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Décisions

ARCEP, 20 février 2012, n° 2012-0365

ARCEP

se prononçant sur une demande de règlement de différend opposant les sociétés Dauphin Telecom et France Télécom

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Silicani

Membre :

Mme Benhamou, Mme Denis, M. Courtois, M. Coutant, M. Rapone, M. Stern

ARCEP n° 2012-0365

19 février 2012

Vu le code des postes et des communications électroniques (ci-après CPCE), notamment ses articles L. 36-8 et R. 11-1 ;

Vu la décision n° 01-0365 de l’Autorité de régulation des télécommunications en date du 11 avril 2001 attribuant des ressources en numérotation à la société Dauphin Telecom (numéros de la forme 08 09 13 MC DU) ;

Vu la décision n° 05-1084 de l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes en date du 15 décembre 2005 approuvant les règles de gestion du plan national de numérotation ;

Vu la décision n° 05-1085 modifiée de l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes en date du 15 décembre 2005 fixant l'utilisation des catégories de numéros du plan national de numérotation ;

Vu la décision n° 06-1007 de l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes en date du 7 décembre 2006 portant sur les obligations de comptabilisation des coûts et de séparation comptable imposées à France Télécom ;

Vu la décision n° 2007-0213 de l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes en date du 16 avril 2007 portant sur les obligations imposées aux opérateurs qui contrôlent l'accès à l'utilisateur final pour l'acheminement des communications à destination des services à valeur ajoutée (SVA dans la suite de la décision) ;

Vu la décision n° 2008-0896 de l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes en date du 29 juillet 2008 portant sur la définition des marchés pertinents de la téléphonie fixe, la désignation d'opérateurs exerçant une influence significative sur ces marchés et les obligations imposées à ce titre ;

Vu le règlement intérieur de l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes, modifié par la décision n° 2010-1354 de l’Autorité en date du 16 décembre 2010 ;

Une   demande   de   règlement   de   différend   a    été   enregistrée    à    l’Autorité   le 25 novembre 2011, présentée par la société Dauphin Telecom, société par actions simplifiée, immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Basse Terre sous le numéro B 419 964 010, dont le siège social est situé 12, rue de la république, Marigot, à Saint-Martin (97150), prise en la personne de son président M. Alain Haillant et représentée par le cabinet Bird&Bird.

La société Dauphin Telecom demande à l’Autorité :

- d’ordonner « à France Télécom d’abandonner la facturation de la majoration SVA ou de la réduire à hauteur de 0 € depuis qu’elle a introduit ladite facturation dans les factures adressées à Dauphin Telecom, ce qui d’après France Télécom remonterait à juillet 1999 » ;

- de condamner France Télécom à lui « rembourser l’ensemble des sommes perçues au titre de la majoration SVA dans un délai de 30 jours courant à compter de la décision de l’Autorité. »

Dauphin Telecom soutient qu’elle est victime de la facturation d’un supplément intitulé par France Télécom « majoration SVA » pour tous les appels effectués au départ de la boucle locale de France Télécom pour les numéros de la tranche 08 09 13 MC DU, attribués en 2001 par l’ARCEP à Dauphin Telecom et utilisés par ses clients de cartes prépayées pour qu’ils puissent accéder à son réseau et ses services.

Dauphin Telecom expose qu’elle a seulement découvert cette surfacturation en 2010, à l’occasion d’un audit des factures de France Télécom, ces dernières ne présentant pas le niveau de détail requis pour relever, à leur simple lecture, cette facturation indue.

Dauphin Telecom indique que France Télécom ayant opposé un refus à tout remboursement ou remise en cause de cette pratique, elle a saisi le tribunal de commerce de Paris, en date du 15 octobre 2010, pour obtenir le remboursement des sommes indues correspondant à la facturation de cette majoration depuis 2005. Le Tribunal a fait droit à sa demande avec exécution provisoire dans un jugement du 12 mai 2011.

Dauphin  Telecom  indique  que   France   Télécom   a   fait   appel   de   ce   jugement   le   1er septembre 2011.

Dans ce contexte, Dauphin Telecom a décidé de porter le différend devant l’ARCEP afin que l’Autorité se prononce sur la légitimité de la facturation de la majoration SVA par France Télécom.

Sur la compétence de l’Autorité et la recevabilité de la demande, Dauphin Telecom soutient que :

- l’Autorité est compétente en application de l’article L. 36-8 du CPCE ;

- le fait que le présent litige ait été porté devant le juge judiciaire ne constitue pas un obstacle à la recevabilité de sa demande devant l’Autorité, la compétence du juge judiciaire n’étant pas exclusive de celle de l’Autorité ;

- sur la période litigieuse devant être prise en compte par l’Autorité, Dauphin Telecom estime   bien   fondé,   conformément   à   l’arrêt   de   la   Cour   de   cassation   du   14 décembre 2010 et au regard de l’article D. 307, II, du CPCE, de demander la réduction à 0 € de la facturation de la majoration SVA depuis juillet 1999 ;

- Dauphin Telecom indique qu’entre le 15 février et le 30 juin 2010, elle a échangé avec France Télécom plusieurs courriers d’où il résulte que les parties n’ont pas réussi à rapprocher leurs points de vue.

Sur le fond et en premier lieu, Dauphin Telecom soutient que la majoration SVA ne s’applique pas aux numéros de la tranche 08 09 13 MC DU qu’elle utilise. Selon elle, la qualification d’un numéro en numéro d’accès à un service à valeur ajoutée dépend de l’utilisation effective dudit numéro ; elle considère donc que le numéro 08 09 13 MC DU n’en fait pas partie. A cet égard, Dauphin Telecom énonce que la convention d’interconnexion conclue le 5 juillet 1999 ne prévoit pas l’application d’une majoration SVA pour tous les appels à destination des numéros commençant par 08.

En second lieu, Dauphin Telecom affirme que, quand bien même on assimilerait ces numéros à des numéros SVA, en l’absence de coût associé à la prestation « service après-vente »,  ladite majoration doit être ramenée à un tarif de 0 € ou aussi proche que possible de zéro, dès lors que :

 

- conformément à la décision n° 2010-1254 de l’ARCEP, en date du 25 novembre 2010, se prononçant sur une demande de règlement de différend opposant les sociétés SFR  et France Télécom, le périmètre de la prestation justifiant la majoration SVA doit être limité aux seuls incidents techniques relatifs à l’acheminement des communications vers les numéros 08 de la responsabilité d’un opérateur autre que France Télécom ;

- le tarif de France Télécom appliqué aux prestations de majoration SVA doit être orienté vers les coûts ;

- en l’absence de démonstration par France Télécom de la réalité de ses prestations, le tarif ne peut qu’être égal à zéro.

Par courrier en date du 30 novembre 2011, le directeur des affaires juridiques de l’Autorité a transmis aux parties le calendrier prévisionnel de dépôt des mémoires et a désigné les rapporteurs.

Des observations en défense ont été enregistrées à l’Autorité le 26 décembre 2011, présentées par la société France Télécom, société anonyme, immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Paris sous le numéro 380 129 866, dont le siège social est situé 6, place d’Alleray, à Paris (75505 Cedex 15) et, représentée par M. Eric Debroeck, directeur des affaires règlementaires.

France Télécom demande à l’Autorité, à titre principal, de déclarer irrecevables les demandes présentées par la société Dauphin Telecom pour la période antérieure au 30 juin 2010, et à titre subsidiaire, de rejeter l’ensemble des demandes de Dauphin Telecom au titre de cette saisine.

France Télécom soutient que cette saisine est irrecevable aux motifs suivants :

- le tribunal de commerce a fait l’objet d’une saisine antérieure et une procédure est pendante devant la Cour d’appel de Paris qui porte sur des demandes identiques, hormis la période litigieuse qui a été reculée à 1999 dans le cadre du présent différend au lieu de mars 2005 devant les juridictions judiciaires ;

- la saisine de l’ARCEP tendant à la voir se prononcer sur une action en répétition de l’indu est contraire à la mission attribuée à l’ARCEP au sens de l’article L. 36-8 du CPCE ;

- en fixant rétroactivement la période litigieuse à juillet 1999, Dauphin Telecom méconnaît la portée de l’arrêt de la Cour de cassation du 14 décembre 2010 qui veut qu’après avoir analysé dans un premier temps la recevabilité de la saisine, l’ARCEP se prononce dans un second temps, en fonction d’éléments matérialisant la contestation, sur l’effet rétroactif de sa décision. Sur ce point, France Télécom considère que :

· ce n’est que le courrier de France Télécom du 30 juin 2010 qui a confirmé le désaccord entre les parties, d’où il suit que l’Autorité devra retenir cette date comme point de départ de la période litigieuse ;

· Dauphin Telecom ne peut présenter une demande à l’Autorité remontant 12 ans en arrière pour agir en action en répétition de l’indu alors même qu’en vertu de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, une partie des factures sont prescrites.

Sur le fond et en premier lieu, France Télécom soutient que les numéros 08 09 13 MC DU pour lesquels est appliquée une majoration SVA font partie des services à valeur ajoutée conformément au cadre réglementaire établi par l’ARCEP.

En deuxième lieu, elle rappelle que les tarifs appliqués à la majoration SVA par France Télécom ont été régulièrement approuvés par l’ARCEP jusqu’en 2005 et que, depuis, les offres de référence de France Télécom n’ont pas été remises en cause par l’Autorité.

Elle indique que, par sa décision n° 2010-1254 de règlement de différend, l’Autorité a fait évoluer la méthode de répartition des coûts inhérents au SAV en revenant à la définition stricto sensu de la prestation de majoration SVA au travers du seul accueil SVA, ce qui ne saurait être interprété comme une volonté de remettre en cause des coûts qui y sont afférents.

Elle considère ainsi que Dauphin Telecom ne peut valablement affirmer que la composante de majoration SVA n’aurait pas de réalité et que les coûts encourus par France Télécom ne sauraient se réduire au nombre de tickets d’incidents.

En troisième lieu,  France  Télécom  informe  l’Autorité  qu’en  application  de  la  décision  n° 2010-1254, elle a appliqué, à compter du 3 janvier 2011, à l’ensemble des opérateurs les tarifs de majoration SVA fixés par l’Autorité dans ladite décision et qu’elle a informé en    mai 2011 les opérateurs, d’une part, de l’arrêt de la facturation de majoration SVA à compter du 1er juin 2011 et, d’autre part, de l’augmentation de ses tarifs de commissionnement à compter du 2 août 2011 facturés au titre du compte de reversement.

Des observations en réplique, présentées par la société Dauphin Telecom, ont été enregistrées à l’Autorité le 12 janvier 2012, par lesquelles elle maintient ses demandes.

Dauphin Telecom maintient que la période devant être prise en considération par l’Autorité débute en 1999 et que ses demandes sont recevables bien qu’elle ait saisi le juge du contrat.

Elle précise qu’elle a saisi l’Autorité afin qu’elle se prononce sur l’application aux faits d’espèce de la solution retenue dans sa décision n° 2010-1254 et que la Cour d’appel puisse ensuite s’y référer.

Sur le fond, Dauphin Telecom indique qu’elle n’entend pas discuter dans le détail les arguments présentés par France Télécom sur la question de la qualification des services d’appels gratuits car ce débat est devenu superfétatoire.

Sur les prestations de maintenance réalisées par France Télécom, Dauphin Telecom estime que France Télécom n’apporte pas d’éléments de preuve d’un quelconque service rendu en pratique.

Elle prend acte que France Télécom reconnait lui avoir appliqué, à compter du 3 janvier 2011, la décision n° 2010-1254 mais ajoute qu’elle ne peut pas en avoir la certitude, faute de factures claires et en raison des déclarations contradictoires de France Télécom à cet égard.

Des nouvelles observations en défense, présentées par la société France Télécom, ont été enregistrées à l’Autorité le 27 janvier 2012, par lesquelles elle persiste dans ses conclusions et moyens.

A titre liminaire, France Télécom affirme que Dauphin Telecom a toujours eu accès aux annexes de ses factures transmises sur cdrom ou disquettes, puis en ligne sur le web opérateurs, et a ainsi eu connaissance du détail des prestations d’interconnexion fournies.

Sur la recevabilité de la saisine, France Télécom maintient que :

- les demandes portées devant l’Autorité et le Tribunal de commerce sont identiques, et qu’une demande en répétition de l’indu ne ressort pas de la compétence de l’ARCEP au titre de l’article L. 36-8 du CPCE ;

- la demande rétroactive de Dauphin Telecom conduit à méconnaître les règles de prescriptions légales ;

- l’arrêt de la Cour de cassation précité ne vise que la question de l’analyse de la recevabilité d’une demande, et non celle de la légitimité de la modification rétroactive des tarifs.

Sur le fond, concernant la réglementation applicable aux SVA et la prestation de maintenance réalisée par France Télécom, celle-ci maintient l’argumentation développée dans ses précédentes écritures.

Par un courrier en date du 8 février 2012, le directeur des affaires juridiques de l’Autorité a transmis un questionnaire aux parties.

Les réponses au questionnaire de la société Dauphin Telecom ont été enregistrées à l’Autorité le 24 février 2012.

Les réponses au questionnaire de la société France Télécom ont été enregistrées à l’Autorité le 24 février 2012.

Vu les autres pièces du dossier ;

Après avoir entendu le 13 mars 2012, lors de l'audience devant le collège de l’Autorité (composé de M. Jean-Ludovic Silicani, président, Mmes Françoise Benhamou et Marie- Laure Denis et MM. Daniel-Georges Courtois, Jérôme Coutant, Denis Rapone et Jacques Stern, membres de l’Autorité) :

- le rapport de Mme Agathe Pietrantoni, présentant les conclusions et les moyens des parties ;

- les observations de Maître Dupuis-Toubol et Mme Eve Riboud, pour la société Dauphin Telecom ;

- les observations de M. Didier Dillard, pour la société France Télécom ; En présence de :

- Maître Maud de Galard et Mme Florence Philippon, pour la société  Dauphin  Telecom ;

- M. Gabriel Lluch, Mmes Estelle Messéant et Françoise Trevisani, pour la société France Télécom ;

- M. Philippe Distler, directeur général, MM. Stéphane Hoynck et François Lions, directeurs généraux adjoints, M. Thibaud Furette, rapporteur, Mmes Isabelle Caron et Natacha Dubois, M. Christian Guénod, agents de l’Autorité ;

Sur la publicité de l'audience

L'article 15 du règlement intérieur susvisé prévoit : « l'audience est publique, sauf demande conjointe de toutes les parties. Si cette demande n'est pas conjointe, le collège de l'Autorité en délibère ».

La société Dauphin Telecom a demandé, par courriel en date du 2 mars 2012, que l’audience se déroule à huis clos. Par courrier en date du 5 mars 2012, la société France Télécom a également indiqué souhaiter que l’audience ne soit pas publique.

En conséquence, l’audience n’a pas été publique.

Le collège de l’Autorité (composé de M. Jean-Ludovic Silicani, président, Mmes Françoise Benhamou et Marie-Laure Denis et MM. Daniel-Georges Courtois, Jérôme Coutant, Denis Rapone et Jacques Stern, membres de l’Autorité) en ayant délibéré le 20 mars 2012, hors la présence des rapporteurs et des agents de l'Autorité, adopte la présente décision.

I.          Sur le contexte du règlement de différend

La demande de règlement de différend déposée par la société Dauphin Telecom à l’encontre de la société France Télécom porte sur les tarifs de la prestation de majoration services à valeur ajoutée (SVA) de France Télécom.

L’Autorité rappelle ci-après les principaux éléments de contexte de ce règlement de différend.

 

1.       Les numéros d’accès à des services à valeur ajoutée (numéros SVA)

La décision n° 05-1085 susvisée fixe l’utilisation des catégories de numéros du plan national de numérotation. Elle précise en particulier que « les numéros d’accès à des services à valeur ajoutée sont notamment les numéros dont la valeur de Z est 8, les numéros à quatre chiffres de la forme 3BPQ, appelés numéros courts et les numéros à six chiffres  de  la  forme  118XYZ ». En particulier, les numéros longs (10 chiffres) commençant par 080 et correspondant à un tarif gratuit pour l’appelant figurent explicitement à la section 2.a.1 de la décision précitée comme numéros SVA.

2.       Départ d’appel et majoration SVA

Le départ d’appel à destination des numéros SVA (ci-après « départ d’appel SVA ») est une prestation de gros, dite d’interconnexion indirecte, offerte par un opérateur de boucle locale fixe (dit « opérateur départ ») à un opérateur (dit « opérateur collecteur ») qui collecte du trafic à destination d’un numéro SVA pour le compte de l’éditeur de service téléphonique qui fournit un service à ce numéro. Elle consiste en l’acheminement du trafic émis par un client de détail de l’opérateur départ à destination d’un numéro SVA, jusqu’au point d’interconnexion le plus proche dudit client de détail.

Le départ d’appel SVA de France Télécom présentait, jusqu’au 31 mai 2011 inclus, une structure tarifaire à trois composantes : départ d’appel (prestation technique d’acheminement de l’appel), majoration SVA (définie plus loin) et peines et soins (commission commerciale prélevée par l’opérateur départ, qui détient la relation commerciale avec l’abonné de détail, au titre de la commercialisation du SVA, notamment : facturation, encaissement, recouvrement, publication des tarifs associés dans sa grille tarifaire, relation clientèle, etc.).

La grille tarifaire de France Télécom appliquée sur le départ d’appel SVA entre le 3 janvier 2011 et le 31 mai 2011 était la suivante :

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La majoration SVA a été supprimée par France Télécom à compter du 1er juin 2011.

3.       Contexte juridique

Par le passé, le tarif de majoration SVA de France Télécom en cause a fait l’objet de diverses décisions de régulation de l’Autorité3, au titre des pouvoirs alors prévus par l’article L. 34-8 du CPCE, visant l’approbation préalable annuelle du catalogue d’interconnexion de France Télécom. Ce régime d’approbation préalable des tarifs a été abrogé à l’occasion de la transposition des directives communautaires de 2002.

Par la suite, les marchés fixes en cause ont notamment fait l’objet des décisions n° 2007-0213 (décision symétrique portant sur l’accès aux SVA) et n° 2008-0896 (décision d’analyse des marchés de la téléphonie fixe).

En outre, l’Autorité s’est prononcé sur un règlement de différend opposant les sociétés SFR et France Télécom relatif à l’application d’une majoration SVA et  a  énoncé dans sa décision  n° 2010-1254 du 25 novembre 2010 que : « au titre de la décision n° 2008-0896 […], la majoration SVA de la société France Télécom doit […] être orientée vers les coûts des activités d’accueil SAV [(service après-vente)] technique de détail relatif aux communications vers des numéros SVA, dans les cas qui révèlent in fine un dysfonctionnement de la part d’un autre acteur que l’opérateur départ (France Télécom au cas d’espèce), et ceux-là  uniquement ».

 II.             Sur le règlement de différend

La société Dauphin Telecom demande à l’Autorité de réduire à 0 € la facturation de la majoration SVA de France Télécom à compter de juillet 1999, date de signature de la convention liant les deux parties.

1.       Sur l’échec des négociations

Les parties produisent des courriers échangés entre le 15 février et le 30 juin 2010 dans lesquels, d’une part, Dauphin Telecom prend connaissance de l’existence d’une facturation de la majoration SVA pour ses numéros 08 09 13 MC DU et la conteste à plusieurs reprises et d’autre part, France Télécom refuse de faire droit à toute demande de remboursement de Dauphin Telecom et maintient l’application de la majoration SVA.

Dans les circonstances de l’espèce, l’Autorité estime donc que l’échec des négociations est constitué, ce que les parties ne contestent pas.

 2.       Sur les fins de non-recevoir opposées par la société France Télécom

a)     Sur la compétence concurrente de l’ARCEP et du juge commercial

France Télécom a fait appel le 1er septembre 2011 d’un jugement en date du 15 octobre 2010 par lequel le tribunal de commerce de Paris a fait droit aux demandes de Dauphin Telecom tendant principalement à ce que France Télécom « [cesse] de facturer à la SAS Dauphin Telecom la majoration SVA à compter de la date du présent jugement » et « [paye] à la SAS Dauphin Telecom la somme de 211 365,88 € à parfaire de la majoration SVA facturée par la SA France Télécom du 1er janvier 2011 à la date du jugement ».

France Télécom soutient, en se fondant sur la décision n° 96-378 DC du 23 juillet 1996 du Conseil constitutionnel4, que la saisine de l’Autorité par Dauphin Telecom est irrecevable en raison de la procédure pendante devant la Cour d’appel de Paris qui porte, selon elle, sur des demandes identiques, hormis la période litigieuse qui démarre à compter de mars 2005 devant les juridictions judiciaires.

Toutefois l’article L. 36-8 du CPCE, qui prévoit que l’Autorité peut être saisie d’un différend entre deux parties « en cas de refus d'accès ou d'interconnexion, d'échec des négociations commerciales ou de désaccord sur la conclusion ou l'exécution d'une convention d'interconnexion ou d'accès à un réseau de communications électroniques (…). Sa décision est motivée et précise les conditions équitables, d'ordre technique et financier, dans lesquelles l'interconnexion ou l'accès doivent être assurés », ne limite pas la compétence de l’Autorité du fait d’une éventuelle saisine du tribunal de commerce portant sur les mêmes prestations d’une convention d’accès ou d’interconnexion. La décision précitée du Conseil constitutionnel ne prévoit aucune restriction de compétence de l’Autorité contrairement à ce que soutient France Télécom, d’autant que la décision évoque l’hypothèse inverse : celle où l’Autorité ne serait pas saisie. En tout état de cause, l’office du régulateur dans le cadre d’une procédure de règlement de différend, qui vise à se prononcer sur les conditions techniques et tarifaires dans lesquelles l’accès ou l’interconnexion doivent être assurés et à imposer, le cas échéant, que soient proposées des modifications contractuelles, se distingue de celui du juge commercial, qui, en l’espèce, consiste à se prononcer sur le remboursement de sommes indues.

En conséquence, l’existence d’une procédure pendante devant le juge commercial ne fait pas échec à ce que l’ARCEP exerce, par la présente décision, les pouvoirs qui lui sont dévolus par le législateur sur le fondement des dispositions de l’article L. 36-8 du CPCE.

b)     Sur la détermination de la date de début de la période couverte par le différend

Dauphin Telecom estime que le point de départ de la période litigieuse déterminant la compétence ratione temporis de l’ARCEP pour le présent règlement de différend doit être fixé au mois de juillet 1999, mois de la signature de la convention d’interconnexion entre Dauphin Telecom et France Télécom.

France Télécom considère, quant à elle, irrecevable la demande de Dauphin Telecom pour la période antérieure au 30 juin 2010, date du courrier qui, selon elle, a confirmé le désaccord entre les parties.

L’article L. 36-8 du CPCE ne prévoit pas que l’Autorité puisse se saisir en règlement de différend de questions portant sur des droits et obligations qui n’ont jamais été contestés. En effet, si l’arrêt de la Cour de cassation du 14 décembre 20105 juge que cet article impose à l’Autorité de se saisir de « l’ensemble de la période couverte par le différend », il ne conduit pas, en tout état de cause, à prendre en compte une période durant laquelle l’opérateur demandeur n’aurait jamais élevé la moindre contestation sur les droits et obligations prévus contractuellement.

Or, il ressort des pièces du dossier que Dauphin Telecom n’a jamais contesté l’application de la facturation de la majoration SVA à une date antérieure à sa lettre du 23 février 2010, adressée en recommandé avec accusé réception à France Télécom, par laquelle Dauphin Telecom conteste la facturation des numéros gratuits d’accès à ses cartes prépayées au tarif des numéros SVA.

En conséquence, la demande de Dauphin Telecom relative à la réduction à hauteur de    0 € du montant de la majoration SVA de France Télécom ne peut être examinée, qu’en tant qu’elle porte sur une période débutant le 23 février 2010.

Au surplus, l’Autorité relève que Dauphin Telecom se plaint de l’opacité des factures de France Télécom au regard des prescriptions de l’article L. 441-3 du code de commerce. Il convient de relever que les offres de référence successives de France Télécom, qui fixent, pour la période en cause, les tarifs de France Télécom appliqués aux prestations d’interconnexion fournies à Dauphin Telecom, mentionnent l’existence d’une majoration SVA et en détaillent la tarification. En tout état de cause, la question de savoir si les factures relatives à cette prestation clairement identifiée, notamment dans l’offre de référence, respectent ou pas les dispositions précitées du code de commerce ne relève pas de la compétence de l’Autorité.

3.       Sur la demande formulée par la société Dauphin Telecom de réduire à 0 € la majoration SVA facturée par France Télécom

A titre liminaire, l’Autorité note que les numéros de la forme 08 09 13 MC DU utilisés par Dauphin Telecom et correspondant à un tarif gratuit pour l’appelant sont des numéros SVA. En effet, la décision n° 05-1085 du 15 décembre 2005 susvisée prévoit que les numéros longs (10 chiffres) commençant par 080 sont des numéros SVA.

Sur la question de la tarification d’une majoration SVA, l’Autorité rappelle que la majoration SVA facturée par France Télécom doit être orientée vers les coûts encourus au titre de la fourniture aux clients de détail des services d’accueil après-vente, pour des questions techniques relatives aux communications vers des numéros SVA, dans les seuls cas qui révèlent un dysfonctionnement de la part d’un autre acteur que l’opérateur départ France Télécom. Ainsi, la facturation de la majoration SVA n’est pas fondée si les coûts y afférents sont nuls.

Or, il résulte de l’instruction, en particulier au regard d’une analyse comptable à la fois descendante et ascendante, que l’existence de coûts afférents à la majoration SVA facturée par France télécom à Dauphin Telecom n’est pas établie.

En effet, d’une part, selon l’approche descendante, France Télécom n’apporte pas d’éléments de nature à justifier le montant facturé à l’ensemble des opérateurs tiers collecteurs au titre de la majoration SVA et en particulier à la société Dauphin Telecom. France Télécom ne fournit notamment pas dans ses réponses au questionnaire la ventilation demandée des coûts de l’accueil téléphonique du SAV technique de France Télécom selon diverses catégories, notamment celle correspondant au périmètre de la majoration SVA : signalements révélant un incident relatif aux communications téléphoniques à destination de numéros SVA et de la responsabilité de l’opérateur collecteur.

D’autre part, selon l’approche ascendante, l’Autorité considère que le nombre de tickets d’incidents transmis par l’opérateur départ (en l’espèce France Télécom) à l’opérateur collecteur (en l’espèce Dauphin Telecom), faisant suite à un signalement au service client révélant un incident technique qui, simultanément, porte sur une communication à destination de numéros SVA et relève de la responsabilité de l’opérateur collecteur, est le seul indicateur de nature à révéler d’éventuels coûts pertinents de majoration SVA. Or, les deux parties ne font état d’aucun ticket de ce type dans leurs observations.

Au vu de ce qui précède, l’Autorité conclut à l’absence de coûts associés à la fourniture par France Télécom d’une prestation de majoration SVA à Dauphin Telecom. Il s’ensuit que la facturation de la majoration SVA à Dauphin Telecom n’est pas fondée.

Décide :

Article 1er : La majoration SVA facturée par France Télécom à Dauphin Telecom, en application de leur convention d’interconnexion, doit être supprimée, avec effet à compter du 23 février 2010.

Article 2 : La société France Télécom est tenue d’appliquer l’article 1er dans un délai d’un mois à compter de la publication de la présente décision.

Article 3 : Le surplus des demandes de la société Dauphin Telecom est rejeté.

Article 4 : Le directeur des affaires juridiques de l’Autorité est chargé de notifier la présente décision aux sociétés Dauphin Telecom et France Télécom, qui sera rendue publique, sous réserve des secrets protégés par la loi.

Notes : 

1 Il s’agit d’un tarif moyen minute ; celui-ci varie en fonction de la plage horaire et d’autres paramètres

2 Qui lui-même varie avec la tranche de numéros.

3 Décisions n° 98-1043, 99-1078, 00-1109, 01-1146, 02-1089, 03-1231 et 04-1000 de l’Autorité de régulation des télécommunications (ART), portant approbation de l'offre technique et tarifaire d’interconnexion de France Télécom.

4 Dans laquelle le Conseil constitutionnel a déclaré que « la saisine de l’Autorité par l’une ou l’autre des parties est facultative ; qu’au cas où les opérateurs n’auront pas choisi de saisir l’Autorité de régulation, les litiges seront portés selon le cas, soit devant le Conseil de la concurrence et, en cas de contestation, devant la cour d’appel de Paris, soit devant le juge du contrat ; […] ».

5 Cass. com., 14 déc. 2010 n° 09-67.371