Cass. soc., 16 mars 2021, n° 19-21.063
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
Sur le rapport de M. Rinuy, conseiller, les observations de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de Mme J..., de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société ST Microelectronics (Crolles 2), après débats en l'audience publique du 10 février 2021 où étaient présents M. Huglo, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Rinuy, conseiller rapporteur, Mme Pécaut-Rivolier, conseiller, et Mme Lavigne, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Grenoble, 11 juin 2019), Mme J... a été engagée, le 10 octobre 2005, en qualité de technicienne par la société ST Microelectronics (Crolles 2) (la société).
2. Par ordonnance de référé du 21 octobre 2015, la formation de référé de la juridiction prud'homale a ordonné à la société de transmettre à la salariée, au plus tard le 23 décembre 2015, les documents concernant dix hommes non anonymes actuellement salariés au sein de la société et embauchés au 22 juin 2006 (plus ou moins six mois) en qualité de technicien d'atelier niveau IV, échelon 1, coefficient 255 et contenant les informations suivantes : la position actuelle, le coefficient actuel, le salaire actuel, le coefficient d'embauche, la date d'embauche et le salaire d'embauche et dit que, passé le 23 décembre 2015, la remise de ces documents à la salariée sera assortie d'une astreinte par jour de retard.
3. Le 28 juin 2016, la salariée a saisi au fond la juridiction prud'homale de demandes fondées sur la discrimination en raison de son sexe.
4. Par ordonnance de référé du 19 octobre 2018, la formation de référé a condamné la société à payer à la salariée une somme provisionnelle au titre de la liquidation de l'astreinte, ordonné à la société de lui remettre, au plus tard le 30 novembre 2018, les mêmes documents, dit qu'à défaut, à partir du 1er décembre 2018, la remise de ces documents sera assortie d'une astreinte définitive par jour de retard et s'est réservé le droit de liquider cette astreinte.
Examen des moyens
Sur le premier moyen et le troisième moyen, pris en sa seconde branche, ci-après annexés
5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le troisième moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
6. La salariée fait grief à l'arrêt de la débouter de sa demande tendant à ce qu'il soit ordonné à la société de lui transmettre les documents concernant dix hommes, non anonymes, actuellement salariés au sein de la société et embauchés au 22 juin 2006 (plus ou moins un an) en qualité de technicien d'atelier niveau IV, échelon 1, coefficient 255, et contenant les informations suivantes : la position actuelle, le coefficient actuel, le salaire actuel, le coefficient d'embauche, la date d'embauche et le salaire d'embauche, sous astreinte définitive de 50 euros par jour de retard, alors « que, en application de l'article 145 du code de procédure civile, l'absence d'instance au fond, qui constitue une condition de recevabilité de la demande, doit s'apprécier à la date de la saisine du juge ; qu'en jugeant la demande de la salariée irrecevable motif pris qu'il n'est pas contesté que le juge du fond a été saisi le 28 juin 2016 d'une demande formée par la salariée, après avoir constaté que la demande de la salariée visant à obtenir la communication de divers documents sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile avait été engagée le 25 août 2015 et accueillie par ordonnance en date du 21 octobre 2015 que l'employeur n'avait que partiellement exécutée, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé le texte susvisé. »
Réponse de la Cour
7. Aux termes de l'article 145 du code de procédure civile, s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé.
8. L'absence d'instance au fond, qui constitue une condition de recevabilité de la demande, doit s'apprécier à la date de la saisine du juge.
9. La cour d'appel, qui a constaté que le juge du fond avait été saisi le 28 juin 2016 d'une demande formée par la salariée, en a exactement déduit que la demande nouvelle en communication de pièces formée ultérieurement, le 21 septembre 2018, par cette dernière devant la formation de référé saisie en application de l'article 145 du code de procédure civile et distincte de la demande en communication de pièces formée le 21 octobre 2015 était irrecevable.
10. Le moyen n'est donc pas fondé.
Mais sur le deuxième moyen, pris en sa neuvième branche
Enoncé du moyen
11. La salariée fait grief à l'arrêt de la débouter de sa demande tendant à ce que la société soit condamnée à lui verser une certaine somme au titre de la liquidation de l'astreinte provisoire, alors « que, en affirmant, pour se déterminer comme elle l'a fait, que les bulletins de salaires d'un salarié comprenaient des données personnelles en sorte que la société était légitime à rechercher l'autorisation des salariés alors qu'il résultait de l'ordonnance en date du 21 octobre 2015, qu'il avait seulement été enjoint à l'employeur de communiquer le salaire d'embauche, la position actuelle, le coefficient actuel, le salaire actuel, le coefficient d'embauche, la date d'embauche et le salaire d'embauche de dix hommes non anonymes actuellement salariés au sein de la société et embauchés au 22 juin 2016 (plus ou moins six mois) et en aucun cas leurs bulletins de salaires, la cour d'appel, qui a dénaturé les termes du litige, a violé les articles 4 et 5 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu l'obligation pour le juge de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis :
12. Pour débouter la salariée de sa demande tendant à ce que la société soit condamnée à lui verser une certaine somme au titre de la liquidation de l'astreinte provisoire, l'arrêt retient que le bulletin de paie d'un salarié comprend des données personnelles telles que l'âge, le salaire, l'adresse personnelle, la domiciliation bancaire, l'existence d'arrêts de travail pour maladie ou encore de saisies sur leur rémunération et que, dans ces conditions, la société était légitime, préalablement à toute communication de leurs données personnelles à la salariée, à rechercher l'autorisation de ses salariés.
13. En statuant ainsi, alors que, par l'ordonnance de référé du 21 octobre 2015 dont la salariée se prévalait, le conseil de prud'hommes avait ordonné à la société de transmettre à celle-ci les documents concernant dix hommes non anonymes actuellement salariés au sein de la société et embauchés au 22 juin 2006 (plus ou moins 6 mois) en qualité de technicien d'atelier niveau IV échelon 1 coefficient 255 et contenant les informations suivantes : la position actuelle, le coefficient actuel, le salaire actuel, le coefficient d'embauche, la date d'embauche et le salaire d'embauche (et non les bulletins de paie de ces salariés), la cour d'appel, qui en a dénaturé les termes clairs et précis, a violé le principe susvisé.
Et sur le deuxième moyen, pris en sa huitième branche
Enoncé du moyen
14. La salariée fait grief à l'arrêt de la débouter de sa demande tendant à ce que la société soit condamnée à lui verser une certaine somme au titre de la liquidation de l'astreinte provisoire, alors « que le respect de la vie personnelle du salarié ne constitue pas en lui-même un obstacle à l'application des dispositions de l'article 145 du code de procédure civile dès lors que le juge constate que les mesures qu'il ordonne procèdent d'un motif légitime et sont nécessaires à la protection des droits de la partie sollicitée ; qu'en l'espèce, en (se) bornant, pour dire qu'il n'y avait pas lieu de liquider l'astreinte, à affirmer que la société était légitime, en vue d'assurer le respect du droit à la vie privée de ses salariés, à leur demander leur autorisation préalable à toute communication de leurs données, ce que cinq salariés avaient refusé, sans rechercher, ainsi cependant qu'elle y était invitée, si la communication des données non anonymisées n'était pas indispensable à l'exercice du droit à la preuve et proportionnée aux intérêts antinomiques en présence, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 6, §1, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 6, §1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales :
15. Pour débouter la salariée de sa demande tendant à ce que la société soit condamnée à lui verser une certaine somme au titre de la liquidation de l'astreinte provisoire, l'arrêt retient que le bulletin de paie d'un salarié comprend des données personnelles telles que l'âge, le salaire, l'adresse personnelle, la domiciliation bancaire, l'existence d'arrêts de travail pour maladie ou encore de saisies sur leur rémunération et que, dans ces conditions, la société était légitime, préalablement à toute communication de leurs données personnelles à la salariée, à rechercher l'autorisation de ses salariés.
16. En se déterminant ainsi, sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si la communication des informations non anonymisées n'était pas nécessaire à l'exercice du droit à la preuve de la discrimination alléguée et proportionnée au but poursuivi, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard du texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déboute Mme J... de sa demande de liquidation de l'astreinte provisoire, l'arrêt rendu le 11 juin 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Grenoble ;
Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Lyon ;
Condamne la société ST Microelectronics (Crolles 2) aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société ST Microelectronics (Crolles 2) et la condamne à payer à Mme J... la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du seize mars deux mille vingt et un. MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat aux Conseils, pour Mme J....
PREMIER MOYEN DE CASSATION
Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'AVOIR débouté Mme J... de sa demande tendant à ce que la Société ST MICROELECTRONICS soit condamnée à lui verser la somme de 4565 euros au titre de la liquidation de l'astreinte provisoire et de l'AVOIR déboutée de sa demande tendant à ce qu'il soit ordonné à la Société STMICROELECTRONICS de communiquer les documents concernant dix hommes, non anonymes, actuellement salariés au sein de la Société et embauchés au 22 juin 2006 (plus ou moins un an) en qualité de technicien d'atelier niveau IV, échelon 1, coefficient 255, et contenant les informations suivantes : la position actuelle, le coefficient actuel, le salaire actuel, le coefficient d'embauche, la date d'embauche et le salaire d'embauche, sous astreinte définitive de 50 euros par jour de retard ;
AUX MOTIFS QUE : « Sur la liquidation de l'astreinte provisoire : L'article L. 131-4 du code des procédures civiles d'exécution prévoit que le montant de l'astreinte provisoire est liquidé en tenant compte du comportement de celui à qui l'injonction a été adressée et des difficultés qu'il a rencontrées pour l'exécuter. II est constant que la société ST Microelectronics n'a pas exécuté intégralement l'ordonnance de référé du conseil de prud' hommes de Grenoble du 21 octobre 2015 puisqu'elle n'a communiqué que cinq bulletins de paie non-anonymisés et a adressé à Mme J... cinq bulletins de paie anonymisés et s'est retranché derrière le refus des cinq salariés concernés. Cependant, l'article de la Convention européenne des droits de l'homme prévoit que toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance et qu'il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. Par ailleurs, le bulletin de paie d'un salarié comprend des données personnelles telles que l'âge, le salaire, l'adresse personnelle, la domiciliation bancaire, l'existence d'arrêts de travail pour maladie ou encore de saisies sur leur rémunération. Dans ces conditions, la société ST Microelectronics était légitime, préalablement à toute communication de leurs données personnelles à Mme J..., à rechercher l'autorisation de ses salariés. Cette dernière, qui soutient qu'il est probable que la société ST Microelectronics ait sélectionné des salariés ayant mal évolué ou qu'en raison de l'anonymisation des données, il n'était pas possible de vérifier si ces salariés n'avaient pas été eux-mêmes victimes de discrimination, ne fournit aucune précision et ne verse aux débats aucun élément de preuve de nature à apporter du crédit à une telle allégation. Dans ces circonstances, il n'existait aucun motif légitime à une ingérence dans la vie privée des salariés en question. Par ailleurs, il n'est pas justifié par Mme J... qu'il existe au sein de l'entreprise d'autres salariés entrant dans la définition visée par l'ordonnance du 21 octobre 2015. L'ordonnance déférée, qui a ordonné la liquidation de l'astreinte provisoire, sera par conséquent infirmée. Sur le prononcé d'une astreinte définitive : L'article 145 du code de procédure civile prévoit que, s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé. En l'espèce, il n'est pas contesté que le juge du fond a été saisi le 28 juin 2016 d'une demande formée par Mme J.... Dans ces circonstances, la demande nouvelle formée par Mme J... en communication de documents concernant dix hommes non anonymes, actuellement salariés au sein de la société, et embauchés au 22 juin 2006 (plus ou moins un an), en qualité de « technicien d'atelier niveau IV, échelon 1, coefficient 255 », et contenant les informations suivantes : la position actuelle, le coefficient actuel, le salaire actuel, le coefficient d'embauché, la date d'embauché et le salaire d'embauché était irrecevable. L'ordonnance déférée sera par conséquent infirmée de ce chef. Sur le surplus des demandes : Mme J..., partie perdante qui sera condamnée aux dépens, sera déboutée de sa demande au titre de ses frais irrépétibles. Enfin, il n'apparaît pas inéquitable de débouter la société ST Microelectronics de sa prétention au titre de l'article 700 du code de procédure civile ».
ALORS QUE, constitue une atteinte au principe de l'égalité des armes résultant du droit au procès équitable garanti par l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'Homme le fait de ne considérer que le dossier d'une partie et de reprendre, sur tous les points du litige, l'argumentation développée par une partie ; qu'en se bornant, sur chacun des points du litige, à reproduire, en les synthétisant, les conclusions d'appel de la Société ST MICROELECTRONICS, sans aucun égard pour l'argumentation développée par Mme J..., la cour d'appel a violé le texte susvisé, ensemble les articles 455 et 458 du code de procédure civile.
DEUXIEME MOYEN DE CASSATION
(Subsidiaire au premier moyen)
Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'AVOIR débouté Mme J... de sa demande tendant à ce que la Société ST MICROELECTRONICS soit condamnée à lui verser la somme de 4565 euros au titre de la liquidation de l'astreinte provisoire.
AUX MOTIFS QUE : « Sur la liquidation de l'astreinte provisoire : L'article L. 131-4 du code des procédures civiles d'exécution prévoit que le montant de l'astreinte provisoire est liquidé en tenant compte du comportement de celui à qui l'injonction a été adressée et des difficultés qu'il a rencontrées pour l'exécuter. II est constant que la société ST Microelectronics n'a pas exécuté intégralement l'ordonnance de référé du conseil de prud' hommes de Grenoble du 21 octobre 2015 puisqu'elle n'a communiqué que cinq bulletins de paie non-anonymisés et a adressé à Mme J... cinq bulletins de paie anonymisés et s'est retranché derrière le refus des cinq salariés concernés. Cependant, l'article de la Convention européenne des droits de l'homme prévoit que toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance et qu'il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. Par ailleurs, le bulletin de paie d'un salarié comprend des données personnelles telles que l'âge, le salaire, l'adresse personnelle, la domiciliation bancaire, l'existence d'arrêts de travail pour maladie ou encore de saisies sur leur rémunération. Dans ces conditions, la société ST Microelectronics était légitime, préalablement à toute communication de leurs données personnelles à Mme J..., à rechercher l'autorisation de ses salariés. Cette dernière, qui soutient qu'il est probable que la société ST Microelectronics ait sélectionné des salariés ayant mal évolué ou qu'en raison de l'anonymisation des données, il n'était pas possible de vérifier si ces salariés n'avaient pas été eux-mêmes victimes de discrimination, ne fournit aucune précision et ne verse aux débats aucun élément de preuve de nature à apporter du crédit à une telle allégation. Dans ces circonstances, il n'existait aucun motif légitime à une ingérence dans la vie privée des salariés en question. Par ailleurs, il n'est pas justifié par Mme J... qu'il existe au sein de l'entreprise d'autres salariés entrant dans la définition visée par l'ordonnance du 21 octobre 2015. L'ordonnance déférée, qui a ordonné la liquidation de l'astreinte provisoire, sera par conséquent infirmée » ;
1) ALORS QUE, lorsque dans un litige visant à établir l'existence et l'étendue d'une discrimination, le juge a ordonné, par une décision devenue irrévocable rendue sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile, la communication de documents non anonymisés assortie d'une astreinte provisoire, le juge saisi de la demande de liquidation de l'astreinte provisoire ne peut regarder le refus, par certains salariés, de communiquer leurs données comme une difficulté ou une impossibilité d'exécution justifiant la réduction ou la suppression de l'astreinte ; qu'en retenant, pour dire qu'il y avait lieu d'infirmer l'ordonnance déférée ayant ordonné la liquidation de l'astreinte provisoire dont était assortie l'obligation prescrite l'ordonnance devenue irrévocable en date du 21 octobre 2015, de communiquer les données de dix salariés non anonymisés et débouter Mme J... de sa demande tendant à ce que la Société STMICROELECTRONICS soit condamnée à lui verser la somme de 4565 euros au titre de la liquidation de l'astreinte provisoire, que la Société STMICROELECTRONICS, qui n'avait pas exécuté intégralement cette ordonnance en ne communiquant que les données de cinq salariés non anonymisés, était légitime, en vue d'assurer le respect du droit à la vie privée de ses salariés, à leur demander leur autorisation préalable à toute communication de leurs données, ce que 5 salariés avaient refusé, la cour d'appel a violé l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ensemble L. 134-1 du code des procédures civiles d'exécution ;
2) ALORS AU SURPLUS QUE en retenant, pour dire qu'il n'y avait pas lieu de liquider l'astreinte provisoire, que la Société était légitime, en vue d'assurer le respect du droit à la vie privée de ses salariés, à leur demander leur autorisation préalable et à ne pas communiquer les données non anonymisées des cinq salariés qui avaient refusé, la cour d'appel, qui a privé l'exposante d'une protection judiciaire effective contre les discriminations fondées sur le sexe, a violé les articles 6§1 et 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
3) ALORS EN OUTRE QUE, en application des articles L. 1132-1, L. 1134-1 et L. 1245-1 du code du travail dans leur rédaction alors en vigueur, la réparation intégrale d'un dommage né d'une discrimination oblige à placer celui qui l'a subi dans la situation où il se serait trouvé si le comportement dommageable n'avait pas eu lieu ; qu'en retenant, pour dire qu'il n'y avait pas lieu de liquider l'astreinte provisoire, que la Société était légitime, en vue d'assurer le respect du droit à la vie privée de ses salariés, à leur demander leur autorisation préalable et à ne pas communiquer les données non anonymisées des cinq salariés qui avaient refusé, la cour d'appel, qui a privé la salariée de la possibilité de pouvoir obtenir la réparation intégrale du préjudice résultant de la discrimination sexuelle subie, a violé les textes susvisés ;
4) ALORS AU SURPLUS QUE le juge saisi d'une demande de liquidation d'une astreinte prononcée par une décision devenue irrévocable, tient de l'article L. 131-4 du code des procédures civiles d'exécution, la seule mission de vérifier l'exécution de l'obligation sans pouvoir modifier celle-ci ; qu'en retenant, pour dire qu'il n'y avait pas lieu de liquider l'astreinte provisoire, et après avoir constaté que la Société STMICROELECTRONICS n'avait pas exécuté intégralement l'ordonnance de référé du conseil de prud'hommes de Grenoble en date du 21 octobre 2015, que la Société était légitime, en vue d'assurer le respect du droit à la vie privée de ses salariés et à ne pas communiquer les données non anonymisées des cinq salariés qui avaient refusé, alors qu'il lui incombait seulement de vérifier si la communication des documents ordonnée par l'ordonnance devenue irrévocable du 21 octobre 2015 avait été effectivement exécutée, la cour d'appel a violé l'article susvisé ;
5) ALORS ENCORE QUE, pour dire, qu'il n'y avait pas lieu de liquider l'astreinte provisoire, la cour d'appel a retenu que la Société était légitime, en vue d'assurer le respect du droit à la vie privée de ses salariés, à leur demander leur autorisation préalable et à ne pas communiquer les données non anonymisées des cinq salariés qui avaient refusé ; qu'en statuant ainsi alors que l'ordonnance devenue irrévocable en date du 21 octobre 2015 avait ordonné à l'employeur de communiquer les données de dix salariés non anonymisées, la cour d'appel, qui a fait échec à l'autorité de la chose jugée par l'ordonnance de référée en date du 21 octobre 2015, devenue irrévocable, a violé l'article 1351, devenu 1355, du code civil, ensemble l'article 480 du code de procédure civile ;
6) ALORS EN OUTRE QUE, en se déterminant comme elle l'a fait, la cour d'appel, qui a statué par des motifs impropres à caractériser une difficulté ou une impossibilité d'exécution, a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 131-4 du code des procédures civiles d'exécution ;
7) ALORS ENCORE QUE, en retenant que la Société était légitime, en vue d'assurer le respect du droit à la vie privée de ses salariés, à leur demander leur autorisation préalable à toute communication de leurs données, ce que 5 salariés avaient refusé et que Mme J... ne fournissait aucune précision et ne versait aux débats aucun élément de preuve de nature à établir que la Société STMICROELECTRONICS avait sélectionné des salariés ayant mal évolué, qu'en raison de l'anonymisation des données, il n'était pas possible de vérifier si ces salariés n'avaient pas eux-mêmes été victimes de discrimination et qu'il existait au sein de l'entreprise d'autres salariés entrant dans la définition visée par l'ordonnance du 21 octobre 2015, la cour d'appel, qui s'est déterminée selon des critères étrangers à la loi, a violé l'article L. 131-4 du code des procédures civiles d'exécution ;
8) ALORS EN TOUT ETAT DE CAUSE QUE, le respect de la vie personnelle du salarié ne constitue pas en lui-même un obstacle à l'application des dispositions de l'article 145 du code de procédure civile dès lors que le juge constate que les mesures qu'il ordonne procèdent d'un motif légitime et sont nécessaires à la protection des droits de la partie sollicitée ; qu'en l'espèce, en bornant, pour dire qu'il n'y avait pas lieu de liquider l'astreinte, à affirmer que la Société était légitime, en vue d'assurer le respect du droit à la vie privée de ses salariés, à leur demander leur autorisation préalable à toute communication de leurs données, ce que 5 salariés avaient refusé, sans rechercher, ainsi cependant qu'elle y était invitée, si la communication des données non anonymisées n'était pas indispensable à l'exercice du droit à la preuve et proportionnée aux intérêts antinomiques en présence, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 6§1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
9) ALORS EN OUTRE QUE, en affirmant, pour se déterminer comme elle l'a fait, que les bulletins de salaires d'un salarié comprenaient des données personnelles en sorte que la Société était légitime à rechercher l'autorisation des salariés alors qu'il résultait de l'ordonnance en date du 21 octobre 2015, qu'il avait seulement été enjoint à l'employeur de communiquer le salaire d'embauche, la position actuelle, le coefficient actuel, le salaire actuel, le coefficient d'embauche, la date d'embauche et le salaire d'embauche de dix hommes non anonymes actuellement salariés au sein de la Société et embauchés au 22 juin 2016 (plus ou moins six mois) et en aucun cas leurs bulletins de salaires, la cour d'appel, qui a dénaturé les termes du litige, a violé les articles 4 et 5 du code de procédure civile ;
10) ALORS AU SURPLUS QUE, dans ses écritures, Mme J... avait justifié que l'employeur avait précisément sélectionné les salariés anonymisés afin de faire croire qu'elle n'était pas victime de discrimination et avait produit à cet égard les pièces transmises par l'employeur dont il ressortait d'une part, que parmi les cinq salariés anonymisés, trois d'entre eux bénéficiaient d'une rémunération particulièrement faible, d'autre part, que deux d'entre eux formaient même la queue de peloton du panel de dix et enfin, que l'un d'entre eux n'avait pas évolué depuis son embauche en 2005 (resté au coefficient 255) ; qu'en affirmant que Mme J... ne fournissait aucune précision et ne versait aux débats aucun élément de preuve de nature à établir que la Société STMICROELECTRONICS avait sélectionné des salariés ayant mal évolué, qu'en raison de l'anonymisation des données, il n'était pas possible de vérifier si ces salariés n'avaient pas eux-mêmes été victimes de discrimination et qu'il existait au sein de l'entreprise d'autres salariés entrant dans la définition visée par l'ordonnance du 21 octobre 2015, la cour d'appel, qui a dénaturé les écritures et le bordereau de pièces de Mme J... a violé l'article 4 du code de procédure civile, ensemble le principe suivant lequel il est interdit au juge dénaturer l'écrit ;
11) ALORS EN TOUTE HYPOTHESE QUE, en affirmant que Mme J... n'établissait pas et ne versait aux débats aucun élément de preuve de nature à établir que la Société STMICROELECTRONICS avait sélectionné des salariés ayant mal évolué, qu'en raison de l'anonymisation des données, il n'était pas possible de vérifier si ces salariés n'avaient pas eux-mêmes été victimes de discrimination et qu'il existait au sein de l'entreprise d'autres salariés entrant dans la définition visée par l'ordonnance du 21 octobre 2015, la cour d'appel, qui a inversé la charge de la preuve, a violé l'article 1315 du code civil, devenu l'article 1353 dudit code ;
12) ALORS A TOUT LE MOINS QUE, en reprochant à Mme J... de ne pas établir que la Société STMICROELECTRONICS avait sélectionné des salariés ayant mal évolué, qu'en raison de l'anonymisation des données, il n'était pas possible de vérifier si ces salariés n'avaient pas eux-mêmes été victimes de discrimination et qu'il existait au sein de l'entreprise d'autres salariés entrant dans la définition visée par l'ordonnance du 21 octobre 2015, la cour d'appel, qui exigé de la salariée une preuve impossible à rapporter, a derechef violé l'article 1315 du code civil, devenu l'article 1353 dudit code.
TROISIEME MOYEN DE CASSATION
(subsidiaire au premier moyen)
Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'AVOIR débouté Mme J... de sa demande tendant à ce qu'il soit ordonné à la Société ST MICROELECTRONICS les documents concernant dix hommes, non anonymes, actuellement salariés au sein de la Société et embauchés au 22 juin 2006 (plus ou moins un an) en qualité de technicien d'atelier niveau IV, échelon 1, coefficient 255, et contenant les informations suivantes : la position actuelle, le coefficient actuel, le salaire actuel, le coefficient d'embauche, la date d'embauche et le salaire d'embauche, sous astreinte définitive de 50 euros par jour de retard ;
AUX MOTIFS QUE : « Sur le prononcé d'une astreinte définitive : L'article 145 du code de procédure civile prévoit que, s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé. En l'espèce, il n'est pas contesté que le juge du fond a été saisi le 28 juin 2016 d'une demande formée par Mme J.... Dans ces circonstances, la demande nouvelle formée par Mme J... en communication de documents concernant dix hommes non anonymes, actuellement salariés au sein de la société, et embauchés au 22 juin 2006 (plus ou moins un an), en qualité de « technicien d'atelier niveau IV, échelon 1, coefficient 255 », et contenant les informations suivantes : la position actuelle, le coefficient actuel, le salaire actuel, le coefficient d'embauché, la date d'embauché et le salaire d'embauché était irrecevable. L'ordonnance déférée sera par conséquent infirmée de ce chef. Sur le surplus des demandes : Mme J..., partie perdante qui sera condamnée aux dépens, sera déboutée de sa demande au titre de ses frais irrépétibles. Enfin, il n'apparaît pas inéquitable de débouter la société ST Microelectronics de sa prétention au titre de l'article 700 du code de procédure civile ».
1) ALORS QUE, en application de l'article 145 du code de procédure civile, l'absence d'instance au fond, qui constitue une condition de recevabilité de la demande, doit s'apprécier à la date de la saisine du juge ; qu'en jugeant la demande de Mme J... irrecevable motif pris qu'il n'est pas contesté que le juge du fond a été saisi le 28 juin 2016 d'une demande formée par Mme J..., après avoir constaté que la demande de Mme J... visant à obtenir la communication de divers documents sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile avait été engagée le 25 août 2015 et accueillie par ordonnance en date du 21 octobre 2015 que l'employeur n'avait que partiellement exécutée, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé le texte susvisé ;
2) ALORS EN TOUTE HYPOTHESE QUE, en considérant que la demande de communication sous astreinte définitive que Mme J... a été contrainte d'effectuer suite à l'inexécution par l'employeur de ses obligations était nouvelle alors qu'il résultait des éléments de la procédure que ladite demande répondait à la même fin que la demande initiale, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les articles 564 et 565 du code de procédure civile.