ces évaluations faisaient ressortir que l'utilisation de l'Avastin n'était pas adaptée pour une administration intra-vitréenne (point d'information de l'AFSSAPS de 2009) ou était illégale (courrier de l'ARS Ile-de- France du 26 avril 2012, cotes 13 470 et 13 471 ; instruction de la DGS du 11 juillet 2012).

314. Il ajoute que pendant toute la durée des pratiques, le reconditionnement de l'Avastin était illicite en application de l'article L. 5121-1 du code de la santé publique, le Lucentis étant une spécialité pharmaceutique « adaptée ». Il soutient que la prescription de l'Avastin n'était pas licite, d'une part, faute de « données acquises de la science » (art. R. 4127-8 du code de la santé publique) qui auraient justifié que l'Avastin soit préféré au Lucentis, d'autre part, en raison des dispositions de l'article L. 5121-12-1 du code de la santé publique, le Lucentis constituant une alternative thérapeutique « appropriée disposant d'une autorisation de mise sur le marché ».

315. S'agissant du cadre légal et réglementaire, dans ses observations, l'Autorité rappelle que le médecin est toujours libre de ses prescriptions tandis que la réglementation communautaire n'interdit pas l'utilisation de l'Avastin hors AMM. Ainsi, d'une part, la loi Bertrand n'a eu ni pour objet ni pour effet d'interdire la prescription de médicaments hors AMM en l'absence de RTU, comme le Conseil d'État l'a jugé (les 29 juin 2016 et 24 février 2017), d'autre part, il ne résultait pas de la lettre de l'article L. 5121-1 du code de la santé publique que le reconditionnement de l'Avastin en seringue ne pouvait être pratiqué, dès lors que le praticien qui prescrit le médicament considère qu'il est plus adapté pour son patient.

316. Le ministre chargé de l'économie développe une argumentation analogue à celle de l'Autorité.

317. Le ministère public en fait de même, après avoir ajouté que l'incertitude quant à la licéité de l'utilisation du produit permet l'applicabilité des dispositions du droit de la concurrence.

Sur ce, la Cour,

318. Pour déterminer s'il existe, au-delà de la substituabilité concrète qui vient d'être relevée, une substituabilité juridique concernant l'Avastin et le Lucentis, deux questions doivent être prises en considération, l'une tenant au reconditionnement, l'autre aux conditions de prescription hors AMM, étant précisé que les parties contestent la licéité de la prescription hors AMM de l'Avastin sur le double fondement du droit de l'Union et du droit national, et qu'elles contestent la licéité du reconditionnement de l'Avastin sur le fondement du droit national.

319. S'agissant, en premier lieu, de la prescription de l'Avastin, la CJUE a été amenée à apporter des précisions concernant la licéité de l'utilisation d'un médicament hors AMM au regard de la directive 2001/83. Elle a notamment été saisie d'une question préjudicielle posée par le Conseil d'État italien, ainsi libellée :

« Au sens de l'article 101 TFUE, afin de délimiter le marché pertinent, est-il important de vérifier, en plus de l'interchangeabilité substantielle des produits pharmaceutiques du côté de la demande, si ceux-ci ont été offerts sur le marché conformément au cadre réglementaire relatif à la commercialisation des médicaments'' »

320. Cette question posée par le Conseil d'État italien faisait suite aux recours engagés devant cette juridiction contre la décision de l'Autorité italienne de la concurrence du 27 février 2014, qui avait sanctionné Roche et Novartis, ainsi que leurs filiales italiennes, pour avoir conclu une entente contraire à l'article 101 TFUE, visant à obtenir une différenciation artificielle entre l'Avastin et le Lucentis, en manipulant la perception des risques de l'usage de l'Avastin en ophtalmologie.

321. La CJUE a répondu à cette question dans son arrêt précité du 23 janvier 2018 en indiquant (point 57), notamment, qu' « à la lumière des objectifs essentiels de cette directive, notamment celui tenant à la sauvegarde de la santé publique », « la dérogation prévue à ladite disposition [article 5 de la directive 2001/83] ne peut concerner que des situations dans lesquelles le médecin estime que l'état de santé de ses patients particuliers requiert l'administration d'un médicament dont il n'existe pas d'équivalent autorisé sur le marché national ou qui se trouve indisponible sur ce marché ». (Soulignement ajouté)

322. Dans son arrêt du 23 janvier 2018, la CJUE a conclu, au point 59 qu'il « découle de ces éléments que la réglementation de l'Union en matière de produits pharmaceutiques n'interdit ni la prescription d'un médicament hors AMM ni son reconditionnement en vue d'une telle utilisation, mais subordonne ceux-ci au respect de conditions définies par cette réglementation. »

323. Sous réserve du respect de ces conditions, le droit de l'Union n'interdit ainsi pas la prescription d'un médicament en vue de son utilisation hors AMM.

324. La CJUE a encore précisé dans son arrêt du 23 janvier 2018 précité (point 60) qu'il n'appartient pas aux autorités nationales de la concurrence de vérifier la conformité de la prescription hors AMM au droit de l'Union :

« ['] la vérification de la conformité au droit de l'Union des conditions dans lesquelles un médicament tel que l'Avastin est, du côté de la demande, prescrit par les médecins et, du côté de l'offre, reconditionné en vue de son utilisation hors AMM, n'incombe pas aux autorités nationales de la concurrence. Une telle vérification ne peut en effet être effectuée de manière exhaustive que par les autorités ayant compétence pour contrôler le respect de la réglementation pharmaceutique ou par les juridictions nationales. » (Soulignement ajouté)

325. Il résulte encore du point 64 de cette décision que « l'état d'incertitude entourant la licéité des conditions de reconditionnement et de prescription de l'Avastin » ne s'oppose pas à ce qu'une autorité nationale de la concurrence « conclue que ce produit relève du même marché qu'un autre médicament dont l'AMM couvre spécifiquement ces indications thérapeutiques » (aux fins de l'application, dans l'espèce qui faisait l'objet de l'arrêt en cause, de l'article 101 TFUE).

326. En l'espèce, il ne résulte pas des éléments du dossier que les autorités nationales compétentes mentionnées par la CJUE au point 60 de son arrêt du 23 janvier 2018 aient pris position sur la question de l'illicéité des conditions de prescription de l'Avastin hors AMM au regard du droit de l'Union.

327. Les communications ou courriers invoqués par Novartis, tels que le point d'information de l'AFSSAPS de 2009, le courrier de l'ARS Ile-de-France du 26 avril 2012 (cotes 13 470 et 13 471), l'instruction de la DGS du 11 juillet 2012, ou encore la communication de la HAS de juin 2012, mentionnés par Novartis à l'appui de son argumentation, ne comportent aucune vérification de la conformité au droit de l'Union des conditions dans lesquelles l'Avastin a été prescrit.

328. L'état d'incertitude entourant la licéité des conditions de la prescription de l'Avastin au regard du droit de l'Union ne faisait ainsi pas obstacle, en vertu de la jurisprudence précitée, à ce que l'Autorité conclue que l'Avastin relevait du même marché que le Lucentis pour le traitement, notamment, de la DMLA dès lors qu'il était établi qu'existe un rapport concret de substituabilité entre ces médicaments.

329. S'agissant du droit français applicable à la prescription hors AMM, les parties requérantes soutiennent encore que la prescription de l'Avastin hors AMM était illégale pendant l'ensemble de la période infractionnelle.

330. Il convient de distinguer deux périodes, avant et après l'entrée en vigueur de la loi Bertrand.

331. Pendant la première période, du mois de mars 2008 à la fin du mois de décembre 2011, le droit régissant la prescription médicale était encadré par les articles L. 162-2 du code de la sécurité sociale et R. 4127-8 du code de la santé publique (§ 63 du présent arrêt).

332. L'article L. 162-2 du code de la sécurité sociale dispose que « (') le respect de la liberté d'exercice et de l'indépendance professionnelle et morale des médecins est assuré conformément aux principes déontologiques fondamentaux que sont (...), la liberté de prescription du médecin (...). »

333. Il résulte de l'article R. 4127-8, premier aliéna, du code de la santé publique, dans sa rédaction en vigueur du 8 août 2004 au 9 mai 2012, que « le médecin est libre de ses prescriptions (') » « [d]ans les limites fixées par la loi ». À compter du 9 mai 2012, a été ajoutée la locution « et compte tenu des données acquises de la science ».

334. Aucune de ces dispositions ne comporte de restriction à l'utilisation de médicaments hors AMM.

335. Il en résulte qu'au cours de la période antérieure à la loi Bertrand, la prescription de l'Avastin en vue d'une utilisation hors AMM n'était pas illicite au regard du droit national.

336. Pendant la seconde période, du mois de janvier 2012 au mois de novembre 2013, l'article L. 5121-12-1 du code de la santé publique dans sa rédaction issue de la loi Bertrand (§ 65 du présent arrêt) était ainsi rédigé (soulignement ajouté) :

« I. Une spécialité pharmaceutique peut faire l'objet d'une prescription non conforme à son autorisation de mise sur le marché en l'absence d'alternative médicamenteuse appropriée disposant d'une autorisation de mise sur le marché ou d'une autorisation temporaire d'utilisation, sous réserve :

1° Que l'indication ou les conditions d'utilisation considérées aient fait l'objet d'une recommandation temporaire d'utilisation [RTU] établie par l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, cette recommandation ne pouvant excéder trois ans';

2° Ou que le prescripteur juge indispensable, au regard des données acquises de la science, le recours à cette spécialité pour améliorer ou stabiliser l'état clinique du patient. »

337. La locution « en l'absence d'alternative médicamenteuse appropriée disposant d'une autorisation de mise sur le marché ou d'une autorisation temporaire d'utilisation » constitue une condition préalable et nécessaire, quoique non suffisante, à la prescription d'un médicament « non conforme à son autorisation de mise sur le marché ». Il résulte ainsi de la lettre même de l'article L. 5121-12-1 du code de la santé publique, que ce texte a limité le pouvoir de prescription du médecin.

338. En effet, le principe général de la liberté de la prescription médicale, édicté à l'article L. 162-2 du code de la sécurité sociale, doit être concilié avec les dispositions particulières de l'article L. 5121-12-1 du code de la santé publique, lui aussi de valeur législative. Une norme législative qui édicte un principe général n'a pas vocation à écarter une autre norme de même valeur législative qui vient encadrer ou limiter le principe général. La rédaction de l'article R. 4127-8 du code de la santé publique, qui précise que le médecin est libre de ses prescriptions dans les limites fixées par la loi, illustre ainsi ce principe.

339. La Cour s'écarte sur ce point de l'analyse retenue par l'Autorité aux paragraphes 641 et suivants de la décision attaquée.

340. Cette lecture de la loi par la Cour a également été celle de plusieurs autorités compétentes en matière de santé publique.

341. Ainsi, le directeur général de l'AFSSAPS, dans une note du 20 mars 2012 adressée au directeur général de la santé au sujet de l'utilisation hors AMM de l'Avastin en ophtalmologie, a souligné, en référence à l'article L. 5121- 12-1 du code de la santé publique, que « prescrire Avastin dans les indications couvertes par l'autorisation de mise sur le marché de la spécialité Lucentis ne correspond pas aux termes de la loi » (cote 13'469).

342. Le président de la HAS, dans un courrier du 31 juillet 2012 à Novartis (cote 3 336), a indiqué que la HAS avait renoncé à prendre l'initiative de saisir l'ANSM en vue de l'élaboration d'une RTU pour l'Avastin « compte tenu du libellé de l'article L. 5121-12-1 qui définit les critères d'élaboration d'une RTU ».

343. En outre, selon la HAS, « le cadre juridique [issu de la loi Bertrand] ne permettait pas à l'ANSM de faire une RTU dans le traitement de la DMLA car une alternative thérapeutique existait' » (réponses au questionnaire adressé par le rapporteur, cotes 13 519 s.). (Paragraphe 180 du présent arrêt).

344. Enfin, l'Instruction du DGS du 10 août 2012 (n° DGS/PP2/2012, cotes 48524 et 48525 du dossier de l'Autorité) rappelle la possibilité de prescrire l'Avastin dans le cas où ni le « Lucentis ni aucun autre médicament n'a d'AMM » et à condition de respecter, dans l'attente de l'élaboration d'une RTU, les « conditions du 2° du I et du III de l'article L. 5121-12-1 », qui autorisent la prescription si « le prescripteur juge indispensable, au regard des données acquises de la science, le recours à cette spécialité pour améliorer ou stabiliser l'état clinique du patient ». Il s'en déduit que dans le cas contraire où existe une alternative médicamenteuse appropriée disposant d'une AMM, il n'était pas possible de prescrire l'Avastin hors AMM. C'est en ce sens qu'il convient de comprendre cet autre passage de l'instruction qui précise qu'elle apporte un « complément d'information » à l'instruction du 11 juillet 2012 (précitée) qui interdisait le reconditionnement de l'Avastin en vue de son utilisation hors AMM dans le cas de pathologies pour lesquelles il existait une « spécialité adaptée », « possédant une AMM », en l'occurrence l'Avastin.

345. Cette lecture de l'article L. 5121-12-1 du code de la santé publique a également été celle du législateur lui- même, ainsi qu'il résulte des travaux parlementaires afférents à la loi Bertrand (mis dans les débats, en tant que de besoin, par la Cour, mais déjà largement discutés par les parties dans leurs écritures), et des deux lois qui ont successivement été votées afin d'en modifier la portée.

346. Le ministre de la santé, M. Bertrand, a précisé le sens de la réforme qu'il portait devant la commission des affaires sociales de l'Assemblée Nationale, le 13 septembre 2011 (Rapport n° 3725 de M.'[D] [WN], déposé le 20 septembre 2011 au nom de la commission des affaires sociales de l'Assemblée Nationale, sur le projet de loi relatif au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé, soulignement ajouté) :

« ['] Que les choses soient clairement dites : ce texte fait suite au drame causé par le Mediator. J'ai voulu une refonte du système de sécurité sanitaire des produits de santé propre à concilier la sécurité des patients et l'accès au progrès thérapeutique. ['] Son premier pilier, c'est la lutte contre les conflits d'intérêts et en faveur de la transparence des décisions. ['] Le deuxième pilier de la réforme, c'est que le doute doit systématiquement bénéficier au patient. ['] Les prescriptions hors AMM, bien qu'indispensables dans certains cas, les maladies orphelines par exemple, doivent rester exceptionnelles ; elles doivent être encadrées par la nouvelle agence et leurs risques associés doivent être maîtrisés. Le projet propose à cette fin des recommandations temporaires d'utilisation ['] il s'agit bien de sécuriser la chaîne des médicaments ne disposant pas d'AMM, et aussi de favoriser la recherche en France. Un médicament doit être suivi tout au long de sa vie. La notification des effets indésirables a été élargie. Dorénavant, tout effet indésirable suspecté devra être notifié, et non plus seulement les effets indésirables graves ou inattendus. ['] En matière d'évaluation, un effort particulier doit porter sur le développement des études de pharmacovigilance et de pharmaco-épidémiologie. [...] »

347. La ministre de la santé, Mme [KV], a justifié dans les termes suivants l'adjonction d'un V par la loi n° 2012-1404 du 17 décembre 2012 de financement de la sécurité sociale pour 2013 dans les termes suivants (Assemblée nationale « Session ordinaire de 2012-2013 » Compte rendu intégral deuxième séance du Vendredi 26 octobre 2012, soulignement ajouté) :

« Il faut apporter une réponse à cette situation. Il y a, au fond, un vide juridique. La loi du 29 décembre 2011 relative au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament avait pris, suite au scandale du Mediator, des mesures de précaution très fortes, que nous avions d'ailleurs soutenues alors que nous étions dans l'opposition. Ces mesures ont abouti à interdire l'utilisation d'un médicament dans un but thérapeutique autre que celui prévu par son autorisation de mise sur le marché. Une autre règle s'applique par ailleurs : s'il existe sur le marché un médicament destiné à lutter contre une pathologie, les pouvoirs publics n'ont pas la faculté de demander ni, à plus forte raison, d'imposer la mise sur le marché d'un autre médicament luttant contre la même pathologie au seul motif qu'il serait beaucoup moins cher.

Telle est la situation dans laquelle nous nous retrouvons, et qui est d'ailleurs largement dénoncée par des voix unanimes. Certains s'étonnent que le Gouvernement n'agisse pas. Mais le Gouvernement est tenu au respect du cadre juridique en vigueur. Or ce cadre juridique lui interdit d'imposer l'utilisation d'un médicament moins cher. Tout le monde sait que nous parlons du Lucentis et de l'Avastin. Les pouvoirs publics n'ont pas les moyens d'imposer la mise sur le marché de l'Avastin alors qu'il est beaucoup moins cher. Nous avions même l'obligation de demander son retrait pour l'utilisation secondaire, dérivée, pour laquelle il était utilisé, c'est-à-dire contre la DMLA.

[...]' Je rappellerai que le médicament qui ne peut plus être utilisé dans le domaine ophtalmologique l'a été à cette fin pendant des années. On ne peut donc pas dire que l'on ne connaissait pas son fonctionnement et que l'on manquait de recul. Cette décision est la conséquence de la « loi médicament » votée sous le précédent gouvernement. Il a alors été considéré que l'indication thérapeutique première de la mise sur le marché l'emportait. [...] »

348. Les motifs de la refonte de l'article L. 5121-12-1 du code de la santé publique par la loi n° 2014-891 du 8 août 2014 de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2014 sont encore connus par les travaux parlementaires, et notamment par le rapport n° 703 (2013-2014) de M. [TY] [I], fait au nom de la commission des affaires sociales, déposé le 9 juillet 2014. On y lit ainsi :

« Votre commission est favorable à cet article qui, bien que de portée générale, permettra de mettre immédiatement un terme à une situation aberrante du point de vue des finances sociales, celle de l'impossibilité de substituer pour le traitement de la dégénérescence maculaire liée à l'âge (DMLA) l'Avastin du laboratoire Roche au Lucentis de Novartis alors que ces molécules qui ont le même effet ont un écart de coût de 50 à 900 euros par mois pour un patient.

Les nouvelles conditions mises à la prescription hors AMM sont en tous cas préférables à celles prévues par l'article 57 de la loi de financement pour 2013 qui prévoyait un élargissement possible des RTU pour raison économique. Ainsi que votre rapporteur l'avait indiqué à l'époque :

« Il serait dommageable pour le système de santé et la prise en charge des patients que l'ensemble de la recommandation temporaire d'utilisation, mécanisme récent et novateur que plusieurs pays regardent avec attention et intérêt, soit « pris en otage » par le problème particulier, certes important, de l'Avastin et du Lucentis, et qu'elle en pâtisse par ricochet.

Au-delà de la résolution éventuelle de ce problème conjoncturel, la nouvelle procédure dérogatoire, si elle n'est basée que sur un critère financier, soulève en effet des questions (...) de compatibilité avec le droit communautaire. (') Votre rapporteur relève d'ailleurs que les mesures prévues pour l'application de l'article 57 de la loi de financement pour 2013 n'ont jamais été mises en œuvre. » »

349. En l'espèce, la Cour juge que le Lucentis, qui disposait d'une AMM délivrée par la Commission européenne le 22 janvier 2007, était, au cours de la période infractionnelle, disponible sur le marché et constitutif d'une « alternative médicamenteuse appropriée » au sens de l'article L. 5121-12-1 du code de la santé publique.

350. Il n'a en conséquence plus été permis, après l'entrée en vigueur de la loi Bertrand, de prescrire l'Avastin pour le traitement de la DMLA.

351. La prohibition de la prescription de l'Avastin hors AMM pour l'indication couverte par le Lucentis, posée par la loi Bertrand, est demeurée jusqu'à la loi n° 2014-891 du 8 août 2014. En effet, la « RTU économique », prévue par le V de l'article L. 5121-12-1 introduit par la loi n° 2012-1404 du 17 décembre 2012, n'a jamais pu être mise en œuvre, le décret d'application en Conseil d'État mentionné au IV, qui devait préciser les conditions d'élaboration de la RTU, n'ayant jamais été pris.

352. Ainsi, pendant la période infractionnelle qui court du 31 décembre 2011 au mois de novembre 2013, il a existé un empêchement légal à la prescription de l'Avastin hors AMM pour le traitement de la DMLA exsudative.

353. Ce constat doit être étendu aux autres pathologies oculaires en cause (OMD, OBVR, OVCR, NVC). En effet, le Lucentis a reçu en ce qui les concerne des autorisations complémentaires de mise sur le marché au cours de l'année 2011, antérieurement à l'entrée en vigueur de la loi Bertrand. Il a dès lors constitué, comme dans le cas de la DMLA, une « alternative médicamenteuse appropriée » au sens de l'article L. 5121-12-1 du code de la santé publique dans sa rédaction issue de la loi Bertrand.

354. S'agissant, en second lieu, de la licéité du reconditionnement de l'Avastin au regard du droit interne, contrairement à ce que soutiennent Roche et Novartis, les dispositions de l'article L. 5121-1 du code de la santé publique dans ses différentes versions applicables au cours de la période infractionnelle n'ont pas eu pour effet de prohiber le reconditionnement de l'Avastin en vue d'une prescription hors AMM, du fait de la présence sur le marché du Lucentis, spécialité pharmaceutique disponible et adaptée.

355. En effet, d'une part, ce texte se borne à définir les notions de préparations magistrale et hospitalière (§ 59 du présent arrêt) sans qu'il puisse en être déduit des interdictions.

356. Ainsi, l'article L. 5121-1, 1°, du code de la santé publique, dans ses différentes versions applicables au cours de la période infractionnelle, contient une définition de la « préparation magistrale ».

357. Dans les versions antérieures à la loi Bertrand, une telle préparation désignait « tout médicament préparé extemporanément en pharmacie selon une prescription destinée à un malade déterminé ».

358. Dans sa rédaction issue de la loi Bertrand, la préparation magistrale a été définie comme « tout médicament préparé selon une prescription médicale destinée à un malade déterminé en raison de l'absence de spécialité pharmaceutique disponible disposant d'une autorisation de mise sur le marché, [...], ['] extemporanément en pharmacie, [...] ». (Soulignement ajouté)

359. L'article L. 5121-1, 2°, du même code contient également une définition de la « préparation hospitalière », dans ses différentes versions applicables au cours de la période infractionnelle.

360. Dans les versions antérieures à la loi Bertrand de ce texte, une telle préparation désigne « tout médicament (') préparé selon les indications de la pharmacopée et en conformité avec les bonnes pratiques mentionnées à l'article L. 5121-5, en raison de l'absence de spécialité pharmaceutique disponible ou adaptée dans une pharmacie à usage intérieur d'un établissement de santé (...) » (soulignement ajouté).

361. Dans sa rédaction issue de la loi Bertrand, cet article est complété par la référence à « l'absence de spécialité pharmaceutique disponible ou adaptée disposant d'une autorisation de mise sur le marché (...) » (soulignement ajouté).

362. D'autre part, il résulte de ces définitions que le terme de « préparation » désigne le produit fini, le médicament qui est obtenu, et non le processus par lequel il est obtenu. Ce terme induit donc que le médicament final n'est pas le même que celui sur lequel le préparateur en pharmacie est intervenu.

363. Cette question a déjà été précisément examinée par la CJUE, appelée à apprécier l'applicabilité de l'article 3de la directive 2001/83 (§ 53 du présent arrêt) à l'Avastin reconditionné, dans un arrêt du 21 novembre 2018, Novartis Fama Spa, C-29/17. Dans cette affaire, la CJUE était notamment saisie d'une question préjudicielle émanant du Conseil d'État italien ainsi rédigée :

« L'article 3, point 1, de la directive 2001/83 [...] s'applique-t-il dans le cas où la préparation du produit pharmaceutique, bien qu'elle soit effectuée en pharmacie sur la base d'une prescription médicale destinée à un patient déterminé, est néanmoins effectuée en série, de manière identique et répétée, sans tenir compte des exigences spécifiques du patient en question, le produit étant délivré à la structure hospitalière et non au patient (compte tenu du fait que le médicament relève de la classe H-OSP [médicaments utilisables exclusivement en milieu hospitalier]) et utilisé dans une structure également distincte de celle dans laquelle le conditionnement a été effectué ' »

364. La CJUE a répondu en substance (points 56 à 58 de l'arrêt) que c'est le caractère industriel du mode de production d'un médicament qui détermine si celui-ci relève du champ d'application de la directive 2001/83 et qu'en l'occurrence, l'Avastin, produit de manière industrielle dans les laboratoires l'entreprise Roche, titulaire de son AMM, ne relevait d'aucune des catégories mentionnées à l'article 3, et ne pouvait donc être qualifié ni de préparation magistrale, ni de préparation officinale.

365. En l'espèce, les conditions du reconditionnement de l'Avastin en France, déjà décrites supra, ne diffèrent pas essentiellement de celles en vigueur en Italie, telles qu'elles sont rapportées par la CJUE (qui précise le contenu de la réglementation italienne aux points 26 et suivants de l'arrêt précité). En particulier, il ressort des pièces du dossier que les opérations de reconditionnement de l'Avastin menées dans les pharmacies à usage interne des hôpitaux, en France, n'altèrent pas de manière substantielle la composition, la forme ou les autres éléments essentiels de ce médicament.

366. Il en résulte que le reconditionnement de l'Avastin doit être regardé comme une pratique que le code de la santé publique n'encadre pas et par voie de conséquence, n'interdit pas.

367. En conclusion, si l'Avastin et le Lucentis peuvent être regardés comme juridiquement substituables au cours de la période qui court du mois de mars 2008 au 30 décembre 2011, tel n'est pas le cas à compter du 31 décembre 2011 et jusqu'après la fin de la période infractionnelle (novembre 2013). En effet, au cours de cette dernière période, le droit interne ayant interdit la prescription de l'Avastin hors AMM, ce médicament doit être regardé comme hors commerce pour le traitement de la DMLA et des autres pathologies précitées.

E. Conclusion sur la délimitation du marché pertinent

368. Des développements qui précèdent, la Cour conclut, en premier lieu, que l'Avastin et le Lucentis doivent être considérés comme des médicaments concrètement substituables, à l'hôpital, sur les marchés français du traitement de la DMLA exsudative par anti-VEGF et des autres indications oculaires (OMD, OBVR, OVCR ou baisse visuelle due à une NVC) traitées par anti-VEGF.

369. En second lieu, la substituabilité juridique des deux médicaments a cessé avec l'entrée en vigueur de la loi Bertrand.

370. En conséquence, les pratiques que la Cour examinera seront celles qui sont susceptibles d'avoir affecté le marché pertinent délimité comme suit : les marchés français du traitement de la DMLA exsudative par anti-VEGF et des autres indications oculaires (OMD, OBVR, OVCR ou baisse visuelle due à une NVC) traitées par anti-VEGF, à l'hôpital, au cours de la période qui s'étend du mois de mars 2008 au 30 décembre 2011.

IV. SUR LE PREMIER GRIEF

A. Sur l'existence d'une campagne de communication globale de Novartis

371. Dans la décision attaquée, l'Autorité a retenu que les éléments du dossier, qu'elle expose aux paragraphes 784 et suivants, établissent que Novartis a diffusé, par le biais d'une campagne de communication globale et structurée, un discours dénigrant, en exagérant, de manière injustifiée, les risques liés à l'utilisation d'Avastin « hors AMM » pour le traitement de la DMLA, et plus généralement en ophtalmologie, en comparaison avec la sécurité et la tolérance de Lucentis pour un même usage.

372. Novartis conteste avoir élaboré ou mené une campagne de communication globale à destination des acteurs de santé et soutient que les pièces et éléments retenus par l'Autorité sont des documents purement internes à l'entreprise pour permettre aux employés susceptibles d'être en contact avec des professionnels de santé d'être en mesure de leur répondre en cas d'interrogation sur les différences entre Avastin et Lucentis ou sur les résultats des études comparant les deux produits, soulignant que nombre des pièces saisies précisent qu'elles ne doivent pas être communiquées hors de l'entreprise, et rappelant que les médecins entendus par l'Autorité, dont le  professeur référant de l'étude « GEFAL », ont « dénié que Novartis leur ait tenu le moindre discours dénigrant à l'encontre d'Avastin ».

373. L'Autorité réitère son analyse. Le ministre chargé de l'économie développe une argumentation similaire à cette de l'Autorité, de même que le ministère public.

Sur ce, la Cour,

374. Comme le souligne l'Autorité, il ressort de nombreux documents émanant de Novartis que le laboratoire a élaboré une série d'arguments, ou d'éléments de langage, ayant vocation à être développés par ses forces de vente dans leurs relations avec les médecins, les associations de patients ou les autorités de santé.

375. À titre d'exemples, les pièces suivantes peuvent être citées :

un document annexé à un courriel du 10 mars 2008, adressé par le directeur du marketing en ophtalmologie du groupe Novartis aux salariés en charge du produit Lucentis, précise que (soulignement ajouté par la Cour) : « Le contenu de ce document peut être utilisé par le personnel médical et scientifique de Novartis, ainsi que par les KOL et toute autre personne, afin de défendre les différences entre les deux produits et contrer l'argument selon lequel les produits seraient « essentiellement les mêmes » (cote 3630). [Texte source : « The content in this deck can be used by Novartis medical/scientific staff as well as KOL's and other advocates to support the difference between the two products and defend againts the common argument that both products are essentially the same  »]. Le KOL (« Key Opinion Leader ») est un professionnel de santé bénéficiant d'une reconnaissance significative et d'une compétence d'expert reconnu dans son domaine (cf. décision attaquée, § 230) ;

les « messages clés » et « réponses à objections », figurant dans la présentation de la réunion « AdvocacyLucentis » du 26 mai 2010, étaient destinés à être utilisés par les forces commerciales de Novartis dans le cadre de plans d'actions développés en région (cotes 2137, 2140 et 2141)';

le document, intitulé « Elevator Speech » daté de juin 2010, reprend les principaux messages clés tendant à insister sur les risques liés à l'utilisation d'Avastin en ophtalmologie, et était destiné à être distribué à l'ensemble des forces commerciales de Novartis (cotes 13988 et 13992). Il avait donc vocation à être exploité par ces dernières dans leur présentation ou discours auprès des professionnels de santé, à l'instar des documents précités ;

le document intitulé « Training Lucentis vs Avastin. Region 93 », rédigé en septembre 2010, contient en en-tête la mention « Ce document est réservé uniquement à l'usage des délégués médicaux et ne peut en aucun cas être remis au corps médical. Septembre 2010. Arguments clés Lucentis vs Avastin. » et développe quatre thématiques intitulées « Avastin est différent de Lucentis », « La tolérance d'Avastin est incertaine en ophtalmologie », « Avastin n'est pas approuvé dans la DMLA » et « Novartis est un partenaire à vos côtés en ophtalmologie ». De même que précédemment, les éléments de langage qu'il contient avaient ainsi vocation à être assimilés par les déléguée médicaux, peu important que le document qui en constitue le support n'ait pas lui-même eu vocation à être distribué par lesdits délégués.

376. La grande similitude du contenu de ces divers documents justifie de conclure que Novartis a centralisé des éléments de langage et les a mis à la disposition de ses délégués médicaux.

377. D'autres documents révèlent que ces éléments de langage devaient faire l'objet d'une diffusion orale auprès de la communauté médicale.

378. Deux exemples, notamment, illustrent ce point :

un document, intitulé « Suivi Business Rétine », du 24 avril 2008, montre que les délégués médicaux de Novartis ont mis en œuvre sur le terrain des actions de communication auprès des centres utilisant l'Avastin (décision attaquée, § 255 et suivants, cotes 3657 à 3696). Le document coté 3683 indique ainsi « le nombre de centres utilisant l'Avastin a diminué (-8) grâce aux actions conjointes des délégués Rétine et des KAMs. Reste 10 centres Avastin identifiés ». ['Key account manager' : le responsable commercial en charge des relations avec les services hospitaliers] ;

un document intitulé « Elevator speech », de juin 2010, indique que l'argumentaire qu'il contient devait être diffusé à l'ensemble des KOL en fonction de leur influence respective. La présentation, conçue en vue d'un séminaire au mois de septembre 2010, relève que l'accroissement du nombre de rencontres en face à face a permis une meilleure diffusion du discours depuis un an. Texte source : « For 1 year, collaborations and relations with KOL have been greatly developped allowing a straight communication on Avastin/Lucentis issues » (décision attaquée, § 294 et 295, cotes 13 992 et 13 993).

379. Il en résulte que les éléments de langage préparés par le laboratoire ont été effectivement diffusés, le cas échéant sous une forme adaptée à chaque destinataire.

380. À ce stade de l'analyse, le fait que plusieurs des médecins entendus au cours de la procédure d'instruction aient indiqué qu'ils estimaient que le discours développé par les visiteurs médicaux de Novartis n'était pas trompeur n'implique nullement que les éléments de langage préparés par le Laboratoire n'aient pas été développés, la question de la perception de la nature du discours étant distincte de celle de sa tenue.

381. Le moyen soutenu par Novartis selon lequel le laboratoire n'aurait pas mené de campagne de communication globale, à destination des acteurs de santé est rejeté.

B. Sur la compétence de l'Autorité pour apprécier le discours de Novartis

382. Au paragraphe 553 de la décision attaquée, l'Autorité a exposé que « s'il est exact que la qualification de ces pratiques nécessite d'examiner le contenu du discours véhiculé par l'entité collective sur les risques liés à l'utilisation d'Avastin « hors AMM » en ophtalmologie, une telle analyse n'implique pas que l'Autorité se prononce sur la validité des arguments scientifiques opposés dans le cadre du débat public sur l'efficacité et la sécurité comparées d'Avastin et Lucentis. Elle consiste uniquement à déterminer si Roche et/ou Novartis ont reproduit fidèlement ces arguments, ou les ont dénaturés par une présentation dépourvue de la mesure et de l'objectivité requise, compte tenu des incertitudes du débat public. (...) ».

383. L'Autorité a indiqué en outre au paragraphe 549 de la décision attaquée qu'elle est compétente pour connaître de toute pratique susceptible de constituer une infraction aux règles de la concurrence, et ce quel que soit le secteur d'activité concerné ou le vecteur utilisé. Elle a ajouté qu'il lui appartient à cet effet de procéder elle- même à une analyse du contexte juridique et factuel dans lequel s'inscrivent les pratiques litigieuses. À l'appui de cette position, elle s'est référée à la décision n° 17-D-25 du 20 décembre 2017 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des dispositifs transdermiques de fentanyl, points 354 à 358, et à l'arrêt de confirmation de la cour d'appel de Paris du 11 juillet 2019 (société Janssen-Cilag SAS, n° 18/01945).

