Livv
Décisions

CA Lyon, 1re ch. civ. a, 12 janvier 2017, n° 15/02675

LYON

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Défendeur :

Banque Privée Européenne (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bernaud

Conseillers :

Mme Clément, Mme Nicolas

Avocats :

SELARL ADK, Selas Cs Avocats Associés, AARPI Richard & Sitbon Associés

TGI Lyon, du 9 mars 2015

9 mars 2015

En 2006 il a envisagé d'investir dans une opération de leverage buy-out (LBO), par l'intermédiaire d'une société du groupe GEOXIA, la société CADRE INVEST 2, afin de détenir des participations dans le capital du groupe ;

À l'issue de cette opération, il était titulaire, au 31 mars 2006, de 1.331.461 actions dans le capital de la société CADRE INVEST 3 et de 4.210.018 actions dans celui de la société GEOXIA.

Pour financer ces opérations d'achat de titres, il a ouvert le 28 mars 2006 dans les livres de la banque privée européenne (la BPE) un compte de dépôt, et par acte du même jour il a conclu avec cette banque un contrat de crédit prenant la forme d'une avance sur placement renouvelable par tacite reconduction, d'un montant de 600'000 €, dont le terme de remboursement avait été fixé initialement au 28 mars 2007, moyennant des intérêts calculés selon un taux variable fixé à 3,60 %, payables tous les trimestres.

Le remboursement de ce crédit était garanti par un gage de compte d'instruments financiers, en l'occurrence un P.E.A ouvert au nom de Frédéric M., et dans lequel il avait logé des titres de la société GEOXIA et de la société CADRE INVEST 3.

À l'expiration du terme fixé, Monsieur M. n'étant pas en situation de rembourser le crédit, le contrat a été renouvelé par acte du 30 mars 2007, avec un terme fixé au 30 mars 2008, pour une durée d'un an, moyennant un taux d'intérêt variable de 4,82 %.

Un nouveau contrat trésorerie a été conclu par les parties par acte du 1er avril 2008, avec un terme fixé au 1er avril 2010, moyennant un taux d'intérêt variable fixé à 5,60 %.

La société GEOXIA ayant été rachetée par un fonds d'investissement pour un prix dérisoire, en raison d'importantes difficultés financières, les actions acquises par Monsieur M., au moyen des avances sur placements consenties par la BPE, ont perdu toute valeur, ce qui l'a placé dans l'impossibilité de rembourser le crédit au terme fixé.

Par lettre du 10 juin 2010, la BPE l'a mis en demeure, sans succès, de lui rembourser une somme correspondant au solde négatif du compte de dépôt, puis l'a fait assigner le 16 décembre 2011 devant le tribunal de grande instance de Lyon, en paiement de la somme de 633.'858,67 €, outre les intérêts au taux de 5,60 % à compter du 2 avril 2010.

Monsieur M. a reconventionnellement demandé la condamnation de la BPE à lui payer à titre de dommages-intérêts une somme équivalente à celle dont le paiement lui était réclamée, en invoquant un manquement de la banque à son obligation de conseil et à son devoir de mise en garde.

Par jugement du 9 mars 2015, le tribunal de grande instance a, avec exécution provisoire :

- condamné Monsieur M. à payer à la société banque priver européenne la somme de 633'858,67 € avec les intérêts au taux de 5,60 % à compter du 2 avril 2010 ;

- ordonné la capitalisation des intérêts ;

- rejeté les demandes de Monsieur M. ;

- condamné ce dernier à payer par la banque privée européenne la somme de 1.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Par déclaration transmise au greffe le 24 mars 2015, Frédéric M. a interjeté appel de cette décision.

Par ordonnance du 19 janvier 2016, le conseiller de la mise en état a rejeté la demande radiation de l'affaire qui avait été formée par la BPE en application de l'article 526 du code de procédure civile (appelant dans l'impossibilité d'exécuter la décision).

Vu les conclusions du 1er octobre 2015 de Frédéric M., déposées et notifiées, par lesquelles il demande à la cour de :

Principalement,

- infirmer le jugement ;

- débouter la BPE de toutes ses demandes ;

Subsidiairement,

- dire que la BPE a manqué à ses obligations à son égard ;

- la condamner à lui payer la somme de 633.858,67 €, à titre de dommages-intérêts en réparation de ses préjudices ;

- ordonner la compensation entre la créance de la BPE et sa créance de dommages-intérêts ;

- ordonner la suspension de l'exécution du contrat de crédit conclu avec la BPE pendant toute la procédure judiciaire et jusqu'à son issue, ordonner en conséquence la suspension du cours des intérêts du contrat de crédit jusqu'à la signification de la décision à intervenir ;

Plus subsidiairement, lui accorder des délais de paiement à hauteur de 24 mois ;

En tout état de cause, condamner la BPE à lui payer 10.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Vu les conclusions du 12 août 2015 de la BPE, déposées et notifiées, par lesquelles elle demande à la cour de confirmer le jugement et de condamner Frédéric M. à lui payer 10.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Vu l'ordonnance de clôture en date du 9 février 2016.

SUR QUOI, LA COUR :

Sur l'action en paiement de la BPE :

Attendu qu'en l'absence d'éléments nouveaux soumis à son appréciation, la cour estime que le premier juge, par des motifs pertinents qu'elle approuve, a fait une exacte appréciation des faits de la cause et du droit des parties en condamnant Frédéric M. à payer à la BPE la somme de 633.858,67 € outre les intérêts au taux contractuel de 5,60 % à compter du 2 avril 2010 ; qu'il convient en conséquence de confirmer la décision déférée sur ce point ;

Sur l'action en responsabilité de Frédéric M. :

Attendu que pour conclure au débouté de la demande de dommages-intérêts formée contre elle, la BPE fait valoir que :

- Frédéric M. est seul à l'origine de ces investissements auxquels il a souscrit librement en pleine connaissance de cause ;

- il était un emprunteur averti ;

- il ne démontre pas avoir subi un préjudice, dans la mesure où ses titres logés dans le PEA n'ont pas été cédés ;

Attendu que Frédéric M. soutient au contraire que :

1. la BPE a manqué à son devoir de conseil et de mise en garde, manqué de prudence et de vigilance dans l'appréciation de son patrimoine, et omis d'attirer son attention sur le fait que les garanties prises étaient insuffisantes ; elle n'a procédé en effet à aucune vérification sérieuse lui permettant de s'assurer de la faisabilité et de la rentabilité de l'opération de LBO, alors qu'elle était au coeur de cette opération ; elle a accordé le crédit à la seule lecture de ses bulletins de paie et avis d'imposition, en se contentant pour seule garantie de son remboursement d'un nantissement sur les titres de la société GEOXIA, dont la valorisation constituait l'enjeu même de l'opération financée ; elle s'est montrée défaillante dans l'analyse de sa situation patrimoniale alors qu'elle ne pouvait ignorer le niveau d'endettement du groupe Geoxia, en particuliers lors de la conclusion en 2008 d'un nouveau contrat de trésorerie ; elle ne pouvait considérer que ses revenus professionnels constituaient une garantie suffisante pour le remboursement du prêt dans la mesure où ses salaires provenaient de son mandat social au sein du groupe GEOXIA, mandat par définition révocable ad nutum et elle aurait dû lui délivrer des conseils adaptés à sa situation personnelle ;

2. contrairement à ce que la BPE soutient, il n'était pas un emprunteur averti, en tout cas elle ne le démontre pas ; il n'avait en effet aucune expertise en matière d'investissements financiers complexes, notamment en matière de LBO, dès lors que ses fonctions le conduisaient seulement à développer l'activité commerciale de la société GEOXIA ; si dans le passé, il a réalisé des opérations avec le service de règlement différé (SRD), une opération de LBO est un montage autrement plus complexe qu'une simple opération d'investissement en bourse par l'intermédiaire du SRD ; la BPE lui a consenti un prêt à la suite de la démarche du président du groupe GEOXIA, M.G., instigateur et concepteur, avec elle, de l'opération de LBO ; eu égard à la nature et la complexité de cette opération et à son manque d'expérience professionnelle dans cette matière, il doit être considéré comme un profane, et bénéficier en conséquence des droits résultants du devoir d'information et de conseil ; la BPE ne l'a pas mis en garde sur les risques particuliers d'une opération financière complexe comme celle d'une L.B.O ;

3. elle ne peut pas se prévaloir du principe de non-immixtion dans la mesure où elle n'a pas respecté son devoir de conseil, ne s'est pas renseignée sur l'opération envisagée et n'a pas procédé à la moindre vérification ;

4. à supposer même qu'il puisse être considéré comme un emprunteur averti, la BPE n'a pas respecté à son égard son obligation d'information lui permettant véritablement de le conseiller

5. elle a donc commis des fautes lourdes de nature à engager sa responsabilité ;

6. en lui prêtant des fonds en vue de leur investissement dans une opération très risquée, qui s'est soldée par un échec incontestable, elle lui a causé un grave préjudice du fait qu'il a tout perdu dans l'opération ; son préjudice consiste dans la perte d'une chance de prendre une décision éclairée mais également dans la perte d'une chance de réaliser un investissement plus judicieux.

Attendu cependant et en premier lieu que Frédéric M. n'établit pas que la BPE a conçu avec le dirigeant du groupe GEOXIA l'opération de LBO ; qu'il n'établit pas davantage l'avoir consultée au sujet de cette opération ; qu'il ne peut donc lui reprocher d'avoir manqué à son devoir de conseil ;

Attendu en second lieu qu'il a exercé pendant plusieurs années les fonctions de directeur général adjoint de la société GEOXIA et expose dans ses écritures les avoir exercées en vertu d'un mandat social ; qu'il ressort d'une note descriptive (cf sa pièce 1) relative aux opérations sur les titres Financière Maisons Individuelles et Cadre Invest 2 déposés sur son compte PEA, qu'il faisait partie des cadres managers du groupe GEOXIA qui détenaient en mars 2006, par l'intermédiaire de la société CADRE INVEST 2, une participation à hauteur de 26,48 % dans le capital de la société GEOXIA GROUPE ; qu'en outre, lors du transfert de son PEL du Crédit Mutuel à la BPE, intervenu au mois de mars 2006, il a donné, en répondant à un questionnaire, des informations sur son profil d'investisseur, desquelles il ressort qu'il avait déjà réalisé des transactions sur les marchés financiers, en pratiquant des opérations relatives à des actions au comptant ou par l'intermédiaire du service de règlement différé ; que s'il résulte de la note descriptive (cf sa pièce 1) relatives aux opérations sur ses titres qu'il est devenu, titulaire au 31 mars 2006, de 1.331.461 actions dans le capital de la société CADRE INVEST 3 et de 4.210.018 actions dans celui de la société GEOXIA, à la suite d'opérations complexes de fusion de sociétés du groupe, d'échange et d'apport en nature d'actions, ou d'acquisition de titres, il ne pouvait ignorer, eu égard à sa formation, à sa position dans la hiérarchie de l'entreprise et à son expérience, l'existence d'un risque important lié à une possible dépréciation de ses titres au terme prévu pour le remboursement du capital prêté ; qu'ainsi, il était en mesure, lors de la signature des contrats de trésorerie, et notamment du dernier en date du 1er avril 2008, d'appréhender en toute connaissance de cause les risques et l'opportunité du crédit souscrit, ce dont il résulte qu'il était un emprunteur averti ; que dans ces conditions, la BPE n'était pas débitrice à son égard d'un devoir de mise en garde ;

Attendu ensuite qu'il ne démontre pas que celle-ci avait, lors de la souscription du crédit, sur ses revenus, son patrimoine et ses facultés de remboursement raisonnablement prévisibles, en l'état du succès escompté de l'opération financée, des informations qu'il ignorait ;

Attendu en conséquence qu'en l'absence de faute de la banque, il y a lieu de confirmer le jugement en ce qu'il le déboute de sa demande de dommages-intérêts ;

Sur la demande de Frédéric M. tendant à la suspension des intérêts et à l'octroi de délais de paiement :

Attendu qu'il soutient que la défaillance de la BPE l'autorise à demander la suspension du cours des intérêts du prêt, et que sa situation financière nécessite l'octroi de délais de paiement ;

Attendu qu'il n'y a pas lieu cependant de lui accorder des délais de paiement ; que l'article 1244-1 du code civil ne permet pas de suspendre le cours des intérêts ; que le jugement doit donc être confirmé en ce qu'il le déboute de ces chefs de sa demande ;

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Statuant contradictoirement, par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été avisées dans les conditions prévues au 2ème alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, et après en avoir délibéré conformément à la loi,

Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;

Y ajoutant,

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de Frédéric M. et le condamne à payer à la Banque Privée Européenne (BPE) la somme de 1.500 € ;

Le condamne aux dépens d'appel lesquels seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.