ARCEP, 28 mai 2013, n° 2013-0720
ARCEP
se prononçant sur une demande de règlement de différend opposant la régie d’exploitation de la fibre optique de Saint-Quentin-en-Yvelines à la société France Télécom
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Silicani
Membre :
Mme Benhamou, Mme Denis, M. Benghozi, M. Courtois, M. Distler, M. Stern
L’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes ;
Vu la directive 2002/21/CE du Parlement européen et du Conseil du 7 mars 2002 relative à un cadre réglementaire commun pour les réseaux et services de communications électroniques (directive « cadre ») ;
Vu la directive 2002/19/CE du Parlement européen et du Conseil en date du 7 mars 2002 relative à l’accès aux réseaux de communications électroniques et aux ressources associées, ainsi qu’à leur interconnexion (directive « accès ») ;
Vu la recommandation de la Commission européenne du 20 septembre 2010 sur l’accès réglementé aux réseaux d’accès de nouvelle génération (ci-après « recommandation NGA ») ;
Vu le code des postes et des communications électroniques (ci-après « CPCE »), notamment ses articles L. 32-1, L. 33-6, L. 34-8, L. 34-8-3, L. 36-8, R. 9-2 et R. 11-1 ;
Vu le code général des collectivités territoriales (ci-après « CGCT »), notamment ses articles L. 1425-1 et L. 1425-2 ;
Vu la décision n° 2009-1106 de l’Autorité en date du 22 décembre 2009 précisant, en application des articles L. 34-8 et L. 34-8-3 du CPCE, les modalités de l’accès aux lignes de communications électroniques à très haut débit en fibre optique et les cas dans lesquels le point de mutualisation peut se situer dans les limites de la propriété privée ;
Vu la décision n° 2010-1312 de l’Autorité en date du 14 décembre 2010 précisant, en application des articles L. 34-8 et L. 34-8-3 du CPCE, les modalités de l’accès aux lignes de communications électroniques à très haut débit en fibre optique sur l’ensemble du territoire à l’exception des zones très denses ;
Vu le règlement intérieur de l’Autorité, dans sa rédaction issue de la décision n° 2012-1351 du 6 novembre 2012 portant modification du règlement intérieur ;
Vu la recommandation de l’Autorité en date du 23 décembre 2009 relative aux modalités de l’accès aux lignes de communications électroniques à très haut débit en fibre optique ;
Vu la recommandation de l’Autorité en date du 14 juin 2011 portant sur les modalités de l’accès aux lignes à très haut débit en fibre optique pour certains immeubles des zones très denses, notamment ceux de moins de douze logements ;
Vu la demande de règlement de différend enregistrée à l’Autorité le 8 mars 2013, présentée par la régie d’exploitation de la fibre optique de Saint-Quentin-en Yvelines (ci-après « Quentiop »), établissement public local industriel et commercial créé par la délibération n° 2009-341 du conseil communautaire de la communauté d’agglomération de Saint-Quentin-en-Yvelines en date du 22 octobre 2009, dont le siège est situé au 7/9 rue Denis Papin, 78190 Trappes-en-Yvelines, opérateur déclaré au titre du régime général et représentée par Monsieur Sylvain Fritsch en qualité de directeur ;
La régie d’exploitation de la fibre optique de Saint-Quentin-en-Yvelines demande à l’Autorité d’enjoindre à la société France Télécom de :
- « supprimer la consultation de pavage effectuée sur la commune d’Elancourt, d’en informer sans délai l’ensemble des destinataires de ladite procédure auxquels elle aurait pu s’adresser, et partant de suspendre immédiatement les projets de déploiement qu’elle aurait sur la commune d’Elancourt » ;
- « modifier son offre et les stipulations de sa convention d’accès afin de proposer des modalités de cofinancement pour les communes intégralement classées en « poches de basse densité » identiques à celles qu’elle propose sur les communes ne relevant pas de la « zone très dense », a minima sur Elancourt, ou à tout le moins d’en neutraliser les conséquences » ;
- « supprimer sans délai l’ensemble des restrictions d’ordre juridique qu’elle a pu poser à l’encontre de la Régie et d’entamer immédiatement et de bonne foi des négociations contractuelles sans préalables permettant la conclusion d’accords contractuels sur la base de leurs offres d’accès respectives ».
Sur sa demande relative à la suppression de la consultation de pavage et des projets de déploiement de la société France Télécom sur la commune d’Elancourt, la régie Quentiop soutient que :
- elle-même a été le premier opérateur à consulter l’ensemble des acteurs concernés1 sur le pavage de l’intégralité de la commune d’Elancourt, le 16 mai 2012 ;
- un opérateur proposant une seconde consultation de pavage sur une même commune n’est pas légitime à proposer un découpage totalement nouveau, sauf à bouleverser l’ingénierie et les conditions économiques du premier projet ;
- France Télécom, qui avait connaissance de la consultation de Quentiop sur l’intégralité de la commune d’Elancourt, ne s’y est pas opposée, ni auprès de la régie, ni auprès de l’Autorité, et n’a pas souhaité y répondre ;
- la consultation de pavage de la société France Télécom datant du 5 septembre 2012 ne respecte pas l’esprit et la lettre du cadre de régulation symétrique défini par l’Autorité dans les décisions n° 2009-1106 et n° 2010-1312 et précisé par les recommandations du 23 décembre 2009 et du 14 juin 2011.
Sur sa demande relative aux modalités de cofinancement de la convention d’accès de la société France Télécom pour les communes situées intégralement dans les poches de basse densité des zones très denses, et a minima pour la commune d’Elancourt, Quentiop considère que :
- la densité réelle d’Elancourt ne justifie pas que cette commune fasse l’objet d’un classement en zones très denses et soit traitée différemment, aussi bien en termes d’architecture technique que de modalités de cofinancement, du reste du territoire de la communauté d’agglomération de Saint-Quentin-en-Yvelines, qui n’est pas classé en zones très denses2 ;
- le cofinancement en « 1/N »3 prévu par la société France Télécom pour les zones très denses constitue un obstacle à l’entrée sur le marché pour un opérateur d’opérateur, au vu de l’avantage concurrentiel des opérateurs intégrés ;
- le cofinancement « par tranches »4, tel que le propose France Télécom sur l’ensemble du territoire à l’exception des zones très denses, est l’unique moyen de permettre un investissement progressif, correspondant à la réalité des parts de marché que l’opérateur est susceptible d’obtenir par lui-même ou par de la revente en gros de l’accès ; Quentiop relève que d’autres opérateurs ont exprimé le souhait que le régime de cofinancement des poches de basse densité des zones très denses soit aligné sur celui des zones moins denses, dans leurs réponses à la consultation publique sur le bilan intermédiaire dressant un état des lieux du marché du haut et du très haut débit (marchés 4 et 5), dont la synthèse a été publiée par l’Autorité le 8 février 2013 ;
- la possibilité de recourir à l’offre de location de France Télécom est en discussion, bien que Quentiop ne considère pas que les conditions tarifaires soient satisfaisantes ;
- au vu de ces éléments, elle ne dispose d’aucune marge de manœuvre pour intervenir, ni en tant que primo-constructeur, ni en tant que cofinanceur, ni en tant qu’opérateur de gros, situation qui s’apparente à un abus de position dominante de France Télécom.
