Livv
Décisions

CA Poitiers, 2e ch. civ., 16 mars 2010, n° 07/02380

POITIERS

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Of Course (SARL)

Défendeur :

Mme Normand, M. Normand

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Chapron

Conseillers :

Mme Pignon, M. Ralincourt

Avoués :

SCP Paille-Thibault-Clerc, SCP Landry & Tapon, SCP Alirol-Laurent

Avocats :

Me Perrineau, SCP Drageon

T. com. La Rochelle, du 29 août 2006

29 août 2006

Par acte du 12 décembre 2000, Monsieur Marc NORMAND, Madame Linette PREVOST épouse NORMAND, Mademoiselle Corinne NORMAND, et Monsieur Éric NORMAND ont donné à bail commercial à la SARL OF COURSE des locaux situés à [...] pour une durée de neuf ans à compter du 1er janvier 2001.

Par acte notarié du 19 décembre 2005, Monsieur Marc NORMAND et Madame Linette PREVOST épouse NORMAND ont donné l'usufruit de l'immeuble loué à leurs enfants, Mademoiselle Corinne NORMAND, et Monsieur Éric NORMAND, qui en sont en conséquence devenus seuls propriétaires.

En décembre 2005, la SARL OF COURSE a fait part aux bailleurs de son intention de céder son bail, et, le 21 janvier 2006, Madame Linette PREVOST épouse NORMAND a consenti à l'agence immobilière ATI mandat aux fins de location des locaux loués à la SARL OF COURSE.

Le 27 juillet 2006, les consorts NORMAND ont fait délivrer à la SARL OF COURSE commandement de payer les loyers impayés, la clause résolutoire étant visée.

Par jugement du 29 août 2006, le tribunal de commerce de LA ROCHELLE a prononcé le redressement judiciaire de la SARL OF COURSE, Maître COURRET-GUGUEN étant nommée mandataire judiciaire, puis par jugement du 11 septembre 2007, a adopté le plan de redressement de la SARL OF COURSE, Maître COURRET-GUGUEN étant désignée commissaire à l'exécution du plan.

L'indivision NORMAND a régulièrement déclaré sa créance de loyers.

Par ordonnance du 21 novembre 2006, le juge-commissaire a autorisé la cession du droit au bail à tout acquéreur pour un prix minimum de 53 000€ aux conditions du nouveau bail à intervenir par NORMAND INDIVISION, définies dans le mandat donné à ATI, agence immobilière.

L'indivision a fait opposition à cette ordonnance, et, par jugement du 15 juin 2007, le tribunal de commerce de LA ROCHELLE a :

- débouté la SARL OF COURSE de ses exceptions d'irrecevabilité et de leurs demandes subséquentes,

- reçu l'indivision NORMAND en ses demandes, fins et conclusions, les a dits fondées et y a fait droit en partie,

- débouté la SARL OF COURSE de sa prétention à voir le tribunal débouter les consorts NORMAND de l'opposition,

- constaté que l'indivision NORMAND n'a jamais été consultée sur la cession envisagée par la SARL OF COURSE,

- dit nulle et de nul effet l'ordonnance prise par Monsieur le juge-commissaire du tribunal de commerce de LA ROCHELLE en date du 21 novembre 2006,

- débouté en conséquence la SARL OF COURSE de sa requête initiale,

- condamné la SARL OF COURSE à payer à l'indivision NORMAND la somme de 3000€ à titre de dommages et intérêts, outre 2000€ sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamné la SARL OF COURSE aux dépens.

La SARL OF COURSE a relevé appel par acte du 17 juillet 2007.

Par ailleurs, par arrêt du 5 novembre 2008, cette cour, infirmant une ordonnance de référé rendue par le Président du tribunal de grande instance de LA ROCHELLE, a constaté la résiliation du bail à compter du 4 septembre 2007, ordonné à la SARL OF COURSE de libérer les locaux, et l'a notamment condamnée à payer une indemnité d'occupation fixée provisoirement à

1 799,37€ par mois à compter du 1er janvier 2008 et jusqu'à la libération effective des lieux.

Le 3 décembre 2008, les locaux ont été sinistrés par un incendie et entièrement détruits.

Par dernières conclusions, signifiées le 19 novembre 2009, la SARL OF COURSE a demandé l'infirmation de la décision entreprise, le rejet des prétentions des consorts NORMAND, et leur condamnation in solidum à lui verser 3 000€ sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Maître COURRET-GUGUEN, ès qualités de commissaire à l'exécution du plan de redressement de la SARL OF COURSE s'en est rapportée à justice sur l'appel de la SARL OF COURSE.

Mademoiselle Corinne NORMAND et Monsieur Éric NORMAND ont sollicité le rejet des débats des dernières conclusions et pièces de la SARL OF COURSE, compte tenu de leur tardiveté.

Sur le fond, ils ont conclu :

- A titre principal :

- à l'irrecevabilité de l'appel de la SARL OF COURSE en vertu des dispositions de l'article L 623-4 du Code de commerce , et à sa condamnation à leur payer 5000€ pour procédure abusive, et 2000€ sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile;

- Subsidiairement :

- vu l'arrêt de la cour du 5 novembre 2008 constatant la résolution du bail, et la destruction totale de l'immeuble par incendie en date du 3 décembre 2008, à l'irrecevabilité de la SARL OF COURSE en son appel, car dénuée d'intérêt et de qualité à agir, et à sa condamnation à leur payer 5000€ pour procédure abusive, et 2000€ sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile;

- A titre infiniment subsidiaire :

- à la confirmation du jugement entrepris, sauf sur la question des dommages et intérêts, et, le réformant sur cette seule question, qu'il soit constaté que l'indivision bailleresse n'a jamais été consultée sur la cession envisagée, qu'elle n'y a jamais consenti, et,

à titre principal :

- que soit jugée nulle et de nul effet l'ordonnance en date du 21 novembre 2006 comme autorisant une cession à des conditions inconnues se rapportant à un mandat qui n'est pas communiqué et pas visé par l'ordonnance concernée,

- sur le fond, qu'il soit constaté que les dispositions contractuelles prévoient l'incessibilité du droit au bail hors le cas d'une cession de fonds de commerce, que l'acte dont l'autorisation est sollicitée est un acte de cession de droit au bail en violation des dispositions contractuelles , et en conséquence que la SARL OF COURSE soit déboutée de sa demande d'autorisation de cession de droit de bail,

- qu'elle soit condamnée à payer à l'indivision NORMAND 5000€ pour procédure abusive, et 2000€ sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 20 novembre 2009.

MOTIFS

Attendu que les moyens soulevés par la SARL OF COURSE le 19 novembre 2009 sont identiques à ceux invoqués devant la juridiction de première instance; qu'il résulte des motifs du jugement entrepris que les pièces dont la communication est contestée ont déjà été examinées par les premiers juges; qu'il n'y a pas lieu de faire droit à la demande de rejet des débats des pièces et conclusions ;

* Sur la recevabilité de l'opposition de Mademoiselle Corinne NORMAND et Monsieur Eric NORMAND à l'ordonnance du juge-commissaire :

Attendu que, conformément aux dispositions de l'article R 621-21 du Code de commerce, l'ordonnance du juge-commissaire du 21 novembre 2006 étant susceptible d'affecter leurs droits, Mademoiselle Corinne NORMAND et Monsieur Éric NORMAND disposaient du droit de former un recours à l'encontre de cette décision ; que leur opposition étant recevable, la décision entreprise sera confirmée de ce chef ;

* Sur la recevabilité de l'appel de la SARL OF COURSE :

Attendu que la loi du 26 juillet 2005 applicable à la présente procédure a supprimé le principe de fermeture de l'appel à l'encontre des jugements statuant sur les recours formés contre les ordonnances du juge-commissaire ;

Que l'article L 661-5 du Code de commerce ( abrogé à compter du 15 février 2009) ne prohibe l'appel que pour les jugements rendus sur les recours formés à l'encontre des ordonnances du juge-commissaire en application des articles L. 642-18 et L. 642-19 du Code de commerce, à savoir les ordonnances par lesquelles le juge-commissaire autorise la vente de gré à gré des immeubles ou des meubles ou ordonne la vente aux enchères des mêmes biens; que tel n'est pas le cas en l'espèce ;

Que Mademoiselle Corinne NORMAND et Monsieur Éric NORMAND font dès lors valoir à tort que la SARL OF COURSE est irrecevable à relever appel du jugement du tribunal de commerce du 15 juin 2007 ;

Attendu que l'existence de l'intérêt à agir devant être appréciée au jour où l'appel est formé, et le bail liant Mademoiselle Corinne NORMAND et Monsieur Éric NORMAND à la SARL OF COURSE étant toujours en cours à la date à laquelle l'appel a été formé, le moyen tiré du défaut d'intérêt pour la SARL OF COURSE à relever appel sera rejeté ;

* Sur la nullité de l'ordonnance du 21 novembre 2006 :

Attendu que la nullité de l'ordonnance du juge-commissaire ne peut être prononcée que dans l'hypothèse où le juge-commissaire a excédé ses pouvoirs, ce qui n'est pas le cas en l'espèce, l'autorisation de cession des actifs de la société en redressement judiciaire au cours de la période d'observation relevant de la compétence du juge-commissaire ;

Que l'absence des pièces jointes à la requête ne constitue pas un motif de nullité, laquelle ne sera dès lors pas prononcée ;

Que le jugement doit être infirmé de ce chef ;

* Sur le fond :

Attendu que, si dans le cadre d'un plan de redressement-cession de l'entreprise, les clauses réglementant la cession du bail commercial sont privées d'effet, parce qu'elles seraient susceptibles de faire échec au plan, aucune disposition similaire ne régit la cession de droit au bail lorsqu'elle est autorisée par le juge-commissaire au cours de la période d'observation ;

Attendu en l'espèce que l'ordonnance du juge-commissaire du 21 novembre 2006 a autorisé la cession du droit au bail moyennant un prix minimum de 35 000€ aux conditions définies par le bailleur, les consorts NORMAND ('l'indivision NORMAND') dans un mandat de vente donné à l'agence immobilière ATI [...] ;

Attendu que l'article ' Cession-sous-location' du contrat de bail conclu entre les consorts NORMAND et la SARL OF COURSE précise : 'Le preneur ne pourra dans aucun cas et sous aucun prétexte céder son droit au présent bail ni sous-louer en tout ou en partie les locaux loués sans le consentement exprès et par écrit du bailleur sauf dans le cas de cession de bail à son successeur dans le commerce. (...) ';

Qu’il ressort des pièces versées aux débats par Mademoiselle Corinne NORMAND et Monsieur Éric NORMAND ( pièce n°5), qu'ils sont seuls propriétaires depuis le 19 décembre 2005 de l'immeuble loué ;

Que la SARL OF COURSE affirme que Madame Linette NORMAND, signataire du mandat confié à l'agence ATI IMMOBILIER a donné l'apparence de coindivisaire mandaté par l'indivision ayant signé le mandat conclu au nom de 'NORMAND INDIVISION', et qu'aucune notification officielle du changement de propriétaire ne lui avait été adressée ;

Attendu cependant que le courrier du 31 décembre 2005, que la SARL OF COURSE ne conteste pas avoir reçu (pièce n°3), fait expressément référence au courrier adressé par le notaire de Monsieur et Madame NORMAND, aux termes duquel le loyer devrait être adressé à l'ordre suivant: 'Normand Indivision';

Qu’il résulte du commandement de payer du 27 juillet 2006 versé aux débats par Mademoiselle Corinne NORMAND et Monsieur Éric NORMAND ( pièce n° 2), qu'eux seuls apparaissent comme bailleurs des locaux loués ;

Que dès lors, à la date à laquelle la SARL OF COURSE a sollicité du juge-commissaire l'autorisation de céder son bail, le 3 octobre 2006, elle ne pouvait ignorer que Madame Linette NORMAND ne détenait plus aucun droit dans l'indivision Normand ;

Que l'existence d'un mandat apparent ne peut être soutenue, alors qu'il apparaît que le mandat a été consenti par Madame Linette NORMAND, dont il n'est ni établi, ni même allégué qu'elle ait eu à un moment quelconque le pouvoir d'engager l'indivision Normand ;

Que la SARL OF COURSE ne peut se prévaloir d'aucun élément de nature à la convaincre que Madame NORMAND disposait d'un tel pouvoir ;

Attendu en conséquence que, faute d'accord du bailleur, le juge-commissaire ne pouvait autoriser la cession du bail commercial dont bénéficiait la SARL OF COURSE ;

Attendu en outre que ladite société ne verse aux débats aucune pièce de nature à prouver que Mademoiselle Corinne NORMAND et Monsieur Éric NORMAND auraient refusé abusivement la cession projetée, aucun courrier échangé entre les parties relativement au projet de cession n'ayant été produit ;

Que l'autorisation judiciaire de céder le bail doit dès lors être refusée ;

Que le jugement entrepris soit confirmé, en ce qu'il a débouté la SARL OF COURSE de sa requête initiale ;

Attendu que, même si l'appel est jugé non fondé, la procédure n'apparaît pas due être qualifiée d'abusive ;

Que la demande formée de ce chef sera donc rejetée, le jugement entrepris étant infirmé de ce chef ;

Attendu enfin qu'il convient, en équité, de condamner la SARL OF COURSE à payer à Mademoiselle Corinne NORMAND et Monsieur Eric NORMAND la somme de 1000 € en application, en cause d'appel, des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, le jugement déféré étant par ailleurs confirmé ; que la demande présentée sur le même fondement par la SARL OF COURSE, qui succombe, sera en revanche rejetée, et elle supportera seul les dépens.

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

Déclare recevable l'appel interjeté par la SARL OF COURSE à l'encontre du jugement du tribunal de commerce de LA ROCHELLE du 15 juin 2007 ;

Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la SARL OF COURSE de sa requête en autorisation de cession de bail, l'a condamnée au paiement d'une indemnité sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile et aux dépens ;

L'infirme pour le surplus, et statuant à nouveau ;

Dit n'y avoir lieu à prononcer la nullité de l'ordonnance du juge-commissaire du 21 novembre 2006 ;

Déboute Mademoiselle Corinne NORMAND et Monsieur Éric NORMAND de leur demande en dommages et intérêts pour procédure abusive, et la SARL OF COURSE de celle fondée sur l'article 700 du Code de procédure civile ;

Condamne la SARL OF COURSE à payer à Mademoiselle Corinne NORMAND et Monsieur Éric NORMAND, ensemble, la somme de 1000€, en cause d'appel, sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Condamne la SARL OF COURSE aux dépens, qui seront recouvrés conformément aux dispositions régissant les procédures collectives.