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Décisions

Cass. com., 30 novembre 2022, n° 20-23.554

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Mollard

Rapporteur :

Mme Graff-Daudret

Avocats :

SCP Waquet, Farge et Hazan, SCP Lévis

Aix-en-Provence, du 22 oct. 2020

22 octobre 2020

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 22 octobre 2020) et les productions, par un acte du 26 mars 2008, la société BNP Paribas (la banque) a consenti à la société Du Levant un prêt in fine d'un montant de 10 500 000 euros, outre intérêts, remboursable le 26 mars 2013. Ce prêt, destiné à financer partiellement l'acquisition de 360 000 actions de la société Sea Tankers, était garanti par le nantissement des titres, objet du prêt, et par la cession de toutes les créances nées ou à naître au titre d'une promesse d'achat consentie par des sociétés tierces, débitrices cédées, dans le cadre d'un pacte d'actionnaires du 14 décembre 2007, portant sur les actions de la société Sea Tankers que la société Du Levant détiendrait.

2. Par un acte du 7 septembre 2011, M. [J] s'est rendu caution envers la banque du remboursement de ce prêt dans la limite de 10 500 000 euros.

3. La société Du Levant ayant été condamnée à payer à la banque une somme de 9 822 280,85 euros, outre intérêts, la banque a assigné en paiement la caution, qui a demandé sa décharge sur le fondement de l'article 2314 du code civil, en soutenant que la banque avait laissé perdre ses autres garanties, dont elle aurait pu bénéficier par subrogation.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

4. M. [J] fait grief à l'arrêt de le condamner en sa qualité de caution au paiement au profit de la banque en deniers ou quittances de la somme de 9 822 280,82 euros, outre intérêts, avec capitalisation, alors :

« 1°/ que l'absence de radiation du nantissement résultant de la première déclaration de nantissement du 26 mars 2008 par le teneur du compte qui aurait reconnu l'existence de ce nantissement, n'était pas de nature à autoriser le créancier et partant la caution subrogée dans les droits de ce dernier, à mettre en oeuvre ce nantissement, dès lors qu'il avait été annulé par les parties au contrat ; qu'il résultait des conclusions de la banque que le 23 mars 2013, à l'occasion de la régularisation de l'avenant n° 2 à l'acte de prêt, la déclaration de gage de compte d'instruments financiers du 26 mars 2008 avait été annulée et remplacée par la déclaration de nantissement de compte de titres financiers souscrite le 26 mars 2013 par la société Du Levant ; que la déclaration du 26 mars 2013 précise expressément qu'elle annule et remplace la déclaration du 26 mars 2008 ; qu'en refusant de constater la perte du nantissement résultant de la première déclaration du 26 mars 2008 en raison de l'opinion du teneur de compte sur son existence et de la prétendue absence de radiation de ce nantissement par ce dernier, la cour d'appel a violé les articles L. 431-4 du code monétaire et financier et 2314 du code civil ;

2°/ que la déclaration de nantissement de compte de titres financiers ne réalise le gage qu'à la condition d'être portée à la connaissance du teneur de compte ; que, comme le constate la cour d'appel, la société Sea Tankers avait déclaré par courrier du 2 mai 2018 qu'à sa connaissance, la banque ne disposerait que du nantissement inscrit le 26 mars 2008, ce dont il résulte que la déclaration de nantissement du 26 mars 2013 n'avait pas été portée à sa connaissance ; qu'en considérant cependant que le nantissement avait été réalisé par la déclaration précitée, la cour d'appel a violé les articles L. 211-20 du code monétaire et financier et 2314 du code civil ;

3°/ qu'en ne recherchant pas comme elle y était invitée, si l'inscription des titres financiers nantis dans les livres de la société Sea Tankers ne constituait pas en l'espèce une condition contractuelle de validité de la constitution du nantissement et si, dès lors, en l'absence d'inscription du nantissement du compte financier issu de la déclaration du 26 mars 2013 dans les livres de la société Sea Tankers, ce nantissement n'était pas dépourvu de validité, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1134 du code civil dans sa rédaction antérieure au 10 février 2016 et 2314 du code civil ;

4°/ que si l'attestation de constitution de gage ne constitue pas une condition de validité du gage, l'absence de cette attestation interdit à la caution de mettre en oeuvre le nantissement, lorsque la société émettrice nie avoir été destinataire de la déclaration constitutive du gage ; qu'en refusant de prononcer la décharge de la caution à raison de la négligence de la banque, qui n'a pas sollicité la délivrance d'une attestation de constitution de gage, tout en constatant que la société Sea Tankers avait prétendu qu'à sa connaissance la banque ne disposerait que d'un unique nantissement inscrit le 26 mars 2008, ce dont il résulte qu'elle niait avoir reçu la déclaration de nantissement du 26 mars 2013 laquelle annulait et remplaçait celle du 26 mars 2008, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences de ses constatations au regard des articles L. 211-20 du code monétaire et financier et 2314 du code civil qu'elle a violé. »

Réponse de la Cour

5. Selon l'article L. 211-20, I, du code monétaire et financier, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2009-15 du 8 janvier 2009, qui a succédé à l'article L. 431-4, I, du même code, rédigé en des termes similaires, le nantissement d'un compte-titres est réalisé, tant entre les parties qu'à l'égard de la personne morale émettrice et des tiers, par une déclaration signée par le titulaire du compte, comportant les énonciations fixées par l'article D. 211-10 de ce code.

6. Il résulte de ces dispositions que, nonobstant toute clause contraire du contrat de nantissement, le nantissement est valable et opposable aux tiers, par le seul effet de cette déclaration, sans qu'aucune notification au teneur du compte-titres nanti ne soit requise.

7. Après avoir exactement énoncé qu'en application des dispositions de l'article L. 211-20 du code monétaire et financier, le nantissement est réalisé, tant entre les parties qu'à l'égard de la personne émettrice et des tiers, par une déclaration signée par le titulaire du compte et que la délivrance d'une attestation de nantissement, qui constitue une simple faculté offerte au créancier gagiste, ne constitue pas une condition de validité du nantissement, et constaté que la déclaration du 26 mars 2013 signée par la société Du Levant est conforme aux exigences légales, l'arrêt retient à juste titre que cette déclaration est valable, sans qu'il soit nécessaire d'exiger sa notification à la société Sea Tankers.

8. En l'état de ces énonciations, constatations et appréciations, dont il se déduit que le nantissement était opposable aux tiers, y compris la société Sea Tankers, société émettrice des titres nantis et teneur du compte-titres, la cour d'appel, qui n'était pas tenue d'effectuer la recherche invoquée par la troisième branche, dès lors qu'il était constant que les titres nantis étaient bien inscrits au compte-titres tenu par la société Sea Tankers, ni d'entrer dans le détail de l'argumentation des parties, a, à bon droit, statué comme elle l'a fait.

9. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le troisième moyen

Enoncé du moyen

10. M. [J] fait le même grief à l'arrêt, alors « que la caution est déchargée, lorsque la subrogation à un droit exclusif à être payé au titre d'une cession de créance professionnelle ne peut s'opérer en sa faveur par le fait du créancier ; que tel est le cas lorsque, en l'absence dans le bordereau de cession de créances des mentions exigées par l'article L 313-23 du code monétaire et financier, les cessions de créances ne sont pas opposables aux débiteur cédés ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé l'article 2314 du code civil. »

Réponse de la Cour

11. Après avoir énoncé que l'article 2314 du code civil n'est applicable qu'en présence de droits qui comportent un droit préférentiel conférant au créancier un avantage particulier pour le recouvrement de sa créance et qu'est ainsi qualifié tout droit susceptible de conférer à son titulaire une facilité plus grande dans la perception de sa créance ou une véritable position privilégiée, l'arrêt retient exactement que M. [J], qui invoque la perte du bénéfice de la subrogation dans les droits du cessionnaire, ne justifie pas de la perte d'un tel droit préférentiel, puisque la banque ne dispose pas d'un droit qui lui permette d'éviter le concours avec les autres créanciers chirographaires.

12. Le moyen n'est donc pas fondé.

Mais sur le deuxième moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

13. M. [J] fait encore le même grief à l'arrêt, alors « que la caution est déchargée, lorsque la subrogation aux droits, hypothèques et privilèges du créancier, ne peut plus, par le fait de ce créancier, s'opérer en faveur de la caution ; qu'en statuant comme elle l'a fait, sans rechercher comme elle y était invitée, si en s'abstenant d'exercer son droit de gage sur le compte d'instruments financiers à la date de la défaillance du débiteur principal, à laquelle la valeur des actions gagées était très supérieure au montant de la créance garantie, la banque n'avait pas compromis la subrogation de la caution dans ses droits, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 2314 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 2314 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 :

14. Aux termes de ce texte, la caution est déchargée, lorsque la subrogation aux droits, hypothèques et privilèges du créancier, ne peut plus, par le fait de ce créancier, s'opérer en faveur de la caution.

15. Pour condamner M. [J], en qualité de caution, à payer à la banque diverses sommes, l'arrêt retient que celui-ci a eu nécessairement connaissance des conditions stipulées dans l'acte de prêt, et notamment de l'obligation de maintien de la valeur des actions nanties, laquelle n'a pas été respectée eu égard à la procédure de liquidation judiciaire dont a fait l'objet la société Sea Tankers. Il retient encore que l'engagement de préservation de la valeur des actions à la hauteur du prêt souscrit incombe à l'emprunteur, titulaire de ces actions, qui les offre en garantie du prêt souscrit, et non à la banque, et qu'il appartenait donc à la société Du Levant, titulaire des actions nanties, de veiller à la préservation de leur valeur et de surveiller toutes modifications éventuelles. L'arrêt ajoute que, de surcroît, il n'est nullement établi que la banque a eu connaissance des difficultés économiques de la société Sea Tankers et de la perte de valeur des actions, dans la mesure où il n'est pas démontré qu'elle était la banque teneuse des comptes de cette société. Il en déduit que M. [J] ne peut se prévaloir du non-respect par la banque d'un éventuel devoir de vigilance de nature à justifier l'application de l'article 2314 du code civil.

16. En se déterminant ainsi, sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si, en s'abstenant d'exercer son droit de gage sur le compte-titres à la date de la défaillance de la société Du Levant, débitrice principale, alors que la caution prétendait qu'à cette date, la valeur des actions nanties était très supérieure au montant du capital fixé dans l'acte de prêt, le créancier n'avait pas fait perdre à la caution un droit dont elle aurait pu bénéficier par subrogation, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le dernier grief, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 22 octobre 2020, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence, autrement composée.