Sur sa demande tendant à ce que l’Autorité enjoigne à France Télécom de supprimer les restrictions juridiques que cette dernière aurait posées à son encontre et d’entamer immédiatement et de bonne foi des négociations contractuelles sur la base de leurs offres d’accès respectives, Quentiop soutient que :
- contrairement aux allégations de France Télécom, Quentiop est un opérateur de communications électroniques déclaré auprès de l’Autorité en application de l’article L. 33-1 du CPCE et doit à ce titre être « considéré comme un opérateur à part entière » ;
- France Télécom, en raison de son poids singulier sur le marché et de l’existence d’accords de cofinancement avec d’autres opérateurs nationaux, tel SFR, l’empêche de facto d’entrer en relation contractuelle avec ces opérateurs ;
- France Télécom n’empêche pas Quentiop de signer les documents contractuels qu’elle émet, mais refuse de discuter sérieusement et de bonne foi les propositions contractuelles de Quentiop ;
- France Télécom n’a pas d’obligation de devenir client, cofinanceur ou locataire des lignes déployées par Quentiop, mais le refus d’entamer des négociations relatives à l’offre d’accès de Quentiop caractérise un refus d’accès au sens de la réglementation.
Vu les courriers du directeur des affaires juridiques de l’Autorité en date du 12 mars 2013 transmettant aux parties le calendrier prévisionnel de dépôt des mémoires et désignant les rapporteurs ;
Vu les observations en défense enregistrées à l’Autorité le 2 avril 2013, présentées par la société France Télécom, société anonyme au capital de 10 595 541 532 euros, dont le siège social est situé au 78, rue Olivier de Serres 75015 Paris, et immatriculée au Registre de Commerce et des Sociétés de Paris sous le numéro 380 129 866, représentée par Monsieur Eric Debroeck, en sa qualité de directeur des affaires réglementaires ;
La société France Télécom demande à l’Autorité :
- à titre principal, de déclarer irrecevable la saisine de l’Autorité par Quentiop ;
- à titre subsidiaire, de rejeter l’ensemble des demandes de Quentiop.
Concernant la compétence de l’Autorité et la recevabilité des demandes de Quentiop, France Télécom soutient que :
- la charge de la preuve de l’existence d’un refus d’accès, d’un échec des négociations commerciales ou d’un désaccord sur la conclusion ou l’exécution d’une convention d’accès repose sur le demandeur ;
- concernant la compétence de l’Autorité :
o la demande relative à la suppression de la consultation de pavage ne porte ni sur les conditions d’ordre technique et financier de la convention d’accès aux lignes à très haut débit en fibre optique installées par France Télécom, ni sur l’exécution d’une telle convention, et ne relève donc pas de la procédure de règlement de différend telle que prévue par l’article L. 36-8 du CPCE ; elle vise en réalité à obtenir la reconnaissance par l’Autorité d’un manquement de France Télécom à ses obligations, qui ne peut être constaté que dans le cadre de la procédure de sanction prévue par l’article L. 36-11 du CPCE ;
o la demande de Quentiop relative aux modalités de cofinancement dans les poches de basse densité des zones très denses vise en réalité à remettre en cause le cadre réglementaire défini par l’Autorité, qui ne peut être amendé que dans l’exercice de son pouvoir réglementaire prévu par l’article L. 36-6 du CPCE ; la demande subsidiaire de Quentiop tendant à ce que l’Autorité « neutralise les conséquences » du dispositif réglementaire existant ne vise qu’à obtenir de l’Autorité qu’elle identifie les voies de contournement de la réglementation ;
o la demande de Quentiop concernant l’ouverture de négociations contractuelles sur la base de leurs offres d’accès respectives ne porte pas sur les conditions techniques ou financières de son offre, mais sur le principe même d’une négociation de bonne foi ;
- concernant la recevabilité des demandes de Quentiop :
o la demande, formulée de façon générale, concernant les modalités de cofinancement dans les poches de basse densité des zones très denses n’a jamais été formulée par Quentiop, qui ne fournit aucun élément établissant l’existence d’un différend ;
o la demande de Quentiop concernant l’ouverture de négociations contractuelles sur la base de leurs offres d’accès respectives vise en réalité à ce que l’Autorité enjoigne à France Télécom de négocier et de souscrire à l’offre d’accès de Quentiop ; cette demande n’est pas circonscrite à des offres d’accès précises ; le refus de France Télécom de négocier et de souscrire à l’offre d’accès de Quentiop ne caractérise pas un « refus d’accès » au sens de l’article L. 36-8 du CPCE, lequel ne vise que les cas dans lesquels un opérateur refuse l’accès à ses propres infrastructures ; la demande de Quentiop procède à un renversement de la logique de la procédure de règlement de différend et n’est donc pas recevable.
Sur la demande de Quentiop relative à la suppression de la consultation de pavage et des projets de déploiement de la société France Télécom sur la commune d’Elancourt, la société France Télécom soutient que :
- contrairement à ce qu’affirme Quentiop, la consultation de pavage n’est pas obligatoire dans les poches de basse densité des zones très denses, mais seulement recommandée par l’Autorité ;
- il n’existe pas d’obligation pour France Télécom de renoncer à son propre projet de déploiement du fait de l’existence d’un projet de déploiement d’un tiers, en particulier dans les communes des zones très denses, dans lesquelles prévaut le principe de concurrence par les infrastructures ;
- elle n’est pas tenue de justifier sa décision de déployer un réseau en zones très denses, cette décision relevant de la liberté d’entreprendre, qui a valeur constitutionnelle.
Sur la demande de Quentiop relative aux modalités de cofinancement de la convention de la société France Télécom pour les communes situées intégralement dans les poches de basse densité des zones très denses et a minima pour la commune d’Elancourt, France Télécom considère que :
- cette demande vise à remettre en cause le cadre réglementaire existant, ce qui ne peut être fait dans le cadre d’un règlement de différend, et soulève de ce fait la question du respect des principes de confiance légitime et de sécurité juridique ;
- Quentiop n’apporte aucune démonstration du caractère nécessaire et raisonnable de sa demande, qui n’est ni sérieuse, ni justifiée ;
o Quentiop n’a pas répondu à l’appel au cofinancement lancé par France Télécom le 2 avril 2012, ce qui démontre qu’elle n’a l’intention ni de négocier, ni de souscrire à cette offre ;
o Quentiop doit, en vertu de ses statuts, déployer un réseau en fibre optique sur les sept communes de la communauté d’agglomération de Saint-Quentin-en- Yvelines, ce qui implique qu’elle dispose nécessairement de la capacité financière de contribuer, à hauteur maximale de 50%, aux coûts de déploiement sur la commune d’Elancourt ;
- l’offre de location à la ligne de France Télécom permet à Quentiop de moduler son investissement en fonction du nombre de ses clients dans une phase de démarrage, ce qui correspond à ses préoccupations.
Sur la demande de Quentiop relative aux restrictions juridiques que la société France Télécom aurait posées à son encontre et au refus de France Télécom d’entamer des négociations contractuelles sur la base de leurs offres d’accès respectives, France Télécom estime que :
- la demande de Quentiop est manifestement déraisonnable ;
- la formulation de la demande manque de clarté concernant les restrictions juridiques supposément posées par France Télécom à l’encontre de Quentiop ;
- cette demande vise à ce que l’Autorité impose à France Télécom de souscrire à l’offre de cofinancement d’un tiers, choix qui relève de la liberté contractuelle de chaque opérateur.
Vu les nouvelles observations enregistrées à l’Autorité le 12 avril 2013, présentées par la régie d’exploitation de la fibre optique de Saint-Quentin-en-Yvelines, par lesquelles elle maintient ses moyens et conclusions ;
À titre liminaire, Quentiop relève que :
- France Télécom respecte formellement les obligations définies par la décision de l’Autorité n° 2009-1106 mais ne prend pas en considération la logique des évolutions induites par la recommandation du 14 juin 2011 ;
- il appartient à France Télécom, si elle estime que Quentiop ne respecte pas le « principe de complémentarité des investissements privés et publics » qui découlerait du programme national « très haut débit » (« PNTHD »), de saisir l’autorité compétente ; en tout état de cause, ce principe ne s’applique pas dans les zones très denses du territoire, dont font partie les communes de Guyancourt et Elancourt ;
- elle n’a pas pu déployer de lignes FttH sur la commune d’Elancourt, et n’a de ce fait pas pu entamer de négociation avec France Télécom sur l’accès à ces lignes, alors même qu’il n’est pas douteux qu’elle se verra confier, en tant qu’opérateur d’immeuble, la gestion de réseaux FttH ; dans les zones moins denses du territoire de la communauté d’agglomération, où elle commercialise actuellement des lignes FttH mais où France Télécom n’a pas entamé de déploiement, la question de l’accès aux lignes ne se pose pas ;
- elle n’exclut pas de saisir ultérieurement l’Autorité dans le cas où l’offre d’accès de France Télécom dans les zones moins denses et dans les zones très denses n’évoluerait pas, pour prendre en compte l’existence de déploiements réalisés par un opérateur d’immeuble tiers.
Sur la compétence de l’Autorité et la recevabilité de la saisine, Quentiop ajoute que :
- la contestation par France Télécom de la légitimité de son intervention ainsi que le refus de France Télécom de devenir client d’un réseau d’initiative publique (« RIP ») ne relèvent pas de la procédure de règlement de différend prévue par l’article L. 36-8 du CPCE ; néanmoins, l’attitude de France Télécom, qui caractérise une discrimination vis-à-vis de Quentiop et le refus d’un exercice normal des relations entre opérateurs, entraîne nécessairement un échec des négociations sur l’accès ;
- concernant la suppression de la consultation de pavage, le règlement de différend est la procédure la plus pertinente dans la mesure où il s’agit de la mise en œuvre pratique de la convention d’accès de France Télécom sur un territoire où Quentiop subit un préjudice direct ;
- concernant les modalités de cofinancement, la demande étant similaire à celle formulée par la société Bouygues Telecom dans le cadre d’une précédente procédure5, la compétence de l’Autorité doit également être admise en l’espèce.
Sur sa demande relative à la suppression de la consultation de pavage et des projets de déploiement de la société France Télécom sur la commune d’Elancourt, Quentiop soutient également que :
- cette demande est la conséquence du refus de France Télécom de justifier ses choix et décisions auprès de Quentiop, alors que la réglementation prévoit que l’opérateur qui procède à une consultation de pavage devrait « justifier du choix réalisé, en cas de désaccord avec l’un [des] acteurs » ;
- France Télécom ne peut arguer du caractère non normatif des recommandations de l’Autorité concernant la consultation de pavage, d’autant plus qu’elle s’est prévalue dans le passé de certaines de ces recommandations ;
- à la suite des commentaires de Quentiop sur le pavage qu’elle a proposé, France Télécom n’a modifié qu’à la marge son projet, ce qui conduit à un risque de doublon inefficace du réseau et/ou des risques de trous de couverture sur le territoire.
Sur sa demande relative aux modalités de cofinancement de la convention de la société France Télécom pour les communes situées intégralement dans les poches de basse densité des zones très denses, Quentiop considère en outre que :
- si l’Autorité s’est prononcée en 2010 sur une demande de même nature dans le cadre d’un précédent règlement de différend6 et a refusé d’y faire droit, ce refus était motivé par l’analyse concurrentielle retenue, qui n’est aujourd’hui applicable qu’aux poches de haute densité des zones très denses, identifiées en 2011 ; en l’espèce, s’agissant de poches de basse densité, les différences d’architecture du réseau et de conditions économiques du déploiement justifient que l’Autorité accède à sa demande ;
- le cofinancement doit être analysé au regard des coûts et des recettes afférentes attendues : pour un opérateur d’opérateurs7, l’équilibre économique du déploiement dépend non seulement de la volonté commerciale des opérateurs de détail, mais également du nombre d’opérateurs auxquels elle est susceptible de proposer l’accès à son réseau ; or, le statut d’opérateur cofinanceur ne permet pas de mettre le réseau à disposition à autant d’opérateurs que le statut de primo-investisseur ;
- le tarif de l’offre de location proposé par la société France Télécom, qui correspond au double du coût de la ligne en cofinancement, est trop élevé et conduirait Quentiop à devoir proposer à ses clients une offre différenciée entre les zones moins denses et les zones très denses, créant un phénomène d’éviction.
Vu les nouvelles observations enregistrées à l’Autorité le 22 avril 2013, présentées par la société France Télécom, par lesquelles elle maintient ses conclusions ;
Sur la demande de Quentiop relative à la suppression de la consultation de pavage et les projets de déploiement de la société France Télécom sur la commune d’Elancourt, la société France Télécom conclut aux mêmes fins et par les mêmes moyens que dans ses observations enregistrées le 2 avril 2013. Elle précise en outre que :
- elle a tenu compte des remarques formulées par Quentiop lors de sa consultation de pavage ;
- Quentiop ne conteste pas que, dans les zones très denses, chaque opérateur a intérêt à déployer son propre réseau.
Sur la demande de Quentiop relative aux modalités de cofinancement de la convention de la société France Télécom pour les communes situées intégralement dans les poches de basse densité des zones très denses, France Télécom conclut aux mêmes fins et par les mêmes moyens que dans ses observations enregistrées le 2 avril 2013. Elle ajoute que :
- Quentiop n’a pas répondu aux arguments de droit et de fait soulevés en défense par France Télécom, concernant notamment l’incompétence de l’Autorité pour statuer sur cette demande et l’irrecevabilité de cette dernière ;
- la demande de Quentiop n’a pas été formalisée avant la saisine de l’Autorité le 8 mars 2013, mais seulement par un courrier en date du 29 mars 2013, ce qui atteste de l’existence de négociations en cours ; en l’absence d’échec des négociations antérieur à la saisine de l’Autorité, la demande de Quentiop est irrecevable ;
- Quentiop ne fournit pas de démonstration du caractère nécessaire de sa demande, qui n’est ni raisonnable, ni justifiée ;
o si la demande de Quentiop était satisfaite, cela conduirait à une remise en cause substantielle du cadre réglementaire existant ainsi que du plan d’affaires de France Télécom en zones très denses ; en effet, la demande de Quentiop conduirait de facto à modifier l’offre d’accès aux lignes FttH en zones très denses de France Télécom pour l’ensemble des opérateurs et à mettre en œuvre sur une même zone deux logiques de cofinancement exclusives l’une de l’autre ;
o les affirmations de Quentiop ne sont pas étayées ; en particulier, Quentiop ne démontre pas l’existence de différences entre un opérateur de gros et un opérateur de détail quant aux risques encourus pour le cofinancement, la nécessité d’appliquer un système de cofinancement par tranche dans les poches de basse densité des zones très denses ou l’affirmation selon laquelle le tarif mensuel de location à la ligne correspondrait au double du coût du cofinancement ;
o contrairement à ce qu’elle soutient, Quentiop n’est pas contrainte de proposer un tarif différent en zones très denses et en zones moins denses, mais peut proposer un tarif péréqué ;
o l’offre de location à la ligne proposée par France Télécom correspond à ses besoins.
Sur la demande de Quentiop relative aux restrictions juridiques que la société France Télécom aurait posées à l’encontre de Quentiop et son refus d’entamer des négociations contractuelles sur la base de leurs offres d’accès respectives, France Télécom conclut aux mêmes fins et par les mêmes moyens que dans ses observations enregistrées le 2 avril 2013. Elle indique également que :
- Quentiop ne répond pas à ses observations en défense ;
- les arguments soulevés par Quentiop dans ses observations en réplique sont entachés de contradiction et de mauvaise foi.
Vu la lettre du directeur des affaires juridiques de l’Autorité en date du 30 avril 2013 invitant les parties à une audience devant le collège le 21 mai 2013 à 14h30 au siège de l’Autorité ;
Après avoir entendu le 21 mai, lors de l'audience devant le collège de l’Autorité (composé de M. Jean-Ludovic Silicani, président, Mmes Françoise Benhamou et Marie- Laure Denis et MM. Pierre-Jean Benghozi, Daniel-Georges Courtois, Philippe Distler et Jacques Stern, membres de l’Autorité) :
- le rapport de Mmes Aurélie Barré et Marie Francfort, rapporteurs présentant les conclusions et les moyens des parties ;
- les observations de M. Sylvain Fritsch et Maître Terence Cabot pour la régie d’exploitation de la fibre optique de Saint-Quentin-en-Yvelines ;
- les observations de MM. Didier Dillard et Philippe Béguin et Mme Anjuna Crespin pour la société France Télécom ;
En présence de :
- M. Guilhem Denizot pour la régie d’exploitation de la fibre optique de Saint-Quentin- en-Yvelines ;
- M. Jean Mazier et Mme Flora Camus pour la société France Télécom ;
- Mme Natacha Dubois, MM. Benoît Loutrel, François Lions, Stéphane Hoynck, Romain Bonenfant, Guillaume Méheut, Laurent Perrin et Christian Guénod, agents de l'Autorité.
Sur la publicité de l'audience
L'article 15 du règlement intérieur susvisé prévoit : « l'audience est publique, sauf demande conjointe de toutes les parties. Si cette demande n'est pas conjointe, le collège de l'Autorité en délibère ».
Les parties n’ont pas demandé que l’audience ne soit pas publique. En conséquence, l’audience a été publique.
Le collège de l’Autorité (composé de M. Jean-Ludovic Silicani, président, Mmes Françoise Benhamou et Marie-Laure Denis et MM. Pierre-Jean Benghozi, Daniel-Georges Courtois et Philippe Distler) en ayant délibéré le 28 mai 2013, hors la présence du rapporteur, du rapporteur adjoint et des agents de l'Autorité, adopte la présente décision fondée sur les motifs exposés ci-après.
1. Contexte et cadre juridique
À titre liminaire, l’Autorité rappelle le contexte dans lequel intervient la présente saisine, en présentant notamment le cadre réglementaire du marché du très haut débit en fibre optique ainsi que le positionnement concurrentiel des parties sur le marché.
1.1. Contexte géographique de la saisine
La communauté d’agglomération de Saint-Quentin-en-Yvelines, située dans le département des Yvelines (78), regroupe sept communes (Elancourt, Guyancourt, la Verrière, Magny-les- Hameaux, Montigny-le-Bretonneux, Trappes-en-Yvelines et Voisins-le-Bretonneux). Selon le recensement de 2007, l’agglomération comptait 146 598 habitants, pour une superficie de 6 742 hectares, soit une densité de 2 174 habitants au km².
Le territoire de la communauté d’agglomération comprend deux communes appartenant à la liste de 148 communes des zones très denses définie dans la décision n° 2009-1106 de l’Autorité en date du 22 décembre 2009 : Elancourt et Guyancourt. Ces deux communes sont intégralement constituées d’IRIS8 qui ont été classés en poches de basse densité. Les cinq autres communes appartiennent à ce qui est communément appelé « les zones moins denses ».
La saisine porte en particulier sur les projets de déploiement annoncés sur la commune d’Elancourt.
1.2. Positionnement des parties sur le marché
D’une part, la régie d’exploitation de la fibre optique de Saint-Quentin-en-Yvelines (« Quentiop ») est un établissement public local industriel et commercial créé par la délibération du conseil communautaire de la communauté d’agglomération de Saint-Quentin- en-Yvelines n° 2009-341 du 22 octobre 2009. Elle est en charge de l’établissement et de l’exploitation d’un réseau en fibre optique jusqu’à l’abonné (réseau dit « FttH » pour Fiber to the Home) sur le territoire de la communauté d’agglomération de Saint-Quentin-en-Yvelines.
Après avoir organisé son appel au cofinancement le 13 mars 2012, Quentiop a lancé sa consultation de pavage9 sur l’ensemble des communes de son territoire le 16 mai 2012 puis initié des déploiements sur le territoire de la communauté d’agglomération.
D’autre part, France Télécom, en réponse à l’appel à manifestation d’intentions d’investissement (ci-après « AMII ») lancé dans le cadre du programme national « très haut débit », a annoncé le 30 janvier 2011 son intention de déployer un réseau en fibre optique sur les cinq communes de la communauté d’agglomération de Saint-Quentin-en Yvelines n’appartenant pas aux zones très denses. France Télécom a, dans un courrier daté du 23 août 2011, fait part à la communauté d’agglomération de son projet de déploiement sur les deux communes du territoire appartenant aux zones très denses (Elancourt et Guyancourt).
France Télécom a, quant à elle, lancé un appel au cofinancement sur la commune d’Elancourt le 2 avril 2012, puis la consultation sur le pavage de cette commune le 5 septembre 2012.
1.3. Cadre réglementaire applicable aux réseaux à très haut débit en fibre optique
Le cadre règlementaire du très haut débit favorise le déploiement de la fibre optique en incitant les acteurs à investir tout en permettant le développement d'une concurrence durable au bénéfice du consommateur.
Plusieurs décisions complémentaires ont été adoptées par l'Autorité pour atteindre ces objectifs, mettant en œuvre
- Une régulation asymétrique des infrastructures de génie civil de France Télécom. Cette régulation permet aux opérateurs alternatifs de déployer leurs réseaux horizontaux dans les infrastructures de France Télécom dans des conditions techniques et économiques raisonnables, sans avoir à dupliquer l’infrastructure existante de génie civil. En effet, une telle duplication serait coûteuse et réduirait de façon significative la capacité des opérateurs alternatifs à déployer des réseaux en fibre optique jusqu’à l’abonné (FttH) ;
- Une régulation symétrique de la partie terminale des réseaux en fibre optique, c’est-à- dire la partie la plus proche des abonnés, dont le cadre juridique a été déterminé par la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l’économie, qui instaure un principe de mutualisation de la partie terminale des réseaux entre opérateurs et confie notamment la définition des modalités de mise en œuvre du principe de mutualisation à l’ARCEP.
L’Autorité a fixé par deux décisions les règles pour la mutualisation de la partie terminale des réseaux en fibre optique jusqu’à l’abonné. Dans un premier temps, la décision n° 2009-1106 du 22 décembre 2009 a défini les modalités de l’accès aux lignes de communications électroniques à très haut débit en fibre optique, et précisé certaines modalités de cet accès spécifiques aux zones très denses du territoire. Dans un second temps, la décision n° 2010-1312 du 14 décembre 2010 a précisé les modalités de l’accès à ces lignes dans le reste du territoire, dans les zones dites « moins denses ».
Le cadre réglementaire mis en place par l’ARCEP dans ses décisions n° 2009-1106 et n° 2010-1312 fixe les règles de mutualisation applicables sur l’ensemble du territoire et prévoit en particulier la fourniture d’une offre d’accès passive au point de mutualisation.
Les conditions techniques et tarifaires de cet accès doivent être raisonnables. En particulier, sur l’ensemble du territoire à l’exception des zones très denses, la zone arrière du point de mutualisation doit, en l’absence d’offre de raccordement distant, regrouper au moins un millier de logements ou locaux à usage professionnel, afin d’assurer à plusieurs opérateurs tiers un raccordement dans des conditions économiques raisonnables.
Dans les zones moins denses, afin que la zone arrière du point de mutualisation s’inscrive de manière cohérente dans un découpage géographique, la définition par l’opérateur d’une maille plus large et sa partition en zones arrière de points de mutualisation doit être soumise à l’ensemble des acteurs par l’opérateur souhaitant déployer un réseau FttH sur une zone donnée. Cette consultation est appelée « consultation de pavage » dans la présente décision.
L’Autorité a souhaité préciser le cadre réglementaire relatif aux modalités de déploiement et de mutualisation des réseaux FttH des zones très denses.
À cet effet, elle a publié, le 23 décembre 2009, une première recommandation, laquelle énonce en particulier que, dans les zones très denses, il est souhaitable que les opérateurs procèdent à une consultation préalable, à l’échelle de la commune, permettant d’identifier l’ensemble des opérateurs souhaitant participer au cofinancement des lignes.
Puis, le 14 juin 2011, l’Autorité a publié une deuxième recommandation traitant en particulier des immeubles de moins de 12 logements ou locaux à usage professionnel de ces zones. L’hétérogénéité des zones très denses conduit à y distinguer des poches de basse densité, constituées essentiellement de petits immeubles et de pavillons. Dans ces poches, une remontée du point de mutualisation en amont dans le réseau est souhaitable afin de garantir le caractère raisonnable des conditions techniques et économiques de l’accès ainsi que la cohérence et la complétude des déploiements, dans un schéma proche de celui retenu pour le reste du territoire situé hors des zones très denses, avec notamment une taille minimale recommandée de 300 lignes pour le point de mutualisation.
2. Sur la demande de Quentiop relative à la suppression de la consultation de pavage effectuée par France Télécom sur la commune d’Elancourt
Conformément aux dispositions du I de l’article L. 36-8 du code des postes et des communications électroniques (« CPCE »), l’Autorité peut être saisie d’un différend « En cas de refus d'accès ou d'interconnexion, d'échec des négociations commerciales ou de désaccord sur la conclusion ou l'exécution d'une convention d'interconnexion ou d'accès à un réseau de communications électroniques […]. Sa décision est motivée et précise les conditions équitables, d'ordre technique et financier, dans lesquelles l'interconnexion ou l'accès doivent être assurés ».
En outre, aux termes des dispositions du II de l’article L. 36-8 du CPCE, « En cas d'échec des négociations, l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes peut également être saisie des différends portant sur : […]
2° bis La mise en œuvre des obligations des opérateurs prévues par le présent titre […], notamment ceux portant sur la conclusion ou l'exécution […] de la convention d'accès prévue à l'article L. 34-8-3 […] ; ».
La compétence de règlement de différend ainsi reconnue à l’Autorité est renforcée par les dispositions de l’article L. 34-8-3 du CPCE, lesquelles énoncent que :
« Toute personne établissant ou ayant établi dans un immeuble bâti ou exploitant une ligne de communications électroniques à très haut débit en fibre optique permettant de desservir un utilisateur final fait droit aux demandes raisonnables d'accès à ladite ligne et aux moyens qui y sont associés émanant d'opérateurs, en vue de fournir des services de communications électroniques à cet utilisateur final.
L'accès est fourni dans des conditions transparentes et non discriminatoires en un point situé, sauf dans les cas définis par l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes, hors des limites de propriété privée et permettant le raccordement effectif d'opérateurs tiers, à des conditions économiques, techniques et d'accessibilité raisonnables. Dans les cas définis par l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes, l'accès peut consister en la mise à disposition d'installations et d'éléments de réseau spécifiques demandés par un opérateur antérieurement à l'équipement de l'immeuble en lignes de communications électroniques à très haut débit en fibre optique, moyennant la prise en charge d'une part équitable des coûts par cet opérateur. Tout refus d'accès est motivé.
Il fait l'objet d'une convention entre les personnes concernées. Celle-ci détermine les conditions techniques et financières de l'accès. Elle est communiquée à l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes à sa demande.
Les différends relatifs à la conclusion ou à l'exécution de la convention prévue au présent article sont soumis à l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes conformément à l'article L. 36-8.
Pour réaliser les objectifs définis à l'article L. 32-1, et notamment en vue d'assurer la cohérence des déploiements et une couverture homogène des zones desservies, l'autorité peut préciser, de manière objective, transparente, non discriminatoire et proportionnée, les modalités de l'accès prévu au présent article ».
Ainsi, en application du I de l’article L. 36-8, l’Autorité est compétente pour régler tous les litiges, survenus par suite d’un échec des négociations, relatifs à la conclusion ou à l’exécution d’une convention d’interconnexion ou d’accès à un réseau de communications électroniques. Cette compétence générale concerne tous les réseaux de communications électroniques, quelle que soit la technologie utilisée.
En outre, en application de l’article L. 34-8-3, complété par le 2° bis du II de l’article L. 36-8, l’Autorité est compétente pour régler les différends relatifs à la conclusion ou à l’exécution d’une convention d’accès aux lignes de communications électroniques à très haut débit en fibre optique (FttH) établies dans un immeuble bâti. Cette compétence particulière illustre, de manière redondante, l’un des cas dans lesquels la compétence générale de l’Autorité en matière de règlements de différends trouve à s’exercer.
En l’espèce, la demande de Quentiop tend à ce que l’Autorité enjoigne à France Télécom de supprimer la consultation de pavage qu’elle a effectuée sur la commune d’Elancourt, d'en informer sans délai l'ensemble des destinataires, et partant de suspendre immédiatement les projets de déploiement sur cette commune.
Cette demande de Quentiop ne porte ni sur la conclusion, ni sur l’exécution d’une convention d’accès aux lignes de communications électroniques à très haut débit en fibre optique de France Télécom.
Par conséquent, l’Autorité n’est pas compétente, dans le cadre d’une procédure de règlement de différend, pour connaître de cette demande.
3. Sur la demande relative à la modification des modalités de cofinancement applicables aux poches de basse densité des zones très denses proposées par France Télécom
3.1. Sur la compétence de l’Autorité
À titre principal, Quentiop demande à l’Autorité d’enjoindre à France Télécom de modifier son offre et les stipulations de sa convention d’accès afin de proposer des modalités de cofinancement, pour les communes des zones très denses intégralement classées en poches de basse densité, identiques à celles que France Télécom propose pour les communes ne relevant pas des zones très denses, a minima pour Elancourt. A titre subsidiaire, Quentiop demande à l’Autorité « d’en neutraliser les conséquences ».
Quentiop relève que, dans le cadre d’un précédent règlement de différend, l’Autorité a admis qu’elle était compétente pour connaître d’une demande similaire.
En défense, la société France Télécom estime que l’Autorité n’est pas compétente pour connaître de la demande de Quentiop. Elle fait valoir que cette demande vise en réalité à remettre en cause le cadre réglementaire défini par l’Autorité, qui ne peut être modifié que dans l’exercice de son pouvoir réglementaire prévu par l’article L. 36-6 du CPCE, aux termes duquel il appartient à l’Autorité de préciser « […] 2° Les prescriptions applicables […] aux conditions techniques et financières de l'accès, conformément à l'article L. 34-8-3 ».
Toutefois, la société France Télécom n’est pas fondée à déduire de cet article l’incompétence de l’Autorité pour connaître de la demande de Quentiop.
D’une part, la compétence de l’Autorité sur le fondement de l’article L. 36-6 du CPCE n’entraîne pas son incompétence pour se prononcer sur une demande de règlement de différend sur le même sujet. Les deux procédures n’ont, en effet, ni le même objet, ni le même effet. Tandis que l’Autorité tient de l’article L. 36-6 du CPCE le pouvoir d’édicter a priori, dans un domaine limité, une règle générale applicable à l’ensemble des opérateurs à compter de son entrée en vigueur, l’article L. 36-8 du même code permet aux opérateurs de demander à l’Autorité de régler un litige déjà né entre eux et de prendre une décision qui ne s’imposera qu’aux parties à la procédure.
La Cour d’appel de Paris, dans un arrêt en date du 19 janvier 2012, a ainsi jugé que « la compétence de l’Autorité sur le fondement de l’article L. 36-6 du CPCE (décision « réglementaire » applicable à tous les opérateurs) n’entraîne pas son incompétence pour se prononcer sur une demande de règlement de différend dans les termes de l’article L. 36-8 du même code (décision qui ne s’impose qu’aux parties à la procédure) portant sur le même sujet ; […] ». Cet arrêt a fait l’objet d’un pourvoi en cassation, rejeté par un arrêt en date du 16 avril 2013. La compétence de l’Autorité pour statuer, dans le cadre d’un règlement de différend, sur les conditions techniques et tarifaires dans lesquelles l’accès doit être fourni à l’opérateur demandeur, a donc été confirmée par la Cour de cassation.
D’autre part, la demande de Quentiop porte sur la modification des modalités financières prévues par l’offre d’accès aux lignes FttH de France Télécom dans les poches de basse densité des zones très denses, en vue de la conclusion d’une convention d’accès à ces lignes. En effet, elle vise à ce que France Télécom propose dans les poches de basse densité des zones très denses des modalités de cofinancement permettant le cofinancement progressif des lignes qu’elle déploie, en passant d’un modèle de partage des coûts au prorata du nombre de cofinanceurs, dans lequel chaque opérateur co-investisseur dispose d’un droit d’accès pérenne à la totalité des lignes, à un modèle où chaque opérateur peut décider de ne cofinancer – et, ainsi, de n’obtenir un droit d’accès pérenne – qu’à une partie des lignes.
Par conséquent, contrairement à ce que soutient France Télécom, l’Autorité est compétente pour se prononcer sur la demande de Quentiop tendant à ce qu’elle enjoigne à France Télécom de modifier les modalités de cofinancement applicables aux poches de basse densité des zones très denses, que cette dernière propose.
3.2. Sur la recevabilité de la demande de Quentiop
À titre liminaire, l’Autorité rappelle qu’une demande de règlement de différend n’est recevable que si elle a été précédée de négociations ayant abouti à un échec. L’existence de négociations effectives implique notamment que la partie qui saisit l’Autorité ait présenté à l’autre partie des demandes précises et motivées et, s’agissant des conditions financières, quantifiées. Il appartient, par ailleurs, à la partie qui saisit l’ARCEP de présenter des demandes précises, sur les plans techniques et tarifaires, selon les cas, de telle sorte que l’Autorité puisse exercer son office, à la fois pour apprécier la recevabilité et le bien-fondé de la demande. En particulier, il appartient au demandeur d’établir par tout moyen que chacune des conclusions qui font l’objet d’une saisine de l’Autorité au titre de son pouvoir de règlement de différend a fait l’objet d’un refus de la part du défendeur ou que de réelles négociations ont abouti à un échec avant cette saisine.
Dans un courrier en date du 21 novembre 2012 adressé à la société France Télécom, Quentiop explique qu’elle ne comprend pas que France Télécom ne tire pas les conséquences de la classification de l’intégralité des communes d’Elancourt et Guyancourt en poches de basse densité en leur appliquant un mode de cofinancement par tranche. Elle ajoute que c’est pour cette raison qu’elle n’a pas répondu à l’appel au cofinancement lancé par France Télécom le 3 avril 2012.
La société France Télécom a répondu à ce courrier par une lettre en date du 10 décembre 2012, dans laquelle elle « confirme […] que les modalités de cofinancement prévues dans [son] offre sont conformes au cadre réglementaire défini pour la zone très dense ».
Par un courrier en date du 23 janvier 2013, Quentiop a envoyé à France Télécom le compte- rendu d’une réunion qui s’est tenue entre elles le 16 janvier 2013. Ce compte-rendu, rédigé par Quentiop, indique que le cofinancement des lignes déployées par France Télécom sur le territoire de Saint-Quentin-en-Yvelines, et notamment à Elancourt, est envisageable, voire souhaitable, sous réserve que cette société propose un cofinancement par tranche sur les communes relevant des poches de basse densité des zones très denses. Quentiop ne rejette pas explicitement la solution alternative proposée par France Télécom, consistant en la souscription de l’offre de location à la ligne, mais formule des réserves à son propos, notamment sur la pérennité des droits et les difficultés en cas de volumes importants. Quentiop conclut en précisant qu’elle a « bien noté que [la société France Télécom] reviendr[a] rapidement vers [elle] sur ce sujet après l’avoir retravaillé en interne ».
Dans un courrier en date du 29 mars 2013, soit trois semaines après la saisine de l’Autorité par Quentiop le 8 mars 2013, la régie réitère son souhait de participer au cofinancement des lignes FttH déployées par France Télécom sous réserve d’un alignement des modalités de cofinancement applicables aux poches de basse densité des zones très denses sur celles des zones moins denses. Quentiop note enfin que « malgré [ses] demandes répétées et [les] promesses de réponses [de France Télécom], [elle] reste en attente sur ce sujet, ce qui constitue le frein essentiel à [la] signature de [l’]offre [de France Télécom] ».
Dans son mémoire de saisine de l’Autorité enregistré le 8 mars 2013, Quentiop demande à l’Autorité d’enjoindre à France Télécom de proposer, dans les communes intégralement en poche de basse densité des zones très denses, des modalités de cofinancement « identiques » à celles qu’elle propose dans les communes ne relevant pas des zones très denses. Quentiop mentionne également que la possibilité de recourir à l’offre de location à la ligne de France Télécom est toujours en discussion. Dans ses observations en date du 12 avril 2013, elle indique cependant que cette offre ne correspond pas à ses attentes.
Dans ses observations en défense en date du 2 avril 2013, la société France Télécom fait valoir que la demande de Quentiop est formulée de façon générale et que cette demande n’a jamais été formalisée auprès d’elle par Quentiop. Elle note que Quentiop ne fournit pas d’éléments caractérisant l’existence d’un différend relatif à son offre d’accès. Dans ses observations enregistrées le 22 avril 2013, elle indique que le courrier du 29 mars 2013 que lui a adressé Quentiop formalise l’existence de discussions en cours relatives à cette demande au moment de la saisine par Quentiop de l’Autorité, attestant que les discussions engagées à ce sujet se poursuivent et qu’ainsi les négociations n’ont pas échoué.
Enfin, lors de l’audience qui s’est tenue le 21 mai 2013 à l’Autorité, Quentiop a évoqué, sans les produire, des éléments quantitatifs résultant d’une analyse économique établissant le bien- fondé de sa demande, lesquels ne figuraient ni dans les échanges intervenus avec France Télécom avant la saisine, ni dans les écritures produites dans le cadre du présent règlement de différend. Par ailleurs, au cours de cette audience, France Télécom a confirmé qu’elle était disposée à poursuivre les négociations avec Quentiop sur ce sujet.
Il apparaît ainsi que, contrairement à ce que soutient la société France Télécom, la question des modalités de cofinancement proposées par France Télécom dans les poches de basse densité des zones très denses a été évoquée une première fois par Quentiop dans le courrier en date du 21 novembre 2012, avant de faire l’objet d’une demande explicite de modification dans le courrier daté du 23 janvier 2013.
Néanmoins, il ressort des pièces du dossier que la demande formulée par Quentiop auprès de France Télécom, avant la saisine de l’Autorité, n’était pas assortie d’éléments permettant à France Télécom d’en identifier précisément la teneur et d’en apprécier les conséquences, notamment financières. En particulier, Quentiop n’a pas indiqué à quelle version de l’offre d’accès de France Télécom elle se référait et n’a pas apporté d’autres précisions sur le périmètre de sa demande. Ainsi, les éléments fournis par Quentiop ne sont pas suffisants pour caractériser l’existence de négociations commerciales au sens de l’article L. 36-8 du CPCE.
Par ailleurs, il apparaît que France Télécom n’a pas explicitement « refusé toute évolution de son offre », ni opposé de fin de non-recevoir à Quentiop. Au contraire, les parties indiquent que des solutions alternatives au cofinancement ont été étudiées. Ainsi que le fait valoir France Télécom, la demande de Quentiop traite d’une question complexe, en raison des impacts économiques potentiels de l’évolution demandée sur le plan d’affaires de cette société. Il est, dès lors, raisonnable que l’examen d’une telle demande puisse nécessiter plusieurs mois d’étude.
Au surplus, les négociations relatives à la modification des modalités de cofinancement applicables aux poches de basse densité des zones très denses proposées par France Télécom se sont poursuivies après la saisine de l’Autorité par Quentiop, le 8 mars 2013. En particulier, dans le courrier en date du 29 mars 2013 qu’elle a adressé à la société France Télécom, Quentiop indique qu’elle « rest[e] en attente sur ce sujet ». Ce dernier courrier atteste ainsi que, à la date de la saisine, Quentiop considérait elle-même que les discussions n’étaient pas closes.
Au vu de ce qui précède, la société Quentiop n’établit pas avoir mené avec France Télécom des négociations suffisantes, assorties de demandes précises et quantifiées, concernant la modification des modalités de cofinancement applicables aux poches de basse densité des zones très denses proposées par France Télécom. Par conséquent, l’Autorité ne peut, en l’état, que constater l’absence d’échec des négociations et rejeter comme irrecevables les conclusions de Quentiop.
4. Sur la demande relative à la suppression des restrictions opposées par France Télécom à Quentiop et la nécessité de lui enjoindre de négocier de bonne foi sur la base de leurs offres d’accès respectives
Quentiop demande à l’Autorité d’enjoindre à France Télécom de « supprimer sans délai l’ensemble des restrictions d’ordre juridique qu’elle a pu poser à l’encontre de la Régie et d’entamer immédiatement et de bonne foi des négociations contractuelles sans préalables permettant la conclusion d’accords contractuels sur la base de leurs offres d’accès respectives ».
Dans sa saisine enregistrée le 8 mars 2013, Quentiop fait valoir que « France Télécom n'empêche nullement la Régie de signer les documents contractuels émis par France Télécom. En revanche, France Télécom exprime clairement son refus de signer, voire de seulement discuter sérieusement et de bonne foi, des propositions contractuelles que lui fait la Régie ». Quentiop relève également que « évidemment France Télécom n'a pas d'obligation de devenir client, cofinanceur ou locataire de lignes de la Régie ».
Dans ses observations enregistrées le 12 avril 2013, Quentiop ajoute que « l'affirmation publique par France Télécom de son refus définitif d'être client, en tant que [fournisseur d’accès à internet], de [réseau d’initiative publique] […] relève […] d'un autre cadre [que la procédure de règlement de différend] ». Elle indique également que « les observations de France Télécom ont apporté une réponse nette bien que partielle à la demande de la Régie. France Télécom a, clairement et ouvertement, reconnu que la Régie est un opérateur FttH, respectant le cadre réglementaire édicté par l'Autorité, et France Télécom ne peut plus, pour le passé comme pour l'avenir, refuser de prendre en considération les éléments conformes à la réglementation que lui adresse la Régie (Offre de référence, consultations,...) ».
En premier lieu, la demande de Quentiop, en ce qu’elle tend à ce que l’Autorité enjoigne à France Télécom de supprimer les restrictions juridiques posées à son encontre, ne peut, en tout état de cause, qu’être rejetée, Quentiop ne précisant pas quelles sont les restrictions juridiques qui lui auraient été opposées par France Télécom et dont elle demande la suppression.
En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier que la demande de Quentiop, en ce qu’elle tend à ce que l’Autorité enjoigne à France Télécom de négocier de bonne foi sur la base de l’offre d’accès de France Télécom, ne peut, en tout état de cause, qu’être rejetée, Quentiop indiquant dans ses écritures que France Télécom ne l’empêche pas de souscrire à son offre d’accès.
En troisième lieu, il apparaît que, en tant qu’elle vise à ce que l’Autorité enjoigne à France Télécom de négocier de bonne foi sur la base de son offre d’accès, la demande de Quentiop doit être rejetée.
En effet, comme le reconnaît par ailleurs France Télécom, Quentiop est un opérateur déclaré auprès de l’Autorité en application de l’article L. 33-1 du CPCE. A ce titre, Quentiop, à l’instar de tout opérateur déployant un réseau d’initiative publique, est libre d’établir et d’exploiter un réseau ouvert au public sur toutes parties du territoire, sous réserve, notamment, du respect des dispositions de l’article L. 1425-1 du code général des collectivités territoriales et du cadre de l’Union européenne relatif aux aides d’Etat.
En revanche, aucun texte ne prévoit le droit pour l’opérateur établissant un réseau de desserte FttH d’imposer à un opérateur tiers l’utilisation de son réseau, ni l’obligation pour l’opérateur tiers de cofinancer ou d’exploiter les lignes FttH établies par le premier opérateur. D’ailleurs,
Quentiop ne se prévaut pas non plus de considérations qui commanderaient, en équité, d’imposer à France Télécom une telle obligation. Comme le relève Quentiop, France Télécom n’a pas l’obligation de souscrire aux offres de cofinancement ou de location à la ligne qu’elle propose. Il en découle nécessairement que France Télécom n’a pas non plus l’obligation de négocier avec Quentiop sur la base des offres proposées par cette dernière. En outre, Quentiop relève elle-même que le refus de France Télécom de devenir client d’un RIP ne relève pas de la procédure de règlement de différend.
Il résulte de tout ce qui précède que les conclusions de Quentiop doivent être intégralement rejetées.
Décide :
Article 1 : Les conclusions présentées par la régie d’exploitation de la fibre optique de Saint- Quentin-en-Yvelines (Quentiop) sont rejetées.
Article 2 : Le directeur des affaires juridiques de l’Autorité est chargé de notifier à la régie d’exploitation de la fibre optique de Saint-Quentin-en-Yvelines et à la société France Télécom la présente décision, qui sera publiée sous réserve des secrets protégés par la loi.
Notes :
1 On entend par « acteurs concernés » la liste des acteurs précisée en page 12 de la recommandation de l’Autorité en date du 14 juin 2011 portant sur les modalités de l’accès aux lignes à très haut débit en fibre optique pour certains immeubles des zones très denses, notamment ceux de moins de douze logements, c’est-à-dire a minima :
- les opérateurs présents sur la liste prévue par l’article R. 9-2 du CPCE ;
- la ou les communes dans lesquels sont inclus les IRIS concernés par la consultation sur le pavage ;
- la collectivité territoriale ou le groupement de collectivités territoriales portant un schéma directeur territorial d’aménagement numérique tel que défini à l’article L. 1425-2 du CGCT lorsque celui-ci existe ; le cas échéant, le groupement de collectivités territoriales compétent au sens de l’article L. 1425-1 du CGCT ;
- l’Autorité.
(Toutes les notes de bas de page sont de l’Autorité.)
2 Parmi les communes du territoire de la communauté d’agglomération de Saint-Quentin-en-Yvelines (Elancourt, Guyancourt, La Verrière, Magny-les-Hameaux, Montigny-le-Bretonneux, Trappes-en-Yvelines et Voisins-le- Bretonneux), seules les communes d’Elancourt et de Guyancourt ont été classées en zones très denses. Toutes les deux sont intégralement constituées d’IRIS de basse densité.
3 On entend par cofinancement en « 1/N » un partage des coûts dans lequel les tarifs pour chacun des co- investisseurs correspondent globalement aux coûts divisés par le nombre d’opérateurs co-investisseurs. En échange de ce tarif, l’opérateur commercial a la possibilité d’exploiter jusqu’à 100% des lignes de la maille de co-investissement.
4 On entend par cofinancement « par tranches » la possibilité pour les opérateurs commerciaux d’acheter des droits d’accès pérennes à un nombre réduit de lignes de la maille de co-investissement (par exemple une ou plusieurs tranches de 5% des lignes d’une commune), pour un tarif correspondant à une fraction des coûts.
5 Décision n° 2010-1232 en date du 16 novembre 2010 se prononçant sur une demande de règlement de différend opposant les sociétés Bouygues Telecom et France Télécom.
6 Ibid.
7 On désigne par « opérateur d’opérateurs » un opérateur qui intervient exclusivement sur le marché de gros de l’accès, par opposition au marché de détail de la vente de services de communications électroniques.
8 Ilots Regroupés pour l'Information Statistique. http://www.insee.fr/fr/methodes/default.asp?page=definitions/iris.htm
9 La consultation de pavage est un outil favorisant la cohérence et la complétude des déploiements dans une zone donnée. Dans les zones très denses du territoire, en particulier dans les poches de basse densité, les opérateurs peuvent décider de procéder à une telle consultation et recueillir l’avis des acteurs intéressés sur la maille géographique retenue et sa partition en zones arrière de point de mutualisation. Une telle démarche favorise notamment l’élaboration d’un plan de déploiement permettant une couverture ultérieure des logements des zones arrière de point de mutualisation restantes et par conséquent, à terme, une couverture homogène de l’ensemble du territoire. Elle permet par ailleurs aux acteurs intéressés, à l’instar de Quentiop à propos de la consultation de pavage menée par France Télécom sur le territoire d’Elancourt, de formuler des remarques concernant l’éventuel oubli de certains bâtiments dans le pavage ou l’opportunité de les rattacher à telle ou telle zone arrière dans un souci d’optimisation des conditions économiques du déploiement et de l’accès.