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Décisions

CA Paris, Pôle 4 ch. 2, 1 juillet 2015, n° 13/21582

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

YODES (SARL)

Défendeur :

NEXITY LAMY (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Madame Dominique DOS REIS

Conseillers :

Mme Denise JAFFUEL, Mme Claudine ROYER

Avocats :

Me Nadia BOUZIDI FABRE, SELURL CABINET BOULAY, Me Frédérique ETEVENARD, Me Alain JAUNEAU

Paris, du 3 oct. 2013

3 octobre 2013

Suivant actes extra judiciaires des 12 décembre 2011 et 12 janvier 2012, le syndicat des copropriétaires de l'immeuble situé < 13 > et 15 rue Danielle Casanova et 42 rue du Marché Saint Honoré à Paris 2ème a assigné les sociétés Chantecler, Cham & Kim et Yodes, locataires exploitant les locaux commerciaux du rez de chaussée, afin de les déclarer responsables de troubles anormaux de voisinage et condamner au paiement de diverses indemnités ainsi qu'à faire cesser l'entreposage de déchets, containers privatifs, cartons ou autres dans la cour commune.

Exposé des faits

Par jugement du 3 octobre 2013, le tribunal de grande instance de Paris a :

- rejeté les exceptions et moyens soulevés par les sociétés Cham & Kim et Yodes,

- condamné in solidum les sociétés Chantecler, Cham & Kim et Yodes, sous astreinte de 900 € par infraction constatée pendant une durée de six mois, à cesser l'entreposage de tous déchets, containers privatifs, cartons ou autres dans la cour commune de l'immeuble,

- procéder, par tous moyens à leur convenance, à l'entreposage dans leur lot des containers et déchets provenant de leur activité commerciale, cesser tout entreposage sur le trottoir face à l'immeuble de leurs containers, déchets ou de toute autre source d'entreposage, en violation des dispositions du règlement de copropriété, procéder à la sortie des containers et déchets de toute nature provenant de leur activité commerciale, à partir de 22 h, sur le trottoir, avec obligation de les entreposer dans leurs locaux privatifs après le passage du ramassage public de la Ville de Paris des ordures ménagères et ce, au plus tard, à 8 h chaque jour ouvrable, cesser tous passages de leurs responsables, préposés, employés ou livreurs affectés à l'activité de leur commerce dans les parties communes de l'immeuble, et ce, sous astreinte également définitive et non comminatoire, de 500 € par infraction constatée,

- condamné in solidum lesdites sociétés à payer au syndicat des copropriétaires de l'immeuble une somme de 4.500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, en sus des entiers dépens,

- rejeté toute autre demande,

- ordonné l'exécution provisoire.

La société Yodes a relevé appel de ce jugement dont elle poursuit l'infirmation, demandant à la

Cour, par dernières conclusions signifiées le 3 juin 2014, de :

au visa du Règlement sanitaire de la Ville de Paris, de l arrêté du Maire de Paris et du Préfet de police du 10 mai 1983, de l'article 1382 du code civil,

- débouter le syndicat des copropriétaires de ses demandes,

- le condamner au paiement de la somme de 5.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Le syndicat des copropriétaires de l'immeuble situé < 13 > et 15 rue Danielle Casanova et 42 rue du Marché Saint Honoré à Paris 2ème prie la Cour, par dernières conclusions signifiées le 23 mars 2015, de :

- confirmer le jugement dont appel en toutes ses dispositions,

- débouter la société Yodes de ses demandes,

- subsidiairement, désigner un constatant avec pour mission de décrier les conditions d'entreposage des déchets et containers des sociétés locataires des locaux commerciaux en rezde chaussée de l'immeuble et les atteintes aux parties communes en résultant,

- en tout état de cause, de condamner la société Yodes au paiement de la somme de 6.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, en sus des entiers dépens.

Motifs

CECI ETANT EXPOSE, LA COUR

Au soutien de son appel, la société Yodes fait valoir que le tribunal ne pouvait la condamner in solidum et sous astreinte avec d'autres sociétés alors qu'elle n'a aucun pouvoir ni droit de faire assurer par des tiers les obligations mises à leur charge, que la preuve des nuisances olfactives et acoustiques alléguées par le syndicat n'est pas rapportée, que l'immeuble ne comportant aucun local poubelles, il est normal que ses poubelles, de même que celles des autres copropriétaires, soient entreposées dans la cour, que le procès verbal de constat produit aux débats est trop imprécis pour être probant, que le règlement de copropriété n'édicte aucune interdiction d'entreposer des poubelles dans la cour partie commune, que le caractère anormal du trouble de voisinage résultant de cet entreposage n'est pas rapportée, qu'elle n'a aucune obligation légale d'entreposer ses déchets à l'intérieur de son lot et est en droit de les sortir sur la voie publique dans l'attente de leur ramassage municipal aux heures prévues pour ce ramassage et non la nuit comme le lui impose le jugement au mépris de l'arrêté du Maire de Paris et du Préfet de police interdisant de déposer sur le trottoir les récipients d'ordures ménagères plus d'une heure avant le passage des services de collecte ;

Le syndicat des copropriétaires réplique que les sociétés exploitant les fonds de commerce du rez de chaussée de l'immeuble se sont progressivement approprié la cour commune pour y entreposer leurs containers de déchets à usage quasi industriel de restauration, portant ainsi gravement atteinte aux droits des copropriétaires et leur causant des troubles anormaux de voisinage en souillant les parties communes, que ces containers privatifs, lorsqu'ils sont sortis, empiètent sur la voie publique et empêchent l'accès à l'immeuble ; il produit aux débats des procès verbaux de constat d'huissier, le dernier en date du 4 décembre 2013, et plusieurs attestations de copropriétaires et occupants de l'immeuble ;

Si les copropriétaires doivent supporter les contraintes et inconvénients ordinairement liés à la présence de nombreux locaux commerciaux, exploitant des commerces de bouche, dans l'immeuble, il ne peut toutefois leur être imposé de subir des troubles excédant les inconvénients normaux de voisinage du fait de l'entreposage dans la cour commune d'un grand nombre de containers, déchets alimentaires ou autres et du fait du passage répété dans les parties communes de ces containers débordant de sacs crevés ou déchets nauséabonds ;

Notamment, le procès verbal de constat de la SCP Noquette du 7 novembre 2008 relate, en ce qui concerne plus particulièrement la société Yodes, que les boîtes à ordures qui portent les étiquettes « Yodes » empêchent tout passage des piétons sur l'angle de la rue Danielle Casanova ; le même huissier constate, le 24 novembre 2008, qu'un container jaune portant la dénomination « Fuxia Yodes » est disposé devant la porte de l'immeuble dont il paralyse l'accès ; le 28 mai 2009, la SCP d'huissier Benhamour note la présence dans la cour de l'immeuble de deux containers poubelles portant l'étiquette « Restaurant Fuxia sté Yodes » grands ouverts débordant de cartons et d'emballages non pliés, relevant également des taches de graisse dans l'entrée de l'escalier A et B ; le 4 décembre 2013, un nouveau constat mentionne la présence de deux containers, dont l'un identifié comme « Fuxia Yodes », qui débordent de détritus malodorants et dont l'un répand un liquide sur le sol ; le 2 décembre 2014, un huissier constate encore la présence dans la cour de trois containers « Fuxia Yodes » surchargés de sacs poubelles et non fermés, la saleté du sol de la cour et des traces grasses dans le dégagement desservant la porte de service du restaurant Fuxia ; le 6 janvier 2015, le même huissier constate la présence de dix containers, dont trois appartiennent au restaurant « Fuxia, société Yodes » et il rapporte que le sol du trottoir est couvert de saletés ; ces divers procès verbaux de constat sont confortés par un grand nombre d'attestations de copropriétaires déplorant l'entreposage sauvage, permanent et perturbateur des containers des lots commerciaux dans la cour de l'immeuble, les saletés et détritus souillant les parties communes, tels épluchures, arêtes de poisson, huile, avec l'invasion de souris et de rats en résultant ;

Il s'évince des ces procès verbaux de constat et attestations que les déchets provenant de l'activité de restauration de la société Yodes, exerçant sous l'enseigne « Fuxia Épicerie », parfaitement identifiables et identifiés, sont entreposés dans des containers placés dans la cour de l'immeuble, sans soin ni respect de l'hygiène et de la propreté des parties communes, que ces déchets débordent, se répandent sur le sol, laissent des coulées grasses, souillent les parties et passages communs stagnent sur le trottoir et empêchant l'accès à l'immeuble, toutes circonstances caractérisant un trouble anormal de voisinage pour les copropriétaires, alors que le règlement de copropriété de l'immeuble prévoit :

« Chacun des copropriétaires aura, en ce qui concerne les locaux lui appartenant, le droit d'en jouir et disposer comme de chose lui appartenant en tout propriété, à condition de ne pas nuire aux droits des autres copropriétaires des autres locaux et de ne rien faire qui puisse compromettre la solidité de l'ensemble immobilier ou porter atteinte à sa destination (article 6),

Les locaux pourront être occupés à usage commercial pourvu que les commerces ou l'industrie exploités ne constituent pas un établissement dangereux ou insalubre, de nature à incommoder par le bruit ou l'odeur les personnes habitant l'ensemble immobilier (article 6, page 22),

Il est strictement interdit d'entreposer des marchandises, quelles qu'elles soient, dans la cour de l'ensemble immobilier (article 6, page 23) » ;

Ces prescriptions doivent être également respectées par les locataires des lots commerciaux ;

La société Yodes ne peut donc prétendre qu'elle ne cause par l'entreposage de poubelles dans la cour aucun trouble excédant les inconvénients normaux de voisinage ou qu'il ne serait pas établi que les poubelles incriminées lui appartiendraient plutôt qu'à d'autres copropriétaires ; elle ne peut, davantage, s'autoriser de la présence dans la cour commune des containers réservés aux déchets des copropriétaires pour y entreposer les siens propres, alors que les correspondances échangées avec la mairie de Paris établissent qu'il appartient au syndic de l'immeuble de déterminer avec les commerçants le mode d'organisation d'utilisation et de remisage des bacs à ordures dans l'immeuble concerné et qu'il ne peut être déduit de l'absence de local poubelles dédié dans les parties communes que les exploitants des lots commerciaux pourraient entreposer leurs ordures dans la cour de l'immeuble comme les autres occupants, la tolérance pour l'entreposage des ordures ménagères de particuliers dans la cour ne pouvant être étendue à des containers en nombre de restaurant, sans commune mesure avec ceux de la copropriété, et qui recueillent essentiellement des détritus alimentaires, à l'origine d'odeurs nauséabondes, propices aux infestations de nuisibles (rats, cafards, insectes) ;

Il appartient, par conséquent, à la société Yodes de garder ses containers de déchets et poubelles dans ses locaux privatifs et de les sortir sur le trottoir aux horaires impartis par la Ville de Paris, sans causer aucune souillure ni désordre aux parties communes ni gêne ou entrave au passage des copropriétaires de l'immeuble, ou bien de cesser l'exploitation de son restaurant si elle estime que ces contraintes sont incompatibles avec son activité, dès lors qu'elle ne peut imposer aux copropriétaires de subir ces conditions d'exploitation abusives et excédant les contraintes normales de voisinage au prétexte que l'immeuble est dépourvu de local poubelles ;

Le syndicat ne pouvant défendre aux préposés ou employés des locataires d'utiliser les parties communes de l'immeuble, le jugement sera précisé en ce qu'il est interdit, sous astreinte, aux responsables, préposés, employés ou livreurs affectés à l'activité du commerce de la société Yodes de passer dans la cour de l'immeuble pour y remiser des containers, cartons ou déchets divers ;

Le jugement sera encore infirmé en ce qu'il a édicté des défenses prononcées in solidum entre trois sociétés, alors que les unes ne sauraient garantir les infractions commises par les autres, mais confirmé pour le surplus, avec les modifications précisées au dispositif ci après ; il sera également infirmé en ce qu'il a prononcé des astreintes définitives pour assortir les condamnations prononcées alors qu'une astreinte définitive ne peut être prononcée d'emblée, sans avoir été précédée d'une astreinte comminatoire ;

En équité, la société Yodes sera condamnée à régler au syndicat des copropriétaires une somme de 5.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, en cause d'appel ;

Dispositif

PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement et contradictoirement,

Confirme le jugement dont appel, sauf en ce qu'il a prononcé des injonctions de ne pas faire in solidum entre les sociétés Chantecler, Cham & Kim et Yodes et en ce qu'il a défendu à la société Yodes de sortir ses containers et déchets avant 22 h, également en ce qu'il a prononcé des astreintes définitives pour assortir les injonctions prononcées,

Statuant à nouveau sur ces points, et précisant,

Condamne la société Yodes, sous astreinte comminatoire de 900 € par infraction constatée pendant une durée de six mois, à cesser l'entreposage de tous déchets, containers privatifs, cartons ou autres dans la cour commune de l'immeuble, à procéder à la sortie des containers et déchets de toute nature provenant de son activité commerciale sur le trottoir aux heures prescrites pour le ramassage des ordures ménagères par la Ville de Paris, avec obligation de les entreposer dans ses locaux privatifs avant et après le passage du ramassage public des ordures ménagères, de cesser tous passages de ses responsables, préposés, employés ou livreurs affectés à l'activité de son commerce dans la cour de l'immeuble pour y remiser des containers, cartons ou déchets divers, ce, sous astreinte comminatoire de 500 € par infraction constatée,

Confirme le jugement pour le surplus,

Condamne la société Yodes à payer au syndicat des copropriétaires de l'immeuble du < 13 et 15 rue

Danielle C. et 42 rue du Marché Saint Honoré à Paris 2ème la somme de 5.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, en cause d'appel,

Condamne la société Yodes aux dépens d'appel qui pourront être recouvrés dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile.