Cass. 3e civ., 8 avril 2021, n° 20-18.327
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Chauvin
Rapporteur :
M. Jariel
Avocat général :
M. Sturlèse
Avocats :
SCP Delamarre et Jehannin, SCP Bénabent, SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh, SCP Waquet, Farge et Hazan
Faits et procédure
2. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 24 juin 2020), le 24 octobre 2002, MM. C..., T... et Q... L..., O... L... et Mme H... L..., nus-propriétaires, et M... L..., usufruitière, ont donné à bail à la société FMJ Scooter un local commercial, situé dans un immeuble soumis au statut de la copropriété, en vue de son utilisation pour l'activité d'achat, vente de cyclomoteurs, réparation de scooters, location de véhicules sans chauffeur et activités connexes.
3. Le 10 septembre 2012, se plaignant de nuisances sonores et olfactives, U... P... et Mme G... P..., propriétaires d'un lot contigu à ce local, ont assigné M... L..., la société FMJ Scooter, ainsi que le syndicat des copropriétaires, en résiliation du bail et expulsion de la société FMJ Scooter et, dans l'attente de celle-ci, en interdiction de toute activité de réparation de scooters dans les locaux pris à bail.
Examen des moyens
Sur les moyens uniques des pourvois principal et incident, rédigés en termes identiques et réunis
Enoncé du moyen
4. La société FMJ Scooter et M. Q... L... font grief à l'arrêt d'accueillir ces demandes, alors :
« 1°/ qu'un copropriétaire ne peut, sans porter une atteinte excessive à la liberté contractuelle, agir par voie oblique en résiliation du contrat de bail conclu entre un autre copropriétaire et un preneur ; qu'en disant pourtant recevables et bien fondées Mmes G... et Y... P... à agir en résiliation judiciaire du bail consenti par les consorts L... à la société FMJ Scooter, la cour d'appel a violé l'article 1166 du code civil, dans sa rédaction applicable en la cause ;
2°/ qu'à supposer même qu'un copropriétaire puisse agir par voie oblique en résiliation du contrat de bail conclu entre un autre copropriétaire et un preneur, c'est à la condition de démontrer la carence de son débiteur de nature à compromettre ses droits ; qu'en l'espèce, la société FMJ Scooter soulignait qu'il ne pouvait être imputée à la bailleresse la moindre carence puisqu'à compter de 2008, les consorts P... ne s'étaient jamais adressés aux consorts L... pour exiger d'eux qu'ils enjoignent à leur locataire de respecter le règlement de copropriété ; qu'en retenant pourtant que « Mme L..., informée par le syndic et les autres copropriétaires des nuisances occasionnées par l'activité de la société FMJ Scooter n'a pas engagé de démarches en vue de permettre le respect du règlement de copropriété », sans aucunement rechercher si une quelconque relance avait été adressée à M... L... depuis 2008, ce qui seul aurait pu établir sa carence, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1165 et 1166 du code civil ;
3°/ qu'à supposer même qu'un copropriétaire puisse agir par voie oblique en résiliation du contrat de bail conclu entre un autre copropriétaire et un preneur, c'est à la condition de démontrer la carence de son débiteur de nature à compromettre ses droits ; que l'existence de diligences du débiteur, seraient-elles indépendantes de toute action en justice, prive de fondement l'action oblique ; qu'en l'espèce, la société FMJ Scooter soulignait que M... L... avait en réalité réalisé de nombreuses diligences afin de limiter les supposées nuisances induites par l'activité de l'exposante ; qu'elle avait ainsi réalisé les travaux de sécurité incendie, puis avait fait inscrire à l'ordre du jour de l'assemblée des copropriétaires du 28 juin 2010 la demande d'autorisation des travaux à réaliser par la société FMJ Scooter ; qu'elle avait fait voter le 25 juin 2012 l'autorisation de réaliser les travaux : que ses ayants droits avaient encore sollicité le 8 décembre 2019 la réunion à leurs frais d'une nouvelle assemblée générale aux fins de réaliser les travaux ; qu'en retenant pourtant que « Mme L..., informée par le syndic et les autres copropriétaires des nuisances occasionnées par l'activité de la société FMJ Scooter n'a pas engagé de démarches en vue de permettre le respect du règlement de copropriété », sans aucunement rechercher si ces multiples diligences n'étaient pas exclusives de toute carence du débiteur, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1165 et 1166 du code civil. »
Réponse de la Cour
5. D'une part, aux termes de l'article 1166 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016, les créanciers peuvent exercer tous les droits et actions de leur débiteur, à l'exception de ceux qui sont exclusivement attachés à la personne.
6. En application de ce texte, il est jugé qu'un syndicat de copropriétaires a, en cas de carence du copropriétaire-bailleur, le droit d'exercer l'action oblique en résiliation du bail dès lors que le locataire contrevient aux obligations découlant de celui-ci et que ses agissements, contraires au règlement de copropriété, causent un préjudice aux autres copropriétaires (3e Civ., 14 novembre 1985, pourvoi n° 84-15.577, Bull. 1985, III, n° 143).
7. Il est jugé par ailleurs que, le règlement de copropriété ayant la nature d'un contrat, chaque copropriétaire a le droit d'en exiger le respect par les autres (3e Civ., 22 mars 2000, pourvoi n° 98-13.345, Bull. 2000, III, n° 64).
8. Il en résulte que, titulaire de cette créance, tout copropriétaire peut, à l'instar du syndicat des copropriétaires, exercer les droits et actions du copropriétaire-bailleur pour obtenir la résiliation d'un bail lorsque le preneur méconnaît les stipulations du règlement de copropriété contenues dans celui-ci.
9. D'autre part, ayant retenu que la résolution n° 12 de l'assemblée générale du 25 juin 2012 autorisant les travaux à réaliser par la société FMJ Scooter était, en ce qu'elle visait à l'acceptation des nuisances provoquées par l'activité de cette société, contraire aux stipulations du règlement de copropriété selon lesquelles chaque copropriétaire devait veiller à ne rien faire qui pourrait troubler la tranquillité des autres occupants et que M... L..., informée par le syndic et les autres copropriétaires des nuisances occasionnées par l'activité de la société FMJ Scooter, n'avait pas engagé de démarches en vue de permettre le respect du règlement de copropriété, la cour d'appel n'était pas tenue de procéder à des recherches que ses constatations rendaient inopérantes.
10. La cour d'appel a retenu à bon droit que Mme P... et U... P..., chacun en sa qualité de copropriétaire, étaient recevables à exercer, en lieu et place de M... L..., une action oblique en résiliation de bail à l'encontre de la société FMJ Scooter et a légalement justifié sa décision.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE les pourvois.