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Décisions

CA Caen, 1re ch. civ., 15 novembre 2022, n° 19/02756

CAEN

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Défendeur :

Le Solitaire (SCI), AXA France IARD (SA), Pasquet Diffusion (SAS), MC France (SAS), MMA IARD (SA), MMA IARD Assurances Mutuelles (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Guiguesson

Conseillers :

M. Garet, Mme Velmans

Avocats :

Me Piro, Me Levasseur, Me Barthelemy, Me Reynaud, Me Hellot, Me Balavoine, Me Colleu, Me Anfry, Me Demay

TGI Lisieux, du 3 sept. 2019, n° 17/0033…

3 septembre 2019

EXPOSE DU LITIGE

Courant 2005, la SCI Le Solitaire a fait construire une maison d'habitation sur un terrain lui appartenant situer à [Localité 15] (14).

Sont notamment intervenus à l'acte de construire :

- Madame [B] [Z], architecte, en qualité de maître d'oeuvre,

- la société LEMETAYER, chargée du gros-oeuvre,

- l'entreprise [R] et fils, chargée du lot couverture et de la pose des oeils-de-boeuf, assurée auprès de la SA AXA IARD,

- la SARL [X] et [G], chargée du lot menuiseries,

- la SAS Pasquet Diffusion, fournisseur des oeils-de-bœuf,

- la SA MC France, fournisseur des autres menuiseries, assurée par la SA MMA IARD et MM IARD Assurances Mutuelles.

La réception des travaux de couverture a eu lieu en deux fois, les 26 novembre et 18 décembre 2007.

Se plaignant de désordres, la SCI Le Solitaire, après avoir sollicité l'avis de Monsieur [F] en tant qu'expert amiable, a saisi le juge des référés du tribunal de grande instance de Lisieux aux fins d'organisation d'une expertise.

Monsieur [P] a été désigné à cette fin par ordonnance de référé du 28 octobre 2010, puis remplacé par Monsieur [M] qui a déposé son rapport le 22 novembre 2016.

Suivant actes d'huissier des 16, 17, 21 et 22 mars 2017, la SCI Le Solitaire a fait assigner la SA AXA Iard ès-qualités d'assureur de la société [R] et Fils, les SAS Pasquet Diffusion et MC France au titre de la fourniture des menuiseries, la compagnie MMA IARD, assureur de cette dernière et Madame [B] [Z] devant le tribunal de grande instance de Lisieux afin d'obtenir l'indemnisation de ses préjudices.

Par acte d'huissier du 11 octobre 2017, elle a fait assigner aux mêmes fins la SARL [X] et [G].

Les deux affaires ont été jointes.

Par jugement du 3 septembre 2019, le tribunal a :

- dit que sont atteints de désordres de nature décennale le châssis oeil-de-boeuf du dressing, les menuiseries et les noues en zinc ;

- dit que les descentes d'eau pluviales ne sont pas atteintes d'un désordre de nature décennale, sur le châssis oeil-de-boeuf du dressing et des noues en zinc ;

- déclaré Mme [Z] et la société [R] et Fils responsablesà ce titre sur le fondement de l'article 1792 du code civil ;

- débouté la société Le Solitaire de ses demandes à ce titre à l'encontre de la société Pasquet Diffusion ;

- dit que le préjudice de la société Le Solitaire occasionné par les désordres relatifs à ce deux postes s'élève à la somme de 1 047,80 euros HT ;

- condamné la société Axa France à garantir son assuré la société [R] et Fils ;

- condamné in solidum Mme [Z] et la société Axa France Iard ès qualités d'assureur de la société [R] et Fils au paiement de la somme de 1 047,80 euros HT ;

- dit que dans les rapports entre co-obligés, le partage de responsabilité s'effectuera de la manière suivante :

* Mme [Z] : 25 %,

* la société [R] et Fils : 75 %,

Sur les menuiseries,

- déclaré Mme [Z] et la société [X] et [G] responsables à ce titre sur le fondement de l'article 1792 du code civil ;

- débouté la société Le Solitaire de ses demandes à ce titre à l'encontre de la société MC France et de son assureur les sociétés MMA IARD et MMA IARD Assurances Mutuelles ;

- dit que le préjudice de la société Le Solitaire occasionné par les désordres relatifs à ces deux postes s'élève à la somme de 110 904,49 euros HT au titre des travaux de reprise et de 6 703,44 euros HT au titre des honoraires de maîtrise d'oeuvre liée à ces travaux de reprise ;

- condamné in solidum Mme [Z] et la société [X] et [G] au paiement des sommes de 110 904,49 euros HT et de 6 703,44 euros HT ;

- débouté la société Le Solitaire de sa demande au titre du préjudice de jouissance ;

- dit que dans les rapports entre co-obligés, le partage de responsabilité s'effectuera de la manière suivante :

* Mme [Z] : 25 %,

* la société [X] et [G] : 75 %,

- condamné dans leurs recours entre eux, les constructeurs déclarés responsables et leur assureur respectif, à se garantir des condamnations prononcées à leur encontre, à proportion de leur part de responsabilité ci-dessus indiquée ;

- débouté Mme [Z] de ses appels en garantie à l'encontre de la société MC France et son assureur les sociétés MMA IARD et MMA IARD Assurances Mutuelles, ainsi qu'à l'encontre de la société Pasquet Diffusion ;

- débouté la société Axa France Iard de ses demandes de garantie contre la société Pasquet Diffusion, la société MC France et son assureur les sociétés MMA Iard et MMA Iard Assurances Mutuelles ;

- déclaré irrecevable car prescrit l'appel en garantie de la société [X] et [G] à l'encontre de la société MC France et de son assureur les sociétés MMA Iard ;

- condamné in solidum Mme [Z], la société Axa France Iard ès qualités d'assureur de la société [R] et Fils et la société [X] et [G] à payer les dépens comprenant les frais d'expertise ;

- admis les avocats qui en ont fait la demande et qui peuvent y prétendre au bénéfice des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile ;

- condamné in solidum Mme [Z], la société Axa France Iard ès qualités d'assureur de la société [R] et Fils et la société [X] et [G] à payer à la société Le Solitaire la somme de 3 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- dit que la charge finale des dépens et celle de l'indemnité accordée au titre de l'article 700 du code de procédure civile seront réparties au prorata des responsabilités retenues ci-dessus ;

- rejeté toutes les autres demandes plus amples ou contraires formées par les parties ;

- ordonné l'exécution provisoire du jugement.

Le 30 septembre 2019, la SARL [X] et [G] a formé appel de la décision.

Aux termes de ses écritures en date du 27 décembre 2019, elle conclut à l'infirmation du jugement en ce qu'il a dit que les menuiseries étaient atteintes de désordres de nature décennale et l'a condamnée au paiement des travaux de reprise.

Elle conteste le caractère décennal du désordre qui concerne un élément d'équipement et est purement phonique, s'agissant de craquements. Elle ajoute qu'il était apparent et non réservé à la réception.

Elle estime que le fabricant, la société MC France, est seul responsable sur le fondement de l'article 1792-4 du code civil et lui doit à tout le moins ainsi que ses assureurs MMA IARD et MMA IARD Assurances, sa garantie sur ce fondement ou subsidiairement sur celui de la garantie des vices cachés ou de sa responsabilité contractuelle.

Elle sollicite également la garantie intégrale de l'architecte Madame [Z].

Elle conclut au rejet de l'intégralité des demandes formées à son encontre et à la condamnation in solidum de la SCI Le Solitaire ainsi que de tout succombant au paiement d'une somme de 5.000,00 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens avec droit de recouvrement direct au profit de son conseil.

Aux termes de leurs écritures en date du 16 mars 2020, la société MC France et ses assureurs les MMA IARD et MMA IARD Assurances Mutuelles, rappellent que les articles 1792 et suivants du code civil ne sont pas susceptibles de lui être appliqués puisqu'elle n'est que le fournisseur des menuiseries incriminées posées par la société [X] et [G] qui n'ont pas fait l'objet d'une commande spécifique et ne peuvent donc être qualifiées d'EPERS, et que comme l'a jugé le tribunal la prescription est acquise à son égard sur le fondement de la garantie des vices cachés.

Elles concluent donc à la confirmation du jugement s'agissant des dispositions la concernant, au rejet des prétentions adverses à son encontre et sollicitent la condamnation de la société [X] et [G] au paiement d'une somme de 4.000,00 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

Aux termes de ses écritures en date du 10 juin 2020, Madame [Z] rappelle que les mesures acoustiques n'ont pas concerné toutes les fenêtres de telle sorte que le désordre ne peut être considéré comme généralisé, et qu'aucune impropriété à destination n'est caractérisée.

Elle conclut à la réformation du jugement qui a retenu sa responsabilité décennale au titre ce désordre et subsidiairement à la limitation du coût des travaux de réparation des menuiseries à la somme de16.530,50 € HT et 1.650,00 € au titre de la maîtrise d'oeuvre.

En tout état de cause, elle sollicite la garantie intégrale des sociétés MC France, ses assureurs MMA IARD et MMA IARD Assurances Mutuelles et de la société [X] et [G].

Elle conteste également le caractère décennal des désordres affectant les noues des lucarnes et à la réformation du jugement en ce qu'il l'a condamnée sur le fondement de la garantie décennale.

Subsidiairement, elle sollicite la garantie d'AXA au titre de ce désordre.

Elle conclut au rejet des prétentions adverses et sollicitent la condamnations des sociétés [X] et [G], MC France et ses assureurs MMA IARD et MAM IARD Assurances Mutuelles et d'AXA au paiement d'une somme de 4.000,00 € ainsi qu'aux dépens avec droit de recouvrement direct au profit de son conseil.

Aux termes de ses écritures en date du 9 septembre 2020, la société AXA France IARD, assureur décennal de la société [R] (couvreur), conclut à la réformation du jugement s'agissant des noues en l'absence d'infiltrations avérées dans le délai décennal, subsidiairement demande de limiter l'éventuelle condamnation des constructeurs à la somme de 759,60 € HT, et sollicite la garantie de Madame [Z] pour toutes condamnations prononcées à son encontre en principal, intérêts, frais, article 700, dépens.

Elle sollicite la confirmation du jugement s'agissant des insuffisances des tuyaux de descente et subsidiairement, recherche la garantie de Madame [Z].

Elle conclut de même à la confirmation du jugement s'agissant des oeil-de-boeufs et subsidiairement à la garantie in solidum de Madame [Z] et de la SARL Pasquet Diffusion, au rejet des prétentions de la SCI Le Solitaire au titre de son préjudice, des frais irrépétibles et des dépens et sollicite la condamnation de la société [X] et [G] ainsi que de la SCI Le Solitaire au paiement d'une somme de 3.000,00 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Aux termes de ses écritures en date du 12 octobre 2020, la société Pasquet Diffusion, fournisseur des oeil-de-boeuf à la société [R], conclut à la confirmation du jugement qui a considéré que sa responsabilité ne pouvait être recherchée sur le fondement décennal, l'ouvrage fourni ne pouvant recevoir la qualification d'EPERS, à la prescription de toute action fondée tant sur la garantie des vices cachés que sur une faute contractuelle.

Subsidiairement, elle demande que soit retenue la garantie de la société [R], et très subsidiairement qu'il soit constaté que le coût du remplacement d'un oeil-de-boeuf s'élève à la somme de 607.94 € HT.

Elle sollicite le rejet de toute demande de la société AXA FRANCE IARD à son encontre, la condamnation de la SCI Le Solitaire au paiement d'une somme de 3.000,00 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

Aux termes de ses dernières écritures en date du 4 avril 2022, la SCI Le Solitaire conclut à la confirmation du jugement sauf en ce qu'il a :

- dit que les descentes d'eaux pluviales ne sont pas atteintes d'un désordre de nature décennale,

- l'a déboutée de ses demandes relatives aux déordres affectant le châssis oeil-de-boeuf du dressing et les noues en zinc à l'encontre de la société Pasquet Diffusion,

- a dit que le préjudice relatif à ces deux postes s'élève à la somme de 1.047,80 € HT,

- limité la condamnation in solidum de Madame [Z] et la société AXA France iard ès-qualité d'assureur de la SARL [R] et Fils à la somme de 1.047,80 € HT,

- l'a déboutée de ses demandes au titre des menuiseries à l'encontre de la société MC France et de son assureur les MMA Iard et MMA Iard Assurances Mutuelles,

- a limité le montant des honoraires de maîtrise d'oeuvre liée aux travaux de reprise à la somme de 6.703,44 € HT,

- déboutée de sa demande au titre du préjudice de jouissance

Elle demande à la cour de :

- déclarer Madame [Z] responsable contractuellement de l'intégralité des désordres subis,

- déclarer la société Pasquet diffusion responsable des désordres affectant le châssis oeil-de-boeuf du dressing et les noues en zinc sur le fondement de la garantie décennale,

- déclarer la société MC France responsable des désordres affectant les menuiseries sur le fondement de la garantie décennale,

- condamner tant solidairement qu'in solidum la société MC France, son assureur la compagnie MMA, la société Rouvre set [G] et Madame [Z], à lui payer la somme de 119.346,02 € TTC au titre des travaux de reprise pour le désordre affectant les menuiseries, et 10.812,00 € HT soit 11.893,20 € au titre de la maîtrise d'oeuvre,

- condamner tant solidairement qu'in solidum Madame [Z], la société AXA en sa qualité d'assureur de la société [R] et la société Pasquet Diffusion à lui payer la somme de 16.137,60 € au titre des travaux de reprise des oeil-de-boeuf et de couverture,

- condamner tant solidairement qu'in solidum la SA AXA Iard ès qualité d'assureur de la société [R] et Fils, la SAS Pasquet Diffusion, la société MC France, Madame [Z], la société [X] et [G] au paiement d'une somme de 28.400,00 € au titre de son préjudice de jouissance,

- débouter la SA AXA Iard ès qualité d'assureur de la société [R] et Fils, la SAS Pasquet Diffusion, la société MC France, Madame [Z], la société [X] et [G] de l'intégralité de leurs demandes, fins et conclusions,

- condamner solidairement la SA AXA Iard ès qualité d'assureur de la société [R] et Fils, la SAS Pasquet Diffusion, la société MC France, Madame [Z], la société [X] et [G] au paiement d'une somme de 10.000,00 € sur le fondement de 'larticle 700 du code de procédure civile,

- condamner solidairement la SA AXA Iard ès qualité d'assureur de la société [R] et Fils, la SAS Pasquet Diffusion, la société MC France, Madame [Z], la société [X] et [G] aux dépens tant de première instance que d'appel y compris les frais d'expertise judiciaire.

Pour l'exposé complet des prétentions et de l'argumentaire des parties, il est expressément renvoyé à leurs dernières écritures susvisées conformément à l'article 455 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 29 juin 2022.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur les menuiseries

- Sur le caractère décennal du désordre

En vertu de l'article 1792 du code civil, tout constructeur d'un ouvrage est responsable de plein droit, sauf preuve d'une cause étrangère, envers le maître ou l'acquéreur de l'ouvrage, des dommages même résultant d'un vice du sol, qui compromettent la solidité de l'ouvrage ou qui l'affectant dans l'un de ses éléments constitutifs ou l'un de ses éléments d'équipement, le rendent impropre à sa destination.

En l'espèce, la SCI Le Solitaire, maître de l'ouvrage se plaint de craquements provenant des menuiseries extérieures rendant la vie des occupants invivable.

L'architecte, Madame [Z], et l'entreprise [X] et [G] qui a installé lesdites menuiseries, contestent le caractère décennal du désordre.

Le fabricant, la société MC France soutient quant à elle, que sa responsabilité ne saurait être recherchée sur le fondement de l'article 1792-4 du code civil, puisqu'il ne s'agit pas d'un EPERS et que la garantie des vices cachés ne peut plus être invoquée à son encontre par l'appelante, la prescription étant acquise.

La réception des travaux n'est pas contestée. L'expert judiciaire l'a fixée au 18 décembre 2007.

La SCI LE SOLITAIRE produit une demande de raccordement EDF et la facture du camion de déménagement qui établissent que l'emménagement de ses associés, a eu lieu courant mars 2008.

Aucune explication n'est fournie sur le fait que le procès-verbal de réception concernant l'entreprise [X] et [G] est datée du 23 janvier 2009 pour la date d'achèvement des travaux, aucune date de réception n'étant précisée dans la case destinée au maître de l'ouvrage qui s'est contenté d'y apposer sa signature.

En tout état de cause, il est clair qu'à cette date, une réception tacite avait eu lieu par prise de possession des lieux et règlement des factures, étant ici relevé que les procès-verbaux de réception concernant les autres entreprises datent de fin 2007.

L'appelante se prévaut d'une lettre en date du 2 mai 2008 adressée par l'architecte, Madame [Z] au fabricant des menuiseries, la société MC France, indiquant qu'elle aurait signalé à Monsieur [G] dès la pose achevée, des craquements assez bruyants provenant des baies en divers endroits de la maison, pour soutenir qu'il s'agissait d'un désordre apparent lors de la réception.

Il sera relevé tout d'abord qu'il ne s'agit pas d'une lettre émanant du maître de l'ouvrage adressé au constructeur.

En outre, et comme le souligne à juste titre la SCI Le Solitaire, le maître de l'ouvrage ne pouvait avoir connaissance du désordre dans sa cause, son ampleur et ses conséquences avant son entrée dans les lieux puisqu'il faut vivre dans la maison pour pouvoir se rendre compte de l'intensité du phénomène.

Il ne saurait donc être retenu qu'il s'agit d'un désordre apparent à réception.

Il résulte par ailleurs d'une lettre en date du 14 novembre 2008, adressée par la société MC France à la société [X] et [G] qu'il s'agit d'un phénomène général affectant une série de fabrication et qu'au moins une autre procédure était alors en cours, s'agissant de ce même désordre.

L'expert [M] indique qu'il s'agit d'un problème de conception du bâti des menuiseries réalisé à l'époque par MC France qui a abandonné ce procédé interne. Il explique que le phénomène correspond à une dilatation de deux baguettes par ensoleillement qui a pour effet de claquer.

Des mesures acoustiques ont été réalisées par Monsieur [K], sapiteur, qui a constaté sur une période 79 heures, 490 événements sonores à type de bruit impulsionnel, avec des niveaux variant de 30 à 65 dB.

Il s'agit selon lui d'un phénomène qui se produit plus particulièrement l'après-midi avec l'exposition de la façade au soleil et se poursuit en première partie de nuit en fonction du retour à l'état initial des structures des façades

L'expert judiciaire qui a constaté sur place, la réalité de ce phénomène, estime que l'amplitude est inacceptable en partie intérieure et que sa fréquence rend l'ouvrage invivable. Il en conclut que ces deux éléments caractérisent une impropriété à destination (nuisances élevées et répétitives à haute fréquence).

Outre le caractère difficilement supportable, surtout la nuit, de tels claquements, le fait reconnu par le fabricant qu'il s'agit d'un désordre affectant une série de fabrication, conforte la préconisation de l'expert quant à la nécessité de remplacer l'ensemble des menuiseries.

C'est donc à juste titre que les premiers juges ont retenu le caractère décennal du désordre pour impropriété à destination.

En vertu des dispositions de l'article 1792 du code civil, la responsabilité de plein droit de Madame [Z] et de l'entreprise [X] et [G], qui ne rapportent pas la preuve d'une cause étrangère exonératoire est donc engagée.

Le jugement sera confirmé en ce qu'il les a condamnés in solidum à réparer le dommage, ainsi que sur le partage de responsabilité à appliquer dans leurs rapports entre eux que la cour estime justifiée au regard de leurs fautes respectives telles que caractérisées par le tribunal, à raison de 25 % pour Madame [Z] et 75 % pour la société [X] et [G].

- Sur la responsabilité de la société MC France

Le tribunal a écarté la responsabilité du fabricant, la société MC France, sur le fondement de l'article 1792-4 du code civil, estimant que les menuiseries défaillantes ne pouvaient être qualifiées d'EPERS.

Pour recevoir une telle qualification, le composant doit être conçu et produit pour satisfaire des exigences précises et déterminées à l'avance, être mis en oeuvre sans modification par le locateur d'ouvrage, cette mise en oeuvre devant en outre, être conforme aux règles édictées par le fabricant.

Si les deux dernières conditions sont remplies, tel n'est pas le cas de la première d'entre elles, puisqu'il n'est pas démontré par la SCI LE SOLITAIRE qu'elle avait passé commande de menuiseries spécifiques, différentes des menuiseries standard figurant au catalogue du fabricant, la seule précision de leurs dimensions n'étant pas de nature à lui permettre de les qualifier d'EPERS.

Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il l'a déboutée de sa demande à l'encontre de la société MC France et de ses assureurs, MMA Iard et MMA Iard Assurances Mutuelles.

- Sur le montant des travaux de reprise

Comme il a été vu ci-dessus, l'expert ayant retenu la nécessité de reprendre l'ensemble des menuiseries, s'agissant d'un problème général de conception d'une série de fabrication de ce type de menuiseries qui sont donc nécessairement toutes atteintes de ce désordre, le jugement sera confirmé en ce qu'il a condamné in solidum Madame [Z] et la société [X] et [G] au paiement de la somme de 110.904,49 HT ainsi que le demande le maître de l'ouvrage dans le dispositif de ses conclusions s'agissant des dispositions du jugement dont il sollicite la confirmation, de telle sorte qu'il ne peut réclamer une somme supérieure.

La SCI Le Solitaire conteste toutefois, le montant retenu par le tribunal au titre des honoraires de maîtrise d'oeuvre, qu'il a limité à 6.703,44 € HT au motif que la mission du maître d'oeuvre concernerait principalement l'assistance pour la passation des marchés de travaux, la direction de leur exécution et l'assistance lors des opérations de réception et pendant l'année de garantie de parfait achèvement.

Le projet de convention d'honoraires passé avec Monsieur [W] (Cf. Pièce N°40) s'élève à 10.812,00 € HT. Cependant, ce montant est excessif eu égard à la mission qu'aura réellement à remplir le maître d'oeuvre qui ne saurait inclure l'étude du projet, qui n'est pas ici nécessaire puisqu'il s'agit uniquement de remplacer des menuiseries atteintes d'un désordre, par des menuiseries neuves.

Le jugement sera confirmé quant au montant retenu par les premiers, et donc sur la condamnation prononcée contre Madame [Z] et la société [X] et [G], y compris sur le partage de responsabilité dans leurs rapports entre eux, ainsi qu'indiqué ci-dessus.

Sur les noues et l'oeil-de-boeuf fuyard

Madame [Z] et la compagnie AXA France Iard contestent la décision du tribunal qui a considéré que le désordre affectant les noues en zinc était de nature décennale alors qu'il serait selon eux purement hypothétique et ne se serait pas révélé dans le délai de la garantie décennale.

La SCI Le Solitaire conclut quant à elle à la confirmation du jugement sur ce point.

En l'espèce, l'expert judiciaire a constaté une non-conformité du recouvrement ardoise/zinc tant s'agissant de son épaisseur (5 cm au lieu de 10 cm minimum) que du système de fixation.

Il indique : 'Dans les faits, on constate deux désordres conséquentiels ; en effet, des infiltrations lentes peuvent donc se faire. On les retrouve sans contestation possible sur les rives de pierre en façade, mais rejoint également les taux d'humidité importants dont se plaignent les occupants à ces endroits localisés.'

S'il évoque la possibilité d'infiltrations lentes, il a également constaté l'existence de celles-ci sur les rives en pierre de façade engendrant de l'humidité dans la maison.

Il ne s'agit donc pas d'un désordre hypothétique qui ne se serait pas réalisé dans le délai décennal.

C'est donc à juste titre que le tribunal suivant les conclusions de l'expert, a estimé qu'il s'agissait d'un désordre de nature décennale et a retenu la responsabilité de plein droit de l'architecte, Madame [Z] et du couvreur, l'entreprise [R] et Fils sur le fondement de l'article 1792 du code civil.

La compagnie AXA France Iard, assureur de cette dernière qui ayant disparu, n'est pas à la cause, doit donc être condamné in solidum avec Madame [Z] à la réparation de ce préjudice.

Il en va de même s'agissant des infiltrations constatées par l'expert sur le châssis de la pièce dite dressing, dont le caractère décennal n'est pas contesté.

La SCI Le Solitaire et la compagnie AXA France Iard sollicitent néanmoins l'infirmation du jugement en ce qu'il n'a pas retenu la responsabilité du fabricant de l'oeil-de-boeuf, la société Pasquet Diffusion.

La responsabilité de cette dernière est recherchée sur le fondement de l'article 1792-4 du code civil en qualité de fabricant d'un EPERS.

Outre qu'il ne s'agit pas du fabricant des oeil-de-boeuf commandés par la SCI Le Solitaire, mais d'un simple fournisseur, il n'apparaît pas à la lecture du devis versé par elle aux débats (Cf. Pièce N°5), que ces oeil-de-boeuf aient été conçus et produits pour satisfaire des exigences précises et déterminées à l'avance, alors qu'il y est précisé qu'il s'agit de produits standards.

C'est donc à juste titre que le tribunal a débouté la SCI Le Solitaire de ses demandes à l'encontre de cette société.

S'agissant du montant des condamnations, la SCI Le Solitaire ne saurait être indemnisée pour des travaux de reprise de dix oeil-de-boeuf alors qu'un seul est concerné.

La cour estime que le tribunal a fait une juste appréciation du montant à allouer à raison de :

- 759,60 € HT au titre de la reprise de la toiture, de l'étanchéité et des ardoises ainsi que des frais liés (échafaudage et nettoyage) au vu du devis [H],

- 288,20 € HT au vu du devis Gasnier

Soit un total de 1.047,80 € HT.

Le jugement sera également confirmé s'agissant du partage de responsabilité entre, l'architecte, Madame [Z] à hauteur de 25 %, et de la société [R] et Fils, assurée auprès de la Compagnie AXA France Iard pour 75 % dans leurs rapports entre eux, qui est justifié au regard de leurs fautes respectives telles que caractérisées par le tribunal.

Sur les descentes d'eaux pluviales

la SCI Le Solitaire sollicite l'infirmation du jugement en ce qu'il l'a déboutée de sa demande d'indemnisation au titre des descentes d'eaux pluviales dont elle soutient qu'il s'agit d'un désordre de nature décennal puisque les eaux pluviales se trouveraient canalisées sur la toiture du salon d'hiver, ce dont il résulterait un afflux d'eau trop important qui tomberait sur ce versant et provoquerait un débordement de la gouttière de cette pièce, et qu'il n'était pas apparent pour elle lors de la réception.

L'expert s'il confirme l'insuffisance des tuyaux de descente, précise que celle-ci était parfaitement visible, et qu'il s'agit d'une erreur de conception de l'ouvrage.

Si l'on peut concevoir que ce désordre n'ait pas été pas apparent pour un maître de l'ouvrage profane, force est de constater que l'expert ne mentionne pas que la conséquence de ce désordre consisterait en un débordement de la gouttière du salon d'hiver, et la SCI Le Solitaire ne produit aucune pièce à l'appui de cette assertion, justifiant que soit reconnu le caractère décennal de ce désordre.

Elle sollicite en outre que soit reconnue la responsabilité contractuelle de Madame [Z] pour manquement à son obligation de conseil, point sur lequel le tribunal aurait omis de répondre.

Madame [Z] n'a pas conclu sur ce point devant la cour.

Il est constant que l'architecte est tenu envers le maître de l'ouvrage d'une obligation de renseignement, de conseil et d'assistance.

En l'espèce, il résulte des procès-verbaux de réception versés aux débats, qu'elle n'a pas conseillé à la SCI Le Solitaire d'émettre des réserves sur ce désordre qui était nécessairement apparent pour elle, en tant que professionnelle.

Elle a de ce fait, commis une faute engageant sa responsabilité contractuelle au titre ce désordre.

Il résulte du devis établi le 7 octobre 2016 par Monsieur [H] (Cf. Pièce N°35) que les travaux concernant le remplacement de gouttière s'élève à la somme de 1.912,50 € HT.

Madame [Z] sera donc condamnée au paiement de cette somme.

Sur le préjudice de jouissance de la SCI Le Solitaire

La SCI Le Solitaire conclut à l'infirmation du jugement qui l'a déboutée de sa demande d'indemnité au titre de son préjudice de jouissance résultant du désordre lié aux craquements des menuiseries et sollicite l'allocation d'une somme de 26.400,00 € à ce titre.

Il est constant, contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, qu'une société est en droit d'obtenir réparation du préjudice personnel qu'elle subit, qui est distinct de celui de ses membres.

En l'espèce, la réalité du préjudice est avérée ainsi que cela résulte du rapport d'expertise et notamment du rapport du sapiteur, Monsieur [K].

Le jugement sera donc infirmé en ce qu'il a débouté la SCI Le Solitaire de sa demande au titre du préjudice de jouissance.

La responsabilité de Madame [Z] et de la société [X] et [G] ayant été retenue au titre du désordre résultant des craquements des menuiseries, ceux-ci seront condamnés in solidum à payer à la SCI Le Solitaire, la somme de 10.000,00 € en réparation de son préjudice de jouissance qu'elle subit depuis plus de dix ans, la somme réclamée étant manifestement excessive eu égard à la nature du préjudice résultant d'un désordre qui ne se manifeste qu'à certains moments.

La SCI Le Solitaire sera par contre déboutée de sa demande de condamnation à l'égard de la compagnie AXA France Iard, assureur de la société [R] et Fils, dont il n'est pas démontré qu'elle soit à l'origine d'un quelconque préjudice de jouissance, étant ici relevé que la SCI Le Solitaire ne fait référence dans ses écritures qu'aux nuisances sonores provenant des menuiseries.

Dans leurs rapports entre eux, le partage de responsabilité s'effectuera à raison de 25 % pour Madame [Z] et 75 % pour la société [X] et [G].

Sur les frais irrépétibles et les dépens

L'équité commande de condamner in solidum Madame [Z], la société [X] et [G] et la compagnie AXA France Iard à payer à la SCI Le Solitaire, une somme de 5.000,00 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, et de débouter les autres parties de leurs demandes de condamnations à ce titre.

Succombant, Madame [Z], la société [X] et [G] et la compagnie AXA France Iard seront condamnés in solidum aux dépens d'appel, le jugement étant confirmé s'agissant des dépens de première instance.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire rendu en dernier ressort, mis à disposition au greffe,

CONFIRME le jugement du tribunal de grande instance de Lisieux du 3 septembre 2019, sauf en ce qu'il a débouté la SCI Le Solitaire de sa demande au titre du préjudice de jouissance et ne s'est pas prononcé sur la responsabilité contractuelle de Madame [Z] à l'égard du maître de l'ouvrage,

L'INFIRME de ces chefs,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

DÉBOUTE la SCI Le Solitaire de sa demande de condamnation à l'encontre de la compagnie AXA France Iard ès-qualité d'assureur de la société [R] et Fils au titre du préjudice de jouissance,

CONDAMNE in solidum Madame [B] [Z] et la société [X] et [G] à payer à la SCI Le Solitaire, la somme de 10.000,00 € en réparation de son préjudice de jouissance résultant des craquements des menuiseries,

DIT que dans leurs rapports entre eux, le partage de responsabilité pour ce préjudice, s'effectuera à raison de 25 % pour Madame [B] [Z] et 75 % pour la société [X] et [G],

DIT que la responsabilité contractuelle de Madame [B] [Z] est engagée au titre du désordre affectant les descentes d'eaux pluviales,

CONDAMNE Madame [B] [Z] à payer à la SCI Le Solitaire, la somme de 1.912,50 € HT au titre des travaux de reprise de ce désordre,

CONDAMNE in solidum Madame [B] [Z], la société [X] et [G] et la Compagnie AXA IARD à payer à la SCI Le Solitaire, la somme de 5.000,00 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

DÉBOUTE les autres parties de leurs demandes sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE in solidum Madame [B] [Z], la société [X] et [G] et la Compagnie AXA IARD aux dépens,

DIT que la charge finale des dépens et de l'indemnité accordée au titre de l'article 700 du code de procédure civile sera répartie à raison de 20 % pour Madame [B] [Z], 40 % pour la société [X] et [G] et 40 % pour la compagnie AXA France Iard.