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Décisions

CA Aix-en-Provence, 4e ch. a, 24 mai 2013, n° 11/05719

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Cassini et Fils (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Torregrosa

Conseillers :

Mme Dampfhoffer, Mme Arfinengo

Avoué :

SCP De Ferreol/Touboul

Avocats :

SCP Cohen/Guedj/Montero/Daval Guedj, SCP Badie/Simon Thibaud/Juston

TGI Marseille, du 8 févr. 2011, n° 07/13…

8 février 2011

Exposé des faits

Faits, prétentions et procédure :

Monsieur et Madame C. sont voisins de Monsieur C. et de la ferronnerie qu'il exploite sous l'enseigne S. A.R. L. CASSINI et fils.

Se plaignant de troubles anormaux de voisinage causés, d'une part, par l'activité de ferronnerie, et d'autre part, par le chien de Monsieur C., Monsieur et Madame C. les ont fait assigner, devant le tribunal de grande instance de Marseille, sollicitant leur condamnation à les indemniser par des dommages et intérêts, ainsi qu'à réaliser des travaux d'isolation phonique.

Retenant que Monsieur et Madame C. ne rapportaient pas la preuve d'un trouble résultant du comportement du chien, mais qu'ils avaient subi un trouble anormal de voisinage lié à l'activité de la société entre le mois de février 2006, date de leur acquisition, jusqu'au mois de mars 2007, le tribunal de grande instance a condamné la société CASSINI à payer aux époux C. la somme de 8.000 € à titre de dommages et intérêts, ainsi que celle de 1.300 € par application de l'article 700 du code de procédure civile.

Par ailleurs, il a déclaré les défendeurs irrecevables en leur demande reconventionnelle tendant à l'enlèvement d'un portail, les époux C. ayant vendu leur bien.

La société CASSINI a été condamnée aux dépens.

Par déclaration du 29 mars 2011, Monsieur C. et la société CASSINI ont relevé appel de cette décision.

Par conclusions notifiées le 29 juin 2011 et déposées le 18 octobre 2012, Monsieur C. et la société CASSINI demandent à la cour de :

- vu l'article 544 du Code civil et l'article L. 112- 16 du code de la construction,

à titre principal,

- réformer le jugement et dire que la société CASSINI n'a pas causé un trouble anormal de voisinage,

- réformer le jugement en ce qu'il a condamné la société CASSINI à payer aux époux C. la somme de 8.000 € à titre de dommages et intérêts,

- réformer la décision en ce qu'elle a condamné la société CASSINI à payer aux époux C. la somme de 1.300 € par application de l'article 700 du code de procédure civile,

à titre reconventionnel,

- condamner les époux C. à verser à Monsieur C. la somme de 1.500 € et à la société CASSINI la somme de 1.500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile

- condamner les époux C. aux dépens.

Par conclusions du 24 août 2011, Monsieur et Madame C. demandent à la Cour de :

- vu l'article 544 du Code civil,

- dire leurs conclusions recevables et bien fondées,

- confirmer le jugement en ce qu'il a retenu le trouble anormal de voisinage causé par l'activité de la société CASSINI sur la période février 2006/ mars 2007,

- infirmer le jugement en ce qu'il a rejeté la demande postérieure au mois de mars 2007,

- dire qu'ils ont subi un trouble anormal de voisinage du fait de l'activité de la société CASSINI de

février 2006 à septembre 2009, date de la vente de leur bien,

- condamner, en conséquence, la société CASSINI au paiement de la somme de 50.000 €,

- infirmer le jugement en ce qu'il n'a pas retenu le trouble anormal du voisinage du fait du comportement du chien et dire qu'ils ont subi un trouble anormal de voisinage,

- condamner en conséquence Monsieur C. au paiement d'une somme de 10.000 € en réparation du préjudice subi du fait des nuisances de ce chien,

- confirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société CASSINI à leur payer la somme de 1.300 € par application de l'article 700 du code de procédure civile et en ce qu'il a déclaré irrecevable la demande reconventionnelle relative à l'enlèvement du portail qui n'appartient plus aux époux C.,

- condamner in solidum Monsieur C. et la société CASSINI au paiement de la somme de 2.000 € par application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'à supporter les entiers dépens.

L'ordonnance de clôture a été prise le 26 mars 2013.

Motifs

MOTIFS

Sur la recevabilité de l'appel :

La recevabilité de l'appel n'est pas contestée ; rien au dossier ne conduit la Cour à le faire office. L'appel sera donc déclaré recevable.

Sur le fond :

Le tribunal avait été saisi des demandes d'indemnisation des époux C. contre la Société CASSINI et Monsieur C., ainsi que de la demande reconventionnelle des défendeurs pour l'enlèvement d'un portail.

Cette seconde question n'est plus dans les débats devant la Cour.

En application de l'article 544 du code civil, la propriété est le droit de jouir et de disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu’on n’en fasse pas un usage prohibé par la loi ou les règlements ou de nature à nuire aux droits des tiers.

La responsabilité susceptible d'être engagée sur le fondement de ce texte n'exige pas la preuve d'une faute et résulte de l'anormalité d'un trouble de voisinage, c'est-à- dire, de son caractère excessif au regard des inconvénients normaux de voisinage, apprécié dans chaque cas d'espèce eu égard notamment au caractère des lieux.

La preuve de l'existence d'un tel trouble incombe à celui qui en demande réparation

Les nuisances invoquées par les époux C. sont de deux ordres :

Les nuisances imputées à l'activité de la société CASSINI :

Les éléments versés permettent de retenir :

- que la Société CASSINI exerce l'activité de ferronnerie dans un entrepôt, voisin de l'immeuble des

époux C..

- que ceux ci ont habité leur propriété sur la période février 2006/ septembre 2009, date à laquelle ils l'ont revendue,

- qu'enfin, il n'est produit aucun document d'urbanisme relatif aux activités et constructions autorisées sur le secteur, ni aucune description objective de celui-ci.

Sur les griefs tirés des nuisances sonores qui lui sont faits, la société CASSINI invoque l'antériorité de son installation et les dispositions de l'article L112-6 du code de la Construction, la présence dans le quartier d'autres entreprises, et conteste le caractère anormal du trouble de voisinage.

Or, le bail de la société CASSINI date du 29 mars 2006, et non de 2005, ainsi qu'allégué par la société CASSINI, sa date étant confortée par la mention de la durée du bail qui est conclu pour 9 années jusqu'au 31 mars 2015, ce qui implique que la date de début d'occupation qui y est mentionnée comme celle du 1er avril 2005 est erronée, s'agissant plus exactement du 1er avril 2006.

Les dispositions de l'article sus visé ne trouvent donc pas application en l'espèce.

Par ailleurs, pour l'appréciation de la réalité du trouble anormal, la Cour, qui écartera comme non suffisamment probantes les différentes attestations produites de part et d'autre, dès lors qu'elles se contredisent selon qu'elles sont versées par l'une ou l'autre des parties, s'attachera à l'étude des données issues des mesures techniques qui ont été opérées par l'ingénieur de la ville de Marseille, lequel a réalisé des mesures sonométriques au mois de mai 2006.

Or, il résulte de ces investigations que le bruit de la ferronnerie, dont le bâtiment ne dispose pas d'une isolation phonique adaptée, constitue une nuisance importante pour le voisinage. L'émergence diurne est donnée comme comprise entre 2,9db ( A) et 13,1db ( A), les évaluations faites pour chacun des appareils utilisés par la ferronnerie démontrant, par les chiffres relevés, la gêne manifeste occasionnée.

Au mois de mai 2007, ces mesures ont été refaites, après que la société CASSINI ait réalisé un mur - écran, et le technicien qui a alors effectué les relevés, portes de l'atelier fermé, retient une nette amélioration, qui se traduit dans les chiffres donnés à nouveau sur chacun des appareils utilisés, respectant les normes réglementaires. Il est alors également mentionné que seules les opérations de martelage sont audibles avec des seuils supérieurs, mais qu'elles ne représentent pas l'essentiel de l'activité.

Aucune pièce versée par les époux C. ne vient démentir ces dernières observations sur le martelage, et si l'huissier qu'ils ont requis, le 20 octobre 2008, relève que l'atelier fonctionne alors, portes ouvertes, et qu'il y a des bruits répétés, d'une nature stridente, l'unicité de ce constat ne constitue cependant pas la preuve d'un trouble, persistant et répété dans le temps, caractères qui seuls permettraient de caractériser l'anormalité du trouble dont se plaignent les époux C..

Par ailleurs, les troubles sonores générés par les livraisons ne sont pas, non plus, établis en l'état des observations ci-dessus

Enfin, et malgré les études scientifiques produites sur les conséquences générales du bruit et le certificat médical relatif à l'état dépressif de Monsieur C., (qui relate que l'état dépressif de celui-ci existait avant 2005, et consigne que le patient se plaint des bruits comme la cause de sa rechute,) ces éléments ne sont pas suffisants pour asseoir une indemnisation plus importante que celle exactement allouée par le tribunal au regard des considérations ci-dessus rappelées, le surplus d'un préjudice plus ample n'étant, dans ces conditions, pas établi, et la dépréciation de leur maison à la revente n'étant pas démontrée.

Le jugement sera donc confirmé sur ce chef d'indemnisation.

Les nuisances imputées au chien de Monsieur C. et à Monsieur C. lui-même :

Les nuisances imputées au chien de M C. ne résultent que des attestations produites par chacune des parties qui en l'état de leur contradiction, ne peuvent être considérées comme suffisamment probantes.

L'attitude alléguée d'un comportement désagréable de Monsieur C. à leur égard qui aurait aggravé le trouble subi n'est pas établie alors que le caractère mal fondé de son opposition aux époux C. ne peut être retenu, d'une part en l'état du rejet d'une partie de leurs demandes, et d'autre part, parce qu'il a déféré à leur demande pour pallier aux bruits aussitôt après la visite au mois de mai 2006 du technicien de la ville.

En raison de sa succombance sur le principe de sa responsabilité, la société CASSINI supportera les dépens de la procédure d'appel.

L'équité ne commande pas l'application de l'article 700 du code de procédure civile devant la Cour.

Dispositif

PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement, contradictoirement, en matière civile et en dernier ressort,

Reçoit l'appel,

Déboute les appelants de leur recours, et confirme le jugement déféré dans toutes ses dispositions,

Y ajoutant :

Rejette les demandes plus amples des parties,

Condamne la société CASSINI à supporter les dépens de la procédure d'appel et en ordonne la distraction conformément à l'article 699 du code de procédure civile.