384. Novartis conteste cette analyse. Le laboratoire soutient qu'il résulte de la jurisprudence et de la pratique décisionnelle de l'Autorité que cette dernière n'a pas la possibilité d'apprécier si une communication est de nature à jeter un discrédit de nature scientifique sur un médicament et que pour lui reprocher d'avoir exagéré, de manière injustifiée, les risques liés à l'utilisation d'Avastin pour le traitement de la DMLA, et plus généralement en ophtalmologie, en comparaison avec la sécurité et la tolérance de Lucentis pour un même usage, elle a nécessairement mobilisé, fut-ce de manière implicite, une expertise scientifique que non seulement elle ne possède pas en son sein, mais dont elle a pu admettre que la loi avait confié sa mise en œuvre à une autre autorité (l'ANSM).

385. Elle fait valoir que l'Autorité croit pouvoir s'abstraire de cette difficulté en invoquant le standard jurisprudentiel qui a été développé en matière de pratiques de communication entre princeps et génériques. Toutefois, le fait pour l'Autorité d'apprécier ce que peut dire un fabricant de princeps à propos de la sécurité des génériques de son produit ne requiert pas de compétences scientifiques, puisque l'équivalence d'un point de vue scientifique entre un générique disposant d'une AMM et son princeps est établie par la loi, et plus précisément par l'article L. 5121-1 du code de la santé publique. Or, l'Avastin ne bénéficie pas, dans l'indication du traitement de la DMLA, de la certification que procure à un générique, ou a fortiori un princeps, une AMM visant cette indication. Il s'agit ainsi d'une molécule différente du Lucentis, qui n'a jamais été testée pour le traitement de la DMLA, n'a jamais fait l'objet d'une évaluation de son bénéfice / risque (au sens de l'article 1er de la directive 2001/83/CE, qui définit ledit risque comme « tout risque pour la santé du patient ou la santé publique lié à la qualité, à la sécurité ou à l'efficacité du médicament ») par une autorité compétente, et n'a pas été autorisé dans cette indication.

L'Avastin ne peut ainsi être rapproché d'un éventuel générique du Lucentis.

386. L'Autorité répond qu'en raison de la nature de la pratique reprochée, à savoir un dénigrement, elle ne peut se voir dénier le droit de connaître du discours litigieux, peu important que le médicament concerné soit un générique ou soit prescrit hors AMM. Elle précise que son analyse du discours en cause ne nécessite pas de procéder à un examen critique de la valeur scientifique des arguments avancés, mais repose sur un examen de la teneur et de la tonalité de ce discours au regard du contexte d'incertitude scientifique entourant, à l'époque des faits, l'utilisation d'Avastin en ophtalmologie.

387. Le ministre chargé de l'économie développe une argumentation similaire à cette de l'Autorité, de même que le ministère public.

Sur ce, la Cour,

388. Saisie d'une pratique de dénigrement de l'utilisation d'Avastin pour le traitement de la DMLA, il appartenait à l'Autorité d'analyser les propos reprochés afin de déterminer s'ils ont dénaturé les arguments scientifiques opposés dans le cadre du débat public sur l'efficacité et la sécurité comparées d'Avastin et Lucentis. Une telle analyse n'implique pas de se livrer à une appréciation d'ordre scientifique ou médicale mais uniquement de rechercher si les propos litigieux ont relayé de manière fidèle et mesurée les arguments de ces études.

389. La pratique litigieuse ne peut pas être appréciée de la même manière et selon le même standard que celle consistant à dénigrer un médicament générique par comparaison à son princeps. En effet, l'Avastin ne dispose pas d'AMM pour le traitement de la DMLA et partant, il ne bénéficie pas de la même présomption d'efficacité et d'innocuité. Toutefois, cette circonstance n'enlève en rien à l'Autorité sa compétence pour rechercher si les propos litigieux ont jeté ou non un discrédit sur l'Avastin en exagérant les risques associés à son utilisation dans le traitement de la DMLA.

390. En outre, dans les motifs de sa décision, l'Autorité n'a émis aucune appréciation d'ordre scientifique mais a analysé la teneur et la tonalité des propos litigieux et les a confrontés aux études scientifiques portant sur l'utilisation de l'Avastin hors AMM.

391. Ainsi, elle a retenu que le discours de Novartis, outre qu'il était commercial et ne relevait pas de la pharmacovigilance (§ 798 et suivants), ne reposait pas sur une base factuelle suffisante et n'avait pas été exprimé avec suffisamment de mesure (§ 802 et suivants), Novartis ayant, selon elle, présenté comme une certitude que les effets indésirables de l'Avastin étaient liés à la différence de structure moléculaire entre l'Avastin et le Lucentis, mis excessivement en avant les qualités de ce dernier médicament (§ 804 à 811) et procédé à une présentation biaisée des résultats des études scientifiques (§ 812 et suivants de la décision attaquée) en ne précisant pas les limites méthodologiques des études citées ou en en faisant une présentation décontextualisée, et en exposant de manière sélective en 2012 les modifications opérées sur le résumé des caractéristiques du produit (RCP) d'Avastin et du Lucentis (§ 823 et suivants de la décision attaquée).

392. Elle a enfin relevé que Novartis, dans sa communication, avait insisté sur la responsabilité juridique encourue par les médecins (§ 833 et suivants de la décision attaquée).

393. Par ces motifs, l'Autorité ne s'est donc livrée à aucune appréciation scientifique excédant ses pouvoirs et compétences.

394. Le moyen est rejeté.

C. Sur le discours de Novartis pendant la période du 10 mars 2008 au 30 décembre 2011

395. Au paragraphe 781 de la décision attaquée, l'Autorité a retenu (décision attaquée, § 781) que Novartis a « diffusé, par le biais d'une campagne de communication globale et structurée, un discours dénigrant, en exagérant, de manière injustifiée, les risques liés à l'utilisation d'Avastin « hors AMM » pour le traitement de la DMLA, et plus généralement en ophtalmologie, en comparaison avec la sécurité et la tolérance de Lucentis pour un même usage. »

396. Ainsi qu'il a déjà été exposé, elle a considéré que le discours de Novartis, outre qu'il était commercial et ne relevait pas de la pharmacovigilance (§ 798 et suivants), ne reposait pas sur une base factuelle suffisante et n'avait pas été exprimé avec suffisamment de mesure.

397. Novartis conteste une telle analyse. Elle soutient que la mise en concordance des éléments de discours et des études disponibles à leur date fait ressortir, qu'à toutes les étapes du développement de son discours, celui-ci n'a pas excédé les limites de la liberté d'expression, puisqu'il relevait d'un débat d'intérêt général, était fondé sur une base factuelle suffisante, et était mesuré dans son expression. Elle souligne que les éléments de son discours se contentent de retranscrire le débat scientifique en cours. Elle conteste avoir procédé à une présentation sélective et biaisée des études scientifiques en cours comme de la modification du RCP de l'Avastin.

398. En réponse, l'Autorité reprend l'analyse qu'elle a développée dans la décision attaquée.

399. Le ministre chargé de l'économie développe une argumentation similaire à cette de l'Autorité, de même que le ministère public.

Sur ce, la Cour,

400. L'article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (ci-après, « CSDH ») stipule :

« Toute personne a droit à la liberté d'expression. Ce droit comprend la liberté d'opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités publiques et sans considération de frontière. Le présent article n'empêche pas les États de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d'autorisations.

L'exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l'intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d'autrui, pour empêcher la divulgation d'informations confidentielles ou pour garantir l'autorité et l'impartialité du pouvoir judiciaire ».

401. Ainsi, la liberté d'expression ne peut être soumise à des ingérences que dans les cas où celles-ci constituent des mesures nécessaires au regard du paragraphe 2 de l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme.

402. La Cour européenne des droits de l'homme accorde un niveau élevé de protection à la liberté d'expression lorsque le discours litigieux vise à contribuer à un débat sur des questions relatives à la protection de la santé. Dans ce cas, elle estime que le discours relève d'un débat d'intérêt général (Hertel c. Suisse, 25 août 1998, req. n° 25181/94, § 47) et procède par conséquent à un examen particulièrement attentif de la proportionnalité des mesures litigieuses.

403. Lorsqu'il est question d'un débat d'intérêt général, la Cour européenne des droits de l'homme considère que peu importe qu'une opinion soit minoritaire et qu'elle puisse sembler dénuée de fondement, et qu'il serait particulièrement excessif de limiter la liberté d'expression à l'exposé des seules idées généralement admises (Hertel c. Suisse, § 50). Elle précise néanmoins que si rien n'interdit la diffusion d'informations qui heurtent, choquent ou inquiètent dans des domaines où la certitude est improbable, c'est à la condition de les exposer de manière nuancée (Vérités Santé Pratique SARL c. France, 1er décembre 2015, req. n°74766/01).

404. En droit de la concurrence, la divulgation d'une information de nature à jeter le discrédit sur un produit est constitutive de dénigrement, à moins que l'information en cause ne se rapporte à un sujet d'intérêt général et repose sur une base factuelle suffisante, et sous réserve qu'elle soit exprimée avec une certaine mesure (Com., 9 janvier 2019, pourvoi n° 17-18.350).

405. La Cour vérifiera si, pendant la période retenue (du 10 mars 2008 au 30 décembre 2011), les éléments de discours de Novartis, rappelés aux paragraphes 242 à 326 de la décision attaquée et analysés par l'Autorité aux paragraphes 800 à 836 encourent le grief notifié au regard des critères précités.

406. La Cour souligne à titre liminaire, que l'Autorité ne conteste pas « le principe même de la communication » de Novartis (§ 797 de la décision attaquée). Elle ne conteste pas non plus que « les informations relayées par ses [Novartis] soins concernant les résultats des études scientifiques sont exactes » (§ 820).

407. S'agissant en premier lieu, de l'existence d'un débat d'intérêt général, selon la Cour européenne des droits de l'homme, ont trait à un intérêt général les questions qui touchent le public dans une mesure telle qu'il peut légitimement s'y intéresser, qui éveillent son attention ou le préoccupent sensiblement, notamment parce qu'elles concernent le bien-être des citoyens ou la vie de la collectivité. Tel est le cas également des questions qui sont susceptibles de créer une forte controverse, qui portent sur un thème social important, ou qui ont trait à un problème dont le public aurait intérêt à être informé.

408. En l'espèce, aux paragraphes 800 à 802 de la décision attaquée, l'Autorité, se référant au document intitulé

« Lucentis C4 Plan 2009-2014 wAMD » de juillet 2009, a considéré que le discours de Novartis, révèle son intention de mettre en place des actions pour différencier le Lucentis de l'Avastin dans la perspective de la publication des résultats d'études en cours (cotes 2377, 2392), telle que l'étude « GEFAL », qu'il était purement commercial et dénué de toute préoccupation pour la santé publique.

409. Cependant, il est indifférent que le discours de Novartis ait été produit pour des considérations commerciales dans la mesure où il ne saurait être reproché à une entreprise en position dominante d'agir en vue de la défense de ses positions commerciales, pourvu qu'elle ne recoure pas à des moyens autres que ceux qui relèvent d'une concurrence par les mérites. Ainsi, même dans le cas de génériques, la CJUE a-t-elle rappelé, dans son arrêt AstraZeneca du 6 décembre 2012 (affaire C-457/10 P, point 129), que « l'élaboration par une entreprise, même en position dominante, d'une stratégie ayant pour objet de minimiser l'érosion de ses ventes et d'être en mesure de faire face à la concurrence des produits génériques est légitime et relève du jeu normal de la concurrence, pour autant que le comportement envisagé ne s'écarte pas des pratiques relevant d'une concurrence par les mérites, de nature à profiter aux consommateurs ».

410. Par ailleurs, la généralisation de l'utilisation d'un médicament en dehors de son AMM, en présence d'un médicament disposant d'une AMM pour le traitement de la pathologie en cause, pose en soi une question qui relève d'un débat d'intérêt général de santé publique.

411. La question de la substituabilité de l'Avastin au Lucentis a ainsi suscité de nombreuses études scientifiques (§ 71 et suivants du présent arrêt) et a donné lieu à de nombreuses publications dans la presse générale et spécialisée (cotes 39 à 51, pour des articles de presse publiés entre le 5 octobre 2009 et le 29 décembre 2011). Elle s'est posée dans le contexte particulier de l'affaire du Médiator, ce qui a d'ailleurs ensuite conduit le législateur à intervenir à plusieurs reprises pour encadrer l'usage hors AMM des médicaments.

412. Il se déduit de l'ensemble de ces éléments que le discours de Novartis, diffusé en particulier auprès des professionnels de santé, s'inscrivait dans un débat d'intérêt général de santé publique sur la substituabilité de l'Avastin au Lucentis dans le traitement de la DMLA.

413. S'agissant, en deuxième lieu, de la base factuelle suffisante sur laquelle doivent reposer les propos litigieux, l'Autorité en conteste l'existence au paragraphe 806 de la décision attaquée. Elle y indique (soulignement ajouté par la Cour) :

« Novartis a insisté sur les différences moléculaires et de pharmacodynamique entre le ranibizumab (Lucentis) et le bevacizumab (Avastin), de manière à faire apparaître un lien entre celles-ci et les effets indésirables systémiques plus importants pour Avastin, identifiés par les études scientifiques. Pourtant, premièrement, les résultats des études scientifiques ne permettaient pas d'affirmer de façon certaine quelle était la cause de l'existence d'effets indésirables systémiques plus importants pour Avastin (cf. paragraphes 94 à 128 de la présente décision) [...] »

414. Cependant, il est indifférent que les résultats des études scientifiques n'aient pas permis d'affirmer de façon « certaine » quelle était la cause de l'existence d'effets indésirables systémiques plus importants pour l'Avastin.

415. En effet, Novartis s'est bornée, comme l'Autorité l'a précisé elle-même au paragraphe 805 de la décision attaquée, à évoquer la possibilité, et non la certitude, d'un lien entre les différences entre les deux molécules et les effets indésirables constatés de l'Avastin.

416. À titre d'illustration, sur la nature de l'allégation de Novartis, l'Autorité lui reproche, au paragraphe 807 de la décision, les propos suivants : « [...] dans le « Lucentis Defend plan » d'avril 2011, Novartis souligne : « Serum concentration differences could suggest systemic AE [adverse effects] » (cote 14 105) » (soulignement par la Cour). Traduction libre : « des différences de concentration sérique pourraient suggérer des effets indésirables systémiques ».

417. Or, comme l'indique Novartis dans ses écritures en défense, l'étude « Matsuyama » publiée le 14 juin 2010 (précitée, cote 4291) (§ 74 du présent arrêt), donc antérieurement aux propos en cause, datés d'avril 2011, conclut que bien qu'il n'ait été fait état que de rares complications générales après injections intravitréenne du bevacizumab (Avastin), une attention particulière devait être portée aux cas de changements systémiques affectant les patients, particulièrement s'agissant de ceux ayant subi de multiples injections d'Avastin. (Texte original :» although general complications have been reported to be rare after an intravitreal injection of bevacizumab, we should carefully examine patients for systemic changes especially those with multiple injections of bevacizumab »)

418. En revanche, à la même époque (2010), l'article précité de Mme Ursula Schmidt-Erfurth (§ 75 du présentarrêt), concluait au sujet du ranibizumab (Lucentis) qu'il s'agit d'un traitement efficace pour les patients atteints de DMLA, bien toléré et qu'il n'est pas associé à un risque cliniquement significatif d'effets indésirables oculaires ou systémiques. Texte original : « In conclusion, ranibizumab is an effective treatment for patients with CNV due to AMD, is well tolerated and is not associated with a clinically significant risk of ocular or systemic adverse events » (cote 4282).

419. Comme il a été exposé, l'étude « Curtis », publiée en octobre 2010 (cote 14 529) (§ 76 du présent arrêt), indique qu'après ajustement en fonction des caractéristiques des patients, les auteurs ont observé une réduction significative du risque de mortalité toutes causes confondues, infarctus du myocarde, et accident vasculaire cérébral, avec le traitement par le ranibizumab (Lucentis) par rapport au traitement par le bevacizumab (Avastin).

420. Enfin, à l'époque des propos litigieux, l'étude « Gower » (avril 2011), déjà citée, conclut que les données issues du Medicare suggèrent des différences entre le Lucentis et l'Avastin quant à leur profil de tolérance tout en précisant qu'elle comporte des limites en raison du caractère incomplet des données sur certains facteurs importants de comorbidité.

421. Ainsi, Novartis disposait, à la lumière de ces publications, mises en rapport l'une avec l'autre, d'une base factuelle suffisante pour rendre crédibles, en avril 2011, ses allégations, qui portaient non sur la certitude mais sur la possibilité, voire la probabilité, d'un lien entre les différences moléculaires et de pharmacodynamique entre le ranibizumab (Lucentis) et le bevacizumab (Avastin), et les effets indésirables systémiques plus importants relevés dans le cas de ce dernier.

 422. S'agissant en troisième lieu, du ton du discours reproché, l'Autorité a considéré que la présentation par Novartis, dans sa communication, des causes potentielles des risques liés à l'utilisation d'Avastin, opposées aux certitudes sur l'innocuité de Lucentis, n'a pas été exprimée avec suffisamment de mesure, compte tenu du contexte scientifique dans lequel son discours s'inscrivait. Elle se fonde sur des documents de Novartis datés de 2008 à 2011 mais également sur des éléments postérieurs, datant de 2012 à 2013. Or, comme il a été vu, au cours de cette dernière période, les deux médicaments ne pouvaient être considérés comme concurrents, la prescription de l'Avastin pour le traitement de la DMLA n'étant alors plus autorisée par la loi.

423. Il convient dès lors d'examiner si les discours ou propos de Novartis entre 2008 et 2011 étaient dépourvus de la prudence ou de la mesure exigée par le contexte scientifique dans lesquels ils se sont inscrits.

424. Il ressort des éléments du dossier que dès 2008, donc antérieurement aux premières publications disponibles, qui datent de 2010, Novartis a développé des éléments de langage portant sur la comparaison de l'Avastin et du Lucentis, en particulier dans le document mentionné par l'Autorité, intitulé « Communication objectives and strategic communications », coté 3612, daté du 17 mars 2008, qui indique (traduction libre) :

« Lucentis est spécialement conçu pour être utilisé sans danger pour l'humain. Il s'agit d'une molécule plus petite qu'Avastin conçue pour mieux pénétrer la rétine pour atteindre la zone de la maladie.

Lucentis est éliminé du reste du corps 100 fois plus vite qu'Avastin. Les autres organes du corps sont donc moins exposés à Lucentis qu'à Avastin.

Lucentis est garanti pour répondre à des normes de qualité de fabrication élevées pour les médicaments utilisés dans les yeux. Il est fourni dans des flacons à dose unique, où les normes de pureté pour une utilisation dans l''il peuvent être garanties.

Avastin est un médicament anticancéreux et n'est pas tenu de répondre à des critères de qualité aussi stricts. Le fractionnement des flacons destinés à une utilisation intraveineuse pour injection dans l''il peut augmenter le risque de contamination et d'infection.

Aucune donnée appropriée n'est disponible sur la sécurité ou les effets secondaires graves de l'utilisation d'Avastin dans la DMLA, que ce soit à partir de grandes études cliniques contrôlées ou de la surveillance post- commercialisation. Son innocuité en tant que traitement de la DMLA est inconnue.

Comme pour tous les médicaments approuvés, Lucentis fait l'objet d'une surveillance rigoureuse via des systèmes de notification exigés par les organismes de réglementation. »

425. Texte source : « Lucentis is specifically designed an proven safe for use in the human eye. It is a smaller molecule than Avastin designed to penetrate the retina better to reach the area of disease. Lucentis is eliminated from the rest of the body 100 times faster than Avastin. Other organs in the body therefore have less exposure to Lucentis compared to Avastin. Lucentis is garanteed to meet high manufacturing quality standards for medicines used in the eye. It is supplied in sigle dose vials, where purity standards for use in the eye can be garanteed.

Avastin is a cancer drug and is not required to meet such strict quality criteria. Splitting vials which are intended for intravenous use for injection into the eye may increase the risk of contamination and infection. No proper data are available on safey or serious side effects with Avastin use in wet AMD, either from large controlled clinical studies or from post-marketing surveillance. Its safety as a treatment for wet AMD is unknown. As with all approved medicines, Lucentis is rigorously monitored via reporting systems required by regulatory bodies. »

426. Ce discours ne contient aucune assertion erronée et ne manque pas de mesure ni de prudence dans l'expression en ce qu'il tend à des constats purement objectifs liés à la délivrance d'une AMM pour le traitement de la DMLA pour l'un et à l'absence d'AMM de même nature pour l'autre.

427. Les documents postérieurs, datant de 2010, mentionnés par l'Autorité (cotes 13'988, 3'473), rédigés selon le cas en anglais ou en français, contiennent des propos très similaires quant au fond et à la forme, seule la langue dans laquelle ils sont rédigés étant différente.

428. À titre d'exemple topique, le document intitulé « Training Lucentis vs Avastin. Region 93 », rédigé en septembre 2010 en français, contient le texte suivant (cote 3473, mentionnée par l'Autorité au paragraphe 810 de la décision attaquée) :

« Ce document est réservé uniquement à l'usage des délégués médicaux et ne peut en aucun cas être remis au corps médical. Septembre 2010. Arguments clés Lucentis vs Avastin.

Avastin est différent de Lucentis :

Molécules : la molécule Lucentis est trois fois plus petite,

Pharmacologie : passage systémique plus important et demie vie plus longue que Avastin Formulation : formulation spécifiquement développée pour l'IVT pour Lucentis

La tolérance d'Avastin est incertaine en ophtalmologie :

La safety d'Avastin n'a pas été démontrée : pas de données de tolérance ni de remontées de PV exhaustives, aucune étude préclinique ou clinique de tolérance en ophtalmologie. Le profil de tolérance d'Avastin n'est pas suivi en vie réelle : EI probablement très sous-estimés (utilisation hors AMM), pas de système de PV ni de PGR. Existence de spécificités d'Avastin qui pourraient expliquer certains EI constatés : inflammation (fragment Fc), risque thromboembolique potentiellement accru (¿ vie et passage systémique), risque local d'inflammation et infection (formulation non spécifiquement adaptée à l'oeil, reconditionnement) Avastin n'est pas approuvé dans la DMLA :

Avastin n'est aujourd'hui approuvé ni pour une injection intravitréenne, ni dans le traitement de la DMLA... et ne répond pas actuellement aux pré-requis pour l'obtention d'une AMM : pas de formulation adaptée, pas de données d'efficacité et de tolérance à long terme, pas d'études précliniques ni cliniques en ophtalmologie. Les études H2H en cours [les études prospectives de comparaison, CATT, IVAN et GEFAL] sont insuffisantes pour l'obtention d'une AMM ; en particulier car elles n'apporteront pas d'évaluation solide de la sécurité d'utilisation d'Avastin en ophtalmologie. La responsabilité du médecin peut être engagée en cas de problème.

Novartis est un partenaire à vos côtés en ophtalmologie :

Novartis est aujourd'hui un partenaire clé des médecins en ophtalmologie : campagnes de dépistage, formations, soutien aux associations de patients,... et le sera encore demain en investissant 21 % du CA en R&D (1 injection de Lucentis sur 5 est réinvestie) notamment via le développement de nouvelles indications. Novartis s'implique aussi dans les pathologies orphelines comme les uvéites consécutives à la maladie de Beçet ».

429. Il est constant que ces textes et documents ne contiennent aucune information erronée.

430. En outre, il résulte des études disponibles en 2010 et jusqu'en 2011 que l'existence d'effets indésirables supplémentaires propres à l'Avastin était admise.

431. Ainsi, comme déjà exposé, L'étude « Matsuyama » publiée le 14 juin 2010 (précitée, cote 4291) (§ 74 du présent arrêt), conclut que bien qu'il n'ait été fait état que de rares complications générales après injections intravitréenne du bevacizumab (Avastin), une attention particulière devait être portée aux cas de changements systémiques affectant les patients, particulièrement s'agissant de ceux ayant subi de multiples injections d'Avastin.

432. Le tableau n° 4 de l'étude « Curtis » (§ 75 du présent arrêt), publiée en octobre 2010, mentionne un risqueplus important de mortalité (4,7 % contre 4,1 %), d'infarctus antérieur du myocarde (1,3 % contre 1,1 %) et d'accident vasculaire cérébral (2,2 % contre 1,8 %) pour les patients auxquels l'Avastin a été injecté que pour ceux auxquels le Lucentis a été injecté. L'étude en déduit qu'après ajustement en fonction des caractéristiques des patients, des risques significativement plus faibles de mortalité toutes causes confondues, d'infarctus du myocarde incident et d'accident vasculaire cérébral incident, ont été observés avec le traitement au ranibizumab (Lucentis) par rapport au traitement au bévacizumab (Avastin). Texte source : « After adjustment for patient characteristics, we observed significantly lower hazards of all-cause mortality, incident myocardial infarction, and incident stroke with ranibizumab therapy compared with bevacizumab therapy » (cote 14 529).

433. L'étude « Gower » (§ 65 du présent arrêt), qui a fait l'objet d'une communication lors d'un congrès en mai2011 (cote 14533) indique qu'après ajustement en fonction des comorbidités de base et des données démographiques et de statut socio-économique, un taux de risque plus élevé de 11 %, toutes causes de mortalité confondues, et plus élevé de 57 % s'agissant de l'AVC, a été relevé dans le groupe traité par l'Avastin. Les données tirées de l'analyse des déclarations issues de la base Médicare suggèrent des différences s'agissant du profil de tolérance de l'Avastin par rapport au Lucentis. Texte source : « [hazard ratios] adjusted for baseline comorbidities, demographics and socio-economic status proxies showed an 11 % higher risk in overall mortality (HR: 1.11; 99 % CI: 1.01 -1.23) and a 57 % higher risk of hemorrhagic cerebrovascular accident (CVA) in the Bev group (HR: 1.57; 99% CI: 1.04-2.37) », « Data from this Medicare claims analysis suggest differences in the safety profile of Bev vs Ran ».

434. L'étude « CATT » à un an (§ 79 du présent arrêt), publiée en avril / mai 2011, indique que la proportion de patients présentant des effets secondaires systémiques graves (entraînant des hospitalisations) était plus élevée avec le bevacizumab [Avastin] qu'avec le ranibizumab [Lucentis] et que les différences dans les taux d'effets secondaires graves nécessitaient une étude plus approfondie. Texte source : « The proportion of patients with serious systemic adverse events (primarily hospitalizations) was higher with bevacizumab than with ranibizumab (24.1 % vs. 19.0 %; risk ratio, 1.29; 95 % confidence interval, 1.01 to 1.66) », « Differences in rates of serious adverse events require further study » (cote 53). Elle précise en outre que la puissance statistique est insuffisante pour détecter certains effets secondaires importants (décès, thrombose artérielle, thrombose veineuse). « With a limited statistical power to detect important adverse events, we found no significant differences between the two drugs in rates of death, arteriothrombotic events, or venous thrombotic events » (cote 63).

435. Comme il a été indiqué, et comme il résulte des pièces reproduites, Novartis n'a pas affirmé que le lien entre, d'une part, les différences moléculaires et de pharmacodynamique entre les deux médicaments, d'autre part, les effets indésirables de l'Avastin, était certain. Le laboratoire s'est borné à évoquer la possibilité ou la probabilité d'une telle relation, laquelle se révèle avoir été fondée sur une base factuelle suffisante.

436. Par ailleurs, parmi les pièces saisies, se trouve encore un document daté de 2011, intitulé « Key differences between Lucentis and Avastin » (cotes 2 681 à 2 690), qui présente de façon développée les conclusions des différentes études, « Matsuyama », « Curtis », « Gower », « CATT » à un an, notamment.

437. Il ressort de l'ensemble de ces documents que les éléments de discours diffusés au cours de la période retenue par la Cour mettent en exergue les différences entre les deux médicaments tenant à l'existence d'une présomption d'efficacité et d'innocuité attachée à la délivrance, à l'un, le Lucentis, d'une AMM pour le traitement de la DMLA et à l'absence d'une présomption de même nature pour l'autre, l'Avastin, qui ne bénéficie pas d'une telle AMM.

438. Ces différences ont été certes soulignées et développées par Novartis dans les documents précités mais surla base d'éléments objectifs et sur un ton neutre. Ainsi, il ne saurait lui être reproché d'avoir exagéré les risques liés à l'utilisation de l'Avastin en dehors de son AMM pour le traitement de la DMLA.

439. Sur ce point, la Cour considère que la mesure dans l'expression du discours qui relève les différences entre deux médicaments dont l'un bénéficie d'une AMM pour une spécialité donnée et l'autre non, dès lors qu'il porte sur un sujet d'intérêt général concernant la santé publique et est fondé sur une base factuelle suffisante, comme en l'espèce, ne peut être appréciée de la même manière que dans le cas de propos soulignant des différences entre un générique et un princeps qui tous les deux bénéficient de la même présomption d'efficacité et d'innocuité.

440. Elle conclut que le discours développé par Novartis tel qu'il ressort notamment des documents précités ne manque ni de mesure ni de prudence dans l'expression en ce qu'il tend à des constats purement objectifs liés à la délivrance d'une AMM pour le traitement de la DMLA dans le cas du Lucentis et à l'absence d'AMM de même nature dans le cas de l'Avastin.

441. En ce qui concerne la présentation des études scientifiques et de la discussion du RCP de l'Avastin, l'Autorité retient au paragraphe 812 de la décision attaquée que « Novartis a effectué une présentation sélective et biaisée des résultats des études scientifiques comparant l'efficacité et la sécurité de l'utilisation d'Avastin et de Lucentis en ophtalmologie ». Elle explique, au paragraphe 814 que « Novartis a ainsi insisté sur les limites méthodologiques des études scientifiques uniquement lorsqu'il présentait des résultats qui n'étaient pas défavorables à Avastin. À l'inverse, lorsque ces résultats permettaient de mettre en avant des risques liés à l'utilisation d'Avastin en ophtalmologie, Novartis passait sous silence les limites de ces études. » Elle illustre cette présentation différenciée des études au paragraphe 815.

442. Toutefois, les études ainsi visées, à savoir les études « CATT », « IVAN » et « GEFAL », ont fait l'objet d'une publication en 2012 ou 2013 selon le cas, donc postérieurement à la période retenue par la Cour, à l'exception de l'étude « CATT » à un an, qui a été publiée en avril / mai 2011.

443. Leur présentation par Novartis est ainsi intervenue à une période pendant laquelle l'Avastin, par l'effet de la loi Bertrand, ne pouvait plus être prescrit hors AMM de sorte que les éléments de discours concernant ces présentations ne peuvent pas être retenus contre Novartis.

444. La seule présentation par Novartis de l'étude « CATT » à un an ne peut donc fonder le reproche d'une présentation différenciée des études scientifiques. En outre, la Cour relève que Novartis a adressé un courrier à diverses autorités publiques en date du 9 mai 2011 (cote 3080) où elle précise que « les auteurs [de l'étude CATT à un an] notent que la puissance statistique est insuffisante pour détecter des effets secondaires sérieux » de sorte qu'il ne peut lui être reproché d'avoir tenu un discours institutionnel tendant à taire les limites méthodologiques de cette étude ou a faire une présentation sélective et biaisée de ses résultats.

445. S'agissant, enfin, du rappel de la responsabilité encourue par les médecins, l'Autorité a expliqué au paragraphe 833 de la décision attaquée que « Novartis a insisté sur la responsabilité civile et pénale des professionnels de santé qui prescriraient Avastin hors AMM ».

446. S'agissant de la période examinée par la Cour (les années 2008 à 2011), il y a lieu de relever, à l'instar de l'Autorité (§ 834), les pièces suivantes :

dans les documents de préparation du « media training », en vue d'une conférence au Club francophone des spécialistes de la rétine, début 2008, Novartis indique : « Par conséquent, les médecins qui utilisent Avastin en dehors de son indication le font à titre expérimental et engagent leur responsabilité civile en cas de complication » (cote 3593)';

dans les messages clés et réponses à objections présentés lors de la réunion « Advocacy Lucentis » en mai 2010,il est indiqué « le médecin peut engager sa responsabilité civile, pénale, administrative et disciplinaire si la prescription hors AMM d'un produit n'est pas justifiée » (cote 2138)';

dans l'« Elevator Speech » de juin 2010, il est précisé : « Le médecin et le pharmacien engagent leurresponsabilité » (cote 13991)';

' la présentation intitulée « Lucentis Defend Plan » d'avril 2011 évoque l'affaire du Mediator dans les termes suivants : « Legal issues and physician liabilities regarding off label prescriptions is also to be highlighted in a Mediator crisis context » (cote 14110). Traduction libre : « Les questions juridiques et la responsabilité des médecins concernant les prescriptions hors AMM sont également à souligner dans un contexte de crise du Médiator ».

447. L'Autorité conclut que cette référence à la responsabilité des médecins concourt à l'exagération des risques liés à l'utilisation d'Avastin hors AMM et participe du dénigrement qu'elle reproche à Novartis.

448. Toutefois, en l'absence d'études préalables à la commercialisation de l'Avastin sur le marché de la DMLA, et dans le contexte scientifique dans lequel le discours s'inscrivait, qui faisait à l'époque ressortir l'existence d'effets indésirables supplémentaires dans le cas de l'Avastin, le rappel de la responsabilité juridique susceptible d'être encourue par les médecins était fondé en droit et ne manquait ni de mesure ni de prudence dans l'expression.

449. Par ailleurs, la référence à l'affaire du Médiator était pertinente à l'époque et ne présentait, compte tenu de l'ampleur et de la gravité des faits, aucun caractère disproportionné. Il convient ici de rappeler que l'appréciation du risque lié à l'utilisation hors AMM de l'Avastin a évolué dans le temps, le consensus concluant à l'absence d'effet secondaire significatif de ce médicament pour le traitement de la DMLA ne s'étant formé qu'en 2014.

450. En conclusion, le rappel par Novartis de la responsabilité des médecins, qui s'inscrivait dans le débat d'intérêt général suscité par la prescription massive d'un médicament hors AMM, n'a ainsi pas méconnu les limites de la liberté d'expression.

D. Conclusion sur les pratiques en rapport avec le premier grief

451. Les pratiques mentionnées à l'article 1 de la décision attaquée, lu à la lumière du grief n° 1, ne sont pas établies. La décision de l'Autorité sera réformée en conséquence en ses articles 1 et 3.

V. SUR LE SECOND GRIEF

452. Comme les entreprises sanctionnées l'on admit à l'audience, le dispositif de la décision attaquée doit être lu à la lumière des motifs dont il résulte que les pratiques sanctionnées englobent tant le discours que le comportement de blocage, expressément visés par le grief notifié.

453. La période infractionnelle ayant été circonscrite à celle du 7 avril 2008 au 30 décembre 2011, seul le comportement des entreprises en cause au cours de cette période sera apprécié par la Cour pour déterminer si, comme l'a retenu l'Autorité, elles ont adopté un comportement de blocage administratif et diffusé un discours alarmiste voire trompeur auprès des autorités publiques sur les risques liés à l'utilisation de l'Avastin pour le traitement de la DMLA et autres affections associées.

A. Sur les pratiques reprochées à Roche

454. Dans la décision attaquée, l'Autorité a considéré, en premier lieu, que le refus opposé par Roche, entre le 7 avril 2008 et le 22 juin 2009, de satisfaire à la demande de l'AFSSAPS, faite par courrier du 27 février 2008, de lui transmettre des échantillons d'Avastin ainsi que certains autres produits en vue de conduire une étude de stabilité, caractérisait une forme de blocage administratif (§ 1053, « le défaut de communication par Roche des informations demandées par l'AFSSAPS en 2008 a conduit à retarder la mise en place de l'étude GEFAL »).

455. En deuxième lieu, l'Autorité a retenu que, par un courrier du 26 mai 2011 adressé à l'AFSSAPS, Roche a fait « une présentation sélective et biaisée des résultats des études scientifiques comparant l'efficacité et la sécurité de l'utilisation d'Avastin et de Lucentis en ophtalmologie » (§ 1077 renvoyant au § 962).

456. Elle a précisé que « s'il est exact que le dossier ne contient pas la preuve d'échanges entre Roche et les autorités publiques entre juin 2009 et mai 2011, il convient de retenir la continuité des pratiques reprochées à Roche dans la mesure où il n'existe pas de preuve ou d'indice pouvant laisser penser que l'infraction s'est interrompue » (§ 1076).

457. L'Autorité a ajouté au paragraphe 1254 de la décision attaquée que « le discours de Roche et de Novartis, avec le soutien de Genentech, visait également à retarder l'adoption des dispositions législatives établissant le principe d'une RTU pour l'usage d'Avastin pour le traitement de la DMLA » et conclut au paragraphe 1257 que « [p]ar conséquent, le discours de Roche et Novartis, avec l'aide de Genentech, a directement contribué au retard de l'adoption des dispositions législatives nécessaires à l'encadrement et la sécurisation de l'usage d'Avastin en ophtalmologie ».

458. L'Autorité, de façon synthétique, indique (§ 924) qu' « il ressort des pièces du dossier que les laboratoires membres de l'entité collective ont mis en œuvre des comportements de blocage administratif et sont intervenus de façon inappropriée dans le débat public, par le biais d'un discours alarmiste, voire trompeur, sur les risques liés à l'utilisation d'Avastin en ophtalmologie. »

459. Roche conteste chacun de ces points.

460. À titre liminaire, Roche prétend que l'Autorité, par ses observations devant la Cour (en ses paragraphes 540, 585, 596, 632, ainsi que 864 et 865), procède à une reformulation aggravante du second grief en ce qu'elle affirme que les pratiques reprochées à Roche ont eu pour objet et pour effet de « bloquer ou ralentir les initiatives [publiques] visant à favoriser l'usage d'Avastin en ophtalmologie » (soulignement et surlignement ajoutés par Roche).

461. Roche relève que l'Autorité admet qu'il n'était pas reproché à Roche d'avoir empêché l'adoption d'un protocole thérapeutique temporaire (PTT) et qu'elle concède que les dispositions de la loi Bertrand ne permettaient pas l'adoption d'une RTU pour l'Avastin (obs. § 864 et 865).

462. La requérante rappelle la formulation du second grief, qui vise les initiatives des pouvoirs publics pour « autoriser administrativement Avastin » dans le traitement de la DMLA. Elle ajoute que l'Autorité a étendu, dans ses observations, le champ de la notification de grief, qui était cantonnée à la DMLA, à d'autres pathologies. Elle conclut à la violation des droits de la défense.

463. Sur le fond, Roche explique que son refus temporaire de communiquer des échantillons, d'une part, ne peut être analysé comme le fait d'avoir « sciemment entravé la mise en œuvre par l'AFSSAPS de ses missions », d'autre part, a été sans conséquences sur le déroulement de l'étude « GEFAL ».

464. Roche soutient encore qu'elle était en droit, en considération du risque d'atteinte à sa réputation auquel l'usage de l'Avastin hors AMM l'exposait, de communiquer sur les risques qui en découlaient, et qu'au demeurant rien dans ses différentes communications n'était alarmiste ni a fortiori trompeur.

465. Elle conteste l'exploitation par l'Autorité de précédents relatifs au dénigrement de médicaments concurrents alors que Roche ne communiquait que sur son propre produit. Elle dénie encore la pertinence de précédents visant la diffusion de discours auprès de médecins non avertis, alors qu'il lui est reproché sa communication avec une autorité de santé. Elle conteste enfin l'assimilation d'un discours trompeur, qu'elle prétend ne pas avoir tenu, à des propos simplement alarmistes.

466. Roche conteste que ses communications aient revêtu un quelconque caractère abusif, la référence aux incertitudes scientifiques relatives au profil de tolérance de l'Avastin ne constituant pas un discours alarmiste. Elle ajoute que le scandale du Médiator, alors en cours, légitimait de plus fort son comportement.

467. Dans ses observations, l'Autorité précise que « la décision ne fait pas grief à Roche d'avoir voulu exprimer auprès de l'AFSSAPS son opinion quant à l'opportunité de développer l'usage de l'Avastin en ophtalmologie, mais bien d'avoir refusé de transmettre les éléments sollicités par cette autorité. (') En effet, la simple formulation de telles réserves ne faisait pas obstacle à la réalisation de l'étude de stabilité, au contraire de son refus de transmettre les échantillons ».

468. L'Autorité commente ensuite la teneur de la décision attaquée, tout en procédant à des développements tendant à reprocher à Roche d'avoir voulu « bloquer ou ralentir les initiatives [publiques] visant à favoriser l'usage d'Avastin en ophtalmologie ».

469. S'agissant du courrier du 26 mai 2011, l'Autorité centre ses critiques sur l'absence de prise en compte par Roche des observations faites par le professeur [Z], point que la décision attaquée avait déjà relevé (§ 962).

470. Le ministre chargé de l'économie développe une argumentation similaire à cette de l'Autorité, de même que le ministère public.

Sur ce, la Cour,

471. S'agissant du moyen d'annulation liminaire, il convient de rappeler que la Cour est saisie d'un recours formé contre une décision de sanction, dont le périmètre est délimité par la notification de griefs et dont l'objet est défini par son dispositif et ses motifs. L'argumentation présentée par l'Autorité devant la Cour, dès lors qu'elle ne constitue pas le fondement de la décision attaquée, n'est donc pas de nature à entraîner son annulation.

472. Par ailleurs, comme il a été dit précédemment (§ 235 du présent arrêt), le moyen soulevé par Roche selon lequel l'Autorité n'aurait pas été saisie du cas des marchés connexes, concernant certaines pathologies oculaires autres que la DMLA, doit être écarté.

473. Le moyen d'annulation liminaire sera en conséquence écarté.

474. Sur le fond, s'agissant, en premier lieu, du refus initial de Roche de fournir les échantillons demandés par l'AFSSAPS en février 2008 (cote 16 398) en vue de réaliser une étude de stabilité de ce médicament dans le cadre de l'étude « GEFAL », l'Autorité indique (décision attaquée, § 119 et 120) que cette étude « c'est une étude multicentrique (38 sites) de non-infériorité, réalisée en France entre mars 2009 et juillet 2012 par les Hospices civils de [Localité 17]. (') Son objectif principal était de « montrer la non-infériorité, en termes d'efficacité clinique à 12 mois, du bevacizumab [Avastin] par rapport au ranibizumab [Lucentis] sur l'acuité visuelle de patients atteints de dégénérescence maculaire liée à l'âge (DMLA) néovasculaire rétrofovéolaire ». L'étude intégrait également un ensemble d'objectifs secondaires, notamment : « évaluer et comparer la tolérance à 12 mois des traitements par bevacizumab [Avastin] et ranibizumab [Lucentis] au niveau local et systémique » (cote 2282) » et que « [s]es résultats ont été publiés en novembre 2013 (cotes 14547 à 14556), mais rendus publics par le Professeur [XH]', directeur de l'étude, dès le mois de mai 2013, lors du congrès de l'ARVO (« Association for Research in Vision and Ophthalmology ») (cotes 15846 à 15877) ».

475. Dans son courrier de février 2008, l'AFSSAPS exprimait sa demande auprès de Roche en ces termes (cote 16 398) :

« Pour réaliser notre étude de stabilité sur 15 jours (comme cela a été décidé compte tenu du protocole clinique), nous avons besoin de 20 flacons d'Avastin. De plus, nous souhaiterions pouvoir disposer de vos références internes (rhu Mab VEGF standard et control) recombinant VEGF'; ainsi que des cellules HUVEC à 2,5.106 cellules par ampoule (4 ampoules) avec le milieu de culture complet (avec facteur d'attachement) permettant 3 ou 4 essais. »

476. Roche a satisfait à cette demande par la remise de divers échantillons le 22 juin 2009 (cote 16 408).

477. Dans son audition du 6 juin 2018, le professeur [H], en charge de l'étude « GEFAL », a notamment indiqué (cote 16 575) :

« Pouvez-vous décrire la mise en place et le déroulement de GEFAL''

[...] Comme l'AFSSAPS ne pouvait pas être promoteur de l'étude, j'ai proposé que ce soit les HCL qui soient promoteurs, et c'est comme ça que s'est lancé GEFAL. ['] J'ai beaucoup travaillé sur la méthodologie de cette étude. On a eu des difficultés dans le recrutement des patients [']. Le recrutement s'est étalé de 2009 à 2011 pour des résultats en 2013. [']

La question de stabilité de la solution de bevacizumab a-t-elle posé problème''

Non, mais elle a été étudiée de près. C'est l'AFSSAPS qui a fait l'étude dans son laboratoire de [Localité 18]. On avait fait très attention de faire cette étude de stabilité avant le démarrage de GEFAL. [']. »

478. Il résulte de cette audition que l'étude de la stabilité d'une solution d'Avastin a constitué un préalable nécessaire au lancement de l'étude « GEFAL ». Il y a dès lors lieu de considérer que le délai dans lequel Roche a répondu à la demande de l'AFSSAPS, qui a atteint près de seize mois, a effectivement retardé le lancement de cette étude « GEFAL ».

479. Toutefois, dans la mesure où, comme il a déjà été indiqué, à compter de la loi Bertrand, entrée en vigueur en décembre 2011, l'Avastin n'était plus juridiquement substituable au Lucentis, il est indifférent que l'étude ait pu, potentiellement, être publiée seize mois plus tôt, soit en janvier 2012. Il en résulte que le délai de réponse de Roche n'a pas pu avoir d'effet anticoncurrentiel.

480. S'agissant, en deuxième lieu, du courrier du 26 mai 2011, il convient à titre liminaire de rappeler qu'en l'espèce, l'Autorité reproche, non pas « une pratique de dénigrement », comme dans le cas du premier grief, mais des propos « alarmistes voire trompeurs ».

481. Dans son courrier du 16 mai 2011 (cote 6 876 du dossier de l'Autorité), l'AFSSAPS interrogeait Roche sur ses intentions concernant l'usage de l'Avastin dans le traitement de la DMLA et, faisant référence notamment à l'étude

« GEFAL » alors toujours en cours, ainsi qu'au risque lié aux modalités de préparation du produit, indiquait être prête à examiner la mise en place d'un protocole thérapeutique temporaire (ci-après « PTT »),

« sous réserve que les laboratoires Roche s'engagent à déposer, dans un avenir proche, une demande d'AMM dans cette indication avec une présentation adaptée à cet usage ».

482. Dans sa réponse adressée par lettre du 26 mai 2011 (cotes 16 424 à 16 426 ), Roche indiquait :

« [...] Au sujet des données récentes publiées, nous souhaitons vous faire part de nos commentaires ci-dessous :

L'étude CATT était une étude de non-infériorité comparant l'efficacité et la tolérance d'Avastin et de Lucentisdans la DMLA. Le critère primaire a été atteint, montrant qu'Avastin n'était pas inférieur au Lucentis sur l'acuité visuelle après un an de traitement. Cependant l'analyse des critères secondaires, incluant la réduction de l'épaisseur rétinienne et la capacité à faire disparaître le liquide sous rétinien, a montré une supériorité significative de Lucentis. Par ailleurs, bien que l'étude CATT n'était pas suffisamment puissante pour détecter des différences sur les effets indésirables, rares mais potentiellement graves, le taux d'effets indésirables graves, essentiellement des hospitalisations, était significativement plus élevé chez les patients traités par Avastin que chez les patients traités par Lucentis (24 % vs 19 %, p = 0,004).

Gower et al, ont présenté des données issues d'une large rétrospective sur 77 886 patients (bénéficiaires de Medicare), qui comparaît le profil relatif de tolérance d'Avastin et de Lucentis dans le traitement de la DMLA. Les résultats ont montré un risque augmenté de 11 % de la mortalité globale (Risque relatif : 1,11 ; IC 99 % : 1,01 -1,23) et un risque augmenté de 57 % d'accident vasculaire cérébral hémorragique (Risque relative : 1,57 ; IC 99 % : 1,04- 2,37) dans le groupe Avastin. Aucune différence statistiquement significative n'a été identifiée pour le risque d'infarctus du myocarde ou d'accidents vasculaires ischémiques cérébraux. Bien que cette étude soit limitée du fait d'une information incomplète sur certaines facteurs confondants (par exemple tabac, statut lipidique et hypertension artérielle) elle suggère une différence potentiellement importante dans le profil de tolérance des deux molécules dans le traitement de la DMLA.

Ainsi les résultats de ces études montrent des différences potentiellement importantes entre les profils de tolérance d'Avastin et de Lucentis dans le traitement de la DMLA. Le risque d'effets indésirables graves est potentiellement plus élevé lors d'une utilisation hors-AMM intra-vitréenne d'Avastin. Lucentis a été rigoureusement étudié dans 18 essais cliniques ayant inclus plus de 7 100 patients. Son profil de tolérance est bien établi, il a été autorisé dans le traitement de la DMLA par diverses Autorités de Santé dont l'EMA.

En conséquence, nous restons convaincus que Lucentis est le traitement le plus approprié pour la DMLA et n'envisageons pas de développer Avastin dans cette indication ou d'autres indications ophtalmiques. Nous continuons à concentrer tous nos efforts à développer Avastin en cancérologie où les besoins thérapeutiques ne sont pas encore satisfaits. ['] ».

483. La Cour relève que l'AFSSAPS expliquait dans son courrier conditionner la mise en place d'un PTT (protocole thérapeutique temporaire) à l'engagement de Roche de déposer dans un avenir proche une demande d'AMM dans cette indication.

484. À cet égard, l'Autorité ne reproche pas à Roche son refus de commercialiser l'Avastin sur le marché du traitement de la DMLA (décision attaquée, § 961, « (...), contrairement à ce que soutient Roche, il n'est pas reproché au laboratoire d'avoir décidé de ne pas développer Avastin pour des indications en ophtalmologie »), et ne le qualifie pas en tant que tel de pratique anticoncurrentielle.

485. La décision de Roche de ne pas demander d'AMM complémentaire pour l'Avastin relevait en effet de sa libre appréciation.

486. Dans ce contexte, dès lors que, d'une part, l'AFSSAPS avait fait de l'engagement de Roche de demander une AMM concernant l'Avastin pour des indications thérapeutiques en ophtalmologie une condition préalable et, d'autre part, qu'il ne peut être reproché à Roche de ne pas avoir formé une telle demande, la question de savoir si les propos tenus par Roche pour s'opposer à l'utilisation de l'Avastin hors AMM étaient « alarmistes, voire trompeurs », est inopérante.

487. À titre surabondant, la Cour appréciera si le commentaire par Roche des conclusions des études CATT (à un an) et Gower dans son courrier du 26 mai 2011 apparaît « alarmiste voire trompeur » et donc de nature à induire en erreur l'AFSSAPS.

488. Sur ce point, il convient de rappeler que, par un arrêt du 23 janvier 2018, rendu en grande chambre, (Hoffmann La Roche e.a., C-179/16), dans une affaire ayant donné lieu à une décision de l'autorité nationale de la concurrence italienne de sanction de Roche et Novartis pour entente, concernant précisément l'Avastin et le Lucentis, la Cour de justice de l'Union a répondu à une question préjudicielle du Conseil d'État italien visant à savoir, en susbstance, « si l'article 101, paragraphe 1, TFUE doit être interprété en ce sens que constitue une restriction de la concurrence « par objet », au sens de cette disposition, l'entente entre deux entreprises commercialisant deux médicaments concurrents, qui porte sur la diffusion, dans un contexte marqué par une incertitude des connaissances scientifiques en la matière, d'informations sur les effets indésirables de l'utilisation de l'un de ces médicaments pour des indications non couvertes par l'AMM de celui-ci, aux fins de réduire la pression concurrentielle résultant de cette utilisation sur un autre médicament couvert par une AMM visant ces indications » (point 77 de l'arrêt).

489. En réponse à cette question, la Cour de justice a donné des précisions, notamment, sur ce qu'il convient d'entendre par informations trompeuses dans un système de pharmacovigilance ' placé sous le contrôle de l'EMA (l'Agence européenne du médicament), en coordination avec les agences nationales compétentes en matière pharmaceutique ' auquel la règlementation européenne soumet un médicament tel que l'Avastin :

« ['] s'agissant du caractère trompeur des informations en cause, il convient de considérer que les informations dont la communication à l'EMA et au public a, (...) fait l'objet d'une entente entre Roche et Novartis devraient, à défaut de répondre aux critères d'exhaustivité et d'exactitude énoncés à l'article 1er, point 1, du règlement n° 658/2007, être qualifiées de trompeuses si, ce qu'il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier,

Lesdites informations visaient, d'une part, à induire l'EMA et la Commission en erreur et à obtenir l'ajout de la mention d'effets indésirables dans le résumé des caractéristiques de ce produit, afin de permettre au titulaire de l'AMM d'engager une campagne de communication auprès des professionnels de la santé, des patients et des autres personnes concernées dans le but d'amplifier artificiellement cette perception,

et, d'autre part, à exagérer, dans un contexte d'incertitude scientifique, la perception par le public des risques liés à l'utilisation hors AMM de l'Avastin, compte tenu, notamment, du fait que l'EMA et la Commission n'ont pas modifié le résumé des caractéristiques de ce médicament en ce qui concerne ses « effets indésirables », mais se sont bornées à émettre des « mises en garde spéciales et précautions d' emploi » (§ 92).

490. Il résulte de cet arrêt de la CJUE que des propos qui tendent à exagérer, dans un contexte d'incertitude scientifique, la perception des risques liés à l'utilisation hors AMM de l'Avastin, et que l'on peut donc considérer comme alarmistes, concourent à la caractérisation d'informations trompeuses.

491. La Cour examinera les propos en cause à la lumière à la fois des développements de l'arrêt précité de la CJUE (affaire C-179/16), et de la jurisprudence de la CEDH sur l'article 10 de la CSDH.

492. Tout d'abord, le discours est fondé sur une base factuelle suffisante au sens de la jurisprudence de la CEDH précitée. En effet, ce courrier se réfère à des études déjà publiées et connues de l'AFFSAPS et il n'est pas prétendu que les mentions des conclusions de ces études seraient erronées. S'agissant de l'étude « CATT », le courrier reprend ainsi précisément ses conclusions (« The proportion of patients with serious systemic adverse events (primarily hospitalizations) was higher with bevacizumab than ranibizumab (24.1% vs. 19.0%'; risk ration, 1.29'; 95% confidence interval, 1.01 to 1.66 ») (cotes 63-64).

493. La réponse de Roche apparaît également mesurée dans son expression. Ainsi, le laboratoire mentionne les limites de l'étude « CATT », en raison d'une puissance insuffisante, ainsi que celles de l'étude « Gower », du fait d'une information incomplète sur certains facteurs de comorbidité.

494. Ce courrier, qui intervient au surplus dans le contexte d'un débat d'intérêt général, n'excède ainsi pas les limites de la liberté d'expression.

495. Ensuite, l'Autorité n'identifie aucun élément spécifique du courrier de Roche qui serait de nature à démontrer son caractère alarmiste voire trompeur et n'en cite aucun passage à titre d'illustration.

496. En revanche, elle reproche, en substance, à Roche de ne pas y avoir intégré les observations formulées par le professeur [Z] (décision attaquée, § 457 s., § 962, observations, § 499, cotes 6943 à 6945) sur le projet de réponse à l'AFFSAPS que Roche lui avait communiqué à titre informel, dont l'Autorité précise (§ 962) qu'il était vice-président de la commission AMM de l'AFSSAPS (cote 1602).

497. Ce laboratoire avait en effet communiqué par un courriel du 17 mai 2011 envoyé à l'adresse professionnelle du professeur (« [...]@lrb.aphp.fr », cote 6943) le projet de réponse, rédigé en anglais, qu'elle avait préparé à l'attention de l'AFSSAPS. Ce courriel, était ainsi rédigé : « Coucou JF, merci pour la discussion cet aprem. Comme convenu, je t'envoie cela informellement pour ton info draft quasi fini. On a prévu un envoi officiel. [...] ».

498. Le professeur écrit dans le corps du projet de réponse de Roche à l'AFSSAPS, au sujet de l'étude « CATT » (cote 6945) « En fait pas de différence sur les effets vasculaires ou infectieux, seule différence sur les "autres effets systémiques sérieux et en particulier gastro" qui mélangent tout (hémorragies digestives avec nausées...) qui ne sont pas tous sévères et qui (pour des comparaisons multiples) ne conduit qu'a un p=0,04. pour des comparaisons multiples on est en droit de diviser la valeur du p par le nombre de comparaisons et alors ça n'est plus statistiquement significatif !!! ».

499. Tandis que dans son courriel en réponse à Roche, il conclut que si le Lucentis est le traitement le plus approprié, son prix est trop élevé, et que du point de vue d'un acheteur hospitalier, les éventuelles différences entre les deux médicaments ne justifient pas la différence de prix, l'intéressé précise encore qu'il s'agit de « Quelques remarques au fil de la lecture dans le texte ci-dessous ; remarques dures et peut-être un peu injustes mais pas tant que ça et à l'image des réflexions de beaucoup (et c'est plus utile d'être dur, ça permet de savoir comment répondre') »'(soulignement ajouté ; cote 6943).

500. Les observations du professeur [Z] s'analysent ainsi en une critique scientifique des conclusions de l'étude « CATT » à un an associé à des considérations financières, dont l'auteur admet lui-même qu'elle est sévère, voire injuste, ce qui devait conduire à considérer son contenu avec prudence.

501. En outre, la conclusion de Roche d'une différence « potentiellement importante entre les profils de tolérance d'Avastin et de Lucentis dans le traitement de la DMLA » reflétait l'état des connaissances de l'époque, sans exagérer, dans le contexte d'incertitude scientifique qui existait alors, la perception des risques liés à l'utilisation hors AMM de l'Avastin.

502. Dès lors, ni les termes de cette lettre ni l'absence de reprise des observations du professeur [Z] ne lui confèrent un caractère alarmiste ou trompeur de nature à induire en erreur l'AFSSAPS.

503. S'agissant de la période intermédiaire qui s'est écoulée de juin 2009 à mai 2011, l'Autorité procède par présomption pour conclure à la continuité des pratiques reprochées à Roche (décision attaquée, § 1076, « ['] s'il est exact que le dossier ne contient pas la preuve d'échanges entre Roche et les autorités publiques entre juin 2009 et mai 2011, il convient de retenir la continuité des pratiques reprochées à Roche, dans la mesure où il n'existe pas de preuve ou d'indice pouvant laisser penser que l'infraction s'est interrompue »).

504. La Cour, cependant, considère qu'il n'y a pas lieu de retenir une telle présomption, aucun des comportements reprochés par l'Autorité à Roche entre avril 2008 et mai 2011 n'étant retenu.

505. Par ailleurs, l'AFSSAPS a procédé le 16 septembre 2011 à un point d'information (cote 49 619) qui indique (§85 du présent arrêt) que « [d]es travaux de recherche clinique sont en cours pour préciser l'intérêt du médicament dans cette indication, non autorisée en Europe. Au vu de premiers résultats encourageants, l'AFSSAPS a sollicité le laboratoire Roche qui ne souhaite pas entreprendre, à ce stade, de développement d'Avastin en ophtalmologie ».

506. L'Autorité considère (décision attaquée, § 1039) que le fait pour l'AFSSAPS d'avoir ainsi relayé les réserves de Roche témoigne de l'impact des interventions de Roche auprès d'elle, de nature à décourager la promotion par les autorités publiques d'un plus large recours à l'Avastin dans le traitement de la DMLA, et plus généralement en ophtalmologie.

507. Cependant, un tel communiqué se borne à faire état de premiers résultats d'études encourageants et durefus de Roche de développer à ce stade l'Avastin en ophtalmologie. Il ne peut donc en être déduit un quelconque impact des propos de Roche à l'égard de l'AFSSAPS. En outre, comme il a déjà été exposé, il ne peut être reproché à Roche son refus de déposer une demande d'AMM de l'Avastin pour des indications thérapeutiques en ophtalmologie.

508. Il résulte de ce qui précède qu'il n'est pas établi que Roche ait commis les pratiques visées à l'article 2 de la décision attaquée, lu à la lumière du grief n° 2, pendant la période considérée par la Cour.

509. La décision attaquée sera donc reformée de ce chef, sans qu'il y ait lieu d'examiner les autres moyens présentés par Roche.

B. Sur les pratiques reprochées à Novartis

510. Dans la décision attaquée, l'Autorité a sanctionné Novartis pour avoir pris part aux pratiques visées par le grief n° 2 à compter du 9 mai 2011 (décision attaquée, § 1072) en multipliant les démarches vis à vis des autorités de santé et des pouvoirs publics dans un contexte de débat public concernant l'utilisation d'Avastin hors AMM pour le traitement de la DMLA (Décision, § 975) et en diffusant « aux autorités publiques un discours alarmiste et trompeur, insistant de manière univoque sur les effets secondaires liés à l'utilisation d'Avastin en ophtalmologie, en opposition avec le profil de sécurité établi de Lucentis » (§ 975). « Ce faisant, Novartis a cherché à faire obstacle à la volonté des pouvoirs publics d'encadrer et de sécuriser les conditions d'usage d'Avastin dans le traitement de la DMLA (...) » (§ 977).

511. Si l'Autorité a précisé que « ce n'est pas le principe même de l'intervention du laboratoire auprès des autorités publiques qui est visé dans le grief notifié, mais bien la teneur et les modalités de son discours » (§ 980), elle a ajouté qu'il « peut être reproché à un laboratoire de diffuser auprès d'autorités publiques un discours, dont le contenu est trompeur, en ce qu'il exagère les risques liés à l'utilisation d'un médicament hors AMM, dans un contexte d'incertitude scientifique, afin de bloquer ou ralentir, indûment, les initiatives des pouvoirs publics qui envisagent d'en encadrer et sécuriser l'usage pour la ou les indication(s) thérapeutique(s) concernée(s) » (§ 983) et que « dès lors, c'est au regard du contenu des échanges entre Novartis et les autorités publiques, et du contexte dans lequel ils se sont inscrits, que le comportement du laboratoire doit être appréhendé » (§ 984).

512. L'Autorité a retenu (§ 986) à titre d'illustration, le courrier du 9 mai 2011 de Novartis en réaction à un article publié dans le journal « Le Figaro » « adressé à un grand nombre d'acteurs institutionnels dans la définition de la politique de santé (comme le CEPS, l'AFSSAPS et le ministère de la santé, mais également la présidence de la République ou le Premier ministre) », et par lequel « Novartis a invité les autorités de santé à prendre position sur les messages portés par les médias tendant à inciter les professionnels de santé à utiliser Avastin « hors AMM », en insistant sur « les risques pour les patients » et les « conséquences importantes en termes de sécurité sanitaire » liés à une telle utilisation (cote 3081) ».

513. Elle a ajouté (§ 1006) que « (') dans son courrier du 9 mai 2011 (...), Novartis a indiqué que « les différents signaux de tolérance liés à l'utilisation hors AMM d'Avastin en injection intra-vitréenne aujourd'hui identifiés dans les trois études précitées [CATT, Curtis et Gower] sont sérieux et ne doivent pas être négligés » (cote 3081).

Plus spécifiquement, Novartis a présenté uniquement les résultats des études Curtis et Gower, mentionnant l'existence d'effets secondaires graves plus importants pour un traitement avec Avastin qu'avec Lucentis, et passé sous silence les limites méthodologiques de ces deux études et les conclusions nuancées de leurs auteurs. (cf. paragraphes 98 à 103 de la présente décision) ».

514. Sur ce courrier, l'Autorité a conclu au paragraphe 1008 que « le fait que Novartis ait ainsi agi, atteste au contraire de sa volonté d'intervenir directement auprès des autorités saisies pour étudier et, le cas échéant, décider de l'encadrement éventuel des prescriptions d'Avastin « hors AMM » en ophtalmologie. Or, comme souligné ci-dessus (cf. paragraphe 981 de la présente décision), si le principe des actions de défense de ses intérêts (ou« lobbying ») d'un laboratoire pharmaceutique ne saurait être remis en question, en revanche, un comportement visant, par la diffusion d'un discours dont le contenu est trompeur, en ce qu'il exagère les risques liés à l'utilisation d'un médicament « hors AMM » dans un contexte d'incertitude scientifique, à bloquer ou ralentir indûment les initiatives des pouvoirs publics qui envisagent de favoriser et sécuriser son usage pour le traitement de la DMLA, peut constituer une immixtion indue dans le processus décisionnel des autorités publiques, susceptible d'être contraire aux articles 102 du TFUE et L. 420-2 du code de commerce ».

515. L'Autorité a également souligné (même paragraphe) que « la réponse de Novartis à l'article du Figaro a eu une diffusion plus étendue qu'il prétend : ses arguments ont en effet été relayés auprès d'un public plus large, puisqu'ils figurent dans la dépêche APM qui, selon les termes mêmes de Novartis « reprend quasi l'ensemble de nos arguments ! » (Cote 3072). »

516. Novartis soutient que ses communications aux autorités publiques, qui ne visaient qu'à tenter de les influencer dans le cadre de la marge d'appréciation qui leur appartient, sur la base d'informations publiquement disponibles et dans le contexte d'un débat public d'intérêt général, ne relèvent pas du champ d'application du droit de la concurrence.

517. Le laboratoire dénie également tout caractère trompeur à ses communications.

518. Novartis soutient enfin que ses communications n'ont pas qu'une dimension commerciale mais relèvent éminemment de la liberté d'expression, en raison de leur caractère politique et scientifique, dès lors que la recherche dépend de la conviction des investisseurs que la rivalité entre traitements susceptibles d'être remboursés se déroulera entre des médicaments soumis aux mêmes contraintes sanitaires et réglementaires.

519. En réponse, l'Autorité maintient son argumentation initiale, précisant toutefois que le choix de Novartis d'adresser son courrier du 9 mai 2011 à différentes autorités publiques ne faisait pas l'objet d'une quelconque critique de sa part (§ 554).

520. Le ministre chargé de l'économie développe une argumentation analogue, de même que le ministère public.

Sur ce, la Cour,

521. La lettre adressée par Novartis en date du 9 mai 2011 constitue le seul élément du dossier de l'Autorité susceptible de fonder le grief n° 2 pendant la période où l'Avastin pouvait être légalement prescrit (jusque fin 2011) pour le traitement de la DMLA.

522. Ce courrier intervient dans le contexte d'un débat d'intérêt général très vif portant sur les mérites respectifs de l'Avastin et du Lucentis pour le traitement de la DMLA au regard de leur efficacité et au regard de leur profil de tolérance. Il présente un caractère public en raison de sa large diffusion auprès d'un grand nombre d'acteurs institutionnels (le CEPS, l'AFSSAPS, le ministère de la santé, la présidence de la République, le Premier ministre) en réaction à la parution le 6 mai 2011 d'un article dans le Figaro, quotidien national généraliste (cotes 43 et suivantes).

523. Cet article contenait ainsi, notamment, les passages suivants :

« (') En effet, depuis 2007, a été autorisée sur le marché mondial une molécule commercialisée en France par Novartis, le Lucentis, et qui, injectée dans l''il à intervalles réguliers, contribue à stabiliser, voire à faire régresser la maladie. Le coût de ce produit, 1200 euros la dose, pourrait faire exploser le budget de l'Assurance-maladie si tous les patients qui en ont besoin en bénéficiaient. Or il se trouve qu'une autre molécule, prescrite habituellement dans le cancer du côlon, l'Avastin (laboratoire Roche) en injection intra-oculaire présente les mêmes effets que le Lucentis. À la différence près que la dose d'Avastin coûte seulement 30 euros.

(') paradoxalement, jusqu'à présent, le seul médicament autorisé contre cette maladie est le plus cher. Avec le prix d'une dose de Lucentis, on pourrait traiter 40 malades avec l'Avastin. Est-il éthique que l'Assurance-maladie continue à rembourser avec les cotisations sociales, le produit le plus cher « Peut-on, comme le font certains médecins courageux, injecter l'Avastin dans la DMLA, alors qu'il n'a pas d'autorisation officielle ». Il y a là un paradoxe majeur sur lequel les autorités sanitaires en Europe feraient mieux de se pencher rapidement, au risque d'un nouveau scandale.

(') plusieurs essais comparant les deux molécules sont mis en route. C'est celui de l'Institut national de la santé américain qui vient d'être divulgué. D'autres études sont en cours. Celle qui vient d'être publiée a pour elle la force de son indépendance puisque financée par des fonds publics. Genentech, qui commercialise aux USA les deux molécules, publiera sous peu une étude aux conclusions différentes, qu'elle a elle-même financée. Et sur laquelle des soupçons planent déjà. »

524. Le courrier de Novartis est ainsi rédigé (cotes 3080 et suivantes) :

« Un article paru dans Le Figaro du 6 mai 2011, repris par de nombreux médias, cite les résultats de l'étude CATT publiée fin avril par le NEJM (i), comparant l'efficacité de Lucentis® à celle d'Avastin® dans la DMLA néovasculaire. Cet article au titre provocateur « Cécité : deux molécules aussi efficaces, l'une à 30 euros, l'autre à 1200 » met en exergue l'équivalence des deux traitements en termes d'efficacité, et note, pour ce qui est des effets secondaires, « une très légère différence en faveur du Lucentis® non significatifs statistiquement. ».

Sans revenir sur les nombreuses inexactitudes de cet article, il en est une qui porte un risque grave de santé publique : l'affirmation concernant la tolérance.

Dans l'article du NEJM, la présence d'effets secondaires systémiques soulève des questions sur la tolérance d'Avastin®. En effet le risque d'accident systémique sévère nécessitant hospitalisation est augmenté de 29 % avec Avastin® par rapport à Lucentis® dans une population de 1208 patients (24,1 % vs 19,0 %, risque relatif de 1,29 avec un intervalle de confiance de 1,01 à 1,66 ; p = 0,04). La tolérance d'Avastin® apparaît inférieure à celle de Lucentis® de façon statistiquement significative, bien que les auteurs notent que la puissance statistique est insuffisante pour détecter des effets secondaires sérieux. Ils recommandent donc de poursuivre les recherches avec des effectifs permettant une puissance statistique plus importante.

De fait, deux autres études de grande ampleur réalisées par des équipes académiques sur la base de données d'assurance américaine Medicare ont été publiées très récemment à ce sujet :

L'étude Curtis (ii) a analysé rétrospectivement les données de près de 40 000 patients atteints de DMLA néovasculaire traités par Avastin® ou par Lucentis® au cours des années 2006-2007. Cette étude a montré un risque de mortalité et d'accidents vasculaires cérébraux significativement plus élevé dans le groupe Avastin® que dans le groupe Lucentis®; augmentation de 16 % du risque de mortalité et de 28 % du risque d'AVC hémorragique.

L'étude Gower (iii) a fait le même type d'analyse sur près de 78 000 patients traités en 2008-2009. Cette étude conclut également à une augmentation du risque de mortalité de 11 %, du risque d'AVC hémorragique de 57 %, et du risque d'inflammation intra-oculaire de 80 % sous Avastin® comparé à Lucentis®.

À la différence d'Avastin®, indiqué dans la prise en charge de certains types de cancers et administré par voie intra-veineuse, notre spécialité Lucentis® a été modélisée spécifiquement pour des indications ophtalmologiques. Sa forme pharmaceutique est spécifiquement adaptée au mode d'administration intra-vitréen et a fait l'objet d'un programme de Recherche et Développement de grande ampleur ayant démontré un rapport bénéfice / risque clairement favorable.

Lucentis® est actuellement disponible en France dans le traitement de la DMLA néovasculaire dans le cadre d'une autorisation de mise sur le marché. Lucentis® est remboursé par l'Assurance Maladie à un prix fixé par les Autorités de santé et bénéficie depuis 2007 d'un Plan de Gestion du Risque avec un suivi de pharmacovigilance de 750'000 patients-années à travers le monde.

Les différents signaux de tolérance liés à l'utilisation hors AMM d'Avastin® en injection intra-vitréenne aujourd'hui identifiés dans les trois études précitées sont sérieux et ne doivent pas être négligés.

Le message porté par les médias est une incitation à l'utilisation hors AMM d'Avastin® en ophtalmologie alors qu'il existe une alternative thérapeutique validée. Il pourrait entraîner des risques pour les patients et avoir des conséquences importantes en termes de sécurité sanitaire.

C'est la raison pour laquelle il nous semble souhaitable que les Autorités de santé prennent position sur les incitations médiatiques à cet usage hors AMM. [FP]

(i) The CATT Research Group. Ranibizumab and Bevacizumab for Neovascular Age-Related Macular Degeneration, New England Journal of Medicine, April 28, 2011 (10.1056/NEJMoa 1102673)

(ii) Curtis LH, Hammill BG, Schulman KA, Cousins SW. Risks of mortality, myocardial infarction, bleeding, and stroke associated with therapies for age-related macular degeneration. Arch Ophthalmol, 2010;128 :1273-9

(iii) Gower EW, Cassard S, Chu L, Varma R, Klein R. Risks of mortality, myocardial infarction, bleeding, and stroke associated with therapies for age-related macular degeneration. Presented at the Association for Research in Vision and Ophthalmology (ARVO) Annual Meeting, May 2011, 08:30-10:15 »

525. Ce courrier doit ainsi être restitué dans son intention véritable. Son objet n'était pas de procéder à une présentation exhaustive de travaux scientifiques, mais d'appeler l'attention des pouvoirs publics sur la question du risque pour la santé publique que peut faire courir l'utilisation d'un médicament hors du champ de son AMM en réaction à l'article de presse précité qui suggérait la quasi équivalence entre les deux médicaments en terme de tolérance et d'effets secondaires.

526. Il convient d'apprécier si le contenu de ce courrier, rapporté à son contexte, apparaît « alarmiste voire trompeur » et s'il excède les limites de la liberté d'expression, étant rappelé que l'Autorité se borne à reprocher à Novartis d'avoir « présenté uniquement les résultats des études Curtis et Gower, mentionnant l'existence d'effets secondaires graves plus importants pour un traitement avec Avastin qu'avec Lucentis, et passé sous silence les limites méthodologiques de ces deux études et les conclusions nuancées de leurs auteurs » (décision attaquée, § 1006).

527. Le courrier de Novartis ne contient en lui-même aucune erreur factuelle. Il n'est notamment pas allégué que les données relatives à la tolérance de l'Avastin extraites des études « Curtis » et « Gower » qui sont mentionnées par Novartis dans son courrier seraient erronées.

528. Il cite précisément, en notes de bas de page, les références des articles auxquels il se réfère, ce qui permet au lecteur intéressé d'approfondir sa connaissance du sujet, ou, dans le cas des destinataires de ce courrier, qui sont des autorités publiques, de faire accomplir ce travail par leurs services. Il repose ainsi sur une base factuelle suffisante.

529. Si ce document fait ressortir la convergence des conclusions des études « Curtis » et « Gower » avec celles de l'étude « CATT », sans mentionner cependant les limites méthodologiques des deux premières, il rappelle que l'auteur de l'étude « CATT » précise lui-même les limites de cette dernière (« les auteurs notent que la puissance statistique est insuffisante pour détecter des effets secondaires sérieux. Ils recommandent donc de poursuivre les recherches avec des effectifs permettant une puissance statistique plus importante »). Il en résulte que le courrier de Novartis n'élude pas dans son principe la question de la limite méthodologique des études scientifiques.

530. Les propos de Novartis ne visent qu'à inciter à la prudence dans l'utilisation d'un médicament hors AMM en l'état d'études scientifiques faisant ressortir l'existence d'une incertitude sur l'utilisation de l'Avastin en ophtalmologie en termes de tolérance et de sécurité.

531. Au regard de ce contexte, il ne saurait être considéré que l'absence de mention des limites méthodologiques des études « Gower » et « Curtis » relève d'un manque de mesure dans l'expression.

532. Le courrier litigieux n'outrepasse pas les limites de la liberté d'expression.

533. Il ne saurait non plus être considéré comme alarmiste voire trompeur dans la mesure où il ne peut être regardé comme tendant à exagérer, dans un contexte d'incertitude scientifique, la perception des risques liés à l'utilisation hors AMM de l'Avastin.

534. Antérieurement au courrier de Novartis du 9 mai 2011, l'AFSSAPS avait, par un point d'information du 10 septembre 2009 (§ 71 du présent arrêt), conseillé la prudence dans l'utilisation de l'Avastin pour le traitement de la DMLA après avoir mentionné, notamment, la probabilité d'une sous-notification des effets indésirables survenant dans cette utilisation sans AMM d'un médicament dont la forme n'était pas adaptée à une administration intravitréenne.

535. Par un courrier du 7 juillet 2011 (cote 3 063, dossier de l'Autorité), l'AFSSAPS, a répondu comme suit à la lettre de Novartis :

« Par lettre du 9 mai 2011, vous souhaitez connaître la position de l'AFFSAPS quant à l'utilisation du bévacizumab (Avastin), hors AMM, dans le traitement de la DMLA.

En effet, suite à la publication dans le New England Journal of Medicine, fin avril 2011, des résultats de l'étude clinique indépendante CATT (1) (comparaison bévacizumab-Avastin versus ranibizumab-Lucentis dans la DMLA néovasculaire), j'ai souhaité connaître les intentions des laboratoires Roche quant à l'usage du bévacizumab dans le traitement de la DMLA, dans la mesure où les résultats récemment publiés, de même que l'essai clinique en cours en France (2), ne permettent plus d'ignorer un intérêt du bévacizumab pour la pratique clinique des ophtalmologistes.

Étant particulièrement soucieux de la sécurité des patients, en l'absence d'évolution du dossier d'enregistrement d'Avastin, l'Agence entend rester sur la position de prudence prise en 2009 (3), position qui rappelle notamment les incertitudes de cet usage au regard de la sécurité des patients du fait d'une forme pharmaceutique inadaptée à cet usage et de données de sécurité limitées.

Il apparaît que le prix de Lucentis génère une utilisation hors AMM d'Avastin en ophtalmologie, situation qui pose un problème des santés publique auquel il conviendrait de trouver rapidement une solution. [...]

(1) Etude publiée en avril 2011 dans le New England Journal of Medicine : Ranibizumab and Bévacizumab for Neovascular Age-Related Macular Degeneration. Ttie GATT Research Group. N Eng J Med 2011.

(2) Le titre de l'étude française actuellement en cours coordonnée par les Hospices Civils de [Localité 17] est : Etude GEFAL (Groupe d'Evaluation Français Avastin versus Lucentis).

(3) Lien sur le site de l'AFFSAPS :

httD://www.afssaDS.fr/Infos-de-securite/Points-d-information/Utilisation-hors-AMM-d-Avastin-R-Point-d- information/%28lanQuaae%29/fre-FR »

536. Il en résulte que le courrier de Novartis n'a pu avoir la moindre influence sur l'AFSSAPS, laquelle était au demeurant parfaitement en mesure de faire une lecture critique des études scientifiques en débat et par ailleurs publiées. La position de l'AFSSAPS s'explique en revanche par le refus de Roche de former une demande d'extension de l'AMM de l'Avastin au traitement de la DMLA (« en l'absence d'évolution du dossier d'enregistrement d'Avastin »).

537. En conséquence, la pratique reprochée n'a pu avoir aucun effet anticoncurrentiel.

538. Il résulte de ce qui précède que les pratiques anticoncurrentielles reprochées à Novartis au titre de l'article 2 de la décision attaquée, lu à la lumière du grief n° 2, ne sont pas établies.

C. Sur les pratiques reprochées à Genentech

539. Dans la décision attaquée, l'Autorité a sanctionné Genentech pour avoir pris part à la communication de Novartis et de Roche faisant l'objet du grief n° 2 (décision attaquée, § 1018 à 1028) en participant à la formulation des réponses à apporter au débat public concernant la commercialisation de ses produits, Avastin et Lucentis, en France et, ce faisant, en ayant « excédé le droit de regard légitime d'un donneur de licence sur le développement de son produit dans de nouvelles indications » (§ 1019). Elle a retenu que Genentech avait transmis à chacun de ses licenciés des informations portant sur les questions de sécurité liées à l'utilisation « hors AMM » d'Avastin en ophtalmologie, afin que celles-ci soient relayées vers les médias et les pouvoirs publics français (§ 1020).

540. Elle a souligné en outre que le rôle particulier de Genentech dans les pratiques en cause se déduisait desliens structurels entre les trois laboratoires, et plus particulièrement de la mise en place de comités de gestion et d'un système institutionnalisé d'échanges d'informations : « Genentech se trouve en effet au système contractuel et opérationnel liant les trois laboratoires, qui lui permet de faire la synthèse des enjeux économiques, juridiques et scientifiques pour Avastin et Lucentis, d'intervenir dans la formulation des principes de positionnement respectif des deux médicaments et de déterminer les réponses à apporter au débat public concernant la commercialisation de ses produits en France » (§ 1027'; cotes 15 765 s.).

541. Au paragraphe 1081 de la décision attaquée, l'Autorité a indiqué que le début de la pratique imputable à Genentech devait être fixée au 28 avril 2011, date d'un message interne adressé par un dirigeant de ce laboratoire aux salariés du groupe Roche (cote 6 930), et que ce message constituait le premier élément d'une série établissant que cette société avait permis à Roche et Novartis de développer un discours très similaire, fondé sur les mêmes éléments techniques.

542. Genentech conteste que les comités de gestion aient eu pour finalité de filtrer les informations qui devaient être communiquées aux autorités françaises. Ils étaient chargés de suivre l'ensemble du cycle de vie des médicaments. Cette société ajoute que ses interventions n'ont porté que sur la question de l'AMM.

543. L'Autorité se réfère à des échanges qui ont eu lieu aux mois de juin et juillet 2012 entre Genentech et Roche afin de définir une réponse coordonnée (cotes 14 706 s.).

544. Le ministre chargé de l'économie développe une argumentation analogue, de même que le ministère public.

Sur ce, la Cour,

545. Pendant la période retenue par la Cour, entre 2008 et 2011, le seul élément relevé par la décision attaquée qui permet de préciser la position de Genentech est un courriel du 28 avril 2011 (cote 6 930) adressé à Roche.

546. Ce courriel indique en substance qu'après une évaluation préliminaire des données, l'étude « CATT » confirme la conviction de Genentech selon laquelle le Lucentis constitue l'option la plus appropriée pour le traitement de la DMLA, par rapport à l'Avastin'; que l'engagement de Genentech envers le Lucentis en tant qu'option la plus appropriée pour le traitement de la DMLA humide est inchangé'; que la décision de développer le Lucentis plutôt que l'Avastin pour la DMLA humide était basée sur ce que Genentech pensait être des considérations importantes pour une utilisation dans l''il et dans le meilleur intérêt des patients : par exemple, pour réduire l'exposition systémique, une partie d'un anticorps a été retirée pour créer le Lucentis, entraînant une élimination 100 fois plus rapide du corps par rapport à l'Avastin. Le courriel conclut que l'Avastin et le Lucentis sont deux médicaments fantastiques qui ont profité à d'innombrables patients dans le monde, mais qui ont chacun été conçus dans un but très différent.

547. Texte source, intégral :

« Today the New England Journal of Medicine published the results of a study involving two of our medicines, the outcome of which may affect the treatment of patients with serious eye disease. The study known as CATT (The Comparison of Age-related Macular Degeneration Treatment Trial) compared Avastin and Lucentis for the treatment of wet age-related macular degeneration or wet AMD. Based on our preliminary évaluation of the data, the outcome confirms our belief that Lucentis is the most appropriate treatment option.

The primary endpoint of the trial was to assess whether Avastin, when injected into the back of the eye is "non- inferior" or similar in efficacy to Lucentis. This primary endpoint (improving a person's ability to read an eye-chart at one year) was met, but looking more closely at the results there are some significant efficacy and safety outcomes that favor Lucentis. For instance, Lucentis was shown to be significantly more effective at removing the fluid in the eye that can cause vision loss, compared with Avastin. Importantly, there was a statistically significant increase in serious systemic events for patients who had received Avastin. These findings support what has been observed in other, larger rétrospective analysis of Lucentis and Avastin in patients with wet AMD. Patient safety is always our number one concern and although Avastin has a well-established safety profile for oncology indications, the CATT results raise uncertainty over its safety for use in wet AMD patients.

Our commitment to Lucentis as the most appropriate option for treating wet AMD is unchanged. Avastin is not approved for wet AMD by any health authority and it is not manufactured for use in the eye. However, we know that many physicians are already using it to treat wet AMD off-label. The CATT results may prompt speculation as to whether more doctors will do so and the comparative costs of the two medicines may be a factor in these discussions. We continue to believe that Lucentis is the best option for wet AMD patients because our reasons for chosing to develop Lucentis over Avastin hold true today.

The decision to develop Lucentis rather than Avastin for wet AMD was based on what we believed would be important considérations for use in the eye and in the best interest of patients. For example, to reduce systemic exposure, a portion of an antibody was removed to create Lucentis, leading to a 100 times faster elimination from the body compared to Avastin. You can read more on the background here. Lucentis was designed and manufactured for use in the eye and was formally evaluated for safety and efficacy through extensive patient trials. Over the years, it has proven to be a highly effective treatment. I have personally been moved by the many stories of patients like Lucy whose vision was impaired and lives restricted because of wet AMD but now, since taking Lucentis, are once again able to enjoy the things that bring them pleasure.

Looking forward, we will continue to work hard to ensure that Lucentis, like all our medicines, is accessible to the patients who need it. We will also be investing in exciting new development opportunities. In the near term, we will apply for FDA approval of Lucentis for a potential new indication in diabetic macular edema, based on the recent positive data from the Phase III RISE and RIDE studies. In the longer term, research and development teams are working on a new delivery mechanism that is designed for the slow release of Lucentis.

This could reduce the frequency of monthly eye injections. We will also continue to develop our growing ophthalmology pipeline, targeting the treatment of other serious eye diseases where patients currently have few or no options. Avastin and Lucentis are two fantastic medicines that have benefited countless patients around the world but they were each designed for a very different purpose. We will continue to pursue Lucentis as the best option for treating eye disease, knowing that the science and the patient benefits make this the right thing to do. ['] » (soulignements ajoutés)

548. En substance, par ce courriel, Genentech a donc informé Roche de sa décision de ne pas développer l'Avastin en ophtalmologie et a donné ses raisons.

549. Or, le refus de Genentech de développer l'Avastin en ophtalmologie ne peut, en soi, lui être reproché, comme il ne peut l'être à Roche, ainsi que l'Autorité l'admet dans la décision attaquée (§'961).

550. En outre, les discours de Roche et Novartis examinés pendant la période retenue par la Cour ne constituent pas des pratiques anticoncurrentielles. En conséquence, la coordination de ces discours par Genentech n'a pas pu avoir d'effet anticoncurrentiel.

551. Il est également indifférent que Genentech ait communiqué à Roche, par le courriel précité, les raisons pour lesquelles il ne souhaitait pas voir développer l'Avastin pour des indications en ophtalmologie.

552. L'Autorité fonde également son analyse sur la transmission et la coordination par Genentech d'éléments de discours portant sur les questions de sécurité liées à l'utilisation hors AMM de l'Avastin en ophtalmologie ou sur la modification du RCP de ce médicament. Ces éléments de discours datent de 2012 au plus tôt (décision attaquée, § 1018 à 1028).

553. Cette pratique est donc intervenue postérieurement à l'entrée en vigueur de la loi Bertrand, à une période pendant laquelle l'Avastin, par l'effet de ladite loi, ne pouvait plus être prescrit hors AMM. Il en résulte que la coordination des discours de Roche et Novartis ne peut pas être retenue contre Genentech.

554. Il résulte de ce qui précède que les pratiques anticoncurrentielles reprochées à Genentech ne sont pas établies.

D. Conclusion sur les pratiques en rapport avec le second grief

555. Les pratiques mentionnées à l'article 2 de la décision attaquée, lu à la lumière du grief n° 2, ne sont pas établies. La décision de l'Autorité sera réformée en conséquence en ses articles 2 et 4.

VI. SUR LA COMMUNICATION DE L'AUTORITÉ À PROPOS DE LA DÉCISION ATTAQUÉE

556. Novartis demande à la Cour, ainsi qu'il a été précisé au paragraphe 130 du présent arrêt, « d'annuler la décision implicite et indissociable, non débattue contradictoirement et non motivée de l'Autorité de la concurrence de mettre en œuvre une campagne de communication relevant de l'article L. 464-2, I al. 5 du code de commerce, en procédant à une large publication et une large diffusion par voie de communiqué de presse, d'une conférence de presse et d'une vidéo diffusée sur de multiples réseaux sociaux, de la décision n° 20-D-11 précitée et/ou d'extraits ou résumés de celle-ci ».

557. L'Autorité, dans ses observations, soutient, en premier lieu, que la cour d'appel de Paris n'est pas compétente « pour connaître des conclusions en annulation dirigées contre une prétendue « décision implicite » prise par l'Autorité dans le cadre de sa politique de communication », dans la mesure où « les actes contestés par Novartis relèvent de la mise en œuvre par l'Autorité de sa politique de communication (diffusion d'informations synthétiques sur son activité et ses décisions sur son site internet ou les réseaux sociaux, réponses à des interviews, participation à des conférences académiques), et, de façon plus générale, de ses missions de protection de la concurrence, auxquelles contribue la diffusion d'informations permettant aux opérateurs économiques de les éclairer sur les comportements susceptibles d'être sanctionnés en ce qu'ils portent atteinte au fonctionnement concurrentiel du marché (advocacy). »'. Ainsi, en l'espèce, l'Autorité a contribué à la protection effective de l'ordre public économique, « notamment en faisant œuvre de pédagogie ».

558. En second lieu, l'Autorité prétend que les conclusions par lesquelles Novartis demandent l'annulation d'une « décision implicite » qu'aurait prise l'Autorité dans le cadre de sa politique de communication, devraient être rejetées comme irrecevables dans la mesure où le recours prévu par l'article L. 464-8 du code de commerce n'est ouvert qu'à l'encontre des décisions qu'il énumère, au nombre desquelles ne figure pas la « décision implicite » que conteste Novartis.

559. Novartis réplique que la compétence de la cour d'appel ne saurait lui être déniée, la communication de l'Autorité étant indissociable de la décision attaquée et ayant gravement porté atteinte à ses droits.

560. Le laboratoire relate que l'Autorité a organisé, le jour où elle a rendu sa décision, une conférence de presse à laquelle elle avait invité un grand nombre de médias, sans qu'aucune des parties ou leur conseil n'en ait été informé et sans qu'ait été établi un compte rendu de ce que l'Autorité a effectivement dit.

561. Simultanément, l'Autorité a mis en ligne la décision attaquée sur son site internet, accompagnée d'un communiqué de presse et d'une séquence animée et sonorisée sous format d'une vidéo, en français et en anglais.

562. La communication des mêmes éléments a été faite sur les réseaux You Tube, Twitter et LinkedIn. Par exemple, s'agissant de ce dernier réseau, l'Autorité a indiqué qu'elle « sanctionne à hauteur de 444M€ les laboratoires Novartis, Roche et Genentech pour abus de position dominante collective. Ils ont mis en œuvre un ensemble de comportements graves (dénigrement auprès des ophtalmologistes et des patients, discours trompeur et alarmiste auprès des pouvoirs publics) visant à favoriser l'utilisation du médicament Lucentis pour le traitement de la DMLA tout en freinant l'utilisation de l'anticancéreux Avastin en dehors de son indication d'origine », sans préciser que la décision attaquée était susceptible de faire l'objet d'un recours.

563. Novartis expose encore que la présidente de l'Autorité, répondant à une demande de Novartis par courrier en date du 17 septembre 2020, a refusé, par courrier du 21 septembre 2020, de mettre fin à cette campagne de communication, considérant « qu'il est important que les décisions prises par l'Autorité puissent faire l'objet d'une diffusion appropriée », y compris par des « supports de communication destinés aux réseaux sociaux, afin de diffuser une information à la fois précise mais aussi compréhensible, y compris par les non spécialistes ».

564. Le laboratoire conclut, d'abord, que cette campagne de communication, indissociable de l'adoption de la décision attaquée, est dépourvue de tout fondement légal, les prescriptions de l'article L. 464-2, I, alinéa 5 du code de commerce ne trouvant pas à s'appliquer à une telle pratique.

565. Novartis soutient encore que la campagne de presse de l'Autorité est fautive, d'une part, parce que l'Autoritéa systématiquement omis, dans sa communication, d'indiquer que la décision pouvait faire l'objet d'un recours devant la cour d'appel, portant ainsi atteinte au principe de la présomption d'innocence, d'autre part, parce que cette campagne comporte une dimension diffamatoire.

566. Reprenant le discours de l'Autorité tenu lors de la conférence de presse, Novartis conclut que « l'Autorité a jeté le discrédit de manière publique sur Novartis, en diffusant des informations inexactes, et de nature à porter atteinte à son image et à sa réputation, en déformant le contenu de la Décision alors que celle-ci n'était pas même portée officiellement à la connaissance de Novartis, et qu'elle n'était pas définitive, comportement qui, s'il avait été mis en œuvre par une personne, relèverait d'un dénigrement caractérisé. »

567. Le ministre chargé de l'économie propose le rejet des moyens développés par Novartis, estimant l'ordre administratif compétent. Le ministère public conclut qu'en tout état de cause, si la Cour ne fait pas droit à la demande des requérantes d'annuler ou réformer la décision attaquée, la demande relative à la communication est infondée.

Sur ce, la Cour,

568. S'agissant, en premier lieu, de la compétence de la cour d'appel de Paris et de la recevabilité de la demande, il convient de rappeler que la société Roche SAS (ci-après, « Roche ») a saisi, par assignation du 5 février 2021, le premier président de la cour d'appel de Paris d'une demande fondée sur les articles L. 464-8 et R. 464-22 du code de commerce aux fins,

à titre principal, qu'il soit enjoint à l'Autorité de cesser toute publication relative à sa décision n° 20-D-11 en date du 9 septembre 2020 et,

à titre subsidiaire, qu'il lui soit enjoint, d'une part, de mentionner dans toute déclaration relative à cette décision l'existence d'un recours pendant devant la cour d'appel de Paris et, d'autre part, de s'abstenir d'initier toute démarche, courrier ou autre forme de communication adressée à des tiers spécifiquement ciblés.

569. Par une ordonnance du 12 mai 2021, le magistrat délégué par le Premier président :

a dit que la demande présentée par Roche à l'encontre de la communication de l'Autorité de la concurrence relative à la décision n° 20-D-11 du 9 septembre 2020 ne constitue pas une demande de sursis à exécution et l'a déclarée irrecevable sur le fondement des articles L. 464-8 et R. 464-22 du code de commerce ;

s'est déclaré incompétent pour statuer sur les demandes présentées par Roche à l'encontre de la communication de l'Autorité de la concurrence relative à la décision n° 20-D-11 du 9 septembre 2020 et renvoyé la requérante à mieux se pourvoir.

570. Saisie du pourvoi de Roche à l'encontre de cette décision, la Cour de cassation, par un arrêt du 5 janvier 2022 (pourvoi n° 21-16.868), a ordonné le renvoi de l'affaire au Tribunal des conflits afin qu'il tranche la question de savoir

« si la demande tendant à ce qu'il soit enjoint à l'Autorité de la concurrence de cesser toute publication relative à sa décision n° 20-D-11 et, à titre subsidiaire, qu'il lui soit enjoint, d'une part, de mentionner dans toute déclaration relative à cette décision l'existence d'un recours pendant devant la cour d'appel de Paris et, d'autre part, de s'abstenir d'initier toute démarche, courrier ou autre forme de communication adressée à des tiers spécifiquement ciblés, relève ou non de la compétence de la juridiction judiciaire. »

571. Par une décision du 11 avril 2022 (n° 4242), le Tribunal des conflits a jugé que la juridiction judiciaire est compétente pour connaître du litige opposant Roche à l'Autorité de la concurrence aux motifs que :

« 5. En vertu de l'article L. 464-8 du code de commerce, les décisions prises par l'Autorité de la concurrence sur le fondement de l'article L. 464-2 du code de commerce peuvent faire l'objet d'un recours en annulation ou en réformation devant la cour d'appel de Paris.

6. Si les actions de communication de l'Autorité de la concurrence, autorité administrative indépendante, relèvent en principe de la compétence de la juridiction administrative, la diffusion par l'Autorité de la concurrence, concomitamment à la mise en ligne d'une décision de sanction sur son site internet, d'une vidéo et de commentaires se rapportant uniquement à cette sanction particulière n'est pas dissociable de la décision de sanction elle-même. Dès lors, le présent litige relève de la cour d'appel de Paris. »

572. La Cour considère, à la lumière de la décision du Tribunal des conflits, qui énonce que « la diffusion par l'Autorité de la concurrence, concomitamment à la mise en ligne d'une décision de sanction sur son site internet, d'une vidéo et de commentaires se rapportant uniquement à cette sanction particulière n'est pas dissociable de la décision de sanction elle-même » et que dès lors, « le présent litige relève de la cour d'appel de Paris », d'une part, qu'elle est compétente pour apprécier la demande de Novartis, d'autre part, que la demande, étant indissociable de la décision de fond attaquée sur le fondement de l'article L. 464-8 du code de commerce, est recevable.

573. En second lieu, la communication de l'Autorité sur la décision de sanction déférée à la Cour ne relève pas de l'article L. 464-2, I, al 5, du code de commerce, mais se rattache à la mission générale que lui confie l'article L. 461- 1, I, du même code, qui dispose que « l'Autorité de la concurrence est une autorité administrative indépendante. Elle veille au libre jeu de la concurrence. Elle apporte son concours au fonctionnement concurrentiel des marchés aux échelons européen et international. »

574. Il en résulte que la communication litigieuse relative à des pratiques que l'Autorité estimait anticoncurrentielles, et qui a consisté en la tenue d'une conférence de presse par l'Autorité et la mise en ligne sur les réseaux sociaux tels que You Tube, LinkedIn, ou Twitter, d'une vidéo exposant, en anglais et en français, les principales articulations de l'affaire telle que l'Autorité l'a appréciée, n'était pas dépourvue de tout fondement légal.

575. Il est en effet permis à l'Autorité de procéder à une diffusion appropriée de ses décisions, y compris par des supports de communication destinés aux réseaux sociaux, afin de diffuser une information à la fois précise et compréhensible, y compris par les non spécialistes.

576. En substance, Novartis reproche à l'Autorité d'avoir :

insisté sur le terme « Avastin lovers » en le présentant comme largement utilisé, alors qu'il n'apparaît que dans un seul document interne du laboratoire (cote 14 045),

indiqué que les mis en cause n'ont manifesté « aucune coopération et n'ont pas souhaité entrer en transaction » et encore qu'ils sont allés jusqu'à « faire obstacle à la réalisation d'une étude », donnant à croire que le refus des laboratoires d'accepter une transaction était fautif,

exposé que « ces pratiques graves ont pesé sur les comptes sociaux » avec « un impact en dizaines et centaines de millions d'euros » et qu'« il n'est pas exclu que l'État intente une action indemnitaire », incitant ainsi l'État à engager des poursuites contre Novartis,

précisé que « le coût de Lucentis était de 1161 euros par injection contre 30 à 40 euros pour Avastin », alors que l'évaluation du prix de l'Avastin est artificielle,

expliqué qu'alors que l'Avastin détenait 15 à 20 % des parts de marché dans le traitement de la DMLA, les pratiques de Novartis et Roche avaient « fait disparaître son usage dans la pratique clinique », alors que ces données de parts de marché ne sont pas établies par la décision, omis de préciser que la décision pouvait être attaquée devant la cour d'appel.

577. Il ressort des différents articles de presse rendant compte de la conférence de presse (pièce 15 du dossier de Novartis) que les allégations de l'Autorité dénoncées par Novartis ont été effectivement tenues.

578. La vidéo diffusée par l'Autorité sur les réseaux sociaux a quant à elle fait l'objet d'un constat d'huissier le 9 septembre 2020 à la demande de Roche (pièce A de son dossier) dont il ressort qu'elle contient des assertions analogues à celles diffusées lors de la conférence de presse, ainsi que des renvois vers le site de l'Autorité, lequel mentionne habituellement que les décisions rendues sont susceptibles de faire l'objet d'un recours.

579. La Cour considère que l'Autorité a rappelé le déroulement de la procédure, ainsi que son analyse d'un comportement qu'elle a considéré anticoncurrentiel, et certaines conséquences des faits qu'elle considérait comme établis, dans une forme accessible au public et dans un ton qui n'a pas été manifestement excessif au regard de la gravité des faits tels qu'elle les analysait.

580. Ce faisant, il ne saurait lui être reproché d'avoir tenu des propos de nature diffamatoire ou dénigrants et d'avoir ainsi manifestement excédé son pouvoir de communication.

581. La possibilité pour Novartis de former un recours contre la décision de l'Autorité est mentionnée dans nombre des articles de presse versés aux débats qui rendent compte de la conférence de presse du 9 septembre 2020 (ainsi, à titre d'exemples, les articles de l'AFP du 9 septembre 2020, de Challenge du 9 septembre 2020, des Échos du 10 septembre 2020, de La Correspondance économique du 10 septembre 2020). Il en résulte que cette possibilité était suffisamment connue du public, lequel n'a donc pas pu être induit en erreur sur l'absence de caractère définitif de la décision de l'Autorité. Il ne saurait dès lors lui être reproché d'avoir porté atteinte à la présomption d'innocence des parties.

582. La Cour rappelle en revanche que la réformation intervenue implique que l'Autorité devra adapter sa communication selon les modalités prévues au dispositif du présent arrêt.

583. Le moyen sera rejeté.

VII. SUR LES DEMANDES ACCESSOIRES

584. La décision attaquée ayant été réformée et non annulée, les sommes payées en exécution de cette décision produiront intérêts au taux légal à compter de la notification du présent arrêt.

585. Il n'y a pas lieu, en l'espèce, d'allouer des sommes aux parties sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

586. L'Autorité supportera le coût des dépens de cette affaire.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant publiquement :

DÉCLARE sans objet l'incident du 14 janvier 2022 formé par les sociétés Roche SAS, Genentech Inc, et Roche Holding AG ;

REJETTE l'incident formé par les sociétés Novartis Pharma SAS, Novartis Groupe France SA, Novartis AG ;

REJETTE les demandes d'annulation de la décision de l'Autorité de la concurrence n° 20-D-11 du 9 septembre 2020 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur du traitement de la dégénérescence maculaire liée à l'âge (DMLA) fondées sur :

la composition du collège de l'Autorité de la concurrence,

l'absence d'établissement d'un procès-verbal au cours de l'instruction, ' l'incompétence de l'Autorité de la concurrence,

la dénaturation de la portée du second grief';

REJETTE la demande d'annulation de la décision « implicite » de communication de l'Autorité de la concurrence sur la décision de sanction';

RÉFORME la décision n° 20-D-11 précitée en toutes ses dispositions ;

Statuant à nouveau :

DIT qu'il n'est pas établi que les sociétés Novartis Pharma SAS, Novartis Groupe France SA, Novartis AG, Roche SAS, Genentech Inc, et Roche Holding AG ont enfreint les dispositions de l'article L. 420-2 du code de commerce ainsi que celles de l'article 102 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

DIT qu'en conséquence du présent arrêt, l'Autorité de la concurrence devra adapter ses communications toujours en cours sur la décision de sanction en supprimant les messages diffusés sous forme écrite ou vidéo ou, à défaut, en les assortissant de la mention suivante, au début de la communication et de manière apparente :

« La décision de l'Autorité de la concurrence n° 20-D-11 du 9 septembre 2020 ayant sanctionné les sociétés Novartis Pharma SAS, Novartis Groupe France SA, Novartis AG, Roche SAS, Genentech, Inc, et Roche Holding AG a été réformée par un arrêt de la cour d'appel de Paris, en date du 16 février 2023, qui a jugé qu'aucune pratique anticoncurrentielle n'était établie à leur encontre. Cet arrêt est susceptible d'un pourvoi en cassation. »

RAPPELLE que le présent arrêt constitue le titre ouvrant droit à restitution des sommes versées en exécution de la décision réformée, assorties des intérêts au taux légal à compter de sa notification ;

ORDONNE au bénéfice des sociétés Novartis Pharma SAS, Novartis Groupe France SA et Novartis AG, la capitalisation des intérêts dans les conditions de l'article 1343-2 du code civil ;

DIT n'y avoir lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

DIT que l'Autorité de la concurrence supportera le coût des dépens de cette affaire ;

DIT que le présent arrêt sera transmis à la Commission européenne en application de l'article 15, paragraphe 2, du règlement (CE) n° 1/2003 du Conseil du 16'décembre 2002 relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 et 82 du traité CE.