Livv
Décisions

ARCEP, 11 décembre 2018, n° 2018-1560-RDPI

ARCEP

se prononçant sur une demande de règlement de différend opposant, la société Coriolis Télécom à la société Très Haut Débit Bretagne et au syndicat mixte Mégalis Bretagne concernant une demande d’accès au réseau d’initiative publique Bretagne Très Haut Débit

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Soriano

Membre :

M. Benghozi, M. Distler, Mme Lombard

ARCEP n° 2018-1560-RDPI

10 décembre 2018

L’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ci-après « l’Autorité » ou « l’Arcep »),

Vu la directive 2002/19/CE du Parlement européen et du Conseil du 7 mars 2002 relative à l’accès aux réseaux de communications électroniques et aux ressources associées, ainsi qu’à leur interconnexion (directive « accès »), modifiée par la directive 2009/140/CE du Parlement européen et du Conseil du 25 novembre 2009 ;

Vu la directive 2002/21/CE du Parlement européen et du Conseil du 7 mars 2002 modifiée relative à un cadre réglementaire commun pour les réseaux et services de communications électroniques (directive « cadre »), modifiée par la directive 2009/140/CE du Parlement européen et du Conseil du 25 novembre 2009 ;

Vu les lignes directrice de l’Union européenne pour l’application des règles relatives aux aides d’État dans le cadre du déploiement rapide des réseaux de communication à haut débit, du 26 janvier 2013, (2013/C 25/01) ;

Vu la décision de la Commission européenne Aide d’État N 330/2010 – France Programme national « très haut débit » - Volet B du 19 octobre 2011 ;

Vu la décision de la Commission européenne SA. 37183 (2015/NN) – France Plan France Très Haut Débit du 7 novembre 2016 ;

Vu la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique (ci-après « loi ELAN ») ;

Vu le code des postes et des communications électroniques (ci-après « CPCE »), notamment ses articles L. 32, L. 32-1, L. 34-8, L. 34-8-3 et L. 36-8 ;

Vu le code général des collectivités territoriales (ci-après « CGCT »), notamment son article  L. 1425-1 ;

Vu la décision n° 2017-0870 de l’Autorité en date du 26 juillet 2017 portant adoption du règlement intérieur ;

Vu les lignes directrices de l’Autorité de décembre 2015 portant sur la tarification de l’accès aux réseaux à très haut débit en fibre optique déployés par l’initiative publique (ci-après « lignes directrices tarifaires ») ;

Vu la demande de règlement de différend, enregistrée à l’Autorité le 24 juillet 2018, présentée par la société Coriolis Télécom, société par actions simplifiée au capital de 27 221 250 €, immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Paris sous le numéro 419 735 741, dont le siège social se situe 2 rue du Capitaine Scott, 75015 Paris, ayant pour avocat Maître Audrey MAUREL ; La société Coriolis Télécom (ci-après « Coriolis ») demande à l’Autorité de :

« - constater le refus infondé de THD BRETAGNE de faire droit à sa demande d’offre d’accès activé au réseau d’initiative publique régional ;

- enjoindre à THD BRETAGNE de proposer à CORIOLIS TELECOM une offre d’accès activé au réseau d’initiative publique qu’elle exploite ;

- enjoindre à THD Bretagne de proposer une offre d’accès activé conforme aux lignes directrices de l’ARCEP de décembre 2015 permettant la commercialisation de ses offres fibre auprès des clients finaux avant la fin de l’année 2018 ».

Sur la compétence de l’Autorité et la recevabilité des demandes, Coriolis soutient que :

- l’Autorité est compétente en application des articles L. 34-8-3 et L. 36-8, I du CPCE pour trancher le différend qui l’oppose à la société Très Haut Débit Bretagne (ci-après « THD Bretagne ») et au syndicat mixte Mégalis Bretagne ;

- ses demandes sont recevables en raison de l’échec des négociations avec THD Bretagne dès lors que Coriolis a demandé à plusieurs reprises à THD Bretagne la fourniture d’une offre d’accès activé à des conditions tarifaires et des délais raisonnables, demandes auxquelles THD Bretagne a refusé de faire droit ou n’a pas répondu et ce, plus de sept mois après sa première demande.

Sur le fond, Coriolis soutient que sa demande est raisonnable.

Coriolis soutient que THD Bretagne, en refusant de faire droit à sa demande d’accès activé au réseau d’initiative publique (ci-après « RIP ») existant, viole les dispositions de l’article L. 34-8-3 du CPCE.

Coriolis estime que sa demande d’accès activé est raisonnable, dès lors notamment qu’elle répond aux trois conditions issues de la décision de la Commission européenne SA. 37183 du  7 novembre 2016.

À cet égard, Coriolis estime remplir ces conditions, en ayant fourni à THD Bretagne un plan d’affaires détaillé, mettant en exergue son chiffre d’affaires prévisionnel estimé au regard du nombre de prises activées du RIP et de la clientèle mobilisable, et démontrant que ce même plan d’affaires n’est pas viable si celle-ci devait prendre en charge l’installation et l’exploitation des équipements actifs. Elle précise également que THD Bretagne est le seul opérateur susceptible de lui proposer une offre répondant à ses besoins.

Coriolis considère ainsi que le caractère raisonnable de sa demande est établi et que la société THD Bretagne est ainsi tenue de lui proposer les termes d’une convention d’accès au RIP qu’elle exploite.

Coriolis soutient par ailleurs que THD Bretagne n’a pas fait état d’un motif d’ordre technique ou juridique pour refuser de donner suite à sa demande et que les scénarios d’activation du réseau qui lui ont été proposés n’ont pas permis de proposer une offre engageante d’accès activé de la part de THD Bretagne aux lignes qu’elle exploite.

Coriolis estime que l’Arcep ne pourra que constater la stratégie de THD Bretagne consistant à retarder la contractualisation d’une offre d’accès activé sur son réseau, restreignant ainsi l’accès aux lignes qu’elle exploite et par conséquent le jeu de libre concurrence sur le marché de détail du RIP exploité par THD Bretagne.

Coriolis ajoute que THD Bretagne méconnaît notamment les principes de l’article L. 34-8-3 du CPCE et des lignes directrices de l’Arcep de décembre 2015 relatives à la tarification de l’accès aux réseaux à très haut débit en fibre optique déployés par l’initiative publique, dès lors qu’il ressort des différentes présentations qui lui ont été faites que THD Bretagne entend déroger au tarif national de référence.

Vu les courriers du 30 juillet 2018 par lesquels la directrice des affaires juridiques de l’Autorité a transmis aux parties le calendrier prévisionnel de dépôt des mémoires et désigné les rapporteurs ;

Vu les observations en défense, enregistrées à l’Autorité le 12 septembre 2018, présentées par la société Très Haut Débit Bretagne, société anonyme au capital de 3 440 000 €, dont le siège social est situé 125 boulevard Albert 1er, 35207 Rennes, immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de Rennes sous le numéro 528 817 177 ; Sur la recevabilité, THD Bretagne soutient que :

- les demandes de Coriolis sont irrecevables dès lors que celles-ci ont varié dans le temps, concerné plusieurs RIP et été peu précises. THD Bretagne considère notamment que Coriolis n’a formulé aucune demande tarifaire précise auprès de THD Bretagne concernant sa demande d’offre d’accès activé aux lignes à très haut débit en fibre optique permettant de desservir un utilisateur final (ci-après « FttH » pour Fibre to the Home) du réseau et qu’elle n’a adressé aucune offre d’accès activé à l’attention de Coriolis et qu’il n’y a ainsi pas eu de négociation sur la base d’une demande d’accès précise, ni de refus d’accès ;

- à supposer qu’une négociation soit intervenue, Coriolis ne rapporte pas la preuve d’un échec des négociations concernant les conditions techniques et tarifaires relatives à sa demande d’offre d’accès activé, dès lors qu’elle n’a formulé aucune demande tarifaire précise que ce soit lors des négociations ou dans le cadre de sa saisine en se référant uniquement aux lignes directrices tarifaires de l’Arcep, lesquelles ne permettent pas de déterminer précisément le tarif demandé par Coriolis. En conséquence, THD Bretagne soutient une absence d’échec des négociations concernant les conditions techniques et tarifaires de la demande de Coriolis.

Sur le fond, THD Bretagne estime que les demandes de Coriolis ne sont ni équitables ni raisonnables.

En premier lieu, THD Bretagne estime que faire droit à la demande de Coriolis conduirait l’Autorité à déroger aux principes définis à l’article L. 32-1 du CPCE, en particulier les 3° et 4° du II et les 2° et 4° du IV qui visent à promouvoir une concurrence fondée sur les infrastructures (en privilégiant le recours à un accès passif aux lignes FttH) mais également à tenir compte de la diversité de la concurrence dans les territoires (THD Bretagne relève à cet égard l’annonce publique de la société Bouygues Telecom portant sur une offre de gros d’accès activé sur les réseaux sur lesquels il sera présent, en tant qu’opérateur commercial, pour la fin de l’année 2018) et à tenir compte du risque assumé par les entreprises qui investissent ; l’Arcep devant en l’espèce tenir compte du risque assumé initialement par THD Bretagne en tant que délégataire.

En second lieu, la demande de Coriolis ne remplirait, selon THD Bretagne, aucune des conditions définies par la Commission européenne, relatives aux demandes d’accès raisonnables, dans ses décisions N 330/2010 et SA. 37183. THD Bretagne considère, d’une part, que Coriolis n’a pas fourni de plan d’affaires cohérent permettant d’apprécier le caractère raisonnable de sa demande et attestant de sa crédibilité et, d’autre part, que Coriolis ne démontre pas ne pas être financièrement en mesure d’installer ses propres équipements actifs. Enfin, selon THD Bretagne, Coriolis n’apporte aucun élément permettant de démontrer l’absence d’intérêt de la part d’un autre opérateur commercial pour lui proposer une offre d’accès activé aux lignes du RIP.

En troisième lieu, THD Bretagne soutient que faire droit à la demande de Coriolis remettrait en cause l’équilibre financier de la convention de délégation de service public qu’elle a conclue avec Mégalis Bretagne, dès lors que les revenus associés à la fourniture de la prestation demandée par Coriolis ne permettraient pas de couvrir la totalité des coûts nouveaux que THD Bretagne devrait supporter.

THD Bretagne soutient ainsi que la demande de Coriolis remettrait en cause l’exécution de la convention de délégation de service public précitée, dès lors que l’équilibre économique global de ce projet serait remis en cause a posteriori.

Vu la décision n° 2018-1164-RDPI en date du 25 septembre 2018 par laquelle la formation de règlement des différends, de poursuite et d’instruction de l’Autorité a décidé de proroger le délai dans lequel elle doit se prononcer sur le différend ;

Vu les courriers en date du 27 septembre 2018 par lesquels la cheffe de l’unité infrastructures et réseaux ouverts de la direction des affaires juridiques a transmis un premier questionnaire aux parties ;

Vu les observations en réplique présentées par Coriolis et enregistrées à l’Autorité le  4 octobre 2018, par lesquelles elle persiste dans ses conclusions et moyens ; Coriolis demande ainsi à l’Autorité de :

« - constater le refus infondé de THD Bretagne de faire droit à sa demande d’offre d’accès activé au réseau d’initiative publique régional ;

- enjoindre à THD Bretagne de proposer à Coriolis Télécom une offre d’accès activé au réseau d’initiative publique breton, conforme aux lignes directrices de l’ARCEP de décembre 2015, avant la fin février 2019 ;

- enjoindre à THD Bretagne de procéder à l’activation du réseau d’initiative publique breton permettant la commercialisation des offres fibre de Coriolis Télécom auprès des clients finaux avant la fin mai 2019. »

Sur la recevabilité, Coriolis considère qu’il y a bien eu un échec des négociations. À cet effet, Coriolis considère que l’absence d’offre activée par THD Bretagne peut s’assimiler à une décision de refus implicite et, qu’en tout état de cause, l’Autorité ne peut que constater le caractère infructueux des échanges entre les parties. De plus, Coriolis souligne l’absence d’ambiguïté de sa demande, que ce soit sur le RIP concerné ou encore sur l’opérateur devant répondre à sa demande. En outre, Coriolis estime que sa demande d’accès activé auprès de THD Bretagne est suffisamment motivée, en ce qu’elle souhaite qu’il soit simplement enjoint à celle-ci de respecter les règles régissant la fixation du tarif de l’offre d’accès activé. Coriolis ajoute que seul le délégataire THD Bretagne a la qualité et les compétences nécessaires pour fixer ce tarif et qu’elle ne sollicite pas de l’Arcep qu’elle se substitue au délégataire pour imposer le tarif, mais que celle-ci lui enjoigne de respecter les règles régissant sa fixation.

Sur le fond, Coriolis maintient ses demandes et son argumentation.

Coriolis estime que le moyen relatif aux objectifs de régulation développé par THD Bretagne devra être écarté, dès lors que cette dernière commet une erreur d’interprétation manifeste. Elle considère notamment que le refus d’une demande d’accès activé revient, à l’inverse des objectifs poursuivis par le CPCE, à freiner la capacité commerciale des opérateurs alternatifs alors même que ces derniers proposent des offres innovantes et compétitives sur le marché de détail, en particulier en zone rurale, et à réduire le marché aux seuls opérateurs commerciaux d’envergure nationale.

En outre, Coriolis soutient que sa demande d’offre activée présente un caractère raisonnable. En substance, et concernant le plan d’affaires justifiant l’activation du réseau, elle indique avoir fourni les hypothèses de taux de pénétration à THD Bretagne et transmis un plan d’affaires cohérent s’appuyant sur des hypothèses de chiffre d’affaires, des estimations coûts d’activation et de marge opérationnelle justifiant l’activation du réseau par THD Bretagne. De plus, Coriolis soutient avoir démontré qu’elle est dans l’incapacité de financer l’installation de ses propres équipements actifs et l’inexistence d’offre d’accès activé proposée par un autre opérateur sur la même zone géographique. En particulier, sur ce dernier point, Coriolis souligne que Bouygues Telecom n’est pas effectivement présent à ce jour sur le réseau d’initiative publique exploité par THD Bretagne et que, par ailleurs, l’offre de gros que Bouygues Telecom pourrait proposer concernera en priorité le marché professionnel, alors que la demande de Coriolis a en particulier pour objet la fourniture d’une offre fibre auprès des particuliers.

Coriolis estime également que la fourniture de cette offre n’aurait pas pour effet de bouleverser l’équilibre de la convention de délégation de service public entre Mégalis Bretagne et THD Bretagne, dès lors que l’activation du RIP serait rentable pour THD Bretagne et que Mégalis Bretagne devrait également tirer des bénéfices de l’activation du réseau.

Enfin, Coriolis rappelle, en substance, qu’au regard des objectifs de régulation, ne pas faire droit à sa demande raisonnable d’accès activé à des conditions techniques et tarifaires en conformité avec les lignes directrices de décembre 2015 de l’Arcep serait contraire au libre jeu de la concurrence sur le marché de détail sur le RIP exploité par THD Bretagne et reviendrait à cautionner la stratégie d’Orange de limiter l’accès aux RIP qu’elle exploite.

Vu les réponses au premier questionnaire du syndicat mixte Mégalis Bretagne enregistrées à l’Autorité le 11 octobre 2018 et celles des sociétés Coriolis et THD Bretagne enregistrées à l’Autorité les 12 et 19 octobre 2018 ;

Vu les deuxièmes observations en défense, présentées par THD Bretagne et enregistrées à l’Autorité le 25 octobre 2018, par lesquelles elle persiste dans ses conclusions et moyens ;

Sur la compétence et la recevabilité des demandes, THD Bretagne soutient en substance que :

- la saisine de Coriolis n’est pas recevable, eu égard à l’absence de demande tarifaire et à l’absence de demande concernant le point de livraison du trafic de l’offre de gros activée demandée ;

- l’Autorité, en application des dispositions de l’article L. 36-8, L. 34-8 et L. 34-8-3 du CPCE n’est ni compétente pour faire droit à une demande concernant un réseau qui resterait à construire, ni compétente pour faire droit à une demande d’accès au réseau d’un tiers, à savoir celui de l’opérateur historique Orange. THD Bretagne soutient par ailleurs que les dispositions du projet de loi ELAN, dont les dispositions prévoient un accès activé aux lignes existantes, ne saurait constituer le cadre applicable au présent règlement de différend.

Sur le fond, THD Bretagne soutient que la demande de Coriolis ne serait pas raisonnable d’un point de vue économique.

En substance, et contestant les hypothèses de déploiement avancées par Coriolis ainsi que les modélisations des coûts et des recettes présentées par cette dernière, THD Bretagne considère qu’il ressort de sa modélisation de fourniture d’une offre d’accès de gros activé sur les lignes qu’elle exploite, sur la base de ses hypothèses et de ses paramètres, qu’à l’échéance de la convention de délégation de service public, le plan d’affaires du projet serait très largement déficitaire de plus de [SDA] millions d’euros. THD Bretagne ajoute que la modélisation discutée n’intègre ni les charges indirectes, ni les coûts commerciaux, ni les coûts communs qui, en première analyse, pourraient constituer entre [SDA] de coûts supplémentaires. Il n’existe donc pas selon THD Bretagne de plan d’affaires justifiant la fourniture par THD Bretagne d’une offre d’accès activé aux lignes FttH qu’elle exploite aux niveaux tarifaires pris comme référence par Coriolis.

Vu les courriers en date du 26 octobre 2018 par lesquels la cheffe de l’unité infrastructures et réseaux ouverts de la direction des affaires juridiques a transmis un deuxième questionnaire aux parties ;

Vu les réponses au deuxième questionnaire du syndicat mixte Mégalis Bretagne enregistrées à l’Autorité le 8 novembre 2018 et celles des sociétés Coriolis et THD Bretagne enregistrées à l’Autorité le 9 novembre 2018 ;

Vu les courriers en date du 12 novembre 2018 par lesquels la cheffe de l’unité infrastructures et réseaux ouverts de la direction des affaires juridiques a transmis un troisième questionnaire aux parties ;

Vu les réponses au troisième questionnaire du syndicat mixte Mégalis Bretagne et celles des sociétés Coriolis et THD Bretagne enregistrées à l’Autorité le 19 novembre 2018 ;

Vu les courriers en date du 15 novembre 2018, par lesquels les sociétés Coriolis et THD Bretagne, ainsi que le syndicat mixte Mégalis Bretagne ont été invités à participer à une audience devant la formation de règlement des différends, de poursuite et d’instruction de l’Autorité le 4 décembre 2018, et informés que la clôture d’instruction de la présente affaire était fixée au 23 novembre 2018 ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Après avoir entendu le 4 décembre 2018, lors de l'audience devant la formation de règlement des différends, de poursuite et d’instruction de l’Autorité, composée de M. Sébastien Soriano, président, M. Pierre-Jean Benghozi, M. Philippe Distler et Mme Martine Lombard, membres de l’Autorité, et en la présence des agents des services et des représentants de la société Coriolis, de la société THD Bretagne et du syndicat mixte Mégalis Bretagne :

- le rapport de M. Rémy Maecker, présentant les conclusions des parties ;

- les observations des représentants de la société Coriolis ;

- les observations des représentants du syndicat mixte Mégalis Bretagne;

- les observations des représentants de la société Très Haut Débit Bretagne.

Sur la publicité de l’audience

L'article 14 du règlement intérieur susvisé prévoit que « l’audience est publique, sauf demande conjointe de toutes les parties. Si cette demande n’est pas conjointe, la formation de règlement des différends, de poursuite et d’instruction de l'Autorité en délibère ».

La société THD Bretagne, par un courriel en date du 21 novembre 2018, et la société Coriolis, par un courriel en date du 22 novembre 2018, ont demandé à ce que l’audience se déroule à huis clos. Par courriel en date du 26 novembre 2018, le syndicat mixte Mégalis Bretagne a indiqué ne pas s’opposer à ce que l’audience soit publique. Lors de l’audience, le syndicat mixte Mégalis Bretagne ayant accepté que l’audience ne soit pas publique, l’audience s’est tenue par conséquent à huis clos.

La formation de règlement des différends, de poursuite et d’instruction de l’Autorité (composée de M. Sébastien Soriano, président, et M. Philippe Distler et Mme Martine Lombard membres de l’Autorité), en ayant délibéré le 11 décembre 2018 en la seule présence de ses membres, adopte la présente décision.

 

1 Contexte général

 

1.1 Présentation des parties

 

La société Coriolis Télécom fait partie du groupe Coriolis fondé en 1998. Opérateur de détail, elle fournit des services de communications électroniques fixes et mobiles à destination des entreprises et du grand public. Elle revendique environ [SDA] abonnés.1

Depuis 2015, Coriolis propose des offres très haut débit en fibre optique à destination des entreprises sur l’ensemble du territoire national et à destination des particuliers sur une grande partie du territoire national. Pour proposer des offres en fibre optique sur le marché grand public, elle s’appuie exclusivement sur les réseaux d’initiative publique des opérateurs d’infrastructure qui proposent un accès de gros activé aux lignes FttH qu’ils exploitent.2

S’agissant de la région Bretagne, Coriolis revendique [SDA] clients entreprises en haut et très haut débit fixe3 en utilisant « des offres ADSL/SDSL/EFM/Fibre FttO activées des opérateurs de gros [4. Concernant le marché grand public, elle indique commercialiser « une offre de Box ADSL ]4 permettant de fournir son offre à [SDA] particuliers en haut débit fixe.5

Le syndicat mixte Mégalis Bretagne, composé de 64 membres – la région Bretagne, les 4 départements bretons et 59 établissements publics de coopération intercommunale – s’est vu confier la gouvernance, la coordination et la réalisation du projet « Bretagne Très Haut débit ». Ce projet a pour ambition d’amener le très haut débit à travers la fibre optique à 100 % des locaux (foyers, entreprises et sites publics) bretons à l’horizon 2030, en complémentarité de la zone d’initiative privée. Mégalis Bretagne indique qu’il concerne 90 % du territoire breton et 60 % de la population pour un coût total estimé à 2 milliards d’euros.6

Pour la réalisation de ce projet, le syndicat mixte Mégalis Bretagne a fait le choix d’assurer la maitrise d’ouvrage pour la construction du réseau. Il a ainsi programmé trois phases de déploiement dans le cadre de marchés publics, prévues initialement aux dates suivantes : 2014-2018, 2019-2023 et  2024-20307 et fait le choix de déléguer intégralement les missions d’exploitation technique et commerciale. C’est en ce sens, qu’en décembre 2015, le syndicat mixte Mégalis Bretagne a conclu avec la société Orange une convention de délégation de service public, de type affermage, pour l’exploitation technique et commerciale du réseau pendant une durée de 17 ans.8

 

La société Très Haut Débit Bretagne est la société ad hoc créée par Orange (filiale à 100 %) à la suite de la conclusion du contrat de délégation de service public précité, et qui a été substituée à cette dernière en application de ce contrat9, pour exploiter et commercialiser le réseau de Mégalis Bretagne.10

Pour assurer l’exploitation technique et commerciale du réseau, THD Bretagne s’appuie sur les équipes techniques de la société Orange en Bretagne.11

 

1.2 Le réseau d’initiative publique Bretagne Très Haut Débit

 

Le projet Bretagne Très Haut Débit vise à rendre raccordables en FttH 1,2 million de locaux breton à l’horizon 2030, et les trois phases sont décomposées comme suit, selon Mégalis Bretagne12 :

- la phase 1 porte sur environ 174 opérations de montée en débit et le déploiement de 230 000 locaux ;

- la phase 2 représente de l’ordre de 402 000 locaux ;

- la phase 3 représente de l’ordre 605 000 locaux.  

Par ailleurs, Mégalis Bretagne indique également que « [l]e déploiement des prises FttH au titre de la phase 1 est actuellement en cours. / S’agissant des prises des phases 2 et 3, Mégalis Bretagne a lancé une procédure pour l’attribution d’un marché de conception réalisation. »13 Le syndicat mixte Mégalis Bretagne précise également qu’« à la date de rédaction des présentes réponses [octobre 2018] (…) 70 000 prises en cours de finalisation. »14

Selon THD Bretagne, le RIP Bretagne THD est « uniquement passif et limité à la boucle locale optique mutualisée. Il s’étend donc des NRO [nœud de raccordement optique] au PM [point de mutualisation] puis des PM aux points de branchement optique (PBO) et intègre les raccordements en fibre optique établis pour raccorder les logements et locaux à usage professionnel. »15

S’agissant de la venue d’opérateurs commerciaux sur les lignes FttH exploitées par THD Bretagne, cette dernière indique qu’Orange, [SDA] et Netensia ont signé le contrat d’accès au réseau et que Bouygues Telecom est sur le point de le faire.16

 

2 Sur la compétence de l’Autorité et la recevabilité des demandes

 

Coriolis a saisi la formation RDPI de l’Autorité de demandes relatives à la fourniture d’une offre d’accès activé aux lignes FttH du réseau d’initiative publique exploité par THD Bretagne. S’il apparaît que les demandes, figurant dans les conclusions, bénéficient d’une formulation différente entre la saisine et le mémoire en réplique de Coriolis, il sera souligné que les demandes formulées dans les écritures de Coriolis portent sur la proposition d’une offre activée en vue de l’activation du réseau dans un délai qui a fait l’objet de discussions entre les parties dans le cadre de l’instruction.

Les demandes de Coriolis portent ainsi sur :

- le constat du refus infondé de THD Bretagne de faire droit à sa demande d’offre d’accès activé ;

- le fait que THD Bretagne propose une offre d’accès activé au réseau d’initiative publique qu’elle exploite, conforme aux lignes directrices de l’Arcep de décembre 2015, avant la fin février 2019 ;

- l’activation du réseau d’initiative publique exploité par THD Bretagne, permettant la commercialisation des offres fibre de Coriolis auprès des clients finaux avant la fin mai 2019.

 

2.1 Sur la compétence de l’Autorité

 

Conformément aux dispositions du I de l’article L. 36-8 du CPCE, l’Autorité peut être saisie d’un différend « [e]n cas de refus d’accès ou d’interconnexion, d’échec des négociations commerciales ou de désaccord sur la conclusion ou l’exécution d’une convention d’interconnexion ou d’accès à un réseau de communications électroniques […]. / […] Sa décision est motivée et précise les conditions équitables, d’ordre technique et financier, dans lesquelles l’interconnexion ou l’accès doivent être assurés. »

Le II de l’article L. 36-8 du même code précise qu’« [e]n cas d’échec des négociations, l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes peut également être saisie des différends portant sur : […] 

4° Les conditions techniques et tarifaires d’exercice d’une activité d’opérateur de communications électroniques ou d’établissement, de mise à disposition ou de partage des réseaux et infrastructures de communications électroniques visés à l’article L. 1425-1 du code général des collectivités territoriales ; ».

En outre, le VI de l’article L. 36-8 du même code dispose que « Lorsque le différend concerne une partie au titre des activités qu’elle exerce en tant que cocontractant d’une collectivité territoriale ou d’un groupement de collectivités territoriales agissant dans le cadre de l’article L. 1425-1 du code général des collectivités territoriales […], cette collectivité ou ce groupement a la qualité de partie devant l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes et, le cas échéant, devant la cour d’appel de Paris et la Cour de cassation ».

La compétence de l’Arcep est d’ailleurs rappelée au III de l’article L. 1425-1 du CGCT qui dispose que « [l]’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes est saisie, dans les conditions définies à l’article L. 36-8 du code des postes et des communications électroniques, de tout différend relatif aux conditions techniques et tarifaires d’exercice d’une activité d’opérateur de communications électroniques ou d’établissement, de mise à disposition ou de partage des réseaux et infrastructures de communications électroniques […] ».

En application des dispositions de l’article L. 36-8 du CPCE et du III de l’article L. 1425-1 du CGCT, l’Autorité est donc compétente pour régler les différends relatifs à la conclusion ou à l’exécution d’une convention d’accès à un réseau d’initiative publique à très haut débit en fibre optique jusqu’à l’abonné s’inscrivant dans le cadre d’intervention des collectivités publiques tel que prévu à l’article L. 1425-1 du CGCT.

En l’espèce, les demandes de Coriolis portent sur la proposition, par THD Bretagne, d’une offre d’accès activée aux lignes FttH qu’elle exploite, prévoyant l’activation du réseau pour une commercialisation de ses offres fibre auprès des clients finaux avant la fin mai 2019. Ainsi, les demandes de Coriolis ont pour objet la conclusion d’une convention que l’Autorité est compétente pour connaître. 

Contrairement à ce que THD Bretagne soutient s’agissant de la compétence de l’Arcep pour connaître d’une demande d’accès à un réseau à construire17, dès lors que l’Autorité est compétente pour préciser les conditions dans lesquelles l’accès doit être assuré, sans préjuger du caractère raisonnable des aménagements nécessaires, la circonstance que le réseau soit à construire, en l’occurrence une partie du réseau, est sans effet sur sa compétence pour connaître des demandes en cause.

De la même manière, l’argument de THD Bretagne selon lequel l’Autorité ne serait pas compétente pour faire droit à une demande d’accès qui porterait sur le réseau d’un opérateur tiers18, à savoir la société Orange, ne saurait prospérer dès lors que Coriolis, dans le cadre des négociations menées avec THD Bretagne lui a bien adressé une demande visant à ce que THD Bretagne lui propose une offre d’accès activé au réseau d’initiative publique qu’elle exploite, demande dont elle saisit l’Autorité dans le cadre du présent règlement de différend.

Par conséquent, au regard de ce qui précède, l’Autorité est compétente pour connaître des demandes de Coriolis.

 

2.2 Sur la recevabilité des demandes formulées par Coriolis Télécom

 

2.2.1 Sur la recevabilité de la demande visant à ce que soit constaté le refus de THD Bretagne de faire droit à la demande d’offre d’accès activé de Coriolis Télécom

Coriolis demande à ce que l’Autorité constate que THD Bretagne lui oppose un « refus infondé » à sa demande d’offre d’accès activé au réseau exploité par cette dernière.

Cependant, si le constat de refus d’accès est, au regard des termes de l’article L. 36-8 du CPCE, une des conditions alternatives de recevabilité des demandes de règlement de différends, il ne peut constituer en lui-même une conclusion présentée à l’Autorité.

La demande de Coriolis tendant à faire constater par l'Autorité le refus de THD Bretagne à sa demande excède le champ de compétence que l'Autorité doit exercer au titre de la procédure de règlement des différends. Si l’Autorité a reçu du législateur des compétences pour trancher des litiges entre les parties sur le fondement des dispositions de l'article L. 36-8 du CPCE, elle n’est en aucun cas compétente pour dresser des constats dans de telles procédures.

Par suite, la demande de Coriolis, en tant qu’elle vise en l’espèce à faire constater par l’Autorité l’existence d’un refus d’accès, n’est pas recevable.

 

2.2.2 Sur la recevabilité des demandes visant à ce que THD Bretagne propose à Coriolis Télécom une offre en vue de l’activation du réseau 

Coriolis a sollicité THD Bretagne, par courrier en date du 13 décembre 2017 dont l’objet est : « demande d’accès activé au réseau d’initiative publique de THD Bretagne », afin « de bénéficier d’un accès activé au réseau que [cette] société exploite et commercialise », demandant que lui soient transmises « les conditions tarifaires et juridiques relatives à cette offre, afin que nous puissions contracter dès le début de l’année 2018 ».19

Par courrier en date du 22 décembre 2017, THD Bretagne a répondu à ce premier courrier, indiquant à Coriolis que sa demande serait étudiée.20

À la suite de ces deux premiers échanges, plusieurs échanges de courriels ont eu lieu entre M. Breton d’Orange Wholesale France, directeur des RIP, supérieur hiérarchique de M. Hervé, directeur général de THD Bretagne21, et M. Richard, directeur de la stratégie de Coriolis. 

En particulier, il pourra être relevé que, dans un courriel du 18 janvier 2018 adressé à M. Breton et à Mme Khawam (présidente de THD Bretagne à cette période, en copie du courriel), M. Richard a proposé plusieurs date de rendez-vous pour faire « suite à [son] dernier courrier du 13 décembre et à [la] réponse du 22 décembre au sujet de l’accès de Coriolis Télécom au RIP de THD Bretagne sous forme de prises activées en particulier à destination du grand public »22. Le même jour, M. Breton, a indiqué par courriel « [travailler] actuellement sur votre demande et nous serons en mesure d’avoir un échange approfondi sur les solutions que nous pourrions vous proposer d’ici une dizaine de jours »23.

Une présentation a été effectuée par la société Orange à Coriolis, le 16 février 2018 concernant les offres activées FttH et FttE sur les RIP Orange24 puis transmise à Coriolis par courriel du  1er mars 201825

À la suite de cette transmission, et par courriel de M. Richard, de Coriolis, à M. Breton, directeur des RIP Orange en date du 2 mars 2018, des demandes de modifications tarifaires ont été formulées par Coriolis ; Coriolis indiquant alors que « les règles des lignes directrices de l’Arcep s’appliquent à tous les RIP, y compris celui de Bretagne »26.

Ce courriel a été suivi d’un courrier de Coriolis, adressé à M. Breton, en date du 19 mars 2018, dont l’objet est « Accès en prise activée aux RIP Orange de Bretagne et [SDA] », dans lequel cette dernière réitère ses demandes et met en demeure « de proposer, dans les RIP gérés par Orange en Bretagne et [SDA] : / (i) une offre d’accès activée / (ii) dont les conditions financières sont conformes aux principes érigés par l’ARCEP / (iii) permettant une mise en place rapide, dans le courant du 2ème trimestre 2018. / En l’absence de réponses satisfaisantes de votre part d’ici au  15 avril 2018, Coriolis Telecom exercera toute voie de droit utile en vue d’obtenir d’Orange les conditions nécessaires à l’exercice de son activité. Coriolis Telecom pourra notamment saisir l’ARCEP en règlement de différend »27 (soulignement ajouté). 

Deux présentations ont été effectuées à Coriolis par la société Orange en avril et mai 2018. La première, en date du 19 avril 2018, qui portait sur « les offres activées FttH et FttE sur les RIP Orange », envisageait une activation « FttE » du RIP Bretagne par Orange OWF au quatrième trimestre 2018.28Une seconde intitulée « scénarios pour des offres activées FttH sur le RIP THD Bretagne », au cours de laquelle différents scénarios ont été présentés à Coriolis, et en particulier un « scénario B » prévoyant une activation du RIP par THD Bretagne ; s’est déroulée le 14 mai 201829. Il doit être relevé qu’à cette réunion était notamment présent M. Breton, directeur des RIP Orange et, comme l’a précisé THD Bretagne dans le cadre de l’instruction, que les représentants de la société Orange sont intervenus pour le compte de THD Bretagne lorsque les questions relatives à l’activation du RIP par cette dernière ont été abordées.30

À la suite de ces présentations, un courriel de Coriolis, adressé notamment à M. Breton et M. Hervé en date du 23 mai 2018, transmet notamment les « « zones » prioritaires de commercialisation de la fibre FttH par Coriolis Telecom sur les zones RIP Bretagne » et rappelle les prochaines étapes prévues entre les parties.31

Enfin, deux points téléphoniques se sont tenus entre les parties les 31 mai 2018 et 12 juin 2018. 

Dans le cadre de l’instruction, THD Bretagne a précisé qu’au cours de ce dernier point téléphonique « THD Bretagne a indiqué qu’il n’y avait pas d’évolution prévue pour son catalogue de services à date »32

Ainsi et contrairement à ce que soutient THD Bretagne qui considère que les demandes de Coriolis auraient varié dans le temps, concerné plusieurs réseaux d’initiative publique et été peu précises33, il doit être tout d’abord relevé que les échanges entre les parties, s’ils ont pu effectivement porter également sur d’autres RIP que le RIP exploité par THD Bretagne, ont toujours bien eu pour objet l’activation du réseau exploité par THD Bretagne. Les différents courriels et courriers, tant par leurs objets et contenus, font expressément apparaître que l’objet de la demande de Coriolis portait bien sur l’activation du réseau FttH exploité par THD Bretagne.

Alors que THD Bretagne considère que Coriolis a formulé une demande « sans préciser si cette demande est adressée à l’opérateur THD Bretagne ou l’opérateur commercial du Réseau »34, l’Autorité estime au contraire que la demande de Coriolis, par son courrier du 13 décembre 2017 était directement adressée à THD Bretagne, que la réponse faite par M. Breton, dans son courriel du 18 janvier 2018, ne laisse aucun doute sur cette compréhension et, que THD Bretagne indique ellemême que des représentants de la société Orange se sont exprimés pour le compte de THD Bretagne lors de la réunion du 14 mai 2018.35 En outre, il convient de souligner que THD Bretagne ne saurait se prévaloir de l’organisation mise en place pour la gestion des RIP par le groupe Orange, à savoir, comme l’a présentée Coriolis et ce que n’a pas contesté THD Bretagne, une « société de projet [qui] pourra s’appuyer sur les compétences du groupe Orange […] »36, pour exciper de l’irrecevabilité des demandes de Coriolis.

Par ailleurs, THD Bretagne considère qu’« aucune demande tarifaire n’est formulée explicitement concernant le Réseau exploité par THD Bretagne »37, que « Coriolis Telecom ne rapporte pas la preuve d’un échec des négociations concernant les conditions techniques et tarifaires de sa demande d’offre d’accès activé aux lignes FttH du Réseau […] »38 et « [concernant le point de livraison du trafic de l’offre de gros d’accès activé que], cette question n’a jamais fait l’objet de discussion entre les parties, ce qui illustre l’absence d’échec des négociations concernant ce point qui est fondamentale dans la construction d’une offre »39. 

Or, il ressort notamment du courriel en date du 2 mars 201840 et du courrier en date du  19 mars 201841 de Coriolis, que des premiers échanges relatifs aux conditions techniques et tarifaires de l’accès ont bien eu lieu entre les parties, sur la base des éléments transmis par Coriolis, M. Breton ayant indiqué travailler sur la demande de Coriolis, demandant d’ailleurs des précisions sur le taux de pénétration.42 Par ailleurs, il ne saurait être reproché à la société Coriolis de ne pas avoir pu échanger de manière plus approfondie sur ces aspects, dès lors que THD Bretagne n’entendait pas faire évoluer son catalogue.43

Par conséquent, au regard de ce qui précède et compte tenu de l’ensemble des échanges intervenus entre les parties, il apparaît que la demande de Coriolis formulée auprès de THD Bretagne, visant à ce que lui soit proposée une offre d’accès activé dont les conditions financières soient conformes aux lignes directrices tarifaires de l’Arcep en vue de l’activation rapide des lignes FttH exploitées par THD Bretagne a bien fait l’objet d’un refus de sa part. Ce refus a d’ailleurs été exprimé sans ambiguïté par THD Bretagne lorsqu’elle indique ne pas prévoir d’évolution de son catalogue de services. L’Autorité considère donc que l’échec des négociations entre les parties sur la demande de Coriolis est avéré.

 

3 Analyse des demandes

 

3.1 Rappel des demandes

 

Coriolis demande à l’Arcep d’« enjoindre à THD BRETAGNE de proposer à CORIOLIS TELECOM une offre d’accès activé au réseau d’initiative publique breton, conforme aux lignes directrices de l’ARCEP de décembre 2015, avant la fin février 2019 […] » et d’« enjoindre à THD Bretagne de procéder à l’activation du réseau d’initiative publique breton permettant la commercialisation des offres fibre de CORIOLIS TELECOM auprès des clients finaux avant la fin mai 2019 ».

 

3.2 Cadre juridique applicable

 

En application des dispositions de l’article L. 34-8 du CPCE, « L’interconnexion ou l’accès font l’objet d’une convention de droit privé entre les parties concernées. […] 

Pour réaliser les objectifs définis à l’article L. 32-1, l’Autorité peut imposer, de manière objective, transparente, non discriminatoire et proportionnée, les modalités de l’accès ou de l'interconnexion :

[…]

b) soit à la demande d’une des parties dans les conditions prévues à l’article L. 36-8. […] »

L’article L. 34-8-3 du CPCE prévoit le principe de l’accès aux lignes à très haut débit en fibre optique permettant de desservir un utilisateur final en cas de demande raisonnable.

En application de l’article L. 34-8-3 du CPCE, l’Arcep a précisé, de manière objective, transparente, non discriminatoire et proportionnée, notamment par ses décisions n° 2009-1106 et n° 2010-1312, les modalités de l’accès aux lignes à très haut débit en fibre optique en fixant le principe d’un accès aux lignes en fibre optique sous forme passive.

S’agissant des lignes à très haut débit en fibre optique permettant de desservir un utilisateur final dans le cas des réseaux d’initiative publique subventionnés, le I de l’article L. 1425-1 du CGCT prévoit que :

« Pour l’établissement et l’exploitation d’un réseau, les collectivités territoriales et leurs groupements, dans le cas où la compétence leur a été préalablement transférée, peuvent, deux mois après la publication de leur projet dans un journal d'annonces légales et sa transmission à l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes, établir et exploiter sur leur territoire des infrastructures et des réseaux de communications électroniques, au sens des 3° et 15° de l’article L. 32 du code des postes et des communications électroniques. […]

Leurs interventions garantissent l'utilisation partagée des infrastructures établies ou acquises en application du présent I et respectent les principes d'égalité et de libre concurrence sur les marchés des communications électroniques. Elles s'effectuent dans des conditions objectives, transparentes, non discriminatoires et proportionnées ».

La loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique, est venue préciser les modalités d’accès aux RIP44. Le VII de l’article L. 1425-1 du CGCT dispose ainsi que :

« Lorsqu’une ligne de communications électroniques à très haut débit en fibre optique permettant de desservir un utilisateur final est établie ou exploitée en application du présent article, qu’elle a bénéficié de subventions publiques dans les conditions fixées au IV, et qu’aucun opérateur ne commercialise d'accès activé à cette ligne, l’opérateur exploitant cette ligne fait droit aux demandes raisonnables d’accès activé à ladite ligne et aux moyens qui y sont associés émanant d'opérateurs, en vue de fournir des services de communications électroniques à cet utilisateur final.

L’accès fait l'objet d'une convention entre les personnes concernées. Celle-ci détermine les conditions techniques et financières de l’accès. Elle est communiquée à l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes à sa demande.

Les différends relatifs à la conclusion ou à l’exécution de la convention prévue au présent VII sont soumis à l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes conformément à l’article L. 36-8 du code des postes et des communications électroniques. »

Par ailleurs, au regard du II et du III de l’article L. 32-1 du CPCE, l’Autorité prend, dans conditions objectives et transparentes, des mesures raisonnables et proportionnées compte tenu notamment des objectifs suivants :

« II. […] 3° Le développement de l’investissement, de l’innovation et de la compétitivité dans le secteur des communications électroniques ;

4° L’aménagement et l’intérêt des territoires et la diversité de la concurrence dans les territoires ; […]

III. 1° L’exercice au bénéfice des utilisateurs d’une concurrence effective et loyale entre les exploitants de réseau et les fournisseurs de services de communications électroniques, en particulier lorsqu’ils bénéficient de subventions publiques conformément aux articles 106 et 107 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ; […]

3° L’absence de discrimination, dans des circonstances analogues, dans les relations entre opérateurs et fournisseurs de services de communications au public en ligne pour l’acheminement du trafic et l’accès à leurs services ; […] ».

En outre et notamment au regard du 1° du III de l’article L. 32-1 du CPCE précité, il convient de prendre en considération la décision de la Commission européenne SA. 37183 Plan France Très Haut Débit du 7 novembre 2016, dont l’article II précise que : « La Commission a décidé de ne pas soulever d’objections à l’encontre de l’aide au motif qu’elle est compatible avec le marché intérieur en vertu de l’article 107(3) c) du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. » Il ressort de cette décision que les Autorités françaises ont indiqué que :

« L’accès activé pourra n’être proposé qu’à la suite d’une demande raisonnable. La demande est considérée comme raisonnable si les conditions suivantes sont remplies i) le demandeur d’accès présente un plan d’affaire cohérent justifiant l’activation du réseau subventionné ; ii) le demandeur montre qu’il n'est pas lui-même financièrement en mesure d'installer ses propres équipements actifs et iii) aucun produit d’accès comparable n’est déjà offert dans la même zone géographique par un autre opérateur à des prix équivalents à ceux pratiqués dans des zones plus densément peuplées. En cas de différend sur la question de savoir si cet accès doit être accordé et à quelles conditions, l’ARCEP aura la possibilité d'intervenir, étant donné qu'elle sera informée des projets soutenus dans le cadre du régime et que le demandeur d'accès a le droit de saisir l’autorité de régulation de la question. »45

La Commission européenne a fondé son appréciation de la compatibilité des aides du Plan France Très Haut Débit notamment, tel que précisé aux points 352 et 354, en indiquant que :

« En cas de déploiement de nouveaux réseaux NGA, il est également fait droit aux demandes d'accès activé des demandeurs d’accès dès lors que ces demandes sont jugées raisonnables, tel que prévu par le point 80 a) des Lignes directrices relatives au haut débit. / […] En cas de litiges entre les demandeurs d’accès et les opérateurs de réseaux subventionnés, l’ARCEP est compétente pour les régler. »

Il convient de relever que les lignes directrices de Commission européenne du 26 janvier 2013 précisent au point 80 a) que :

« Il peut arriver que, dans des zones à faible densité de population qui ne disposent que de services à haut débit limités, ou pour de petites entreprises locales, exiger la présence de tous les types de produits d’accès puisse augmenter de manière disproportionnée les coûts d’investissement sans présenter d’avantages importants en termes d’accroissement de la concurrence. Dans ce cas, il est possible d’envisager que les produits d’accès nécessitant des interventions coûteuses sur l’infrastructure subventionnée non prévues par ailleurs (colocalisation en des points de distribution intermédiaires, par exemple) ne soient offerts qu’en cas de demande raisonnable d’un opérateur tiers. La demande est jugée raisonnable si i) le demandeur d’accès présente un plan d’entreprise cohérent justifiant le développement du produit sur le réseau subventionné et si ii) aucun produit d’accès comparable n’est déjà offert dans la même zone géographique par un autre opérateur à des prix équivalents à ceux pratiqués dans des zones plus densément peuplées. »

Enfin, le VI de l’article L. 1425-1 du CGCT prévoit que : « Les collectivités territoriales et leurs groupements permettent l'accès des opérateurs de communications électroniques aux infrastructures et aux réseaux de communications électroniques mentionnés au premier alinéa du I, dans des conditions tarifaires objectives, transparentes, non discriminatoires et proportionnées et qui garantissent le respect du principe de libre concurrence sur les marchés des communications électroniques ainsi que le caractère ouvert de ces infrastructures et de ces réseaux. […]

Après consultation publique, l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes adopte des lignes directrices portant sur les conditions tarifaires d'accès aux réseaux ouverts au public à très haut débit en fibre optique permettant de desservir un utilisateur final. Elles sont mises à jour en tant que de besoin. […]

Les collectivités territoriales et leurs groupements mentionnés au premier alinéa du I communiquent à l'autorité, au moins deux mois avant leur entrée en vigueur, les conditions tarifaires d'accès à leurs réseaux à très haut débit en fibre optique ouverts au public permettant de desservir un utilisateur final. […] Lorsqu’elle estime que les conditions tarifaires soulèvent des difficultés au regard du présent VI, l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes émet un avis, qui peut être rendu public, invitant la collectivité territoriale ou le groupement concerné à les modifier. […] ».

Ainsi, si les lignes directrices tarifaires de l’Arcep n’ont pas pour objet d’imposer des tarifs, l’Autorité rappelle qu’en application des dispositions de l’article L. 1425-1 du CGCT précitées, les collectivités territoriales ou leurs groupements doivent communiquer, deux mois avant leur entrée en vigueur, les tarifs qu’ils ont fixés sur lesquels l’Autorité pourra rendre un avis en cas de difficultés au regard des principes fixés par le législateur. 

Au regard de ce qui précède, il ressort que les décisions de l’Arcep ne prévoient aucune obligation à la charge de l’opérateur d’infrastructure de faire droit à une demande d’accès activé aux lignes de communications électroniques à très haut débit en fibre optique permettant de desservir un utilisateur final qu’il exploite. 

Il ressort également qu’il est désormais expressément prévu, à la suite de l’entrée en vigueur de la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018, que l’opérateur d’un réseau d’initiative publique doit faire droit aux demandes raisonnables d’activation des lignes de communications électroniques à très haut débit en fibre optique permettant de desservir un utilisateur final qu’il exploite dès lors que ce réseau a bénéficié de subventions publiques et qu’aucun opérateur ne commercialise d’accès activé à ces lignes. 

Ces dispositions confirment les décisions relatives au Programme National Très Haut Débit puis du plan France Très Haut Débit et des lignes directrices de la Commission européenne du 

26 janvier 2013. 

 

3.3 Sur la demande de Coriolis Télécom visant à ce que lui soit proposée une offre activée par THD Bretagne

 

Le 13 décembre 2017, Coriolis a fait parvenir à THD Bretagne une demande d’accès activé aux lignes FttH exploitées par THD Bretagne, sur lesquelles, à date, aucune offre d’accès de gros activé FttH n’est proposée, que ce soit par THD Bretagne ou par un autre opérateur.

Dans le cadre des négociations entre les parties, Coriolis a fait parvenir à THD Bretagne, le 

13 décembre 2017, un plan d’affaires visant à montrer son incapacité à mutualiser en passif les lignes FttH exploitées par THD Bretagne. Cette incapacité est corroborée par les éléments apportés par Coriolis dans le cadre de l’instruction, lorsqu’elle indique en particulier n’avoir, à ce jour, dégroupé aucun NRA sur le territoire desservi par les lignes FttH exploitées par THD Bretagne46 ni, plus généralement, sur le reste du territoire national. En effet, comme indiqué en partie 1.1, Coriolis indique utiliser exclusivement des offres de gros activées pour fournir ses offres de détails.47

Par ailleurs, Coriolis, qui agit sur le marché du haut et du très haut débit48, affirme, dans sa saisine, proposer des offres de détail fibre sur les réseaux d’initiative publique dans 42 départements en utilisant les offres de bitstream FttH proposées par les opérateurs de ces réseaux. De plus, sur le territoire desservi par les lignes FttH exploitées par THD Bretagne, elle déclare pouvoir s’appuyer sur une base importante d’abonnés résidentiels et professionnels49: elle revendique [SDA] clients fixes en DSL, dont [SDA] clients sur le marché grand public50. Elle démontre ainsi sa capacité à être active sur le marché de détail du haut et du très haut débit, notamment sur le territoire desservi par les lignes FttH exploitées par THD Bretagne, en utilisant des accès de gros activés.

L’Autorité estime donc que l’obtention d’une offre d’accès de gros activé permettrait à Coriolis de proposer des offres fibre sur les lignes FttH exploitées par THD Bretagne, comme elle le fait là où elle dispose d’une telle offre.

Coriolis a également fait parvenir à THD Bretagne, le 13 décembre 2017, son plan d’affaires pour la commercialisation des lignes FttH exploitées par THD Bretagne au travers d’un accès fibre activé. Si, comme le souligne THD Bretagne dans ses premières observations, le plan d’affaires n’était pas détaillé, cela ne l’a pas empêché, contrairement à ce qu’elle soutient dans ses écritures, d’entamer des négociations d’ordre technique et tarifaire avec Coriolis. En effet, sans plus de commentaire sur le plan d’affaires transmis et sans exiger davantage de précisions sur celui-ci, elle a demandé les hypothèses de parts de marché de Coriolis, afin de « construire l’offre la plus optimum économiquement au regard des volumes envisagés sur le territoire du RIP », et a ainsi pu établir des hypothèses d’activation du réseau.

Dès lors, compte tenu notamment du fait :

- que Coriolis n’apparaît pas être en mesure de procéder directement à l’activation des lignes FttH exploitées par THD Bretagne,

- qu’elle a présenté un plan d’affaires sur la base duquel des scénarios d’activation ont pu être élaborés par la société THD Bretagne,

l’Autorité estime que la demande de Coriolis, consistant à ce que lui soit proposée une offre d’accès de gros activé apparaît, dès lors qu’aucune offre d’accès de gros activé tierce n’est proposée à ce jour sur les lignes FttH exploitées par THD Bretagne, justifiée et raisonnable dans son principe, au regard des dispositions de l’article L. 1425-1 du CGCT et des objectifs de régulation mentionnés à l’article L. 32-1 du CPCE, en particulier de «[l]’aménagement et [de] l’intérêt territoires et [de] la diversité de la concurrence dans les territoires » et de « [l’]exercice au bénéfice des utilisateurs d’une concurrence effective et loyale entre les exploitants de réseau et les fournisseurs de services de communications électroniques, en particulier lorsqu’ils bénéficient de subventions publiques conformément aux articles 106 et 107 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ».

Dès lors que des échanges devront avoir lieu entre Coriolis et THD Bretagne pour que cette dernière puisse finaliser les conditions techniques et tarifaires d’une offre d’accès activé aux lignes FttH exploitées par THD Bretagne et que cette nouvelle offre implique une modification de son catalogue de services, l’Autorité estime qu’il est justifié de laisser à THD Bretagne un délai de 4 mois à compter de la notification de la présente décision pour proposer à Coriolis une offre d’accès de gros activé sur les lignes FttH qu’elle exploite.

Il convient de souligner que si elle estime justifiée et raisonnable la demande de Coriolis dans son principe, il ne revient pas à l’Autorité, dans le cadre du présent règlement de différend, d’examiner plus en détail les aspects relatifs aux conditions économiques et tarifaires, dès lors que Coriolis a indiqué qu’elle « ne sollicite pas de l’ARCEP qu’elle se substitue au délégataire pour imposer le tarif permettant l’activation du RIP breton »51

Par ailleurs, en ce qui concerne la conformité de la proposition d’offre aux lignes directrices tarifaires de 2015 de l’Autorité, il reviendra à Mégalis Bretagne, en application de l’article L. 1425-1 du CGCT, de communiquer à l’Autorité, au moins deux mois avant leur entrée en vigueur, les conditions tarifaires d’accès aux les lignes FttH exploitées par THD Bretagne. L’Autorité pourra alors examiner si ces conditions soulèvent des difficultés au regard du VI de l’article L. 1425-1 CGCT et, le cas échéant, rendre un avis en application de ces dispositions.

Enfin, il convient d’écarter l’argument de THD Bretagne selon lequel faire droit à la demande de Coriolis conduirait l’Arcep à « aggrav[er] de manière imprévisible » le risque assumé par THD Bretagne52 et ce en contradiction notamment avec l’objectif du 2° du IV de l’article L. 32-1 du CPCE, ainsi que celui selon lequel « la Convention de Délégation s’oppose par nature à ce que les éléments de réseaux nécessaires soient déployés à la charge de THD Bretagne »53. Il n’appartient en effet pas à l’Autorité, dans le cadre du présent règlement de différend, d’interpréter la convention de délégation précitée. 

Si l’Autorité entend ici faire droit à la demande de Coriolis, il convient toutefois de relever que les principaux opérateurs commerciaux du marché, qui sont les acteurs les plus susceptibles de venir souscrire les offres d’accès de gros passif du RIP exploité pas THD Bretagne et de proposer des offres d’accès de gros activé, n’ont pas encore fait le choix de venir sur les lignes FttH exploitées par THD Bretagne et, a fortiori, de proposer de telles offres. 

Or, l’Autorité observe que ces mêmes opérateurs sont actuellement en train de généraliser leur présence sur les RIP et devraient être en mesure prochainement de proposer des offres d’accès de gros activé sur ces réseaux. Ainsi, il apparaît fort probable qu’une offre d’accès de gros activé FttH émerge prochainement et puisse concerner les lignes FttH exploitées par THD Bretagne.

S’agissant du RIP exploité par THD Bretagne, comme indiqué en partie 1.2, ce dernier n’en est qu’au début de ses déploiements avec environ 70 000 locaux raccordables en octobre 201854 sur les environ 240 000 lignes d’ores et déjà contractualisées55 (pour rappel, le projet de Mégalis Bretagne prévoit trois phases de déploiement et une cible de 1,2 million de locaux raccordables à l’horizon de l’année 2030), ce qui explique que les principaux opérateurs fibre n’y soient pas encore présents. 

Cette situation devrait évoluer au cours des mois à venir. En effet, THD Bretagne a indiqué que « plusieurs opérateurs commerciaux (Orange, Netensia, Bouygues Telecom parmi les opérateurs dont la venue ne relève pas du secret des affaires) bénéficient d’ores et déjà de la part de THD Bretagne – ou sont sur le point de bénéficier – d’une offre d’accès passif au Réseau »56, elle précise également, comme indiqué en partie 1.2, que [SDA] a signé l’offre d’accès aux lignes FttH qu’elle exploite.57 Ces opérateurs, qui animeront alors le marché de détail de la zone d’initiative publique de la Bretagne, seront également susceptibles de proposer une offre de gros activée à brève échéance. Une telle offre pourrait alors être utilisée par Coriolis pour commercialiser ses offres sur le marché de détail à destination des clients grand public qu’elle indique cibler58, sous réserve qu’elle permette bien de répondre, en particulier, aux besoins de clients généralistes.

Dès lors, et toujours au regard des objectifs de régulation mentionnés à l’article L. 32-1 du CPCE, en particulier du « développement de l’investissement », l’Autorité considère que, dans le cas où un acteur autre que THD Bretagne proposerait une offre d’accès activé permettant de répondre en particulier aux besoins de clients généralistes, il ne serait alors ni justifié ni raisonnable que le RIP supporte les charges d’activation de son réseau ; et ce d’autant plus que ses perspectives de recettes seraient réduites par l’arrivée des offres tierces.

Enfin, il convient de souligner que si le législateur a imposé une obligation de faire droit aux demandes raisonnables d’accès activé aux lignes de communications électroniques à très haut débit en fibre optique permettant de desservir un utilisateur final établies ou exploitées en application de l’article L. 1425-1 du CGCT et ayant bénéficié de subventions publiques dans les conditions fixées au IV de cet article, il a dans le même temps pris soin de préciser que cette obligation ne s’appliquait  que dès lors qu’aucun opérateur ne commercialise d'accès activé à ces lignes.

 

En définitive, il ressort des éléments qui précèdent :

- qu’au regard de la situation présente sur le réseau d’initiative publique, qui a bénéficié de subventions publiques, exploité par THD Bretagne, il apparaît raisonnable et justifié de demander à THD Bretagne qu’elle propose une offre d’accès de gros activé sur fibre à Coriolis dans un délai de 4 mois ;

- qu’il ne serait pour autant ni justifié ni raisonnable, en particulier au regard des objectifs prévus à l’article L. 32-1 du CPCE, en particulier de  « [l]’aménagement et [de] l’intérêt des territoires et [de] la diversité de la concurrence dans les territoires » et de « [l]’exercice au bénéfice des utilisateurs d’une concurrence effective et loyale entre les exploitants de réseau et les fournisseurs de services électroniques, en particulier lorsqu'ils bénéficient de subventions publiques conformément aux articles 106 et 107 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne » , de maintenir l’obligation à l’égard de THD Bretagne de proposer une telle offre si un acteur tiers en propose une, dès lors que cette dernière permettrait de répondre en particulier aux besoins de clients généralistes.  

 

3.4 Sur l’activation des lignes FttH exploitées par THD Bretagne pour la commercialisation par Coriolis Télécom de ses offres auprès des clients finaux avant la fin mai 2019

 

Dans sa saisine, Coriolis demande à l’Arcep d’enjoindre à THD Bretagne de lui proposer une offre de gros activée permettant la commercialisation de ses offres de détail avant la fin mai 2019. Le délai nécessaire à la mise en place d’une offre de gros activée fait l’objet de positions contradictoires des parties.

Les parties conviennent que l’activation d’un réseau FttH tel que celui exploité par THD Bretagne nécessite, au minimum, pour un opérateur59 :

- de se doter d’un réseau de collecte en fibre optique ou, à tout le moins, offrant des performances comparables ;

- d’installer ses propres équipements actifs au sein des NRO (dans les NRA d’Orange ou dans les shelters de Mégalis Bretagne) ;

- d’aménager un point central de livraison du trafic de l’offre d’accès activé ;

- de développer un système d’information pour opérer le réseau activé et commercialiser l’offre de gros.

À ces étapes, Coriolis ajoute une étape de contractualisation entre Mégalis Bretagne et THD Bretagne pour ajouter l’offre au catalogue de services du RIP.60 THD Bretagne, quant à lui, ajoute une étape pour la mise en place d’équipes techniques pour exploiter le réseau de collecte et les équipements actifs.61 Ces deux étapes additionnelles semblent pertinentes.

Les parties s’opposent toutefois, dans leurs écritures, sur le délai qu’elles considèrent nécessaire pour l’activation du réseau exploité par THD Bretagne, c’est-à-dire sur le délai nécessaire pour réaliser l’ensemble de ces étapes. En effet, Coriolis a indiqué que l’activation « pour servir les 20 premiers NRO les plus pertinents [peut] se réaliser en moins de 3 mois »62 en se fondant sur le rapport Tactis. Il doit être souligné qu’il ressort également de ce dernier que « la mise en place de l’activation [de l’intégralité du réseau] peut être envisagée dans un délai de 6 à 9 mois par THD Bretagne »63. De son côté, THD Bretagne, après avoir indiqué un délai de 12 à 15 mois lors des échanges avec Coriolis64, considère, en définitive, qu’un délai de 18 mois65 est nécessaire pour l’activation des lignes FttH qu’elle exploite. L’Autorité estime que l’écart d’appréciation des parties sur ce délai dépend principalement de leur appréciation de la capacité pour un opérateur de réaliser ces tâches en parallèle plutôt qu’en série.

Si l’Autorité considère qu’il est envisageable pour THD Bretagne d’exécuter certaines tâches en parallèle, et qu’un délai de 18 mois n’apparait pas raisonnable, le calendrier envisagé par Coriolis lui apparaît en revanche particulièrement optimiste au regard des délais caractéristiques observables sur les différentes prestations concernées. L’Autorité estime en effet que, l’activation de l’intégralité des lignes des NRO pourrait, compte tenu des délais contractuels des prestations auxquelles THD Bretagne est susceptible d’avoir recours, au mieux, être réalisée en 4 à 6 mois. Toutefois, les pratiques de marché observées révèlent souvent des délais plus longs qui s’expliquent notamment en raison des travaux exceptionnels, des opérations de désaturation ou encore des retards et qui conduisent à ajourner la mise en service effective du NRO par rapport aux délais contractuels nominaux. Dès lors, il apparaît raisonnable d’accorder à THD Bretagne un délai de 9 mois pour activer les lignes FttH qu’elle exploite.

Par ailleurs, l’activation de ces dernières implique des coûts fixes [SDA] millions d’euros au minimum selon les calculs effectués d’après les documents transmis par les différentes parties. Imposer de commencer ces dépenses avant qu’un accord assurant la venue de Coriolis sur le réseau ne soit trouvé n’apparaît dès lors pas proportionné.

Ainsi, au regard de l’ensemble des éléments exposés ci-avant et des objectifs de régulation de l’article L. 32-1 du CPCE, en particulier de « [l]’aménagement et [de] l’intérêt des territoires et [de] la diversité de la concurrence dans les territoires » et de « [l]’exercice au bénéfice des utilisateurs d’une concurrence effective et loyale entre les exploitants de réseau et les fournisseurs de services électroniques, en particulier lorsqu'ils bénéficient de subventions publiques conformément aux articles 106 et 107 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne », il apparaît justifié et proportionné que le contrat proposé par THD Bretagne prévoie que l’offre d’accès de gros activé sur fibre permette la commercialisation effective des offres fibre de Coriolis dans un délai de 9 mois à compter de la signature du contrat d’accès activé entre Coriolis et THD Bretagne.

Cependant, et pour les mêmes raisons que celles évoquées en partie 3.3, il ne serait ni justifié ni raisonnable, en particulier au regard des objectifs prévus à l’article L. 32-1 du CPCE, notamment de « développement de l’investissement, de l’innovation et de la compétitivité dans le secteur des communications électroniques » et de « [l]’exercice au bénéfice des utilisateurs d’une concurrence effective et loyale entre les exploitants de réseau et les fournisseurs de services de communications électroniques, en particulier lorsqu'ils bénéficient de subventions publiques conformément aux articles 106 107 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne », de maintenir l’obligation d’une activation du RIP par THD Bretagne, si une offre de gros activée tierce permettant de répondre en particulier aux besoins de clients généralistes venait à être proposée sur ce réseau. 

 

En toute hypothèse, l’Autorité restera vigilante, dans le cadre du suivi de l’exécution de la présente décision, à ce que THD Bretagne ne puisse être considérée comme exemptée de l’exécution de cette dernière que dans l’hypothèse où une offre d’accès de gros activé tierce permet effectivement de répondre en particulier aux besoins des clients généralistes.

         

Décide : 

 

Article 1.

 

La société THD Bretagne doit, dans un délai de quatre mois à compter de la notification de la présente décision, proposer à la société Coriolis Télécom une offre d’accès de gros activé aux lignes à très haut débit en fibre optique permettant de desservir un utilisateur final qu’elle exploite, précisant les conditions techniques et tarifaires et prévoyant l’activation des lignes dans un délai de neuf mois maximum à compter de la signature par la société Coriolis Télécom de l’offre susmentionnée.

Article 2.

 

En cas de commercialisation d’une offre d’accès de gros activé par un autre opérateur que la société THD Bretagne et permettant de répondre en particulier aux besoins de clients généralistes, avant le terme du délai de neuf mois prévu à l’article 1, les obligations de l’article 1 ne sont pas applicables.

Article 3.

 

Le surplus des demandes de la société Coriolis Télécom est rejeté.

Article 4.

La cheffe de l’unité infrastructures et réseaux ouverts de la direction des affaires juridiques de l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes est chargée de notifier la présente décision aux sociétés Coriolis Télécom et THD Bretagne ainsi qu’au syndicat mixte Mégalis Bretagne. Elle sera rendue publique sous réserve des secrets protégés par la loi.

 

Notes :

1 Saisine de Coriolis, page 2.

2 Saisine de Coriolis, page 2.

3 Réponse de Coriolis au premier questionnaire des rapporteurs, Q. 23.  

Réponse de Coriolis au premier questionnaire des rapporteurs, Q. 21.

4 Ibid.

5 Réponse de Coriolis au premier questionnaire des rapporteurs, Q. 23.

6 Site internet du syndicat mixte Mégalis Bretagne :       https://www.megalisbretagne.org/jcms/dmw_5567/le-projet-ambitionet-principes.

7 Site internet du syndicat mixte Mégalis Bretagne :   https://www.megalisbretagne.org/jcms/mw_12085/phase-1-20142018.

8 Saisine de Corilis, pièce 6.

9 Ibid. article 5 de la convention de délégation de service public.

10 Ibid. article 3 de la convention de délégation de service public.

11 Site internet de THD Bretagne : http://www.thdbretagne.bzh/nos-missions/notre-role/.

12 Réponses de Mégalis Bretagne au premier questionnaire des rapporteurs, propos liminaire.

13 Ibid.

14 Réponses de Mégalis Bretagne au premier questionnaire des rapporteurs, Q.1.

15 Premières observations en défense de THD Bretagne, page 7.

16 Réponses de THD Bretagne au deuxième questionnaire des rapporteurs, Q.9.

17 Deuxièmes observations en défense de THD Bretagne, page 10.

18 Deuxièmes observations en défense de THD Bretagne, page 15.

19 Saisine de Coriolis, pièce 9 ; voir par ailleurs le courrier de Coriolis à Mégalis Bretagne, à la même date, Mémoire en réplique, pièce 29.

20 Saisine de Coriolis, pièce 10.

21 Réponse de Coriolis au deuxième questionnaire des rapporteurs, Q. 13.

22 Réponse de Coriolis au premier questionnaire des rapporteurs, Q. 25, pièce 1.

23 Ibid.

24 Saisine de Coriolis, pièce 11.

25 Réponse de Coriolis au premier questionnaire des rapporteurs, Q.25, pièce 1.

26 Saisine de Coriolis, pièce 12.

27 Saisine de Coriolis, pièce 13.

28 Saisine de Coriolis, pièce 14.

29 Saisine de Coriolis, pièce 15.

30 Réponse de THD Bretagne au premier questionnaire des rapporteurs, Q.8.

31 Saisine de Coriolis, pièce 16.

32 Réponse de THD Bretagne au troisième questionnaire des rapporteurs, Q.6.

33 Premières observations en défense de THD Bretagne, page 15.

34 Ibid.

35 Réponse de THD Bretagne au premier questionnaire des rapporteurs, Q.8.

36 Mémoire en réplique de Coriolis, page 12.

37 Premières observations en défense de THD Bretagne, page 16.

38 Premières observations en défense de THD Bretagne, page 17.

39 Deuxièmes observations en défense de THD Bretagne, page 9.

40 Saisine de Coriolis, pièce 12.

41 Saisine de Coriolis, pièce 13.

42 Réponse de Coriolis au premier questionnaire des rapporteurs, Q.25, pièce 1.

43 Réponse de THD Bretagne au troisième questionnaire des rapporteurs, Q.6.

44 La loi nouvelle s’applique aux situations non contractuelles en cours, même lorsque la situation fait l’objet d’une instance judiciaire : Cass. 3e civ., 23 mars 2017, n° 16-11.081 ; voir également, pour les règlements de différend devant une autorité de régulation, cour d’appel de Paris, 24 février 2004, n° CT0175.

45 Point 53 de la décision de la Commission européenne SA. 37183 ; voir également point 24 de la décision de la Commission européenne N 330/2010.

46 Réponse de Coriolis au premier questionnaire des rapporteurs, Q. 21.

47 Ibid.

48 Saisine de Coriolis, page 2.

49 Saisine de Coriolis, page 3.

50 Réponse de Coriolis au premier questionnaire des rapporteurs, Q. 23.

51 Mémoire en réplique de Coriolis, page 29.

52 Premières observations en défense de THD Bretagne, page 23.

53 Ibid. page 23.

54 Réponses de Mégalis Bretagne au premier questionnaire des rapporteurs, Q.1.

55 Mégalis Bretagne a indiqué que s’agissant des phases 2 et 3, une procédure a été lancée pour l’attribution d’un marché de conception réalisation, avis d’appel public à concurrence publié le 17 juillet 2018, réponse de Mégalis au premier questionnaire des rapporteurs, présentation liminaire.

56 Première observations en défense de THD Bretagne, page 22.

57 Réponse de THD Bretagne au deuxième questionnaire des rapporteurs, Q.9.

58 Coriolis a précisé souhaiter un accès de gros activé lui permettant « une ouverture commerciale de ses offres FTTH, en particulier à destination du grand public », Mémoire en réplique de Coriolis, page 54.   

59 Réponse de Coriolis au deuxième questionnaire des rapporteurs, Q.20 ; voir également les premières observations en défense de THD Bretagne, pages 7 et 8.

60 Réponse de Coriolis au deuxième questionnaire des rapporteurs, Q.20.

61 Premières observations en défense de THD Bretagne, page 8.

62 Réponse de Coriolis au deuxième questionnaire des rapporteurs, Q.20b.

63 Mémoire en réplique Coriolis, pièce 23, page 8.

64 Réponse de THD Bretagne au premier questionnaire des rapporteurs, Q.16.

65 Réponse de THD Bretagne au premier questionnaire des rapporteurs, Q.17.