Cass. 3e civ., 17 novembre 2021, n° 19-13.255
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Teiller
Rapporteur :
Mme Djikpa
Avocats :
Me Le Prado, SCP Célice, Texidor, Périer, SCP Waquet, Farge et Hazan
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Toulouse, 28 novembre 2018), la société civile immobilière Forêt royale (la SCI Forêt royale) a été constituée entre Mme [F] et M. [U], celui-ci étant titulaire de soixante-dix pour cent des parts et ayant la qualité de gérant.
2. Après y avoir été autorisée par délibération de l'assemblée générale des associés du 14 août 2012, la SCI Forêt royale a vendu divers biens lui appartenant à la société civile immobilière Miami (la SCI Miami), dont M. [U] est également gérant et associé.
3. Mme [F] a assigné M. [U] et les SCI Miami et Forêt royale en annulation de l'assemblée générale du 14 août 2012 pour abus de majorité et en indemnisation de son préjudice et de celui subi par la SCI Forêt royale, dont elle a également sollicité la dissolution anticipée pour justes motifs.
4. M. [H], aux droits duquel vient la société [H], a été désigné en qualité d'administrateur ad hoc pour représenter la SCI Forêt royale à l'instance.
Examen des moyens
Sur le deuxième moyen, ci-après annexé
5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le premier moyen, pris en sa seconde branche
Enoncé du moyen
6. M. [U] et la SCI Miami font grief à l'arrêt de déclarer irrecevables comme nouvelles devant la cour d'appel certaines de leurs demandes, alors « qu'en retenant, pour déclarer les demandes reconventionnelles de M. [U] et de la SCI Miami irrecevables, que ces demandes sont nouvelles en cause d'appel et ne répondent pas aux conditions posées par les articles 564, 565 et 566 du code de procédure civile, sans rechercher si ces demandes ne se rattachent pas aux prétentions originaires par un lien suffisant, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 70 et 567 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 70, alinéa 1er, et 567 du code de procédure civile :
7. Selon le premier de ces textes, les demandes reconventionnelles ou additionnelles ne sont recevables que si elles se rattachent aux prétentions originaires par un lien suffisant.
8. Selon le second, les demandes reconventionnelles sont recevables en appel.
9. Pour déclarer certaines demandes de M. [U] et de la SCI Miami irrecevables, l'arrêt retient qu'elles sont nouvelles devant la cour et ne remplissent pas les conditions posées par les articles 564, 565 et 566 du code de procédure civile.
10. En se déterminant ainsi, sans rechercher si ces demandes, qui étaient reconventionnelles, ne se rattachaient pas aux prétentions originaires par un lien suffisant, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
Et sur le troisième moyen
Enoncé du moyen
11. M. [U] et la SCI Miami font grief à l'arrêt d'ordonner la dissolution de la SCI Forêt royale, de désigner un liquidateur et de renvoyer les parties devant celui-ci pour l'établissement des comptes, alors « que la dissolution anticipée d'une société par le tribunal à la demande d'un associé ne peut être prononcée pour justes motifs que lorsque le fonctionnement de la société est paralysé ; qu'en se déterminant, par des motifs impropres à établir que la mésentente entre les associés paralysait le fonctionnement de la société, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article 1844-7 5° du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 1844-7, 5°, du code civil :
12. Selon ce texte, la société prend fin par la dissolution anticipée prononcée par le tribunal à la demande d'un associé pour justes motifs, notamment en cas d'inexécution de ses obligations par un associé, ou de mésentente entre associés paralysant le fonctionnement de la société.
13. Pour prononcer la dissolution anticipée de la SCI Forêt royale pour justes motifs, l'arrêt retient qu'en 2011, la désignation d'un administrateur a été nécessaire en raison de l'absence de convocation de l'assemblée générale statutaire depuis plusieurs années, d'opérations graves sur le patrimoine social décidées par le seul gérant et de l'arrêt de la distribution de revenus à l'associée minoritaire depuis 2010, que celle-ci n'a pu être remplie de ses droits que suite à une action judiciaire et que lors des assemblées générales qui ont suivi, en 2012 et 2013, l'associé majoritaire et gérant a abusé de sa majorité en soumettant au vote des résolutions contraires à l'intérêt social.
14. Il ajoute que les procédures ayant opposé les associés depuis 2011 montrent à quel point leur mésentente est profonde et qu'il résulte des déclarations de M. [U] une volonté de considérer la société comme sa seule propriété.
15. La cour d'appel en déduit qu'il ne peut être considéré, dans de telles conditions, que la société, dans laquelle il n'existe plus aucun affectio societatis, fonctionne normalement et qu'en conséquence, il existe de justes motifs de prononcer la dissolution de la SCI Forêt royale.
16. En se déterminant ainsi, par des motifs impropres à établir une paralysie du fonctionnement de la société, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la première branche du premier moyen, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement :
- en ce qu'il déclare irrecevables comme nouvelles devant la cour d'appel les demandes suivantes formulées par M. [U] et la SCI Miami :
* condamner Mme [F] à verser à M. [U] la somme de 20 000 euros assortie d'une majoration de retard de 200 euros par mois jusqu'à paiement intégral de la somme, en raison de l'irrecevabilité de son action ut singuli,
* condamner Mme [F] à payer à la SCI Forêt royale les sommes de 3 000 euros et 30 000 euros de dommages et intérêts assortis sur chacune des sommes d'une majoration de retard de 200 euros par mois jusqu'au paiement intégral des sommes, au motif que le procès-verbal d'huissier de justice du 31 juillet 2012 et la saisie conservatoire du 15 mai 2014 entre les mains de la société avec levée à effet immédiat, seraient « irrecevables »,
* condamner Mme [F] à payer à la SCI Miami la somme de 20 000 euros de dommages et intérêts assortie d'une majoration de retard de 200 euros par mois jusqu'au paiement intégral de la somme, en raison de l'« irrecevabilité » du rapport d'expertise du 21 novembre 2014,
* déclarer « irrecevable » la nomination du mandataire ad hoc, le 23 avril 2015 et prononcer sa révocation et condamner Mme [F] à payer à la SCI Forêt royale la somme de 20 000 euros de dommages et intérêts assortie d'une majoration de retard de 200 euros par mois jusqu'au paiement intégral de la somme,
* annuler la vente du lot 18 du 30 juin 1988 pour défaut de paiement de l'acquéreur,
* condamner Mme [F] à la restitution de toutes sommes indûment retirées de la jouissance du bien à compter du 30 juin 1988 soit un reversement minimum basé sur un loyer moyen de 450 euros par mois à lui verser, cette somme étant soumise à capitalisation et indexation, et versée sur ses deniers personnels,
* condamner Mme [F] à lui verser la somme de 6 000 euros pour préjudice moral et financier pour chaque année de détention illégitime, cette somme étant soumise à capitalisation et indexation, et versée sur ses deniers personnels,
* condamner Mme [F] à verser à la SCI Forêt royale la somme de 30 000 euros au titre des préjudices financiers à payer par compensation sur la somme lui revenant dans la répartition des actifs et ensuite sur ses deniers personnels si nécessaire,
* condamner Mme [F] à prendre à sa charge l'intégralité des frais occasionnés au titre de ses actions et par l'intermédiaire des professionnels de justice depuis 2009, soit des frais d'expertise, de saisie conservatoire, de frais d'huissier de justice, de référés et tous autres frais consécutifs à l'introduction de ses actions à payer sur ses deniers personnels, payables directement en remboursement par compensation si possible pour les frais supportés par la SCI, et payables directement pour les frais de M. [U],
* condamner Mme [F] à payer à la SCI Miami la somme de 10 000 euros au titre de ses préjudices financiers,
* condamner Mme [F] au titre de l'introduction en justice d'actions abusives et dépourvues de tout fondement juridique 10 000 euros de dommages et intérêts assortis d'une majoration de retard de 200 euros par mois jusqu'à paiement intégral de la somme à verser à M. [U], à la SCI Forêt royale et à la SCI Miami
- en ce qu'il ordonne la dissolution de la SCI Forêt royale, désigne M. [H] en qualité de liquidateur et met fin à sa mission d'administration provisoire, renvoie celui-ci à procéder aux formalités de publicité légale et renvoie les parties devant le liquidateur pour l'établissement des comptes,
l'arrêt rendu le 28 novembre 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Toulouse ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Bordeaux.