Cass. com., 18 mars 1997, n° 94-21.430
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Bézard
Rapporteur :
M. Gomez
Avocat général :
M. Raynaud
Attendu, selon les énonciations de l'arrêt attaqué (Paris, 6 juillet 1994), que la société Paravision International (société Paravision) a été créée en 1988 à l'initiative de la société L'Oréal qui, dans le but de diversifier ses activités, envisageait d'intervenir de manière importante dans le secteur de l'audiovisuel; que le capital de la société Paravision, dont M. David Frydman est un administrateur, était contrôlé à proportion de 75% par le groupe L'Oréal et détenu pour le reste par le groupe X... qui lui avait cédé ses droits sur les catalogues de films qu'il détenait par l'intermédiaire de ses filiales; que le groupe X... a, de son côté, créé la société Aries dont le président du conseil d'administration est M. Frydman et dont l'objet est le conseil et l'assistance en matière d'exploitation, d'achat, de vente, de distribution et de diffusion de tous droits de propriété littéraire et artistique, notamment en matière cinématographique et audiovisuelle ;
qu'en 1989, des négociations ont été conduites avec la société américaine Carolco Pictures (société Carolco) producteur indépendant de films aux Etats-Unis; que le but recherché était la création d'une société en participation pour permettre au producteur américain la distribution de films de première importance commerciale dans les pays francophones, ce qui devait permettre à la société Paravision de distribuer ses propres films en proposant des ensembles composés de films importants et récents et de films anciens; que le 8 septembre 1989, étaient établis trois documents, le premier étant une lettre adressée par la société Paravision à la société Aries, le deuxième établi entre la société Aries et la filiale à Curaçao du groupe Carolco sur la distribution de son catalogue et le troisième établi entre la société Paravision et la société Carolco sur la création d'une association en participation; que la société Paravision faisant valoir que l'accord du 8 septembre 1989 avait été conclu sous condition résolutoire d'un accord de partenariat entre elle-même et la société Carolco avant le 31 décembre 1989, condition non réalisée, et que le document portant la même date conclu entre elle et la société Carolco n'était qu'une simple lettre d'intention a assigné la société Aries et M. Frydman en nullité de la convention du 8 septembre 1989 ;
Sur le premier moyen, pris en ses trois branches :
Attendu que la société Paravision fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté sa demande en restitution de la somme de deux millions et demi de dollars versée à la société Aries, et de l'avoir condamnée au paiement à celle-ci de la somme de 500 000 dollars alors, selon le pourvoi, d'une part, qu'au terme de la lettre-contrat du 8 septembre 1989 entre elle et la société Aries, il était convenu que l'accord entre ces deux sociétés était soumis à la condition résolutoire de l'acquisition par la société Aries du catalogue Carolco pour 25 000 000 de dollars, cette acquisition étant également le préalable nécessaire à l 'accord de partenariat Paravision-Carolco; d'où il suit que la cour d'appel a dénaturé la lettre-contrat Aries-Paravision, violant l'article 1134 du Code civil; alors, d'autre part, que, la cour d'appel ne pouvait pas légalement décider que la lettre-contrat du 8 septembre 1989, constituait un "véritable contrat" entre la société Aries et elle, sans constater, d'un côté, qu'elle ne s'engageait envers la société Aries, qu'à la condition que la société Aries acquière le catalogue des films de la société Carolco pour 25 millions de dollars et, d'un autre côté, que l'acquisition dont s'agit constituait le préalable nécessaire à la conclusion de l'accord de partenariat entre elle et la société Carolco; que la condition d'acquérir le catalogue Carolco, limitée par la cour d'appel à l'accord cadre Aries-Carolco, conclu le même jour, constituait une condition purement potestative de la part de la société Aries ; qu'ainsi cette obligation d'acquérir était nulle par application de l'article 1174 du Code civil ; et alors, enfin, que la nullité de l'obligation souscrite, sous condition purement potestative, privait de toute contrepartie et
donc de cause, l'obligation de la société Paravision de payer 3 millions de dollars à la société Aries ; d'où il suit que la cour d'appel a violé l'article 1131 du Code civil ;
Mais attendu, en premier lieu, qu'après avoir relevé qu'il résultait des trois documents litigieux signés le 8 septembre 1989, que la société Aries prenait en charge pour un prix de vingt cinq millions de dollars, l'acquisition d'une série de films sous réserve de la signature d'un accord entre la société Carolco et la société Paravision qui s'engageait à payer 3 000 000 de dollars dont 2 000 000 et demi "ce jour" et le reste le 6 septembre 1991, l'arrêt constate que ces documents prévoyaient les conditions d'exploitation, puis divers engagements concernant la production de la suite d'un film intitulé "Neuf semaines et demi" et que le document était signé par les deux dirigeants après la formule "bon pour accord"; que, hors toute dénaturation, la cour d'appel a pu décider qu'ils constituaient un contrat-cadre liant les parties dès lors que, s'ils sous-entendaient la signature d'accords complémentaires, ils n'en précisaient pas moins nettement les principaux objectifs de son exécution et que leur contenu ne prévoyait pas qu'il ne s'agissait que d'un préliminaire à un véritable contrat entre les sociétés ;
Attendu, en second lieu, que l'arrêt relève, d'un côté, que deux documents ont été signés entre la société Aries et la société Carolco avant le 31 décembre 1989, et que ces sociétés ont procédé à l'établissement et à l'enregistrement des documents nécessaires à la bonne exécution du contrat et d'un autre côté que la société Paravision ne justifie pas avoir exigé la preuve de l'obtention des droits d'exploitation des films du catalogue Carolco, qui conditionnait l'exécution de l'accord entre les deux sociétés ;
que la cour d'appel a pu, après avoir procédé aux recherches prétendument omises, rejeter la demande en nullité du contrat ;
D'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
Sur le deuxième moyen, pris en ses trois branches :
Attendu que la société Paravision fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté sa demande en nullité du contrat litigieux alors, selon le pourvoi, d'une part, que l'objet même de l'assignation, était la réparation du préjudice subi par elle, du fait du versement de 2,5 millions de dollars à la société Aries, sans aucune contrepartie, en exécution de l'accord du 8 septembre 1989, somme dont elle demandait la restitution ; d'où il suit qu'en écartant la nullité édictée par l'article 101 de la loi du 24 juillet 1966, faute par elle d'alléguer un préjudice découlant de l'accord du 8 septembre 1989, la cour d'appel a violé l'article 4 du nouveau Code de procédure civile; alors, d'autre part, que, si, selon les énonciations de l'arrêt, l'accord du 8 septembre 1989, n'était qu'un projet, ou si la clause résolutoire était acquise, moyens de droit présentés par elle à l'appui de sa demande de restitution, la cour d'appel qui constatait qu'elle avait versé 2,5 millions de dollars en application de ce projet, n'a pas tiré de ses constatations les conséquences légales qui en découlaient, en décidant qu'elle ne justifiait pas que ce "projet" lui ait causé un préjudice pour écarter la nullité édictée par l'article 101 de la loi du 24 juillet 1966, violant l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ; et alors, enfin, que la cour d'appel ayant décidé que les accords du 8 septembre 1989 étaient définitifs et que la condition résolutoire n'était pas acquise, ne pouvait pas, sans priver sa décision de base légale, au regard de l'article 101 de la loi du 24 juillet 1966, refuser de prononcer la nullité de l'accord du 8 septembre 1989, au prétexte qu'il s'agissait d'un projet, que la clause résolutoire était acquise et que la société n'avait pas, de ce fait, subi de préjudice, violant l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu que l'arrêt retient que la condition résolutoire n'a pas été acquise et que par conséquent le versement par la société Paravision à la société Aries de la somme dont cette dernière réclamait le remboursement, était causé et ne pouvait pas constituer un préjudice ; que la cour d'appel a donc pu décider sans se contredire et sans méconnaître l'objet du litige que la société Paravision ne justifiait pas d'un préjudice susceptible d'entraîner la nullité prévue par l'article 101 de la loi du 24 juillet 1966 ; d'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
Sur le troisième moyen, pris en ses deux branches :
Attendu que la société Paravision fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté sa demande en restitution de la somme de 2 000 000 et demi de dollars versée à la société Aries, et de l'avoir condamnée au paiement à celle-ci de la somme de 500 000 dollars alors, selon le pourvoi, d'une part, que l'acquisition par la société Aries des films Carolco pour 25 000 000 de dollars, constituait la condition préalable nécessaire à l'existence même du contrat Aries-Paravision, que la condition s'étant réalisée, la société Aries avait pris le double engagement de collaborer avec elle pour la cession des droits à Canal Plus, et de lui garantir un mandat de distribution pour les télévisions non payantes, que ce double engagement constituait la contrepartie des 3 000 000 de dollars mis à sa charge, dont 2, 5 millions avaient été versés ; d'où il suit qu'après avoir constaté que la société Aries avait manqué aux deux obligations mises à sa charge par la lettre-contrat, à son égard, la cour d'appel devait, par application de l'article 1184 du Code civil, prononcer la résolution judiciaire du contrat; et alors, d'autre part, qu'en ne répondant pas au moyen tiré de la résolution du contrat pour inexécution, la cour d'appel a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu que l'arrêt retient que la société Aries en cédant à la société Canal Plus l'ensemble des droits bien après s'être engagée envers la société Paravision à lui maintenir un mandat de distribution a manqué à son obligation de résultat; que la cour d'appel a pu réparer le préjudice causé par la société Aries à la société Paravision et a répondu en rejetant la demande de résolution judiciaire du contrat au moyen prétendument délaissé; d'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
Et sur le quatrième moyen, pris en ses trois branches :
Attendu que la société Paravision fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté sa demande en réparation du préjudice causé en ce qu'elle était dirigée contre M. Frydman alors, selon le pourvoi, d'une part que la cassation sur le moyen relatif à la nullité de l'article 101 de la loi du juillet 1966, entraîne par voie de conséquence la cassation de l'arrêt, en ce que la cour d'appel l'a déboutée de sa demande dirigée contre M. David Frydman, faute d'annulation du contrat; alors, d'autre part, que l'article L. 244 de la loi du 24 juillet 1966 est relatif à la responsabilité de l'administrateur d'une société envers la société ou envers les tiers; qu'ayant agi contre M. David Frydman, en qualité d'administrateur de la société Paravision, la cour d'appel ne pouvait pas, sans modifier l'objet du litige et violer l'article 4 du nouveau Code de procédure civile, déclarer inapplicable l'article L. 244 de la loi du 24 juillet 1966 en raison de la qualité de M. David Frydman, président directeur général de la société Aries; et alors, enfin, qu'à supposer que la violation de la loi ne puisse être invoquée contre M. David Frydman, en qualité d'administrateur de la société Paravision, la cour d'appel ne pouvait pas rejeter sa demande dirigée contre M. David Frydman, qui, en qualité de président directeur général de la société Aries, tout en étant administrateur de la société Paravision, n'avait exécuté aucune des obligations mises à sa charge par le contrat du 8 septembre 1989, et notamment l'obligation de collaborer avec elle pour la cession des droits à Canal Plus, et la reconnaissance par Canal Plus du mandat de distribution aux télévisions non payantes, moyennant une rémunération de 5%, obligations dont la contrepartie exécutée par elle était le versement de 2,5 millions de dollars; d'où il suit qu'en rejetant sa demande, sans répondre à ce moyen des conclusions, la cour d'appel a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu, en premier lieu, que le moyen relatif à la nullité fondée sur les prescriptions de l'article 101 de la loi du 24 juillet 1966 a été rejeté; que le moyen pris en sa première branche est sans fondement ;
Attendu, en deuxième lieu, que la cour d'appel n'a pas méconnu l'objet du litige, en décidant que la faute résultant de l'inobservation des prescriptions de l'article 101 de la loi du 24 juillet 1966, ne peut être imputée qu'au président du conseil d'administration, ce dont il résulte que cette faute ne pouvait pas l'être à M. Frydman, administrateur de la société Paravision ;
Attendu, enfin, que la cour d'appel qui a retenu que la preuve d'une faute personnelle commise par M. Frydman n'était pas rapportée a répondu en les rejetant aux conclusions invoquées ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé dans ses deuxième et troisième branches ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi.