CA Aix-en-Provence, 1re ch. c, 18 juin 2015, n° 14/11230
AIX-EN-PROVENCE
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Défendeur :
The Wohoo (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Kerraudren
Conseillers :
Mme Bourrel, Mme Klotz
Avocats :
Me Hugues, Me Puchol, Me Dragon
Exposé des faits
EXPOSE DE L'AFFAIRE
La copropriété 1 rue des Étuves à Aix en Provence est constituée d'un ancien immeuble composé de cinq étages situés à l'angle de la rue des Étuves et de la rue du Bon Pasteur.
M. et Mme B. sont propriétaires du local commercial situé en rez de chaussée qui comprend aussi trois caves voûtées aménagées.
Depuis le 19 décembre 2003, la SARL Wohoo y exploite une activité de bar, snack restaurant, et depuis plusieurs mois, elle y a développé une activité de bar musical de nuit.
Par exploits du 2 décembre 2013, le syndicat des copropriétaires de l'immeuble 1 rue des Étuves, et les consorts M., Monsieur et Madame D. et M. et Madame F., copropriétaires, ont assigné la SARL The Wohoo et M. et Madame B. afin que soit ordonnée la suspension de l'activité exercée dans les locaux sous astreinte de 500 € par jour de retard après huit jours suivant la signification de la décision, subsidiairement, la cessation par la société Wohoo de toute activité générant du bruit à compter de 22 heures, sous astreinte de 1000 € par infraction constatée, le juge des référés se réservant la liquidation de l'astreinte, outre une indemnité de 1500 € au titre des frais irrépétibles.
Les époux B. ont objecté que le juge des référés était incompétent, le juge du fond étant saisi, que le constat d'huissier n'avait aucune valeur technique probante, que l'expertise acoustique produite n'était pas contradictoire, qu'il existait donc des contestations sérieuses, et ont conclu au débouté des requérants et à leur condamnation à leur payer une somme de 1000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
La société The Wohoo a indiqué avoir pris des dispositions pour limiter le bruit, a conclu que les preuves produites étaient insuffisantes, subsidiairement, ne s'est pas opposée à une mesure d'expertise et a sollicité la somme de 1500 € au titre des frais irrépétibles.
Par ordonnance de référé du 11 mars 2014, le président du tribunal de grande instance d'Aix en Provence a rejeté les prétentions en référé, a condamné solidairement le syndicat des copropriétaires de l'immeuble 1 rue des Étuves et les copropriétaires demandeurs à payer la somme de 1000 € à la société The Wohoo et une somme de 1000 € à Monsieur et Madame B. au titre de l'article 700 du code de procédure civile, et a condamné solidairement les mêmes aux dépens.
Monsieur et Madame F. ont relevé appel de cette décision par déclaration électronique du 4 juin 2014 à l'encontre de Monsieur et Madame B. et de la SARL The Wohoo.
Le syndicat des copropriétaires de l'immeuble 1 rue des Étuves est intervenu à la procédure en qualité d'appelant à titre provoqué par écritures du 2 septembre 2014.
Par conclusions du 24 novembre 2014, qui sont tenues pour entièrement reprises, M. Jean Philippe F., Mme Virginie H. épouse F. et le syndicat des copropriétaires de l'immeuble ... demandent à la cour de :
« Vu les dispositions de l'article 809 du code de procédure civile,
Infirmer l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions.
Statuant à nouveau,
Constater que la société The Wohoo, locataire des époux Benoît B., développe une activité de bar musical au rez de chaussée et au sous-sol de l'immeuble ..., et ce, au mépris des stipulations du règlement de copropriété qui interdit toutes activités susceptibles de causer du bruit.
Dire et juger que l'activité irrégulière de bar musical exercée par la société The Wohoo cause à l'ensemble des copropriétaires un trouble excédant les inconvénients normaux du voisinage.
Dire et juger que l'exercice de cette activité génère des troubles manifestement illicites qu'il convient de faire cesser.
Constater que le règlement de copropriété interdit l'exploitation commerciale des caves.
Dire et juger que l'exploitation commerciale des caves au mépris du règlement de copropriété constitue un trouble manifestement illicite qu'il convient de faire cesser.
En conséquence,
Faire défense à la société The Wohoo, sous astreinte de 5 000 € par infraction constatée, d'organiser des soirées musicales ou plus généralement d'avoir une activité musicale au sein de son établissement, soit directement soit par personne interposée, ce à compter de la signification de l'ordonnance à intervenir.
Ordonner la cessation de l'exploitation commerciale des caves par la société The Wohoo ce, sous astreinte de 1000 € par jour de retard passé un délai de huit jours suivant la signification de l'ordonnance à intervenir.
Se réserver la liquidation de l'astreinte.
Condamner in solidum la société The Wohoo et les époux Benoît B. à payer aux requérants la somme de 2500 € en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'en tous les frais et dépens, ceux d'appels distraits au profit de Me Laurent Hugues. »
Par conclusions du 26 novembre 2014, qui sont tenues pour entièrement reprises, M. Benoît B. et Mme Caroline C. épouse B. demandent à la cour de :
« Vu les difficultés sérieuses évoquées dans le corps des présentes conclusions,
Vu l'assignation engagée par les demandeurs devant le juge du fond par assignation du 2 décembre 2013, procédure pendante devant le juge de la mise en état,
Confirmer l'ordonnance déférée et renvoyer les demandeurs à présenter leurs réclamations au juge de la mise en état et/ou au juge du fond.
Subsidiairement, déclarer injustifiées les demandes du syndicat des copropriétaires et des copropriétaires et en conséquence les rejeter.
À titre infiniment subsidiaire, condamner la société The Wohoo à relever et garantir M. Benoît B. de toutes les condamnations qui pourraient être prononcées en principal, intérêts et dépens à son encontre et au profit des demandeurs.
Ajoutant à l'ordonnance déférée, condamner les demandeurs à payer à M. B. une indemnité complémentaire de 1000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Les condamner aux dépens. »
Bien que régulièrement assignée le 29 septembre 2014 à la personne de son gérant, M. Jalal H., la SARL The Wohoo n'a pas constitué avocat.
Motifs
MOTIFS
Sur la compétence du juge des référés
Le juge des référés est incompétent à partir de la désignation du juge de la mise en état.
Cependant, le juge des référés est saisi à la date de l'assignation alors que le juge de la mise en état est saisi au mieux lors de l'audience présidentielle laquelle intervient toujours plusieurs semaines après la délivrance de l'assignation au fond.
En l'espèce, le même jour, le 2 décembre 2013, le syndicat des copropriétaires de l'immeuble 1 rue des Étuves à Aix en Provence et M. Augustin M. et son épouse Mme Marie B. épouse M., M. Philippe M., M. Stéphane M., M. Thierry D. et son épouse Mme Stéphanie B. épouse D., M. Jean Philippe F. et son épouse Mme Virginie H. épouse F., copropriétaires, ont assigné Monsieur et Madame B. et la SARL The Wohoo d'une part en référé, et d'autre part au fond aux mêmes fins, soit la cessation de l'activité de la société The Wohoo comme contraire à la destination de l'immeuble.
La date des assignations en référé et au fond étant identique, nécessairement le juge des référés a été saisi avant la désignation du juge de la mise un état.
En conséquence, le juge des référés est compétent.
Sur le fond du référé
Le syndicat des copropriétaires de l'immeuble 1 rue des Étuves et Monsieur et Madame F. produisent les mesures effectuées par M. Alain C., ingénieur acousticien, expert près la cour d'appel d'Aix en Provence, qui dans la nuit du jeudi 7 au vendredi 8 mars 2013 a effectué diverses mesures acoustiques dans le logement du troisième étage, occupé par le fils de Monsieur et Madame F., fenêtres fermées.
Selon ses conclusions, les nuisances générées par le bar musical de nuit The Wohoo sont par leur durée, de 22 heures à 2 heures du matin environ, par leur répétition soit tous les jours, par leur intensité en dépassement de la valeur réglementaire globale de 2 à 3 dB ( A) soit presque deux fois plus d'intensité sonore que le dépassement réglementaire autorisé, par ses intensités en dépassement des valeurs réglementaires en fréquence de huit à 10 dB à 125 Hz, de 7 à 9 dB à 250 Hz, de 2 à 5 dB à 500 Hz, soit pour la fréquence à 125 Hz pratiquement 10 fois plus d'intensité sonore que le dépassement réglementaire autorisé.
Cet expert ajoute que ces dépassements de niveau sonore empêchent M. F. de dormir convenablement, ce qui constitue un bruit anormal de voisinage.
Il souligne qu'à la saison chaude fenêtres ouvertes, les nuisances seront encore plus importantes.
La SARL The Wohoo avait déjà fait effectuer en mars 2010 des mesures acoustiques par la société Acoustique & Conseil, mais à des heures où l'établissement était vide de clients, le jeudi 11 mars 2010 à 20 h 15 et le vendredi 12 mars 2010 à 7 heures.
Le matériel de sono décrit par l'intervenant est significatif : un amplificateur, une table de mixage, de lecteur CD, et surtout six enceintes de marque Électro Voice modèle 8D 4.2 de puissance 200 W, réparties deux au rez de chaussée et quatre au sous-sol.
Ce document démontre que l'utilisation de ce matériel est à un niveau sonore largement supérieur à celui toléré et conclut à la nécessité de mettre en oeuvre un ou plusieurs limitateurs de niveau sonore sur l'installation de sonorisation de l'établissement, en précisant que ces appareils devront être agréés et scellés après réglage par le sonorisateur.
Il n'est pas allégué que ces préconisations aient été appliquées.
Par ordonnances sur requête du 16 août 2013, le président du tribunal de grande instance d'Aix en Provence a commis la SCP Duplaa Musso, huissier de justice, afin de se rendre dans l'immeuble situé 1 rue des Étuves entre 23 heures et 2 heures du matin afin de dire si des nuisances sonores peuvent être ressenties, d'en préciser la provenance, et d'établir l'occupation des locaux du rez de chaussée et des caves.
Il résulte du procès-verbal de constat du 26 septembre 2013 effectué à 23 h 30 de Me Bernard Duplaa qu'à son arrivée, une dizaine de personnes sont devant le bar à l'enseigne The Wohoo, un verre à la main et conversent bruyamment, qu'à chaque palier dans la cage d'escalier, il constate que le bruit occasionné par ces personnes est très dérangeant et important, que dans l'appartement de M. F. du troisième étage, il constate l'existence d'ondes sonores basses peu fortes mais continues.
Ce dernier explique que lors des très importantes soirées Érasmus, les ondes sonores sont insupportables et empêchent un sommeil normal.
Me Duplaa décrit ensuite l'intérieur de l'établissement The Wohoo, précise qu'au sous sol trois caves sont aménagées, et mentionne qu'au moment de ses constatations le bruit dégagé par la sono est très important au point de ne pas permettre de converser normalement.
D'évidence, il suit des développements qui précèdent que l'activité de la SARL The Wohoo génère des nuisances sonores excessives pour les occupants de l'immeuble sis 1 rue des Étuves à Aix en Provence, ce qui constitue un trouble manifestement illicite.
En outre, le règlement de copropriété mentionne dans son article 3, entre autres :
Le rez de chaussée pourra être affecté soit à l’habitation, soit aux professions libérales ou artisanales ou à tout commerce ou activité commerciale, étant expressément interdits les activités bruyantes, malodorantes, incommodes, dangereuses ou pouvant amener un trouble quelconque dans l'immeuble.
L’usage des appareils de radiophonie et des électrophones est autorisé sous réserve de l'observation des règlements de ville et de police, et sous réserve également que le bruit en résultant ne soit pas perceptible par les voisins.
Tout bruit ou tapage nocturne de quelque nature que ce soit troublant la tranquillité des occupants est formellement interdit alors même qu'il aurait lieu dans l'intérieur des appartements ou locaux.
Monsieur et Madame B. ont d'ailleurs mentionné dans le bail commercial consenti à la SARL Unplugged cédé à la SARL The Wohoo dans le paragraphe Destination des Locaux, qu'il s'agit d'un bail tous commerces sauf activités bruyantes, malodorantes, dangereuses etc.. comme il est stipulé dans le règlement de copropriété'.
En développant une activité de bar musical, la SARL The Wohoo a donc contrevenu sciemment au bail commercial et au règlement de copropriété.
Cette activité de bar musical de la société The Wohoo constitue donc aussi un trouble manifestement illicite.
L'ordonnance déférée sera donc infirmée et il sera interdit à la société The Wohoo d'avoir une activité musicale au sein de son établissement, et donc à plus forte raison d'organiser des soirées musicales, à compter de la signification du présent arrêt, sous astreinte de 3000 € par infraction constatée, sans que la cour s'en réserve la liquidation.
Monsieur et Madame F. et le syndicat des copropriétaires de l'immeuble 1 rue des Étuves demandent aussi qu'il soit fait interdiction à la société The Wohoo d'exploiter commercialement les caves.
Toutefois, dans le silence du règlement de copropriété en ce qui concerne l'utilisation des caves, il y a lieu à interprétation dudit règlement, ce qui relève indéniablement d'une discussion au fond.
Il existe donc une contestation sérieuse à l'obligation de la société The Wohoo de cesser toute exploitation desdites caves.
C'est pourquoi le syndicat des copropriétaires de l'immeuble 1 rue des Étuves et Monsieur et Madame F. seront déboutés de cette demande afférente aux caves, en référé.
L'équité commande de faire bénéficier le syndicat des copropriétaires de l'immeuble situé 1 rue des Étuves et Monsieur et Madame F. des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, à l'exclusion de toute autre partie.
La SARL The Wohoo qui succombe, supportera seule les entiers dépens.
Aucune condamnation n'étant prononcée à l'égard de Monsieur et Madame B., il n'y a lieu de condamner la SARL The Wohoo à les relever et garantir des condamnations qui pourraient être prononcées à leur encontre.
Dispositif
PAR CES MOTIFS
La cour,
Infirme l'ordonnance de référé entreprise,
Statuant à nouveau,
Ordonne à la SARL The Wohoo de cesser toute activité musicale au sein de son établissement situé 1 rue des Étuves et 25 rue du Bon Pasteur à Aix en Provence, à compter de la signification du présent arrêt, et ce sous astreinte de 3000 € par infraction constatée,
Déboute les parties de leurs autres demandes plus amples ou contraires,
Condamne la SARL The Wohoo à payer à M. Jean Philippe F., Mme Virginie H. épouse F. et au syndicat des copropriétaires de l'immeuble sis 1 rue des Étuves à Aix en Provence la somme globale de 2500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne la SARL The Wohoo aux dépens, ceux d'appel pouvant être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.