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Décisions

Cass. crim., 16 novembre 2011, n° 11-80.433

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Louvel

Rapporteur :

Mme Labrousse

Avocat :

SCP Piwnica et Molinié

Rouen, du 18 nov. 2010

18 novembre 2010

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, 432-11 2°, 123 du code des marchés publics, 388, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale ;

" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré M. X...coupable d'atteinte à la liberté d'accès ou à l'égalité des candidats dans les marchés publics et de trafic d'influence passif, l'a condamné à la peine d'emprisonnement de dix-huit mois dont un an avec sursis, à une amende de 80 000 euros, a prononcé l'interdiction définitive de toute fonction publique et a prononcé sur les intérêts civils ;

" aux motifs qu'il n'est pas contesté que M. X..., agent de l'administration publique, a perçu en sus de sa rémunération légale, des cadeaux sous différentes formes et du numéraire de la part de responsables d'entreprises travaillant pour l'Etat ; que la nature et l'ampleur de ces cadeaux ne peuvent être assimilées à des traditionnels présents de fin d'année, s'agissant d'objets d'équipement conséquents ou d'enveloppes régulières, certains donateurs ponctionnant même sur leurs économies ou leurs honoraires tels que Mme Y...ou M. A...; que selon ses dernières déclarations, M. X...ne sollicitait pas ces présents lorsqu'on les lui proposait ; que ces assertions sont formellement contredites par les différents donateurs qui ont clairement expliqué que leur générosité était suscitée par l'ingénieur des travaux publics de l'Etat ; qu'il apparaît au surplus, que celui-ci effectuait des actes positifs pour bénéficier de ces dons ; qu'il reconnaît lui-même s'être déplacé au siège de la société Y...et à Paris pour rencontrer respectivement Mme Y...et M. Z...afin de toucher ces enveloppes ; qu'il a lui-même fourni ses notes de frais de restaurant à M. B... pour recevoir l'équivalent en espèces ; que les responsables de ces entreprises n'ont pas gracieusement fait des dons d'une telle importance pour marquer une simple reconnaissance de pure courtoisie ; que d'ailleurs, le prévenu devant les services de police et même en première comparution devant le juge d'instruction a concédé que les entreprises lui faisaient ces cadeaux car elles croyaient qu'il les aidait à obtenir des marchés ; qu'en effet à la question du juge d'instruction « le but de ces enveloppes n'était-il pas que vous donniez à ces entreprises le maximum de marché ? », M. X...répondait : « je pense que ces entreprises en étaient persuadées, c'est évident » ; que si M. X..., minimisant son pouvoir décisionnaire, affirmait que, s'agissant notamment, de la procédure d'appel d'offres, il n'avait pas le pouvoir d'écarter les candidats, il apparaît clairement, au vu des auditions des responsables des entreprises, que ceux-ci croyaient en son pouvoir ; qu'en tout état de cause, il ne peut être contesté qu'au moins pour les achats sur factures, M. X...pouvait avoir des facultés de nuisance à l'égard de tel ou tel prestataire ; qu'en ce qui concerne l'attribution des marchés sur appels d'offres, M. X...pouvait avoir, ainsi que l'a expliqué le directeur départemental de l'équipement de l'Eure, une influence réelle ; qu'en tout état de cause, l'ingénieur des travaux publics de l'Etat n'a rien fait pour détromper ses interlocuteurs sur ses pouvoirs, ainsi que le démontrent leurs auditions ; qu'il apparaît en conséquence que M. X..., entre 1999 et 2003, étant dépositaire de l'autorité publique, en l'espèce responsable de la subdivision aérodrome de la DDE de l'Eure, a sollicité, agréé sans droit de façon régulière et réitérée des dons, prêts et avantages divers pour abuser de son influence réelle ou supposée en vue de faire obtenir d'une autorité ou d'une administration publique des marchés au profit des sociétés Y..., Santerne, Paimboeuf Somaco et BPA ; qu'il convient en conséquence de confirmer le jugement sur la culpabilité de M. X...dans les termes de la prévention en ce qui concerne le délit de trafic d'influence passive ;

" 1°) alors que les juges ne peuvent légalement statuer que sur les faits qui leur sont déférés par l'ordonnance de renvoi sauf si le prévenu a accepté expressément d'être jugé sur des faits distincts ; que M. X...a été renvoyé devant la juridiction correctionnelle pour avoir sollicité ou agréé, sans droit, à tout moment, directement ou indirectement, des offres, promesses, dons, présents ou avantages quelconques, pour abuser de son influence réelle ou supposée en vue de faire obtenir d'une autorité ou d'une administration publique des distinctions, emplois, marchés ou toute autre décision favorable, en l'espèce des marchés publics de travaux de réhabilitation ou de rénovation de bâtiments de la base aérienne ; qu'en condamnant M. X...pour avoir fait obtenir des achats sur factures qui ne constituent pas des marchés publics de travaux, ainsi que le soutenait M. X...dans son mémoire, sans constater qu'il avait accepté d'être jugé sur ces faits distincts de ceux visés par l'ordonnance de renvoi et sans répondre à l'argument péremptoire du requérant, la cour d'appel a excédé les limites de sa saisine et a méconnu les textes susvisés ;

" 2°) alors que le trafic d'influence suppose que son auteur soit considéré ou se présente comme un intermédiaire dont l'influence réelle ou supposée est de nature à faire obtenir une décision favorable ; que la cour d'appel ne pouvait pas énoncer que l'ingénieur des travaux publics n'a rien fait pour détromper ses interlocuteurs sur ses pouvoirs tandis qu'elle relevait qu'il avait minimisé son pouvoir décisionnaire ; qu'en l'état de ces motifs contradictoires, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision " ;

Attendu que, pour déclarer le prévenu coupable de trafic d'influence passif, l'arrêt prononce par les motifs repris au moyen ;

Attendu qu'en statuant ainsi, et dès lors que les achats sur factures de l'Etat sont des marchés publics, au sens du code des marchés publics tant de 1964 que de 2001, la cour d'appel, qui a, sans insuffisance ni contradiction, et sans excéder les limites de sa saisine, caractérisé en tous ses éléments, tant matériels qu'intentionnel, le délit dont elle a déclaré le prévenu coupable, a justifié sa décision ;

D'où il suit que le moyen ne peut être admis ;

Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles 432-14 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale ;

" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré M. X...coupable d'atteinte à la liberté d'accès ou à l'égalité des candidats dans les marchés publics et de trafic d'influence passif, l'a condamné à la peine d'emprisonnement de dix-huit mois dont un an avec sursis, à une amende de 80 000 euros, a prononcé l'interdiction définitive de toute fonction publique et a prononcé sur les intérêts civils ;

" aux motifs qu'il résulte des constatations faites dans les dossiers des marchés traités par M. X...et des auditions précises et concordantes des différents responsables des entreprises concernées le mettant formellement en cause, que le prévenu en sa qualité de dépositaire de l'autorité publique nonobstant ses dénégations ou ses explications peu pertinentes, a procuré ou tenté de procurer des avantages injustifiés en sollicitant près des dirigeants de sociétés leur intervention auprès de sociétés concurrentes en vue de présenter des appels d'offres en couverture dans le lancement de plusieurs marchés publics portant sur des travaux de réhabilitation ou de rénovation de bâtiments de la base aérienne 105 d'Evreux et a ainsi porté atteinte à la liberté d'accès et l'égalité des candidats dans les marchés publics ; qu'il convient, en conséquence, d'infirmer le jugement entrepris sur ce dernier chef et de déclarer M. X...coupable du délit d'atteinte à la liberté d'accès et à l'égalité des candidats dans les marchés publics dans les termes de la prévention ;

" 1°) alors qu'en se bornant à reproduire la qualification de l'infraction et à énoncer qu'il résulte des constatations opérées dans les dossiers et des auditions que les faits sont établis en s'abstenant d'une quelconque énonciation relative à la nature des avantages procurés, de leur caractère injustifié, de la nature des sollicitations, des offres sollicitées, la cour d'appel n'a pas mis la Cour de cassation en mesure d'exercer son contrôle ;

" 2°) alors que le délit de favoritisme suppose la commission d'un acte contraire aux dispositions législatives ou réglementaires ayant pour objet de garantir la liberté d'accès et l'égalité des candidats dans les marchés publics ; qu'en se bornant à relever que M. X...a sollicité des dirigeants de sociétés leur intervention auprès de sociétés concurrentes en vue de présenter des appels d'offres de couverture dans le lancement de marchés publics sans déterminer la disposition qui aurait été méconnue par M. X..., la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision " ;

Attendu que, pour déclarer M. X..., responsable du service de la direction départementale de l'équipement de l'Eure, chargé de la préparation des dossiers d'appel d'offres, sur le plan technique et administratif, coupable de favoritisme, l'arrêt, après avoir décrit les circonstances dans lesquelles ce dernier avait demandé à des responsables d'entreprises de répondre à des appels d'offres " pour faire nombre " et déposer des " offres de couverture ", prononce par les motifs repris au moyen ;

Attendu qu'en l'état de ces énonciations, et dès lors que le fait, par une personne dépositaire de l'autorité publique, de demander à des dirigeants d'entreprises de déposer des offres de couverture, simulant une proposition concurrente pour faire apparaître une autre entreprise comme mieux disante, dans le cadre d'une procédure d'appel d'offres est de nature à entraver le libre jeu de la concurrence, de façon contraire aux articles 47 du code des marchés publics de 1964 et 1er du code des marchés publics de 2001, alors applicables, et procure nécessairement un avantage injustifié à l'entreprise attributaire, la cour d'appel a justifié sa décision ;

D'où il suit que le moyen ne peut être admis ;

Mais sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles 432-11 2°, 432-14 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale ;

" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré M. X...coupable d'atteinte à la liberté d'accès ou à l'égalité des candidats dans les marchés publics et de trafic d'influence passif, l'a condamné à la peine d'emprisonnement de dix-huit mois dont un an avec sursis, à une amende de 80 000 euros, a prononcé l'interdiction définitive de toute fonction publique et a prononcé sur les intérêts civils ;

" aux motifs qu'au regard de la gravité des infractions commises par un agent public de l'Etat d'autorité et du retentissement de cette affaire, une peine d'emprisonnement pouvant partiellement être assortie du sursis constitue une réponse pénale adaptée, toute autre sanction étant inadéquate ; qu'il y a lieu donc de confirmer le jugement entrepris sur ce point ; qu'au vu du caractère financier des délits commis et des avantages matériels conséquents tirés de l'attitude du fonctionnaire, il convient d'infirmer le jugement sur le montant de l'amende et de condamner M. X...à une amende de 80 000 euros ; qu'en outre, le comportement particulièrement indigne du prévenu, haut fonctionnaire, bénéficiant de privilèges importants tels que la garantie de l'emploi, un salaire en relation avec ses responsabilités et le prestige d'une fonction d'autorité, nécessite d'écarter définitivement M. X...de la fonction publique ; qu'il convient en conséquence de confirmer le jugement sur ce point ;

" alors que, selon l'alinéa 3 de l'article 132-24 du code pénal dans sa rédaction issue de la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009, en dehors des condamnations en récidive légale, une peine d'emprisonnement ferme ne peut être prononcée qu'en dernier recours si la gravité de l'infraction et la personnalité de son auteur rendent cette peine nécessaire et si toute autre sanction est manifestement inadéquate ; que dans ce cas, la peine d'emprisonnement doit, si la personnalité et la situation du condamné le permettent, et sauf impossibilité matérielle, faire l'objet d'une des mesures d'aménagement prévues aux articles 132-25 à 132-28 du code pénal ;
qu'en prononçant une peine d'emprisonnement ferme de six mois sans motiver en quoi l'emprisonnement de M. X...était nécessaire, ni les raisons qui s'opposaient à une mesure d'aménagement de cette partie ferme de la peine, la cour d'appel a violé les textes susvisés " ;

Vu l'article 132-24 du code pénal en sa rédaction issue de la loi du 24 novembre 2009 ;

Attendu qu'il résulte de ce texte qu'en matière correctionnelle, en dehors des condamnations en récidive prononcées en application de l'article 132-19-1 du même code, lorsque la peine d'emprisonnement sans sursis prononcée n'est pas supérieure à deux ans, cette peine doit, si la personnalité et la situation du condamné le permettent, et sauf impossibilité matérielle, faire l'objet d'une des mesures d'aménagement prévues aux articles 132-25 à 132-28 dudit code ;

Attendu que, pour condamner le prévenu à la peine de dix-huit mois d'emprisonnement dont un an avec sursis, l'arrêt énonce qu'au regard de la gravité des infractions commises par un agent public de l'Etat et du retentissement de cette affaire, une peine d'emprisonnement pouvant partiellement être assortie du sursis constitue une réponse pénale adaptée, toute autre sanction étant inadéquate ;

Mais attendu qu'en prononçant ainsi, en omettant d'établir l'impossibilité matérielle dans laquelle elle se trouvait d'ordonner une des mesures d'aménagement prévues aux articles 132-25 à 132-28 du code pénal, la cour d'appel a méconnu le texte susvisé ;

D'où il suit que la cassation est encourue de ce chef ; qu'elle sera limitée à la peine, dès lors que la déclaration de culpabilité n'encourt pas la censure ;

Par ces motifs, et sans qu'il soit besoin d'examiner le quatrième moyen proposé :

CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Rouen, en date du 18 novembre 2010, mais en ses seules dispositions ayant prononcé sur la peine, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;

Et pour qu'il soit à nouveau statué, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Rouen, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Rouen et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé.