Cass. crim., 15 décembre 2015, n° 14-85.570
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Guérin
Rapporteur :
M. Monfort
Avocat général :
M. Desportes
Avocat :
SCP Le Bret-Desaché
Joignant les pourvois en raison de la connexité ;
I-Sur le pourvoi formé par M. Romain Y... :
Attendu qu'aucun moyen n'est produit ;
II-Sur le pourvoi formé par M. Aymeric X...:
Vu le mémoire produit ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure que, le 19 octobre 2013, à Metz, il a été constaté que plusieurs panneaux indicateurs de noms de rue avaient été recouverts d'affichettes faisant référence à la religion musulmane, mentionnant : " rue du Niquab ", " rue de la Lapidation ", " place Allah Akbar ", " rue de la Charia ", un panneau d'entrée de la ville étant revêtu de l'inscription " Metz la Mosquée " ; qu'identifiés comme étant les auteurs des faits, MM. Y... et X..., qui expliquaient avoir agi ainsi pour protester contre la construction d'une mosquée, ont été poursuivis du chef de provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence envers un groupe de personnes à raison de leur religion, et convoqués par la voie de procès-verbaux délivrés par un officier de police judiciaire, notifiés le 28 novembre 2013, pour comparaître à l'audience du tribunal correctionnel du 12 décembre suivant ; que les prévenus n'ont pas comparu ; que, le tribunal les ayant renvoyés des fins de la poursuite, le procureur de la République a relevé appel de cette décision ;
En cet état :
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 390, 390-1, 397-6, 591, 593 du code de procédure pénale et 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, défaut de motifs, manque de base légale ;
" en ce que l'arrêt attaqué, après avoir prononcé la nullité de la citation et du jugement a évoqué au fond, retenu la culpabilité du prévenu, et l'a condamné pénalement ;
" aux motifs que, les deux prévenus soutiennent que les articles 50 et 53 de la loi du 29 juillet 1881, dérogatoires au droit commun, proscrivent la convocation par officier de police judiciaire puisqu'elle n'admet que trois modes d'engagement de l'action publique, le réquisitoire introductif, la plainte avec constitution de partie civile et la citation à comparaître par voie d'huissier ; qu'en outre, l'article 397-6 exclut expressément la convocation par officier de police judiciaire en matière de presse ; qu'en l'espèce, aux termes de l'article 390-1 du code de procédure pénale, vaut citation à personne la convocation en justice notifiée au prévenu sur instruction du procureur de la république par un officier ou agent de police judiciaire ; que dès lors, les convocations délivrées par officier de police judiciaire aux deux prévenus, à la demande du procureur de la république, répondent aux dispositions de l'article 53 de la loi du 29 juillet 1881, qui vise à l'engagement des poursuites via citation, les dites convocations valant citations ; que s'agissant de l'article 397-6 du code pénal, il vise les poursuites engagées suivant la procédure de comparution immédiate qui est effectivement exclue en matière de délit de presse mais qui n'est pas en cause en l'espèce ;
" alors que les articles 393 à 397-5 du code de procédure pénale ont trait à la procédure de convocation par procès-verbal et de comparution immédiate ; qu'aux termes de l'article 397-6 du code de procédure pénale, les dispositions des articles 393 à 397-5 ne sont pas applicables en matière de délit de presse ; qu'il s'ensuit qu'en cette matière la citation du prévenu devant le tribunal doit avoir lieu par voie d'exploit d'huissier dans les conditions de forme et de fond requises par les articles 550 à 566 du code de procédure pénale ; qu'en l'espèce, pour valider la saisine par voie de convocation par procès-verbal, la cour d'appel énonce qu'aux termes de l'article 390-1 du code de procédure pénale, vaut citation à personne la convocation en justice notifiée au prévenu par un officier ou agent de police judiciaire ; que l'article 397-6 du code pénal vise les poursuites engagées suivant la procédure de comparution immédiate qui est effectivement exclue en matière de délit de presse mais qui n'est pas en cause en l'espèce, qu'en statuant ainsi, les juges du second degré ont méconnu les textes susvisés, en autorisant la convocation par procès-verbal, expressément exclue par l'article 397-6 du même code, en matière de délit de presse " ;
Attendu que, pour écarter l'exception de nullité de la poursuite, motif pris d'une prohibition légale de recourir, en matière de délits de presse, à la procédure de convocation par procès-verbal, l'arrêt prononce par les motifs repris au moyen ;
Attendu qu'en se déterminant ainsi, la cour d'appel a fait une exacte application de la loi, dès lors que la poursuite par la voie de la convocation en justice notifiée au prévenu, sur instructions du procureur de la République, valant citation à personne, prévue par l'article 390-1 du code de procédure pénale, ne figure pas au rang des procédures inapplicables aux délits de presse, limitativement énumérées par l'article 397-6 du même code ;
D'où il suit que le moyen doit être écarté ;
Mais sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, 53, 54 de la loi du 29 juillet 1881, 509, 512, 553, 565, 591, 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
" en ce que l'arrêt attaqué, après avoir prononcé la nullité de la citation et du jugement a évoqué au fond, retenu la culpabilité du prévenu, et l'a condamné pénalement ;
" aux motifs que, sur la violation du respect du délai de l'article 54 de la loi du 29 juillet 1881 : que les deux prévenus font soutenir que le délai de 20 jours entre la citation et la comparution prévue par l'article 54 de la loi du 29 juillet 1881, applicable n'a pas été respecté puisque qu'ils ont été convoqués devant le tribunal correctionnel le 28 novembre 2013 pour l'audience du 12 décembre 2013 ; qu'en l'espèce, il n'est pas contesté que moins de vingt jours se sont écoulés entre la convocation valant citation à personne de chacun des prévenus et la date à laquelle ils devaient comparaître devant le tribunal correctionnel ; qu'il résulte de la combinaison des articles 54 de la loi du 29 juillet 1881 et 553-1 du code de procédure pénale que lorsque la partie citée ne se présente pas, la citation délivrée en violation de l'article 54 est entachée de nullité et ne saisit pas la juridiction répressive de l'action publique ; que tel est bien le cas en l'espèce et le jugement rendu par le tribunal correctionnel de Metz, le 28 novembre 2013, est nul ; qu'aux termes de l'article 520 du code de procédure pénale, le jugement étant annulé pour violation non réparée de formalités prescrites par la loi à peine de nullité, il y a lieu à évocation et à statuer sur le fond, après avoir statué sur la nullité des citations en appel soulevée, étant rappelé que l'évocation prévue est conforme au principe constitutionnel et au protocole additionnel n° 7 de la CEDH ; les deux prévenus soutiennent que n'ayant pas été valablement cités en première instance, il appartenait au parquet général de désigner précisément les faits et leur qualification juridique en appel conformément aux exigences à peine de nullité de l'article 53 de la loi du 29 juillet 1880 ; qu'en l'espèce, la cédule fait état sans autre précision une qualification juridique et d'un jugement de relaxe sans la moindre articulation des faits poursuivis ; qu'aux termes de l'article 512 du code de procédure pénale, les règles édictées pour le tribunal correctionnel sont applicables devant la cour d'appel et dès lors les règles régissant les citations introductives d'instance sont applicables aux citations en appel ; qu'en outre, et aux termes de l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, tout accusé a droit à être informé dans les plus courts délais d'une manière détaillée de la nature et de la cause de l'accusation portée contre lui, ce qui n'est pas le cas en l'espèce ; qu'en l'espèce, la cour a donc été saisie régulièrement par l'appel interjeté par le ministère public le 20 décembre 2013, à l'encontre du jugement incriminé ; que la citation à comparaître devant la cour d'appel a seulement pour effet d'informer les parties de la date à laquelle l'affaire doit être appelée et n'est pas soumise aux prescriptions de l'article 551 du code de procédure pénale ni non plus en conséquence à l'article 53 de la loi du 29 juillet 1881 ; que les deux prévenus ont été effectivement informés d'une manière détaillée de la nature et de la cause de l'accusation portée contre eux ainsi que des textes de loi prévoyant la prévention, via le jugement discuté, régulièrement notifié à personne le 13 février 2014, (M. Y...) et le 7 mars 2014, (M. X...) ; que chacun des prévenus a dès lors été informé, plus de trois mois avant la date d'audience, d'une manière détaillée de la nature et de la cause de l'accusation portée contre eux, les prescriptions de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme étant ainsi satisfaites ;
" 1°) alors que, lorsque la partie citée ne se présente pas, la citation délivrée en violation de l'article 54 de la loi du 29 juillet 1881, est entachée de nullité en application de l'article 553-1° du code de procédure pénale, et ne saisit la juridiction répressive ni de l'action civile ni de l'action publique ; qu'en conséquence, la cour d'appel ne pouvait évoquer et statuer au fond ; qu'en l'espèce, après avoir constaté l'absence de la partie civile devant les premiers juges ainsi que la nullité de la citation et du jugement en vertu des dispositions précitées, la cour d'appel aurait dû tirer de ses constatations la conséquence juridique qui en découlait, à savoir qu'elle ne pouvait évoquer et statuer sur le fond ; qu'en s'en abstenant, elle a violé les textes précités ;
" 2°) alors que, après avoir jugé que la citation n'avait pas valablement saisi le tribunal de l'action publique, et prononcé la nullité du jugement, la cour d'appel, qui énonce que l'affaire lui était dévolue dans les limites de l'acte d'appel et par la qualité de l'appelant, se devait d'en déduire l'irrecevabilité de l'appel du ministère public, dès lors que le jugement rendu en première instance en l'absence du prévenu lui était inopposable et ne pouvait valablement ni fixer la saisine de la juridiction du second degré, ni informer le prévenu des faits poursuivis et de leur qualification juridique comme l'exige l'article 53 de la loi du 29 juillet 1881 ; qu'en estimant que les droits de la défense avaient été respectés devant la cour d'appel par la notification de ce jugement plus de trois mois avant l'audience, la cour d'appel a méconnu le droit du prévenu à un procès équitable au sens de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme " ;
Vu les articles 54 de la loi du 29 juillet 1881 et 553-1° du code de procédure pénale ;
Attendu que, selon le premier de ces textes, en matière de délits de presse, le délai entre la citation et la comparution sera de vingt jours outre un jour par cinq myriamètres de distance ;
Attendu que, selon le second, si le délai légal entre le jour où la citation est délivrée et le jour fixé pour la comparution devant le tribunal correctionnel n'a pas été observé, la citation doit être déclarée nulle dans le cas où la partie citée ne se présente pas ;
Attendu que, pour écarter l'exception de nullité de la procédure, présentée par les prévenus, motif pris de l'inobservation du délai de comparution lors de la convocation en justice initiale, en l'état d'un délai inférieur à vingt jours, l'arrêt retient que, si ce délai n'a, de fait, pas été respecté, et si, par voie de conséquence, le jugement doit être annulé, la cour doit évoquer l'affaire, constater qu'elle a été régulièrement saisie par l'appel du ministère public, et que, les prévenus ayant été effectivement informés de l'accusation portée contre eux par la notification qui leur a été faite du jugement de première instance, les prescriptions de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme sont satisfaites ;
Mais attendu qu'en statuant ainsi, alors que moins de vingt jours s'étaient écoulés entre la notification des convocations en justice et la date à laquelle les prévenus devaient comparaître devant le tribunal, que les prévenus ne s'étaient pas présentés à l'audience, et que les convocations en justice devaient, en conséquence, être annulées, sans que les juges d'appel puissent évoquer, l'action publique n'étant pas régulièrement mise en mouvement, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés et les principes ci-dessus rappelés ;
D'où il suit que la cassation est encourue ; qu'elle aura lieu sans renvoi, la Cour de cassation étant en mesure d'appliquer directement la règle de droit et de mettre fin au litige, ainsi que le permet l'article L. 411-3 du code de l'organisation judiciaire ;
Par ces motifs, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens proposés :
I-Sur le pourvoi formé par M. Romain Y... :
LE REJETTE ;
II-Sur le pourvoi formé par M. Aymeric X...:
CASSE et ANNULE, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Metz, en date du 9 juillet 2014, en ses seules dispositions relatives à M. Aymeric X..., toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi.