Décisions

Cass. crim., 21 février 2023, n° 21-85.572

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

PARTIES

Défendeur :

Autorité de la concurrence

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bonnal

Rapporteur :

M. Michon

Avocat général :

M. Lemoine

Avocats :

SCP Piwnica et Molinié, SCP Duhamel-Rameix-Gury-Maitre

Cass. crim. n° 21-85.572

21 février 2023

Faits et procédure

1. Il résulte de l'ordonnance attaquée et des pièces de procédure ce qui suit.

2. Par une décision du 18 juillet 2018, faisant suite à une demande de clémence présentée par une société de ce secteur économique, l'Autorité de la concurrence s'est saisie d'office de pratiques mises en œuvre dans les domaines de l'ingénierie, du conseil en technologies, et des services informatiques.

3. Le 24 octobre 2018, le rapporteur général de l'Autorité de la concurrence a formé une requête afin d'être autorisé à faire procéder aux visite et saisie prévues par l'article L. 450-4 du code de commerce, notamment dans deux établissements de la société [2].

4. Par ordonnance du 31 octobre 2018, le juge des libertés et de la détention a fait droit à cette requête.

5. Les opérations de visite et de saisie se sont déroulées le 8 novembre 2018.

6. Le 16 novembre 2018, la société [2] a formé un recours contre le déroulement desdites opérations.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en ses cinquième et sixième branches

7. Les griefs ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.

Sur le moyen, pris en ses première à quatrième branches

Enoncé du moyen

8. Le moyen critique l'ordonnance attaquée en ce qu'elle a rejeté les demandes d'annulation de la société [2], contestant le déroulement des opérations de visite et saisie, alors :

« 1°/ que l'occupant des lieux dans lesquels ont été autorisées, par le juge des libertés et de la détention, des opérations de visite et saisie, ne dispose pas du droit de saisir lui-même le juge qui a délivré l'autorisation ; que les officiers de police judiciaire chargés d'assister aux opérations doivent au cours de la visite, tenir ce magistrat informé des difficultés rencontrées ; qu'en affirmant que lorsqu'il est averti d'une difficulté, l'officier de police judiciaire peut apprécier l'opportunité d'en saisir immédiatement le juge chargé du contrôle des opérations, et « qu'il n'est pas tenu, au risque d'ailleurs de surcharger le magistrat en cas d'opérations simultanées, de rendre compte à tout moment de leur déroulement », le conseiller délégué a violé les articles 6 et 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, ainsi que les articles L. 450-4 du code de commerce, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

2°/ qu'une visite domiciliaire ne satisfait à l'exigence de proportionnalité découlant de l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme qu'à condition de circonscrire précisément le champ de l'enquête et de définir expressément et limitativement les lieux privés et les sociétés visées par la visite ; qu'en considérant que l'Autorité pouvait saisir des données appartenant à des salariés de la société [2], non domiciliée à la même adresse, ou à un consultant extérieur de la société [2], quand l'ordonnance avait autorisé le rapporteur de l'Autorité à se rendre dans les locaux de la société [2], [Adresse 1], et des sociétés du même groupe sises à la même adresse, le conseiller délégué a violé l'article susvisé, ensemble les articles L. 450-4 du code de commerce, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

3°/ qu'une visite domiciliaire ne satisfait à l'exigence de proportionnalité découlant de l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme qu'à condition de circonscrire précisément le champ de l'enquête et de définir expressément et limitativement les lieux privés et les sociétés visées par la visite ; qu'en décidant que les données figurant dans les ordinateurs et sur les téléphones des salariés de la société [2], pouvait être saisies dans la mesure où cette société, par sa dénomination, ses liens organisationnels et capitalistiques, se présentait comme une filiale de la société [2], constituant avec elle une unité économique, le conseiller délégué a violé l'article susvisé, ensemble les articles L. 450-4 du code de commerce, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

4°/ que l'utilisation d'un procédé déloyal pour obtenir un document rend irrecevable sa production à titre de preuve ; que les agents de l'Autorité ne peuvent employer aucun procédé déloyal pouvant compromettre les droits de la défense ; qu'en se bornant à affirmer « que le fait que la société [2] ne soit pas sise à la même adresse que la société [2] ne fait pas obstacle à ce que les données informatiques de ses salariés puissent être examinées et saisies dès lors qu'ils se trouvent dans les locaux objets des investigations ou que leurs données sont accessibles depuis ces locaux (et) que les messageries professionnelles de MM. [Y], [O], [U] et [K] figuraient sur le serveur informatique de la société [2] », sans rechercher comme il y avait été invité si la rapporteure de l'Autorité de la concurrence n'avait pas fait preuve de déloyauté en enjoignant à M. [Y] et à M. [K], qui n'étaient pas présents au siège de la société [2] à l'arrivée des enquêteurs, de venir immédiatement munis chacun de leur téléphone et de leur ordinateur portable, le conseiller délégué n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 6 et 8 de la convention européenne des droits de l'homme, L. 450-4 du code de commerce, et 591 et 593 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

Sur le moyen, pris en sa première branche

9. Pour écarter le moyen de nullité selon lequel l'officier de police judiciaire assistant aux opérations de visite et saisie aurait dû transmettre immédiatement au juge les réserves formulées par la société [2], l'ordonnance relève qu'il appartient à cet officier de police judiciaire, lorsqu'il est averti d'une difficulté, d'apprécier l'opportunité d'en saisir immédiatement le juge chargé du contrôle des opérations.

10. Le premier président ajoute que l'officier de police judiciaire n'est pas tenu, au risque d'ailleurs de surcharger le magistrat en cas d'opérations simultanées, de rendre compte à tout moment de leur déroulement et que la transmission de réserves, après la fin des investigations, ne fait pas obstacle au contrôle juridictionnel du premier président.

11. En statuant ainsi, le premier président a fait l'exacte application des textes visés au moyen pour les motifs qui suivent.

12. En premier lieu, les réserves formulées en l'espèce étaient manifestement infondées en ce qu'elles portaient sur la prétendue nécessité de communiquer immédiatement les mots clés utilisés par les agents de l'Autorité de la concurrence.

13. En second lieu, les réserves exprimées concernant le champ des éléments saisis relevaient du recours devant le premier président. Dès lors, aucune atteinte irréversible n'a été causée aux intérêts de la société [2], qui a pu faire valoir ses arguments devant ce dernier.

14. Ainsi, le grief n'est pas fondé.

Sur le moyen, pris en ses deuxième, troisième et quatrième branches

15. La Cour de cassation juge que les saisies opérées par les agents de l'Autorité des marchés financiers en exécution d'une ordonnance délivrée par le juge des libertés et de la détention sur le fondement de l'article L. 621-12 du code monétaire et financier peuvent porter sur tous les documents et supports d'information qui sont en lien avec l'objet de l'enquête et se trouvent dans les lieux que le juge a désignés ou sont accessibles depuis ceux-ci, sans qu'il soit nécessaire que ces documents et supports appartiennent ou soient à la disposition de l'occupant des lieux (Ass. Plén., 16 décembre 2022, pourvois n° 21-23.685 et 21-23.719, publiés au Bulletin).

16. Il y a lieu de faire application de cette solution aux visites diligentées en application de l'article L. 450-4 du code de commerce.

17. Pour écarter les moyens de nullité tenant à la saisie de documents appartenant, d'une part, à des salariés de la société [2] non visée dans l'ordonnance, d'autre part, à un consultant extérieur, M. [K], présent sur les lieux, le premier président énonce que le juge des libertés et de la détention a autorisé des opérations dans les locaux de la société [2] et des sociétés du même groupe sises à la même adresse et que le fait que la société [2] ne soit pas domiciliée à la même adresse que la société [2] ne fait pas obstacle à ce que les données informatiques de ses salariés puissent être examinées et saisies dès lors qu'ils se trouvent dans les locaux, objet des investigations ou que leurs données sont accessibles depuis ces locaux.

18. Il ajoute que les messageries professionnelles de MM. [Y], [O], [U], salariés de la société [2] et celles de M. [K] figuraient sur le serveur informatique de la société [2].

19. En l'état de ces énonciations, d'où il résulte que les documents et supports saisis se trouvaient dans les lieux que le juge a désignés ou étaient accessibles depuis ceux-ci et dès lors qu'il n'est pas allégué qu'ils étaient sans lien avec l'objet de l'enquête, le premier président a justifié sa décision.

20. Il s'ensuit que le moyen, qui, en sa quatrième branche, faute d'avoir été présenté devant le premier président, mélangé de fait, est nouveau et, comme tel, irrecevable, n'est pas fondé.

21. Par ailleurs, l'ordonnance est régulière en la forme.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi