CA Paris, 5e ch. C, 19 février 1999, n° 1995/26496
PARIS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Media System (SA)
Défendeur :
Segretain
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Desgrange
Conseillers :
Mme Cabat, M. Bouche
Avoués :
SCP Bommart-Forster, Me Olivier
Avocats :
Me Jourde, Me de Saint-Sernin
Philippe SEGRETAIN détenait trente actions de la SA MEDIA SYSTEM sur les 10.200 actions qui composaient le capital social avant fusion ; le reste de ce capital était la propriété de la société PUBLICIS pour ravoir acquis principalement d’Etienne SEGRETAIN qui la dirigeait précédemment.
En 1994 la société PUBLICIS a souhaité rationaliser les différentes branches de son groupe, en faisant absorber la société MEDIA SYSTEM, agence de publicité spécialisée dans la communication interne aux entreprises, par la société à Directoire FCA SYSTEM spécialisée dans la communication de recrutement, dans la communication interne aux entreprises et dans la communication institutionnelle.
Les différents rapports et projets des fusions ont fait l’objet des publicités prévues par la loi en novembre 1994, et Philippe SEGRETAIN a été convoqué régulièrement le 14 décembre 1994 à l’assemblée générale extraordinaire réunie le 30 décembre suivant pour statuer sur la fusion - absorption.
Le 29 décembre 1994 Philippe SEGRETAIN a demandé vainement au Président Directeur Général de la société MEDIA SYSTEM par télécopie le report de cette assemblée en contestant les estimations de valeurs apportées faite par le Commissaire à la fusion en violation des intérêts des actionnaires minoritaires ; cette fusion cependant a été décidée comme pr6évu le 30 décembre en assemblée extraordinaire et la nouvelle société a pris le nom de la société absorbé MEDIA SYSTEM.
Autorisée à assigner à bref délai par le juge des référés, Philippe SECRETAIN a saisi le tribunal de Commerce de Paris d'un exploit du 14 mars 1995 délivré à la société MEDIA SYSTEM, afin que soit prononcée la nullité de la décision de fusion et que la société soit condamnée à lui payer la somme de 50.000 F de dommages-intérêts pour abus de majorité.
En cours de délibéré les parties ont tenté en vain de négocier un rachat des trente parts conservées par le demandeur.
Par jugement du 5 septembre 1995 le tribunal a :
- prononcé la nullité de la décision de fusion du 30 décembre 1994,
- débouté Philippe SEGRETAIN de sa demande de dommages-intérêts,
- condamne la société MEDIA SYSTEM à lui payer la somme de 15.000 F au titre de l’article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile et à supporter la charge des dépens.
* * *
La société MEDIA SYSTEM a fait appel de ce jugement.
Elle soutient que le tribunal a commis des "erreurs grossières" (sic) en omettant de tenir compte de la résorption totale du passif de la société FCA SYSTEM avant la fusion litigieuse par augmentation de capital souscrit par la société PUBLICIS et par réduction de ce capital en amortissement des pertes, et en niant l’avantage fiscal dont tous les actionnaires ont bénéficié.
En droit, la société appelante fait valoir que l’intimé ne fait pas la preuve de la double condition d'un abus de majorité : le caractère contraire à l’intérêt social de la décision de fusion, et l’unique dessein de favoriser l’actionnaire majoritaire au détriment de la minorité ;
Elle conteste la portée que Philippe SEGRETAIN veut donner à un arrêt contraire de la Cour de Cassation pour se dégager de ce cumul de preuves qui lui incombe ; elle rappelle les motifs économiques et stratégiques qui ont présidé à l’opération litigieuse et qui ont permis d'endiguer la baisse du chiffre d'affaires de la société MEDIA SYSTEM.
Enfin, tout en s'interrogeant sur le respect du cadre de l’intérêt social de l’action intentée par Etienne SEGRETAIN (qu'elle confond avec Philippe SEGRETAIN), la société MEDIA SYSTEM signale que Etienne SEGRETAIN dirige aujourd'hui sa principale concurrente, et que Philippe SEGRETAIN n'a pas critiqué tant l’opération de fusion que le rapport d'échange adopté ; elle met l’accent à ce sujet sur la nécessité d'une forte valeur conventionnelle de la parité entre les deux sociétés, s'agissant d'une restructuration interne, et sur l’accroissement de la valeur de la participation de l’intimé quelques mois après la fusion litigieuse.
La société MEDIA SYSTEM conclut en conséquence à l’infirmation du jugement entrepris, et à la condamnation de l’intime à lui payer la somme de 10.000F sur le fondement de l’article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
Philippe SECRETAIN conclut à la confirmation du jugement déféré mais forme appel incident afin que lui soient accordés les 50.000F de dommages-intérêts réclamés en première instance ; il demande reconventionnellement 15.000F au litre de l’article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
C’est en se fondant sur un rapport confidentiel d'une société MARGES, conseil en rapprochement d’entreprises, qu'il a cru nécessaire de faire assigner la société MEDIA SYSTEM en nullité de la décision de fusion, dont la conséquence directe est de lui faire perdre 53% de la valeur de ses actions.
Pour l’associé minoritaire, il apparait en effet constant que le rapport d'échange doit être fait scrupuleusement et sans fraude à ses droits et que le cumul de conditions d'un abus allégué par la société appelante correspond à une conception étroite et surannée de la notion de cet abus de majorité qui n'a plus cours depuis un arrêt de la Cour de Cassation du 24 juin 1997; c'est vers la recherche d'un rétablissement de l'égalité et de la préservation des intérêts des minoritaires qu'incline désormais la jurisprudence, et c’est ce seul grief réel invoque par Philippe SECRETAIN qui suffirait à ses yeux, à faire annuler la décision de fusion des sociétés.
L'intimé trouve cependant dans le choix purement "conventionnel" de la valeur des actions des deux sociétés avoué par Monsieur KLING, le commissaire à la fusion, l’aveu d'une violation caractérisée des dispositions de l’article 377 de la loi du 24 juillet 1966 ; il se dispense donc principalement de prouver que l’abus de majorité résulte d’une décision contraire à l’intérêt social et profite exclusivement à l’actionnaire majoritaire.
Philippe SECRETAIN conteste que son frère Etienne ait été actionnaire majoritaire de la société MEDIA SYSTEM avec cession de ses litres à la société PUBLICIS, que la moindre preuve soit donnée de son exploitation actuelle d'une société principale concurrente, et que la conservation de trente actions par Philippe SEGRETAIN n’ait été qu'un 'oubli".
Ce n’est donc qu’a litre subsidiaire que pour conclure à la nullité de la fusion, l’intimé se place sur le terrain de l’abus de majorité, dont les deux conditions sont, selon lui, cependant réunies.
MOTIFS DE LA COUR
Considérant que Philippe SEGRETAIN soutient principalement devant la Cour que la violation des dispositions sur la sincérité du rapport écrit du commissaire à la fusion de l’article 377 de la loi du 24 juillet 1966 suffit à rendre nulle cette fusion adoptée en assemblée générale le 30 décembre 1994 ;
Que, contrairement à ce qu’il conclut en page 4 de ses écritures en réplique du 1er octobre 1998, ce moyen, certes recevable en appel, n'avait pas été explicitement invoque devant les premiers juges et n'avait pas en toute hypothèse servi de support à leur décision d'annuler la fusion litigieuse ;
Qu'il n'en demeure pas moins que la Cour doit se prononcer à présent sur la qualité et la sincérité du rapport de Monsieur KLING, commissaire à la fusion charge sous sa responsabilité de "vérifier que les valeurs relatives attribuées aux actions des sociétés participant à l’opération sont pertinentes et que le rapport d’échange est équitable"; qu'à défaut de cette vérification la loi sanctionne le traite d'apports de fusion par sa nullité.
Considérant qu'il est constant que la partie d'activité communication interne aux entreprises des deux sociétés filiales de la society PUBLICIS était exploitée cumulativement par ces deux sociétés ; qu'une mesure de rationalisation et de simplification s’imposait ;
Qu'il n'est pas contesté par Philippe SEGRETAIN que la société MEDIA SYSTEM même bénéficiaire était passée de 345 millions de chiffres d'affaires en 1989 à 110 millions environ en 1993, et pouvait espérer accroitre à nouveau ses profits en concentrant des activités identiques jusqu'alors partagées avec la société FCA SYSTEM déficitaire ; que le projet économique mis sur pieds par les responsables de réunir entre les mains d'une entité homogène les activités, la direction et les locaux dispersés pouvait participer de cette amélioration et de l’allègement des charges aux yeux de la société majoritaire PUBLICIS ;
Qu'il s'est avéré que le résultat escompté a été atteint puisque, dans un marché très concurrentiel, les résultats de la nouvelle société MEDIA SYSTEM ont été en nette progression, son chiffre d’affaires passant de 147 millions de francs en 1994 à 215 millions de francs en 1997, et son résultat après impôt de 154.000F à presque cinq millions de francs en 1997 ;
Que le tribunal a d'ailleurs pu légitimement écrire que l’objectif de regroupement des deux filiales de la société PUBLICIS pour faire des économies certaines était "louable”.
Considérant que Philippe SEGRETAIN ne critique pas tant l’opération de fusion, qui relève de l’opportunité économique, que le rapport d'échange adopté ; qu’il retient essentiellement cette phrase de Monsieur KLING interprétée comme un aveu du défaut de sincérité de son rapport : “La parité ainsi retenue ne reflète pas le poids des entités en présence. II s’agit d'une valeur conventionnelle qui ne revêt pas de signification particulière ; les deux sociétés sont en effet contrôlées par PUBLICIS CONSEIL”;
Que cette remarque et la parité d’échange qui s'ensuit pour deux sociétés contrôlées à plus de 99% par la même société PUBLICIS sont évidentes lorsqu’il s'agit de procéder à une restructuration interne motivée par l’intérêt de ce groupe et par l’ensemble des intérêts des sociétés qui la composent ;
Que la valeur des trente actions de Philippe SEGRETAIN ne saurait se calculer par référence à la quote-part d’actif net à laquelle il aurait vocation dès lors qu’il voudrait les céder, mais par référence à son seul "pouvoir de nuisance", inexistant en l’espèce ; que cela ne signifie pas que la parité obtenue aurait été artificielle ou fictive et lèserait les intérêts de Philippe SEGRETAIN ;
Qu’à telle enseigne, celui-ci a suspendu la poursuite de son action, jusqu'en délibéré devant le tribunal, à l’obtention d'un prix de rachat de ses actions acceptable pour lui ; qu’il restait avant la fusion litigieuse le seul associe minoritaire de la société MEDIA SYSTEM, les autres ayant pu négocier le rachat de leurs litres.
Considérant au surplus que, dans le souci d’éviter des extrapolations auxquelles s’est livrée par la suite sans réalisme la société MARGES confidentiellement consultée par Philippe SEGRETAIN, et en raison du caractère interne de la restructuration de filiales de PUBLICIS, Monsieur KLING s'est refusé à juste titre à procéder à des dévaluations tout aussi artificielles que celles proposées par l’associé minoritaire ;
Qu’ainsi, sans actualiser la valeur des fonds de commerce de chaque société, il a chiffré les actifs de la société MEDIA SYSTEM à partir du bilan au 31 décembre 1993 à 19.559.752F, ce qui fait ressortir la valeur objective de l’action à 1.900F ;
Que parallèlement, même après une absorption par la société PUBLICIS avant fusion, des pertes de la société FCA SYSTEM par augmentation du capital de 9.500.000F et par rachat de sa branche de fonds de commerce d'agence de publicité traditionnelle, opération que le tribunal a omis à tort de prendre en considération, le commissaire à la fusion a retenu pour valeur unitaire des actions de la société FCA SYSTEM leur valeur nominale de 100F.
Qu’il s'en est suivi une parité de 1 à 19 qui ne signifie nullement que l’apport de la société FCA SYSTEM après apurement de ses pertes a été nul et défavorable à la société MEDIA SYSTEM et à ses actionnaires; que ceux-ci détiennent après fusion 95% de l’ensemble et un fonds de commerce recentre activement et rationnellement exploité ; que les chiffres d'affaires de la nouvelle société a d'ailleurs sensiblement augmenté depuis au cours des trois derniers exercices.
Considérant en conséquence qu'aucune faute ne peut être imputée à Monsieur KLING qui serait contraire aux obligations que lui impose la loi du 24 juillet 1966 ;
Qu'enfin Philippe SEGRETAIN ne démontre pas que la société MEDIA SYSTEM aurait pratique une discrimination entre les actionnaires minoritaires, en "omettant" de lui racheter ses titres avant réparation de fusion; qu'il ne s'est pas expliqué en effet sur les conditions qui ont préside au rachat des autres actions minoritaires et sur les causes de son refus ou de celui de la société MEDIA SYSTEM de procéder au rachat de ses trente actions restantes dans les mêmes conditions.
Considérant que dans ses dernieres conclusions Philippe SEGRETAIN fait du grief d’abus de majorité un moyen subsidiaire qu’il avait adopté principalement dans ses premières écritures ;
Qu'à supposer rejeté par la Cour le critère nouvellement invoque par l’intime de la rupture de l’égalité entre actionnaires à partir d'un arrêt récent mais sans pertinence de la cour de Cassation, Philippe SEGRETAIN conclut subsidiairement que sont réunies les deux conditions jurisprudentielles cumulatives d’un abus de majorité : une résolution contraire à l’intérêt général de la société, et l’unique dessein de favoriser les membres associes de la majorité au détriment de la minorité.
Considérant que le souci de l’intérêt général de la société MEDIA SYSTEM, économique et même financier, a été suffisamment démontré précédemment ;
Que surabondamment, Philippe SEGRETAIN qui succombe ainsi dans la preuve de l’existence d'un abus de majorité susceptible de générer la nullité de la fusion du 30 décembre 1994, ne démontre pas que cette opération a favorisé sciemment la société PUBLICIS majoritaire au détriment du petit porteur qu'il demeure ;
Que le jugement déféré doit en conséquence être infirmé.
Considérant qu'il serait inéquitable que la société appelante conserve la charge des frais irrépétibles qu’elle a dû exposer pour faire valoir ses droits devant la Cour ;
PAR CES MOTIFS
Infirme le jugement du 5 septembre 1995 ;
Déboute Philippe SEGRETAIN de sa demande de nullité du traite de fusion du 30 décembre 1994 et de celle de dommages-intérêts qui s’ensuit ;
Le condamne à payer à la société MEDIA SYSTEM 8.000F sur le fondement de l’article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;
Le condamne aux dépens de première instance et d’appel.
Admet la SCP BOMMART FORSTER, avoué, au droit de recouvrement direct dans les conditions prévues par l’article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile.