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Décisions

Cass. com., 4 janvier 2023, n° 20-17.658

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Vigneau

Rapporteur :

M. Ponsot

Avocat général :

M. Lecaroz

Avocats :

SARL Matuchansky, Poupot et Valdelièvre, SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol

Versailles, du 18 mai 2020

18 mai 2020

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles,18 mai 2020), en application d'une lettre d'engagement du 30 septembre 2010, signée avec la société Uffi Participations, M. [I] est devenu, à compter du 4 novembre 2010, président directeur général de la société anonyme Uffi Real Asset Management (la société Uffi Ream) moyennant une rémunération annuelle fixe de 200 000 euros et une part variable pouvant aller jusqu'à 100 000 euros. Par avenants des 11 octobre 2010 et 25 août 2011, une indemnité contractuelle de rupture a été stipulée au bénéfice de M. [I]. Par protocole du 23 mars 2012, la société Uffi Participations à cédé les actions de la société Uffi Ream à la société Fiducial Real Estate, le protocole stipulant que cette dernière reprenait les engagements que la société Uffi Participations avait souscrits à l'égard de M. [I]. La société Uffi Ream, devenue Fiducial gérance, ayant été transformée en société anonyme avec directoire, M. [I] a été nommé, le 30 septembre 2013, président du directoire. La société Fiducial gérance redevenant une société anonyme avec conseil d'administration, M. [I] a été désigné, le 30 juin 2015, directeur général.

2. Le conseil d'administration de la société Fiducial gérance ayant mis fin à son mandat, M. [I] a assigné en référé les sociétés Fiducial gérance et Fiducial Real Estate en paiement de l'indemnité de rupture devant le président d'un tribunal de commerce, lequel s'est déclaré « incompétent ». Les sociétés Fiducial Real Estate et Fiducial gérance ont ensuite assigné M. [I] devant un tribunal de commerce aux fins de voir constater l'absence de ratification de la lettre d'engagement par l'assemblée générale de la société Uffi Ream, dire que le versement d'une indemnité de rupture ne pouvait leur être opposé et obtenir la condamnation de M. [I] à leur rembourser la somme de 254 093 euros au titre des rémunérations indûment perçues pour l'année 2012. M. [I] s'est opposé à cette demande.

Examen des moyens

Sur le premier moyen du pourvoi principal et sur le moyen du pourvoi incident, ci-après annexés

3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le troisième moyen du pourvoi principal

Enoncé du moyen

4. La société Fiducial gérance et la société Fiducial Real Estate font grief à l'arrêt de limiter à 253 093 euros la somme que M. [I] doit restituer à la société Fiducial gérance au titre de la rémunération perçue en 2012, alors « que la contradiction entre les motifs et le dispositif équivaut à une absence de motifs ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a indiqué dans ses motifs que M. [I] devait restituer à la société Fiducial gérance la somme de 254 093 euros ; qu'en limitant néanmoins cette somme, dans son dispositif, au seul montant de 253 093 euros, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

5. La contradiction alléguée par le moyen procède d'une erreur purement matérielle commise dans la rédaction de l'arrêt, dont la rectification sera ci-après ordonnée en application de l'article 462 du code de procédure civile.

6. Le moyen ne peut donc être accueilli.

Mais sur le deuxième moyen, pris en sa première branche, du pourvoi principal

Enoncé du moyen

7. La société Fiducial gérance et la société Fiducial Real Estate font grief à l'arrêt de dire que la société Fiducial gérance doit rembourser à M. [I] la somme de 253 093 euros en application de l'action in rem verso, alors « que la cour d'appel ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif des conclusions ; qu'en l'espèce, dans le dispositif de ses conclusions d'appel, M. [I] demandait la réformation du jugement entrepris, à la seule exception du chef [de dispositif] ayant condamné la société Fiducial Real Estate à lui payer la somme de 290 700 euros au titre de l'indemnité de départ, et ne demandait pas de condamnation de la société Fiducial gérance à lui rembourser une somme en application de l'action in rem verso ; qu'en condamnant la société Fiducial gérance à rembourser à M. [I] la somme de 253 093 euros sur le fondement de l'action in rem verso, la cour d'appel a violé l'article 954 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 954, alinéa 3, du code de procédure civile :

8. Selon ce texte, la cour d'appel ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif des conclusions.

9. Pour condamner la société Fiducial gérance à rembourser à M. [I] la somme de 254 093 euros, l'arrêt, après avoir retenu que ce dernier avait perçu la même somme en 2012 au titre de la rémunération de ses fonctions de président directeur général, mais que cette rémunération n'ayant pas été décidée par le conseil d'administration, en violation des dispositions des articles L. 225-47 et L. 225-53 du code de commerce, la société Fiducial gérance était en droit d'en réclamer le remboursement, retient que M. [I] est fondé à en obtenir le remboursement sur le fondement de l'enrichissement sans cause.

10. En statuant ainsi, en accueillant une prétention qui ne figurait pas dans le dispositif des conclusions de M. [I], la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Et sur le quatrième moyen, pris en ses trois branches, du pourvoi principal

Enoncé du moyen

11. La société Fiducial gérance et la société Fiducial Real Estate font grief à l'arrêt de condamner la société Fiducial gérance à verser à M. [I] la somme de 75 000 euros au titre de sa part variable de rémunération, alors :

« 1°/ que le conseil d'administration de la société détermine la rémunération du président ; qu'en l'espèce, il était constant que M. [I] avait été président directeur général de la société Uffi Ream, devenue Fiducial gérance, jusqu'au 30 septembre 2013 ; que pour admettre le principe d'une rémunération variable due par la société Fiducial gérance à M. [I], et condamner la société à payer à ce titre la somme de 75 000 euros, la cour d'appel s'est fondée sur les stipulations de la lettre d'engagement du 30 septembre 2010 de la société Uffi Participations ; qu'en statuant ainsi, sans constater l'existence, qui était contestée, d'une décision du conseil d'administration de la société Uffi Ream, devenue Fiducial gérance, déterminant une rémunération variable au bénéfice de son président directeur général M. [I], la cour d'appel a violé l'article L. 225-47 du code de commerce, dans sa rédaction applicable au litige ;

2°/ que le conseil de surveillance fixe le mode et le montant de la rémunération de chacun des membres du directoire qu'il a nommés ; qu'en l'espèce, il était constant que M. [I] avait été président du directoire de la société Fiducial gérance, du 30 septembre 2013 au 30 juin 2015 ; que pour admettre le principe d'une rémunération variable due par la société Fiducial gérance à M. [I], et condamner la société à payer à ce titre la somme de 75 000 euros, la cour d'appel s'est fondée sur les stipulations de la lettre d'engagement du 30 septembre 2010 de la société Uffi Participations ; qu'en statuant ainsi, sans constater l'existence, qui était contestée, d'une décision du conseil de surveillance de la société Fiducial gérance déterminant une rémunération variable au bénéfice de son président du directoire M. [I] la cour d'appel a violé l'article L. 225-63 du code de commerce, dans sa rédaction applicable au litige ;

3°/ que le conseil d'administration de la société détermine la rémunération du directeur général ; qu'en l'espèce, il était constant que M. [I] avait été directeur général de la société Fiducial gérance, du 30 juin 2015 au 30 juin 2016 ; que pour admettre le principe d'une rémunération variable due par la société Fiducial gérance à M. [I], et condamner la société à payer à ce titre la somme de 75 000 euros, la cour d'appel s'est fondée sur les stipulations de la lettre d'engagement du 30 septembre 2010 de la société Uffi Participations ; qu'en statuant ainsi, sans constater l'existence, qui était contestée, d'une décision du conseil d'administration de la société Fiducial gérance déterminant une rémunération variable au bénéfice de son directeur général M. [I], la cour d'appel a violé l'article L. 225-53 du code de commerce, dans sa rédaction applicable au litige. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

12. M. [I] conteste la recevabilité du moyen. Il prétend qu'il est contraire aux écritures d'appel des sociétés Fiducial gérance et Fiducial Real Estate, qui soutenaient que le conseil d'administration et le conseil de surveillance de la société Uffi Ream, devenue Fiducial gérance, avaient admis le principe d'une rémunération variable de M. [I].

13. Cependant, le moyen, qui soutient que la cour d'appel n'a pas constaté l'existence de décisions du conseil d'administration et du conseil de surveillance de la sociétés Uffi Ream, devenue Fiducial gérance, attribuant une rémunération variable en exécution de l'engagement souscrit au bénéfice de M. [I] dans les conditions prévues par la lettre d'engagement du 30 septembre 2010, n'est pas contraire aux écritures d'appel des sociétés Fiducial gérance et Fiducial Real Estate, par lesquelles celles-ci faisaient valoir que lesdits conseils d'administration et de surveillance avaient uniquement décidé d'attribuer à M. [I] une part variable représentant un treizième mois.

14. Le moyen est donc recevable.

Bien-fondé du moyen

Vu les articles L. 225-47 et L. 225-63 du code de commerce, dans leur rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 :

15. Il résulte du premier de ces textes que le conseil d'administration d'une société anonyme a une compétence exclusive pour déterminer la rémunération du président.

16. Il résulte du second que le conseil de surveillance a une compétence exclusive pour déterminer la rémunération des membres du directoire.

17. Pour condamner la société Fiducial gérance à verser à M. [I] la somme de 75 000 euros au titre de sa part variable de rémunération pour les années 2013 à 2015, l'arrêt retient qu'il ressort de la lettre d'engagement du 30 septembre 2010 que le principe de versement d'une part variable complémentaire de rémunération de M. [I] a été pris à l'initiative de la société Uffi Participations, qu'elle devait être d'un montant annuel brut maximum de 100 000 euros, déterminée sur la base de critères quantitatifs et qualitatifs définis ultérieurement et devait être payable un mois après l'approbation des comptes. Il en déduit que les sociétés Fiducial gérance et Fiducial Real Estate ne peuvent contester le principe de son versement.

18. En statuant ainsi, après avoir constaté que M. [I] avait été président directeur général de la société Uffi Ream jusqu'au 30 septembre 2013, puis président du directoire de cette société, devenue Fiducial gérance, du 30 septembre 2013 au 30 juin 2015, enfin directeur général de la même société du 30 juin 2015 au 30 juin 2016, la cour d'appel, qui s'est fondée sur la lettre d'engagement du 30 septembre 2010 sans constater l'existence de décisions du conseil d'administration et du conseil de surveillance de ladite société déterminant la rémunération variable de M. [I] dans les conditions prévues par cette lettre d'engagement, a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

RECTIFIE l'arrêt n° RG 18/05463 rendu le 18 mai 2020 par la cour d'appel de Versailles ;

REMPLACE, dans son dispositif, « Dit que M. [I] doit restituer à la société Fiducial Gerance la somme de 253 093 euros à la société Fiducial gérance au titre de la rémunération 2012 » par « Dit que M. [I] doit restituer à la société Fiducial gérance la somme de 254 093 euros à la société Fiducial gérance au titre de la rémunération 2012 » ;

DIT que le présent arrêt sera transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt rectifié ;

REJETTE le pourvoi incident ;

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce que, confirmant le jugement, il condamne la société Fiducial gérance à verser à M. [I] la somme de 75 000 euros au titre de sa part variable de rémunération, et en ce qu'il dit que la société Fiducial gérance doit rembourser à M. [I] la somme de 254 093 euros en application de l'action de in rem verso et statue sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 18 mai 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris.