Cass. 2e civ., 21 février 2019, n° 17-28.764
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Flise
Avocats :
SCP Garreau, Bauer-Violas et Feschotte-Desbois, SCP Gatineau et Fattaccini
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Douai, 29 septembre 2017), que M. P..., gérant de la société civile d'exploitation agricole P... F..., a été l'objet d'une procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité pour des faits de travail dissimulé et de non affiliation de salariés au régime de protection sociale des professions agricoles, commis entre le 1er septembre 2010 et le 1er mars 2013 au préjudice de MM. R... et O... ; que la caisse de mutualité sociale agricole (la caisse), avisée de la procédure, s'est constituée partie civile ; que par ordonnance du 2 décembre 2013, le délégataire du président du tribunal de grande instance a homologué la proposition de peine formée par le procureur de la République et a débouté la caisse de sa demande de renvoi devant le tribunal correctionnel ; que le même jour, la caisse a notifié à la société P... F... ses observations de fin de contrôle sur une base de redressement résultant de l'infraction de travail dissimulé et l'a mise en demeure, le 9 janvier 2014, de lui payer une certaine somme au titre de cotisations, majorations et pénalités ; que M. P... a formé un recours contre la décision de la commission de recours amiable de la caisse ayant rejeté la contestation du redressement ;
Sur le premier moyen :
Attendu que la caisse fait grief à l'arrêt de rejeter la fin de non-recevoir tirée de l'autorité de la chose jugée, d'annuler l'avis de redressement et la mise en demeure et de la débouter de ses demandes, alors, selon le moyen, que le juge civil ne peut méconnaître ce qui a été certainement et nécessairement décidé par le juge pénal ; que, procédant d'un débat au fond, au cours et à l'issue duquel le président du tribunal correctionnel, après avoir vérifié la réalité des faits et leur qualification juridique, constate notamment que la personne, en présence de son avocat, reconnaît les faits reprochés et accepte la ou les peines proposées, l'ordonnance d'homologation sur reconnaissance préalable de culpabilité a les effets d'un jugement de condamnation et, à défaut d'appel, ceux d'un jugement passé en force de chose jugée ; qu'en l'espèce, par ordonnance d'homologation du 2 décembre 2013, le président du tribunal de grande instance de Cambrai a constaté que M. P..., dûment assisté de son avocat, reconnaissait avoir, du 1er septembre 2011 au 2 mars 2013, dissimulé l'emploi de deux ouvriers agricoles, MM. O... et R..., en se soustrayant intentionnellement à ses obligations (délivrance de bulletins de paye, déclaration préalable à l'embauche, affiliation auprès de la caisse) ; qu'en considérant que cette décision passée en force de chose jugée ne suffisait pas, en soi, à établir la réalité de la dissimulation d'emploi et la possibilité corrélative pour la caisse de procéder à un redressement forfaitaire de cotisations au titre de ces deux ouvriers dûment visés, la cour d'appel a violé les articles 495-11 du code de procédure pénale et 1351 devenu 1355 du code civil ainsi que le principe de l'autorité de la chose jugée au pénal sur le civil ;
Mais attendu que tout en relevant que M. P... avait été l'objet d'une procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité pour des faits d'emploi dissimulé, la cour d'appel, qui a constaté que le redressement de cotisations correspondant à cet emploi dissimulé avait été notifié à la société P... F..., ce dont il ressortait que la décision sur l'action publique, en ce qu'elle comportait reconnaissance de culpabilité de M. P..., ne s'imposait pas au juge civil statuant sur la contestation de ce redressement tel que notifié à la société, a exactement retenu, abstraction faite du motif erroné critiqué par le moyen, que la contestation des éléments ayant servi de base au redressement litigieux ne se heurtait pas à l'autorité de la chose jugée par le juge pénal sur l'action publique ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le deuxième moyen :
Attendu que la caisse fait grief à l'arrêt d'annuler l'avis de redressement et la mise en demeure et de la débouter de ses demandes, alors, selon le moyen, que tenu de respecter lui-même le principe du contradictoire, le juge ne peut, après avoir rejeté une fin de non-recevoir, statuer au fond sans inviter la partie ayant soulevé cette fin de non-recevoir à conclure au fond ; qu'en l'espèce, la caisse avait exclusivement soulevé la fin de non-recevoir prise de l'autorité de chose jugée attachée à l'ordonnance d'homologation ; qu'en appréciant, après avoir rejeté cette fin de non-recevoir, si la caisse apportait la preuve de la dissimulation d'emploi reconnue par M. P..., sans pour autant inviter la caisse à conclure au fond, la cour d'appel a violé les articles 16 et 562 du code de procédure civile ;
Mais attendu que la cour d'appel ayant été saisie de l'entier litige par l'appel et par les conclusions des parties, la caisse ayant conclu à la confirmation du jugement de rejet du recours formé contre le redressement et s'étant référée, dans le corps de ses conclusions, aux éléments de l'enquête établissant selon elle, indépendamment de la reconnaissance de culpabilité de M. P..., les faits de travail dissimulé, le moyen ne tend, sous le couvert d'une méconnaissance du principe de la contradiction et de l'effet dévolutif de l'appel, qu'à remettre en discussion, devant la Cour de cassation, l'appréciation souveraine, par les juges du fond, des éléments de preuve qui leur étaient soumis ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Et sur le troisième moyen :
Attendu que la caisse fait encore grief à l'arrêt d'annuler l'avis de redressement et la mise en demeure et de la débouter de ses demandes, alors, selon le moyen,
1°/ que tenus de motiver leur décision, les juges ne peuvent accueillir ou rejeter les demandes dont ils sont saisis sans examiner tous les éléments de preuve qui leur sont fournis par les parties au soutien de leurs prétentions ; que, dans le procès-verbal d'audition établi le 11 juin 2013 à 14 heures 45, dûment versé aux débats, M. P... avait admis que M. T... O... « travaille tous les jours avec moi, sept jours sur sept, matins et après-midi » et « m'assistait sur plusieurs tâches, que cela soit au niveau des céréales ou du lait » ; qu'en affirmant que M. O... n'a apporté qu'un concours ponctuel s'inscrivant dans le cadre d'une entraide familiale, sans se prononcer sur cette pièce déterminante comptant au nombre des éléments de l'enquête visés, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
2°/ que tenu de motiver sa décision, le juge ne peut viser les pièces de la procédure sans les identifier ni les analyser fut-ce succinctement ; qu'en se bornant à affirmer, au simple visa des « éléments du dossier », que M. O... a apporté à l'exploitation de M. P... un concours ponctuel et volontaire, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
3°/ que le procès-verbal d'audition de M. D... R... du 9 avril 2013 mentionnait qu'à la question « Quel est votre rythme de travail, le nombre d'heures et les jours de repos ? », ce dernier avait répondu : « Mes horaires de travail étaient variables. Mais, entre septembre 2011 et mars 2013, j'ai travaillé au minimum tous les jours de la semaine au profit de P... B..., sauf durant la coupure de deux ou trois mois. J'ai également travaillé plusieurs week-ends pour lui, mais je ne suis pas en mesure de vous donner les détails. Concernant mes horaires de travail, je commençais tôt le matin, cela variait entre 05 heures et 07 heures. Je travaillais jusqu'à 12 heures 30. Je rentrais chez moi le midi. Je revenais vers 13 heures 30, où je reprenais mon travail. Je continuais mon travail jusqu'à 18 heures 00 minimum, jusqu'à 19 h 00 maximum. C'est B... P... qui l'indiquait à quelle heure je devais venir tous les jours » ; qu'en considérant que ces déclarations étaient contradictoires avec celles de la mère de M. R..., laquelle avait déclaré que son fils partait travailler le matin et rentrait le midi et le soir, par cela seul que M. R... avait déclaré à titre liminaire que ses horaires étaient variables, la cour d'appel, qui a ainsi ignoré l'essentiel des déclarations de ce dernier, a méconnu le principe faisant interdiction au juge de dénaturer les documents de la cause ;
4°/ que le procès-verbal d'audition de M. P... du 11 juin 2013 mentionnait qu'à la question « Reconnaissez-vous l'infraction susceptible de vous être relevée : l'exécution de travail dissimulé par dissimulation de salarié ? », ce dernier avait répondu : « Je reconnais que I... D... est venu plusieurs fois travailler au sein de mon exploitation et que je ne l'ai pas déclaré » ; qu'en affirmant que M. P... avait procédé à cette déclaration sans que nulle question n'apparaisse au procès-verbal, la cour d'appel a méconnu le principe faisant interdiction au juge de dénaturer les documents de la cause ;
Mais attendu, de première et de deuxième part, que le moyen ne tend qu'à remettre en discussion devant la Cour de cassation l'appréciation souveraine de la portée du procès-verbal d'audition de M. P... par la cour d'appel, qui, s'étant référée aux témoignages de MM. Y... père et fils, P... et O..., qu'elle a analysés afin de qualifier d'entraide familiale la contribution de M. O... à l'activité de l'exploitation, ne s'est pas bornée à viser les éléments du dossier ;
Attendu, de troisième part, que c'est sans dénaturer les témoignages de Mme R... et de son fils, que la cour d'appel a estimé, dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation des éléments de preuve qui lui étaient soumis, qu'ils présentaient entre eux une contradiction ;
Attendu, de quatrième part, que la cour d'appel ne s'est pas prononcée pour le seul motif que critique le moyen en sa quatrième branche, lequel motif est dès lors surabondant ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi.