CA Paris, Pôle 4 ch. 6, 25 janvier 2019, n° 17/11742
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
SMABTP (Sté)
Défendeur :
Maintenance Technique Optimisée (Sasu)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Dabosville
Conseillers :
Mme Huberty, Mme Durand
Avocats :
Me Jougla Ygouf, Me Crehange, Me Lankry
FAITS, PRÉTENTIONS DES PARTIES ET PROCÉDURE
La SNC PARNASSE a été le maître d'ouvrage d'une opération de rénovation de 40 logements, sis 35/37 rue Paul Valéry à PARIS 16ème. Une police dommages ouvrage a été souscrite auprès de la SOCIÉTÉ AXA CORPORATE SOLUTIONS.
La SOCIÉTÉ BONNEVIE & FILS a été chargée du lot gros oeuvre et de l'étanchéité. Elle a sous-traité à la SOCIÉTÉ TFN BATIMENT (aux droits de laquelle se trouve désormais la SOCIÉTÉ MAINTENANCE TECHNIQUE OPTIMISÉE) les travaux d'étanchéité.
Les travaux ont été réceptionnés le 9 avril 2001.
Le 15 décembre 2009, une déclaration de sinistre a été régularisée auprès de l'assureur dommages ouvrage pour une infiltration par terrasse au niveau du 4ème étage (appartement 303).
Le 21 avril 2010, une déclaration de sinistre a été régularisée auprès de l'assureur dommages ouvrage pour une infiltration d'eau sur le mur de façade au niveau du 3ème étage.
L'expert dommages ouvrage a conclu, pour les deux sinistres, à un défaut ponctuel d'exécution concernant les travaux d'étanchéité et a donc considéré que les désordres étaient imputables à la SOCIÉTÉ TFN BATIMENT.
Les travaux de réparation ont été chiffrés à la somme de 21049,90€ pour le premier sinistre et à la somme de 20 692,34€ pour le second sinistre.
La SOCIÉTÉ AXA CORPORATE SOLUTIONS, assureur dommages ouvrage a d'abord cherché à recouvrer ses réparations contre elle-même en qualité d'assureur de la SOCIÉTÉ TFN BATIMENT. Mais, cette prise en charge n'a pu être effectuée totalement au regard des franchises applicables à chacun des sinistres pour des montants respectifs de 15 308,63€ et 15 308,34€. Ces franchises étaient opposables aux tiers en raison de la qualité d'entreprise sous-traitante de la SOCIÉTÉ TFN BATIMENT.
Elle a donc réclamé le montant des franchises à la SMABTP, en sa qualité d'assureur de la SOCIÉTÉ BONNEVIE & FILS, locateur d'ouvrage, ne pouvant pas opposer de franchise.
La SMABTP a donc réglé la somme de 30 616,97€ à l'assureur dommages ouvrage.
La SMABTP a demandé en vain le remboursement de cette somme à la SOCIÉTÉ TFN BATIMENT.
Le 27 janvier 2015, elle a obtenu une ordonnance d'injonction de payer à l'encontre de cette société.
Le 23 février 2015, la SOCIÉTÉ TFN BATIMENT a formé opposition à cette ordonnance.
Dans son jugement rendu le 28 mars 2017, le tribunal de commerce de CRETEIL a statué en ces termes :
- Dit recevable l'opposition formée par la SOCIÉTÉ MAINTENANCE TECHNIQUE OPTIMISÉE venant aux droits de la SOCIÉTÉ TFN BATIMENT;
- Dit la demande de la SMABTP irrecevable car prescrite;
- Dit n'y avoir lieu de statuer sur la demande de paiement de la SMABTP à l 'encontre de la SOCIÉTÉ MAINTENANCE TECHNIQUE OPTIMISÉE, venant aux droits de la SOCIÉTÉ TFN BATIMENT;
- Condamne la SMABTP à payer à la SOCIÉTÉ MAINTENANCE TECHNIQUE OPTIMISÉE venant aux droits de la SOCIÉTÉ TFN BATIMENT, la somme de 1500€ par application de l'article 700 du code de procédure civile;
- Dit n'y avoir lieu à ordonner l'exécution provisoire pour ce jugement;
- Condamne la SMABTP aux dépens.
La SMABTP a régulièrement interjeté appel de ce jugement par déclaration en date du 13 juin 2017.
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Dans ses conclusions régularisées le 13 septembre 2017, la SMABTP sollicite l'infirmation du jugement. Elle fait valoir que :
' son action n'est pas prescrite. Il faut distinguer les actions en responsabilité engagées par le maître de l'ouvrage ou l'acquéreur contre un constructeur, des actions récursoires qui sont engagées par les constructeurs. Seul le premier type d'action est soumis à la prescription de 10 ans, courant depuis la réception des travaux, en vertu de l'article 1792-4-3 du code civil. En revanche, la réception ne peut pas servir de point de départ pour la prescription des actions en responsabilité des constructeurs contre un autre constructeur ou contre leurs sous-traitants. C'est le délai de droit commun de la prescription qui doit alors s'appliquer avec comme point de départ la manifestation des dommages. En l'occurrence, le délai de la prescription quinquennale ne peut donc courir que depuis la date du premier rapport d'expertise dommages ouvrage (4 février 2011) pour le premier sinistre, ainsi que depuis la date du deuxième rapport d'expertise dommages ouvrage (9 novembre 2011) pour le deuxième sinistre. La prescription n'est pas acquise, car l'ordonnance d'injonction de payer a été signifiée le 18 février 2015, soit moins de 5 ans après le dépôt de chacun des rapports d'expertise.
' la franchise doit être remboursée par la SOCIÉTÉ MAINTENANCE TECHNIQUE OPTIMISÉE car la SOCIÉTÉ TFN BATIMENT est responsable des sinistres, ainsi qu'il ressort des rapports d'expertise dommages ouvrage. Elle a été régulièrement avisée des expertises amiables qui lui sont opposables. Les manquements de la SOCIÉTÉ TFN BATIMENT dans l'exécution des travaux ont clairement été mis en évidence.
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Dans ses conclusions régularisées le 10 novembre 2017, la SOCIÉTÉ MAINTENANCE TECHNIQUE OPTIMISÉE (venant aux droits de la SOCIÉTÉ TFN BATIMENT) sollicite la confirmation du jugement. Elle fait valoir que :
' la prescription est acquise, car sa responsabilité ne pouvait être mise en cause que jusqu'au 9 avril 2011, soit 10 ans après la réception des travaux. Or, l'ordonnance d'injonction de payer n'a été signifiée que le 18 février 2015, alors que le délai de 10 ans était largement écoulé.
' subsidiairement, les rapports d'expertise dommages ouvrage ne démontrent aucunement son implication dans les sinistres. Le premier rapport évoque des mises en eau effectuées par la copropriété et une insuffisance d'évacuation des eaux pluviales, ce qui correspond à des causes d'infiltrations, qui ne lui sont pas imputables. Le deuxième rapport d'expertise n'a pas été établi contradictoirement et lui est en conséquence inopposable.
Pour un plus ample exposé des faits, moyens et prétentions, il est renvoyé aux écritures visées ci-dessus, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
La clôture de la procédure a été prononcée le jeudi 15 novembre 2018.
CELA ETANT EXPOSE, LA COUR,
Aux termes de l'article 1792-4-2 du code civil 'les actions en responsabilité dirigées contre un sous-traitant en raison de dommages affectant un ouvrage ou des éléments d'équipement d'un ouvrage mentionnés aux articles 1792 et 1792-2 du code civil se prescrivent par 10 ans à compter de la réception des travaux et, pour les dommages affectant ceux des éléments d'équipement de l'ouvrage mentionnés à l'article 1792-3, par deux ans à compter de cette même réception'.
Il n'est pas contesté que la SOCIÉTÉ MAINTENANCE TECHNIQUE OPTIMISÉE (venant aux droits de la SOCIÉTÉ TFN BATIMENT) a participé à une opération de construction, ayant consisté en un chantier de rénovation de 40 logements situés 35/37 rue Paul Valéry à PARIS 16ème. Elle est intervenue sur ce chantier, pour la réalisation des travaux d'étanchéité, en qualité de sous-traitante de la SOCIÉTÉ ENTREPRISE BONNEVIE & FILS, locateur d'ouvrage, titulaire du lot gros oeuvre, assurée auprès de la SMABTP.
Les travaux de cette opération de construction ont été réceptionnés le 9 avril 2001.
Des sinistres (infiltrations d'eau) ont été déclarés à l'assureur dommages ouvrage au cours des années 2009 et 2010. Après mise en oeuvre des opérations d'expertise amiable, l'assureur dommages ouvrage a accepté la prise en charge des sinistres.
Les 14 juin et 2 octobre 2012, la SMABTP, agissant en qualité d'assureur de la SOCIÉTÉ ENTREPRISE BONNEVIE & FILS, a payé à la SOCIÉTÉ AXA CORPORATE SOLUTIONS, assureur dommages ouvrage, la somme de 15308,34€ pour chacun des sinistres, ladite somme correspondant à la franchise de la police d'assurance souscrite par la SOCIÉTÉ MAINTENANCE TECHNIQUE OPTIMISÉE auprès de la SOCIÉTÉ AXA CORPORATE SOLUTIONS (pièces 7 et 8 SMABTP).
Subrogée dans les droits de son assurée, la SOCIÉTÉ ENTREPRISE BONNEVIE & FILS (entreprise principale, constructeur), la SMABTP a engagé la responsabilité contractuelle de la SOCIÉTÉ MAINTENANCE TECHNIQUE OPTIMISÉE pour obtenir le remboursement de la franchise (représentative d'indemnité), payée pour son compte.
Elle pouvait, en effet, agir sur le fondement de la responsabilité contractuelle, puisqu'il existe un lien contractuel entre l'entreprise principale et l'entreprise sous-traitante, la responsabilité de celle-ci pouvant paraître engagée au regard des conclusions des rapports d'expertise amiable dommages ouvrage.
Cette action subrogatoire, fondée sur la responsabilité contractuelle de droit commun, a été mise en oeuvre par la voie d'une ordonnance d'injonction de payer, qui a été signifiée le 18 février 2015, ce qui marque l'engagement de l'action récursoire de l'assureur de l'entreprise principale contre l'entreprise sous-traitante.
L'action a donc été engagée alors que le délai de 10 ans, écoulé depuis la réception des travaux, était largement écoulé, étant souligné qu'aucun acte interruptif de la prescription n'a été invoqué à l'encontre de la SOCIÉTÉ MAINTENANCE TECHNIQUE OPTIMISÉE.
L'article 1792-4-2 du code civil est applicable pour toutes les actions engagées postérieurement à la loi n°2008-561 du 17 juin 2008, portant réforme de la prescription. Cet article vise les actions en responsabilité engagées contre un sous-traitant en raison des dommages affectant un ouvrage. Force est de constater que toutes les conditions d'application de cette disposition sont, en l'occurrence, réunies, puisque :
- il y a bien eu des dommages ayant affecté un ouvrage,
- la SOCIÉTÉ MAINTENANCE TECHNIQUE OPTIMISÉE a participé à l'opération de construction portant sur cet ouvrage en qualité d'entreprise sous-traitante chargée des travaux d'étanchéité,
- c'est sa responsabilité civile contractuelle qui est mise en oeuvre.
Aucun élément, aucune disposition ne permet d'écarter l'application de l'article 1792-4-2 du code civil, peu important qu'il s'agisse de responsabilité contractuelle ou délictuelle. Le point de départ de la prescription de dix ans est fixé, par la loi, à la date de réception, ce qui exclut l'application du droit commun fixant le point de départ à la date de manifestation du dommage.
La prescription est acquise.
Le jugement du tribunal de commerce doit donc être confirmé en ce qu'il a déclaré la SMABTP irrecevable en ses prétentions en paiement dirigées contre la SOCIÉTÉ MAINTENANCE TECHNIQUE OPTIMISÉE, pour cause de prescription.
Il ne paraît pas inéquitable de condamner la SMABTP à payer à la SOCIÉTÉ MAINTENANCE TECHNIQUE OPTIMISÉE une somme de 2500 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
CONFIRME le jugement en ce qu'il a déclaré irrecevables les prétentions en paiement de la SMABTP pour cause de prescription;
Y ajoutant;
CONDAMNE la SMABTP à payer à la SOCIÉTÉ MAINTENANCE TECHNIQUE OPTIMISÉE une somme de 2500€ par application de l'article 700 du code de procédure civile;
CONDAMNE la SMABTP aux dépens, avec distraction au profit de Maître Laurent CREHANGE conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.