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Décisions

ARCEP, 26 juillet 2011, n° 2011-0893

ARCEP

se prononçant sur une demande de règlement de différend opposant les sociétés France Télécom et Free Infrastructure

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Silicani

Membre :

Mme Denis, Mme Toledano, M. Courtois, M. Coutant, M. Curien, M. Rapone

ARCEP n° 2011-0893

25 juillet 2011

L’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes ;

Vu la directive 2002/21/CE du Parlement Européen et du Conseil du 7 mars 2002 relative à un cadre réglementaire commun pour les réseaux et services de communications électroniques (directive « cadre ») ;

Vu la directive 2002/19/CE du Parlement Européen et du Conseil en date du 7 mars 2002 relative à l’accès aux réseaux de communications électroniques et aux ressources associées, ainsi qu’à leur interconnexion (directive « accès ») ;

Vu la recommandation de la Commission européenne du 20 septembre 2010 sur l’accès réglementé aux réseaux d’accès de nouvelle génération (ci-après « recommandation NGA ») ;

Vu le code des postes et des communications électroniques (ci-après CPCE), notamment ses articles L. 32-1, L. 33-6, L. 34-8, L. 34-8-3, L. 36-8, R. 9-4 et R. 11-1 ;

Vu la décision n° 2009-1106 de l’Autorité en date du 22 décembre 2009 précisant, en application des articles L. 34-8 et L. 34-8-3 du code des postes et des communications électroniques, les modalités de l’accès aux lignes de communications électroniques à très haut débit en fibre optique et les cas dans lesquels le point de mutualisation peut se situer dans les limites de la propriété privée ;

Vu le règlement intérieur de l’Autorité, modifié par la décision n° 2010-1354 de l’Autorité en date du 16 décembre 2010 ;

Vu la décision n° 2011-0846 de l’Autorité en date du 21 juillet 2011 se prononçant sur une demande de règlement de différend opposant les sociétés Free Infrastructure et France Télécom ;

Vu la demande de règlement de différend enregistrée à l’Autorité le 1er avril 2011, présentée   par   la   société   France    Télécom,    société    anonyme    au    capital    de 10 595 434 424 euros, immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Paris sous le numéro 380 129 866, dont le siège social est situé 6, place d’Alleray, 75505 Paris cedex 15, représentée par Monsieur Eric Debroeck, en sa qualité de directeur des affaires réglementaires ;

La société France Télécom demande à l’Autorité d’enjoindre à la société Free Infrastructure de modifier dans un délai d’un mois :

- les dispositions de son contrat « Mutualisation de Ligne FttH à partir d’un PM de Grande Capacité (PMGC) », ci-après « contrat PMGC », afin de prévoir la prise de rendez-vous et la réalisation du raccordement palier par l’opérateur commercial ;

- les dispositions de son contrat « Cession d’un droit d’usage sur un bouquet de fibres dédiées », ci-après « contrat fibres dédiées », afin de prévoir la prise de rendez-vous et la réalisation du raccordement palier par l’opérateur commercial ;

- les dispositions de son contrat « Offre de Mutualisation de Ligne FttH à partir d’un PM de Grande Capacité (PMGC) » afin de prévoir la mise à disposition du brassage PMGC (raccordement de la ligne optique du client au réseau FttH de France Télécom) avant la réalisation du raccordement palier par l’opérateur commercial.

Sur la recevabilité de la saisine et la compétence de l’Autorité, la société France Télécom soutient que :

- les contrats de mutualisation conclus entre Free Infrastructure et France Télécom portent sur une prestation d’accès dont elle précise les conditions techniques et économiques ;

- l’Autorité est compétente pour régler le présent litige qui s’inscrit dans le cadre de l’exécution de la convention prévue à l’article L. 34-8-3 du CPCE ;

- le refus de Free Infrastructure de négocier des évolutions de ses contrats de mutualisation conduit à un échec des négociations au sens de l’article L. 36-8 du CPCE.

Sur ses demandes relatives aux modalités de raccordement palier prévues par les contrats de mutualisation de la société Free Infrastructure, la société France Télécom soutient que :

- Les modalités de raccordement de Free Infrastructure ne sont pas raisonnables dans la mesure où :

o elles permettent à Free Infrastructure de s’immiscer dans la relation commerciale de l’opérateur commercial avec son client ;

o elles impliquent un double rendez-vous pour le client final. Ce dernier doit piloter lui-même la livraison de son raccordement ;

o les résultats de la réalisation par Free Infrastructure du raccordement palier sont mauvais (dysfonctionnement) et France Télécom a dû en conséquence suspendre la commercialisation de son offre ;

o elles constituent un frein au déploiement de la concurrence ;

o    Free en tant qu’opérateur commercial ne subit pas ces inefficacités (traitement discriminatoire).

- Ses demandes sont légitimes puisque :

o le raccordement palier est essentiellement un acte commercial ;

o la fourniture d’une prestation d’installation est essentielle ;

o l’opérateur commercial doit pouvoir maitriser la qualité de service de ses offres de détail.

- Ses demandes sont raisonnables dans la mesure où :

o elles sont compatibles avec l’article R. 9-4 du CPCE qui prévoit la possibilité pour l’opérateur d’immeuble de mandater un tiers pour réaliser les travaux ;

o elles sont compatibles avec le principe de responsabilité de l’opérateur d’immeuble. En effet, ce dernier peut dans le cadre d’un contrat de sous- traitance exercer une action contre l’opérateur commercial en  cas  de dommage ;

o il n’existe pas de risque pour l’intégrité du réseau car l’opérateur d’immeuble peut, dans le cadre de son contrat de sous-traitance, sécuriser les modalités de raccordement en encadrant l’action de l’opérateur commercial par des spécificités techniques ;

o pour le « contrat fibres dédiées », Free Infrastructure a introduit dans le contrat la possibilité pour l’opérateur commercial de demander à réaliser lui-même le raccordement palier ;

o elles permettent de résoudre l’ensemble des dysfonctionnements constatés.

Sur ses demandes relatives à la réalisation du brassage au PMGC, dans le cadre du « contrat PMGC », la société France Télécom soutient que :

-  l’opération de brassage étant postérieure à la pose de la PTO, ceci interdit de facto de tester la continuité optique du client avec le réseau FttH de France Télécom à la suite de la pose de la PTO ;

- l’opération de brassage ayant lieu au plus sous 72 heures ouvrées après la pose de la PTO, ceci implique une double intervention chez le client : la première pour la pose de la PTO par l’opérateur d’immeuble et la seconde avec le fournisseur pour l’installation des équipements.

Vu le courrier du directeur des affaires juridiques de l’Autorité en date du 8 avril 2011 transmettant aux parties le calendrier prévisionnel de dépôt des mémoires et désignant les rapporteurs ;

Vu les observations en défense enregistrées à l’Autorité le 2 mai 2011, présentées par la société Free Infrastructure, société par actions simplifiée au capital de 1 000 000 euros, immatriculée  au  registre  du  commerce  et  des  sociétés  de  Paris  sous  le  numéro  488 095 803, dont le siège social est situé 8, rue de la Ville l’Evêque, 75008 Paris et, représentée par Monsieur Cyril Poidatz, en sa qualité de président ;

 La société Free Infrastructure demande à l’Autorité :

- de déclarer irrecevable la saisine de l’Autorité par France Télécom ;

- de rejeter l’ensemble des demandes de France Télécom au titre de cette saisine.

Concernant l’irrecevabilité des demandes de France Télécom et l’incompétence de l’Autorité, Free Infrastructure soutient que :

-  la saisine de l’Autorité par France Télécom sur la base de l’article L. 36-8 du CPCE est irrecevable au motif qu’aucun échec des négociations ne peut être constaté puisqu’aucune négociation commerciale n’a eu lieu, à défaut pour France Télécom d’entamer toute démarche pour l’ouverture d’une telle négociation ;

- dans le cadre de la construction, les articles L. 33-6, R. 9-2 à R. 9-4, L. 36-6 et L. 36-8 du CPCE ne donnent pas compétence à l’Autorité pour préciser, compléter ou modifier les règles relatives à la construction et par conséquent, la construction du raccordement palier relevant de la construction des lignes à très haut débit et non du régime de l’accès aux lignes, la demande de France Télécom relative à la construction du raccordement palier est irrecevable ;

- au vu des dispositions de l’article R. 9-4 du CPCE, les conditions de réalisation des raccordements palier relèvent de la seule liberté de l’opérateur d’immeuble et non de la compétence de l’Autorité, rendant, en conséquence, irrecevable la demande de France Télécom que l’Autorité impose à l’opérateur d’immeuble de confier la réalisation du raccordement palier à l’opérateur commercial.

Concernant le défaut de justification des demandes de France Télécom, Free Infrastructure soutient que :

 

-  en l’absence d’une exécution significative du « contrat PMGC » (France Télécom n’a commandé que 62 accès) et de toute exécution du « contrat fibres dédiées », France Télécom ne dispose pas d’un recul suffisant pour estimer que les offres de Free Infrastructure ne permettent pas de produire des accès très haut débit ;

- France Télécom n’a pas un besoin impératif d’aller chez ses abonnés pour activer des accès très haut débit dans les immeubles de Free Infrastructure alors même que France Télécom ne permet pas aux opérateurs alternatifs d’intervenir sur la boucle locale cuivre qui est un réseau mutualisé ;

- la mise en place d’un outil de prise de rendez-vous est complexe et, en conséquence, il ne peut être demandé à Free Infrastructure de mettre en place immédiatement un tel outil alors que France Télécom a mis 7 ans pour mettre en place un outil symétrique sur le cuivre ;

- la demande de brassage étant justifiée par France Télécom par le fait que l’opérateur commercial doit pouvoir installer et mettre en service les équipements chez son client final concomitamment à la réalisation du raccordement palier par l’opérateur commercial, cette demande est sans objet.

Concernant le caractère déraisonnable de la demande de France Télécom de réaliser les raccordements palier, Free Infrastructure soutient que :

- Free Infrastructure est irréductiblement responsable vis-à-vis des bailleurs et copropriétaires et détient la responsabilité contractuelle du choix de ses sous-traitants ;

- Free Infrastructure a été retenue par certains bailleurs et copropriétaires avec comme principale motivation la limitation du nombre d’intervenants dans les immeubles ;

- d’un point de vue uniquement technique et en raison des choix d’architecture du réseau, hors considération juridique ou d’équité, le raccordement palier pourrait être sous-traité à l’opérateur commercial en immeuble quadri-fibres (« contrat fibres dédiées ») ; mais que cela est quasiment impossible en immeuble PMGC historique   (« contrat PMGC »). En effet, dans l’architecture PMGC, les fibres ne sont pas pré-affectées aux logements lors du déploiement de la colonne montante et les boitiers d’étage ne sont en général pas posés.

Concernant le caractère inéquitable de la demande de France Télécom, Free Infrastructure soutient que :

- les opérateurs de boucle locale étant, de manière générale, responsables de bout en bout entre la prise de l’abonné et le point de mise à disposition des opérateurs tiers, la demande de démembrement de responsabilité est probablement très prématurée pour les nouveaux réseaux FttH, alors même qu’elle n’a pas été expérimentée sur les réseaux historiques cuivre et câble ;

- la question de la responsabilité de production des raccordements finals et de leur maintenance mérite d’être instruite, mais globalement et de manière symétrique pour l’ensemble des réseaux boucle locale cuivre et fibre ayant vocation à être mutualisés ;

- faire droit à la demande de France Télécom reviendrait à imposer à Free  Infrastructure, en régulation symétrique sur un marché émergent, une charge que l’Autorité a toujours refusé d’imposer à France Télécom, opérateur historique soumis à une régulation asymétrique du fait de sa puissance de marché sur le cuivre et il en résulterait une rupture d’équité.

Vu les nouvelles observations enregistrées à l’Autorité le 18 mai 2011, présentées par la société France Télécom, par lesquelles elle maintient ses conclusions ;

Sur l’échec des négociations, la société France Télécom soutient que :

- Free Infrastructure n’a pas cherché à ouvrir de bonne foi des discussions avec France Télécom :

o le courrier de Free Infrastructure du 22 novembre 2010 n’a pas pour objet de répondre aux demandes de France Télécom, mais porte sur des demandes de Free Infrastructure d’évolution des modalités tarifaires de l’offre de mutualisation de France Télécom. Ce courrier ne constitue en outre, ni une acceptation des demandes de France Télécom, ni une invitation à négocier de bonne foi. En effet, Free Infrastructure conditionne toute évolution de son offre à l’acceptation par France Télécom de ses propres demandes relatives à l’offre de mutualisation de France Télécom ;

o dans son courrier du 7 décembre 2010, Free Infrastructure conditionne à nouveau l’étude des demandes de France Télécom à l’acceptation de ses demandes d’évolution de l’offre de mutualisation et de l’offre de dégroupage de France Télécom.

- l’affirmation de Free Infrastructure selon laquelle France Télécom a abusé de sa puissance de négociation en refusant toute discussion est grave et injustifiée. France Télécom rappelle que la question du déploiement de la partie terminale des réseaux FttH est distincte du statut d’opérateur puissant de France Télécom sur le marché de gros de l’accès aux infrastructures physiques constitutives de la boucle locale ;

- les échanges entre les parties permettent de montrer que Free Infrastructure a opposé un refus persistant de faire évoluer les modalités du raccordement palier et d’établir l’échec des négociations.

Sur la compétence de l’Autorité, la société France Télécom soutient que :

- contrairement à ce Free Infrastructure prétend, l’Autorité est compétente pour régler les différends résultant d’un désaccord portant tant sur la conclusion que sur l’exécution des contrats prévus à l’article L. 34-8-3 du CPCE ;

- sa demande se fonde sur l’article L. 34-8-3 du CPCE et non sur l’article L. 33-6 du CPCE ;

-  l’Autorité ayant considéré dans sa décision n° 2010-1232 que « les modalités du raccordement palier font partie intégrante des modalités techniques et/ou tarifaires  de l’accès », il ne peut être contesté que la réalisation du raccordement palier relève des modalités de l’accès visé à l’article L. 34-8-3 du CPCE.

Sur le prétendu défaut de justification de ses demandes, la société France Télécom soutient que :

- l’argument de Free Infrastructure selon lequel le faible taux de pénétration de la fibre dans les immeubles de France Télécom démontrerait la faible attractivité de sa prestation d’installation, n’est pas recevable. Selon France Télécom, la comparaison des taux de pénétration de la fibre d’Orange et de Free n’est pas pertinente puisque, d’une part, Orange est plus soumise à la concurrence que Free dans la mesure où les immeubles de France Télécom sont largement plus ouverts à la mutualisation que ceux de Free Infrastructure, d’autre part, Free semble pratiquer une politique de migration des clients ADSL vers la fibre optique quasi-contraignante. France Télécom insiste en outre sur le fait que la mutualisation est récente et que le taux de pénétration a donc vocation à augmenter progressivement ;

- la prestation d’installation des équipements terminaux est un attribut indispensable des offres commerciales fibre d’Orange. France Télécom indique que ses clients, qui sont moins technophiles et en moyenne plus âgés que ceux de Free, ont une forte appétence pour ce service ;

- l’opération d’installation et de paramétrage du convertisseur optique ne peut être réalisée que par un technicien ;

- de l’aveu même de Free Infrastructure, le développement d’un outil permettant une prise de rendez-vous directe par les opérateurs commerciaux est complexe et demande du temps. Depuis le lancement de son offre en 2007, Free Infrastructure n’a pas été en mesure de développer un tel outil. France Télécom préconise donc de choisir le processus opérationnel le plus simple, à savoir la réalisation du raccordement palier par l’opérateur commercial.

Sur le caractère inéquitable et déraisonnable de ses demandes, France Télécom soutient que :

- il n’existe aucun obstacle réglementaire à la réalisation du raccordement palier par l’opérateur commercial :

o les conventions passées par Free Infrastructure avec les gestionnaires d’immeubles ne contiennent aucune clause relative à la minimisation du nombre d’intervenants dans les immeubles ;

o la réalisation du raccordement palier par France Télécom est compatible avec le principe de responsabilité de l’opérateur d’immeuble, puisque l’article R. 9-4 du CPCE autorise ce dernier à mandater un tiers pour réaliser les travaux.  En  outre  Free  Infrastructure  a   prévu,   dans   son   « contrat   fibres dédiées », la possibilité pour l’opérateur commercial de réaliser cette opération ;

- concernant les obstacles techniques spécifiques à l’offre PMGC :

o Free Infrastructure n’a jamais proposé à France Télécom de commander directement le raccordement palier au sous-traitant de Free Infrastructure ;

o si le réseau installé par Free Infrastructure dans ses immeubles n’est pas mutualisable, à défaut pour Free Infrastructure d’avoir installé l’ensemble des boitiers de branchement, il convient que ce réseau soit mis à niveau afin de permettre à tous les opérateurs de proposer leurs services dans des conditions équivalentes. France Télécom propose que Free Infrastructure s’engage à poser systématiquement une EPIBOX à chaque demande de raccordement client dans un délai de 48 heures après la commande de raccordement.

France Télécom rappelle enfin que les prestations de prise de rendez-vous et de réalisation de raccordement dans l’offre de dégroupage de la boucle locale cuivre de France Télécom n’ont rien à voir avec l’appréciation du caractère équitable ou non des demandes de France Télécom, objets du présent litige.

Vu la lettre du directeur des affaires juridiques de l’Autorité en date du 1er juin 2011 transmettant un questionnaire aux parties et fixant au 15 juin 2011 la clôture des réponses ;

 Vu les nouvelles observations enregistrées à l’Autorité le 8 juin 2011, présentées par la société Free Infrastructure ;

La société Free Infrastructure demande à l’Autorité :

-  à titre principal, de rejeter l’intégralité des demandes de France Télécom ;

- à titre subsidiaire, si l’Autorité devait imposer à Free Infrastructure d’autoriser France Télécom à réaliser le raccordement palier dans les immeubles quadri-fibres de Free Infrastructure, d’imposer symétriquement à France Télécom d’accepter que Free puisse intervenir entre le PC et la prise d’abonné sur la boucle locale cuivre.

Sur la compétence de l’Autorité, la société Free Infrastructure soutient que :

- France Télécom maintient une confusion entre, d’une part, l’accès à un réseau mutualisé et, d’autre part, la mutualisation de la construction d’un réseau. Un réseau mutualisé est construit par un seul exploitant et mis à disposition de tous les  opérateurs ;

- les modalités techniques de l’accès concernent généralement les modalités visant la compatibilité des raccordements aux extrémités du réseau mutualisé et non sa construction ;

- la décision n° 2010-1232 de l’Autorité concernait le niveau de participation des opérateurs cofinanceurs aux coûts de construction des raccordements palier et non les conditions d’exécution des travaux de réalisation et ne fournit en conséquence aucun élément permettant d’affirmer que les modalités de construction d’un réseau très haut débit font partie de l’accès.

Sur l’absence de justification des demandes de France Télécom, la société Free Infrastructure soutient que :

 

- France Télécom n’apporte aucun élément, d’une part, permettant d’apprécier la réalité des commandes faites par ses clients finals et leur éventuelle résiliation, d’autre part, justifiant l’existence d’un surcoût direct d’au moins 50 euros par client du fait des processus prévus par Free Infrastructure ;

- France Télécom n’a pas mis en œuvre à une échelle significative les contrats conclus avec Free Infrastructure et ne dispose donc pas d’éléments permettant de justifier un quelconque caractère raisonnable de ses demandes ;

- contrairement à ce que France Télécom affirme, le choix de migrer de l’ADSL vers la fibre appartient in fine au client final et non à l’opérateur ;

- il appartient à France Télécom d’apporter la preuve de ses affirmations selon lesquelles réaliser simultanément les raccordements palier et l’installation des équipements est favorable aux clients finals, à l’opérateur d’immeuble, aux opérateurs commerciaux et donc au développement de la fibre optique ;

- contrairement à ce qu’affirme France Télécom, les immeubles de France Télécom ne sont pas plus ouverts à la mutualisation que ceux de Free Infrastructure ;

- l’argument de France Télécom selon lequel la prestation d’installation est indispensable afin d’éviter que le client manipule la fibre pose question. En effet, toutes les opérations nécessitant une manipulation de la fibre optique sont réalisées lors du raccordement palier et non lors de l’installation des équipements actifs ;

- France Télécom doit supporter seule les coûts de sa prestation d’installation, qui est purement marketing. Pour Free Infrastructure, en exigeant la réalisation du raccordement palier par l’opérateur commercial et en sachant que cette opération est en partie financée par les opérateurs cofinanceurs, France Télécom fait supporter à ces derniers une partie de ses frais de conquête d’un client final ;

- la liberté contractuelle de choisir à qui sous-traiter est la contrepartie de la responsabilité de plein droit de l’opérateur d’immeuble au titre de l’article R. 9-4 du CPCE pris en application de l’article L. 33-6 du même code.

Sur le caractère inéquitable et déraisonnable des demandes de France Télécom, la société Free Infrastructure soutient que :

- concernant les immeubles quadri-fibres :

o bien qu’il soit envisageable, d’un point de vue technique, que l’opérateur commercial puisse avoir une certaine autonomie sur le raccordement palier, en production comme en exploitation et en service après-vente, il serait inéquitable de faire droit à la demande de France Télécom sur la fibre, alors que cette dernière a toujours refusé de faire droit à la demande symétrique de Free Infrastructure sur la boucle locale cuivre ;

- concernant les immeubles PMGC, faire droit à la demande de France Télécom est quasiment infaisable. Free Infrastructure a analysé quatre modalités permettant de faire droit à la demande de France Télécom et aucune n’est satisfaisante ;

o la pose d’EPIBOX en attente dans tous les logements : Free Infrastructure considère qu’une telle modalité coûterait entre 10 et 20 millions d’euros et serait contre-productive puisque moins de 20% des ménages résidant dans des immeubles équipés en FttH ont souscrit une offre FttH ;

o la pose des EPIBOX à la demande : d’une part, cette modalité coûte quasiment aussi cher que la pose du raccordement palier complet, d’autre part, elle n’est satisfaisante ni d’un point de vue opérationnel, ni d’un point de vue technique ;

o laisser France Télécom commander directement aux sous-traitants de Free Infrastructure : dans une partie des immeubles, Free Infrastructure a retenu Protelco, filiale à 100% du groupe Iliad, comme unique sous-traitant ;

o référencer France Télécom comme sous-traitant : une telle modalité pose problème dans la mesure où plusieurs sous-traitants interviendraient dans la même colonne montante.

Vu les réponses au questionnaire de la société France Télécom enregistrées à l’Autorité le 15 juin 2011 ;

Vu la lettre du directeur des affaires juridiques de l’Autorité en date du 15 juin 2011 transmettant les réponses au questionnaire de la société France Télécom à la société Free Infrastructure ;

Vu les réponses au questionnaire de la société Free Infrastructure enregistrées à l’Autorité le 15 juin 2011 ;

Vu la lettre du directeur des affaires juridiques de l’Autorité en date du 15 juin 2011 transmettant les réponses au questionnaire de la société Free Infrastructure à la société France Télécom ;

Vu la lettre du directeur des affaires juridiques de l’Autorité en date du 22 juin 2011 transmettant un second questionnaire aux parties et fixant au 28 juin 2011 la clôture des réponses ;

Vu les réponses au second questionnaire de la société Free Infrastructure enregistrées à l’Autorité le 28 juin 2011 ;

Vu la lettre du directeur des affaires juridiques de l’Autorité en date du 28 juin 2011 transmettant les réponses au questionnaire de la société Free Infrastructure à la société France Télécom ;

Vu la lettre du directeur des affaires juridiques de l’Autorité en date du 5 juillet 2011 invitant les parties à une audience devant le collège le 21 juillet 2011 à 9h30 au siège de l’Autorité ;

Après avoir entendu le 21 juillet 2011, lors de l'audience devant le collège de l’Autorité (composé de M. Jean-Ludovic Silicani, président, Mmes Marie-Laure Denis et Joëlle Toledano et MM. Daniel-Georges Courtois, Jérôme Coutant, Nicolas Curien et Denis Rapone, membres de l’Autorité) :

- le rapport de Mme Liliane Dedryver, rapporteur et de M. Alexis Argoud, rapporteur adjoint, présentant les conclusions et les moyens des parties ;

- les observations de M. Didier Dillard, pour la société France Télécom ;

- les observations de M. Laurent Laganier, pour la société Free Infrastructure ;

En présence de :

MM. Philippe Beguin, François Duquesnoy, Patrick Zacharko et Mme Flora Camus, pour la société France Télécom ;

MM. Johann Binois et Olivier Raugel, pour la société Free Infrastructure ;

M. Philippe Distler, directeur général, MM. François Lions et Michel Combot, directeurs généraux adjoints, Antoine Darodes de Tailly, Guillaume Meheut, Aurélie Barré, Stéphane Hoynck, Laurent Perrin, Christian Guénod, Patricia Lewin, agents de l’Autorité ;

Sur la publicité de l'audience

L'article 15 du règlement intérieur susvisé prévoit : « l'audience est publique, sauf demande conjointe de toutes les parties. Si cette demande n'est pas conjointe, le collège de l'Autorité en délibère ».

La société France Télécom a indiqué, par courriel en date du 13 juillet 2011, qu’elle demandait que l’audience soit publique. Par courriel en date du 12 juillet 2011, la société Free Infrastructure a demandé que l’audience ne soit pas publique. Interrogée sur ce point par le président avant l'ouverture des débats de l'audience, la société Free Infrastructure a indiqué qu’elle ne s’opposait pas à ce que l’audience soit publique.

En conséquence, l’audience a été publique.

Le collège de l’Autorité (composé de M. Jean-Ludovic Silicani, président, Mmes Marie-Laure Denis et Joëlle Toledano et MM. Daniel-Georges Courtois, Jérôme Coutant, Nicolas Curien, et Denis Rapone, membres de l’Autorité) en ayant délibéré le 26 juillet 2011, hors la présence du rapporteur, du rapporteur adjoint et des agents de l'Autorité, adopte la présente décision fondée sur les faits et les moyens exposés ci-après.

1.        Contexte et cadre juridique

À titre liminaire, l’Autorité rappelle le contexte dans lequel intervient la présente saisine, en présentant notamment le positionnement concurrentiel des parties sur le marché ainsi que le cadre réglementaire du marché du très haut débit en fibre optique.

1.1.     Positionnement des parties sur le marché

La société France Télécom mène depuis 2007 une phase de déploiement de son réseau FttH. Fin 2009, Orange comptait […] clients à son offre « la fibre ». À la fin du premier trimestre 2011, France Télécom a équipé plus de […] immeubles (qui correspondent à environ […]logements éligibles).

Dans son plan « Conquêtes 2015 », France Télécom a l’ambition d’investir 2 milliards d’euros dans le déploiement de la fibre optique en France d’ici 2015, de garantir la couverture de 40% des foyers et d’être présente dans toutes les régions de métropole d’ici 2012, sur environ 45 agglomérations,  ainsi  que  dans  tous  les  départements  d’ici  2015  (y  compris 3 départements d’outre-mer), soit 170 agglomérations.

La société Free Infrastructure commercialise principalement, à ce jour, des accès à internet haut débit via l’ADSL et comptait à la fin du premier trimestre 2011 environ 4,7 millions de clients, essentiellement des ménages.

En septembre 2006, le groupe Iliad, qui détient 100% du capital de Free Infrastructure, a annoncé sa décision de lancer le déploiement d’un réseau d’accès à très haut début en fibre optique. Ce déploiement a commencé dans les villes disposant soit d’infrastructures de génie civil, soit de réseaux d’égouts visitables, et s’est accéléré avec la mise à disposition de l’offre d’accès aux fourreaux de France Télécom. Free indique ainsi avoir investi, à la fin de l’année 2010, environ 500 millions d’euros pour le déploiement de son réseau horizontal à très haut débit en fibre optique. Cela se traduit par environ […] km de câbles en fibre optique  déployés, selon une architecture point-à-point, à la fin du premier trimestre 2011.

Free Infrastructure participe également à l’équipement des immeubles et des logements en fibre optique avec, à la fin du premier trimestre 2011, […] logements dans des immeubles équipés par Free Infrastructure.

1.2.   Cadre réglementaire des réseaux à très haut débit en fibre optique

Le cadre règlementaire du très haut débit vise à favoriser le déploiement de la fibre optique en incitant les acteurs à investir tout en permettant le développement d'une concurrence durable au bénéfice du consommateur. Plusieurs décisions ont été adoptées par l'Autorité pour atteindre ces objectifs, mettant en œuvre :

· une régulation asymétrique des infrastructures de génie civil de France Télécom ;

· une régulation symétrique de la partie terminale des réseaux en fibre optique.

La régulation asymétrique des infrastructures de génie civil permet aux opérateurs alternatifs de déployer leurs réseaux horizontaux dans les infrastructures de France Télécom dans des conditions techniques et économiques raisonnables et non-discriminatoires, sans avoir à dupliquer l’infrastructure existante de génie civil. En effet, une telle duplication serait coûteuse et réduirait de façon significative la capacité des opérateurs alternatifs à déployer des réseaux en fibre optique jusqu’à l’abonné (FttH).

S’agissant de la régulation de la partie terminale des réseaux en fibre optique, la plus proche des abonnés, la loi de modernisation de l’économie n° 2008-776 du 4 août 2008 en fixe le cadre juridique. Cette loi instaure un principe de mutualisation de la partie terminale des réseaux entre opérateurs et confie notamment la définition des modalités de mise en œuvre du principe de mutualisation à l’Autorité.

Afin d’enclencher le déploiement du très haut débit fixe sur l’ensemble du territoire, et compte-tenu des expérimentations menées au cours de l’année 2009, le cadre réglementaire mis en place par l’Autorité dans sa décision n° 2009-1106, datée du 22 décembre 2009, fixe certaines règles de mutualisation applicables sur l’ensemble du territoire et prévoit en particulier la fourniture d’une offre d’accès passive au point de mutualisation.

En application de la décision n° 2009-1106, les conditions tarifaires des offres d’accès aux lignes à très haut débit en fibre optique publiées par les opérateurs d’immeuble doivent respecter les principes de non-discrimination, d’objectivité, de pertinence et d’efficacité. La décision prévoit également qu’une prime soit conférée à l’opérateur d’immeuble pour inciter à l’équipement des immeubles en fibre optique.

Par ailleurs, certaines dispositions de la décision n° 2009-1106 ne concernent que les zones très denses du territoire, qui sont les zones où l'économie de ces nouveaux réseaux est structurellement la plus favorable et permet le déploiement en parallèle de plusieurs réseaux de fibre optique alternatifs jusqu'au pied des immeubles.

Dans ces zones très denses, la décision n° 2009-1106 dispose que l’opérateur d’immeuble est tenu de faire droit aux demandes de disposer d’une fibre supplémentaire dédiée entre le point de mutualisation et chaque logement ou d’installer un dispositif de brassage à proximité du point de mutualisation, si ces demandes sont formulées antérieurement à l’équipement de l’immeuble, moyennant un préfinancement des coûts de son installation.

Le schéma défini par l’Autorité, neutre à l’égard des choix technico-économiques des opérateurs, permet de favoriser le développement de services innovants et différenciés, et ainsi d’une concurrence effective. Ce schéma vise également à inciter et à libérer l’investissement des opérateurs dans les zones très denses via un partage des coûts dans une logique de co-investissement.

À la suite de la publication de la décision de l’Autorité au Journal officiel, les opérateurs d’immeuble avaient un mois pour publier une offre de gros de mutualisation. France Télécom, Numéricable, Sequalum, SFR, Covage  et  Free  ont  publié  leurs  offres  entre  le  17  et  le 19 février 2010.

De nouvelles versions de l’offre d’accès aux lignes FttH en zones très denses de France Télécom ont été publiées les 24 et 28 février 2011. Elles font suite à la décision n°2010-1232 de l’Autorité, datée du 23 novembre 2010, se prononçant dans le cadre du règlement d’un différend entre Bouygues Telecom et France Télécom. L’Autorité avait en effet été saisie, le 23 juillet 2010, par la société Bouygues Telecom qui estimait que certaines dispositions de l’offre de mutualisation de France Télécom pour l’accès aux lignes FttH en zones très denses constituaient des barrières à l’entrée et l’empêchaient de co-investir dans les immeubles équipés par France Télécom.

Dans cette décision, l’Autorité a fait droit, en particulier, à la demande de Bouygues Telecom de disposer à tout moment d’une offre d’accès aux lignes FttH permettant de bénéficier de droits d’usage pérennes sur l’infrastructure déployée, et d’amortir les investissements correspondants, dans des conditions raisonnables, moyennant un taux de rémunération du capital proportionné tenant compte du risque encouru. Par ailleurs, l’Autorité a considéré qu’il était équitable de prévoir la prise en charge d’au moins 90% des coûts pertinents du raccordement palier par le premier opérateur commercial recrutant le client.

Cette décision vise à réduire significativement les barrières à l’entrée dans l’offre de mutualisation de France Télécom tout en préservant l’incitation à l’investissement et la concurrence par les infrastructures dans les zones très denses. France Télécom a bénéficié d’un délai de trois mois pour modifier, conformément à la décision de l’Autorité, son offre de mutualisation pour les lignes de fibre optique FttH dans les immeubles.

En dehors des zones très denses, les déploiements de réseaux en fibre optique jusqu’aux abonnés doivent répondre à certaines contraintes économiques et techniques spécifiques appelant à davantage de mutualisation des réseaux.  La décision  n°  2010-1312,  publiée le  14 décembre 2010, précise les modalités de l’accès aux lignes de communications électroniques à très haut débit en fibre optique sur le reste du territoire, en dehors des zones très denses.

2.      Sur la compétence de l’Autorité pour connaître des conclusions de la société France Télécom relative aux offres d’accès aux lignes FttH installées par Free Infrastructure

Sur le fondement des dispositions du I de l’article L. 36-8 du CPCE, l’Autorité peut être saisie pour se prononcer sur un différend « en cas de refus d’accès ou d’interconnexion, d’échec des négociations commerciales ou de désaccord sur la conclusion ou l’exécution d’une convention d’interconnexion ou d’accès à un réseau de communications électroniques (…). Sa décision est motivée et précise les conditions équitables, d’ordre technique et financier, dans lesquelles l’interconnexion ou l’accès doivent être assurés ».

Par ailleurs, aux termes des dispositions du II de l’article L. 36-8 du même code : « En cas d'échec des négociations commerciales, l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes peut également être saisie des différends relatifs à la mise en œuvre des obligations des opérateurs prévues par le présent titre, (…) notamment ceux portant sur : (…) 2° bis la conclusion ou l’exécution (…) de la convention d’accès prévue à l’article L. 34-8-3(…). Elle se prononce sur ces différends dans les conditions de forme et de procédure prévues au I (…) ».

La compétence de règlement de différend ainsi reconnue à l’Autorité est renforcée par les dispositions de l’article L. 34-8-3 du CPCE, lesquelles prévoient explicitement que :

« Toute personne établissant ou ayant établi dans un immeuble bâti ou exploitant une ligne de communications électroniques à très haut débit en fibre optique permettant de desservir un utilisateur final fait droit aux demandes raisonnables d'accès à ladite ligne et aux moyens qui y sont associés émanant d'opérateurs, en vue de fournir des services de communications électroniques à cet utilisateur final.

L'accès est fourni dans des conditions transparentes et non discriminatoires en un point situé, sauf dans les cas définis par l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes, hors des limites de propriété privée et permettant le raccordement effectif d'opérateurs tiers, à des conditions économiques, techniques et d'accessibilité raisonnables. Dans les cas définis par l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes, l'accès peut consister en la mise à disposition d'installations et d'éléments de réseau spécifiques demandés par un opérateur antérieurement à l'équipement de l'immeuble en lignes de communications électroniques à très haut débit en fibre optique, moyennant la prise en charge d'une part équitable des coûts par cet opérateur. Tout refus d'accès est motivé.

Il fait l'objet d'une convention entre les personnes concernées. Celle-ci détermine les conditions techniques et financières de l'accès. Elle est communiquée à l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes à sa demande.

Les différends relatifs à la conclusion ou à l'exécution de la convention prévue au présent article sont soumis à l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes conformément à l'article L. 36-8 ».

Ainsi, en application du I de l’article L. 36-8, l’Autorité est compétente pour régler tous les litiges, survenus par suite d’un échec des négociations, relatifs à la conclusion ou à l’exécution d’une convention d’interconnexion ou d’accès à un réseau de communications électroniques. Cette compétence générale concerne tous les réseaux de communications électroniques, quelle que soit la technologie utilisée.

En outre, en application de l’article L. 34-8-3, complété par le 2° bis du II de l’article L. 36-8, l’Autorité est compétente pour régler les différends relatifs à la conclusion ou à l’exécution d’une convention d’accès aux lignes de communications électroniques à très haut débit en fibre optique établies dans un immeuble bâti. Cette compétence particulière illustre, de manière redondante, l’un des cas dans lesquels la compétence générale de l’Autorité en matière de règlements de différends trouve à s’exercer.

L’Autorité est compétente pour examiner le présent litige, qui porte sur les conditions d’ordre technique (2.3.) d’exécution d’un contrat (2.2.) d’accès à un réseau de communications électroniques et, plus précisément, d’accès à une ligne de fibre optique (2.1.).

2.1.   Un contrat d’accès à un réseau de communications électroniques en fibre optique

La demande par laquelle la société France Télécom soumet à l’Autorité un différend relatif à plusieurs clauses des contrats de « Mutualisation de Ligne FttH à partir d’un PM de Grande Capacité (PMGC) » et de « Cession d’un droit d’usage sur un bouquet de fibres dédiées » de Free Infrastructure porte sur des conventions conclues, in fine, en application de l’article

L. 34-8-3 précité. Ces conventions peuvent donc être portées devant l’Autorité.

2.2.   L’exécution d’un contrat d’accès

La société France Télécom demande que soient modifiées les conditions d’exécution des contrats de « Mutualisation de lignes FTTH FttH à partir d’un PM de grande capacité (PMGC) », et de « Cession d’un droit d’usage sur un bouquet de fibres dédiées » de Free Infrastructure, qu’elle a signés respectivement le 7 juin 2010 et le 30 juin 2010. L’exécution de contrats conclus en application de l’article L. 34-8-3 entre dans le champ de compétence de l’Autorité.

2.3.   Les conditions d’ordre technique d’un contrat d’accès

La société France Télécom demande à l’Autorité d’enjoindre à Free Infrastructure de  modifier :

- les contrats de « Mutualisation de lignes FttH à partir d’un PM de grande capacité (PMGC) » et de « Cession d’un droit d’usage sur un bouquet de fibres dédiées », afin de de prévoir la prise de rendez-vous et la réalisation du raccordement palier par l’opérateur commercial ;

- le contrat « Mutualisation de lignes FttH à partir d’un PM de grande capacité », afin de prévoir la mise à disposition du brassage PMGC (raccordement de la ligne optique du client au réseau FttH de France Télécom) avant la réalisation du raccordement palier par l’opérateur commercial.

Il résulte des dispositions rappelées ci-dessus que, de manière générale, l’Autorité est compétente en règlement de différend pour préciser les conditions d’ordre technique de l’accès à un réseau de communications électroniques. En outre, les conventions ad hoc prévues à l’article L. 34-8-3 du CPCE précisent les conditions techniques de l’accès à la ligne en fibre optique.

·       Sur les modalités techniques de réalisation du raccordement palier

Les modalités de mise à disposition du raccordement palier font partie des modalités de l’accès en ce que le raccordement palier permet d’établir la continuité optique entre le point de mutualisation et la prise terminale située chez le client. Le raccordement palier constitue ainsi une condition de fourniture du service au client. Les modalités de mise à disposition du raccordement palier recouvrent notamment sa réalisation. Les modalités techniques de réalisation du raccordement palier font donc bien partie des modalités de l’accès.

Par conséquent, la demande de la société France Télécom tendant à la prise de rendez-vous et à la réalisation du raccordement palier par l’opérateur commercial est relative aux conditions techniques de l’accès et entre donc dans le champ de compétence de l’Autorité.

·       Sur les modalités techniques de réalisation du brassage

Le brassage au PMGC est l’action par laquelle Free Infrastructure assure la mise en continuité d’une ligne FttH desservant un local client avec le connecteur du Tiroir Optique Client installé au PMGC par l’opérateur commercial, et dans lequel ce dernier vient raccorder les fibres optiques de son réseau horizontal FttH.

Par conséquent, la demande de la société France Télécom tendant à la mise à disposition du brassage PMGC avant la réalisation du raccordement palier par l’opérateur commercial est relative aux conditions techniques de l’accès et entre dans le champ de compétence de l’Autorité.

Il résulte de l’ensemble des éléments qui précèdent que l’Autorité est compétente pour examiner l’ensemble des demandes de la société France Télécom.

3.      Sur la recevabilité de la demande de règlement de différend de la société France Télécom

Il appartient au demandeur d’établir par tout moyen que chacune des conclusions qui font l’objet d’une saisine de l’Autorité au titre de son pouvoir de règlement de différend a fait l’objet d’un refus de la part du défendeur ou que des négociations ont abouti à un échec ou un désaccord avant cette saisine.

3.1.   Invitation à la négociation du contrat de « Mutualisation de Ligne FttH à partir d’un PM de Grande Capacité (PMGC) »

Par un courrier en date du 2 juin 2010, la société France Télécom a fait parvenir à la société Free Infrastructure un exemplaire signé du contrat « Offre de Mutualisation de Ligne FttH à partir d’un PM de Grande Capacité (PMGC) ». La société France Télécom, qui considère qu’elle « est confrontée depuis plusieurs mois à l’impossibilité de négocier les conditions d’un contrat qu’ [elle] n’estime pas acceptable en l’état mais [qu’elle] ne peut admettre de se voir opposer plus longtemps le refus d’accès aux immeubles câblés par Free », a indiqué, d’une part, être « contrainte de souscrire le contrat proposé », d’autre part, qu’ « elle entend néanmoins réitérer formellement à cette occasion l’ensemble de ses demandes d’évolutions ».

La société France Télécom a demandé à la société Free Infrastructure « de répondre dans les meilleurs délais à [ses] demandes de précisions et d’évolutions figurant en annexe de courrier ». Elle a indiqué concernant le « contrat PMGC » que : « Ce document ne tient pas compte de nos principales remarques motivées au document initial que vous nous aviez transmis en décembre 2009 et dégrade encore manifestement les conditions pour France Télécom. En particulier vous supprimez la possibilité qui était offerte à France Télécom de prendre le rendez-vous avec son client pour le raccordement du local FttH réalisé par Free. C’est ainsi en toute connaissance de cause que Free a introduit cette régression, qui va complexifier encore un peu plus le processus de commercialisation de ses offres par France Télécom avec une pénalisation supplémentaire du client final ».

La société France Télécom a, en outre, demandé à la société Free Infrastructure « de faire évoluer [son] offre pour permettre à France Télécom de réaliser le raccordement du local FttH et pour que le brassage au PMGC soit effectué par Free avant la réalisation de ce raccordement du local FttH ».

Enfin, en attendant la mise en œuvre des évolutions souhaitées, France Télécom a proposé à Free Infrastructure des modalités d’accès intermédiaires, aux termes desquelles :

- « Free met à disposition des plages de rendez-vous de 2 heures (8h-10h et 13h-15h) dans lesquelles France Télécom prend rendez-vous avec son client pour la réalisation du raccordement du local FttH par Free » ;

- « Dans ces plages de rendez-vous, Free réalise le raccordement du local FttH et le brassage au PMGC pour permettre ensuite à France Télécom de réaliser  l’installation et la mise en service des équipements intérieurs dans le cadre d’un rendez-vous unique de 4 heures vu du client ».

3.2.   Invitation à la négociation du contrat de « Cession d’un droit d’usage sur un bouquet de fibres dédiées »

Par un courrier en date du 5 juillet 2010, la société France Télécom a fait parvenir à la société Free Infrastructure les deux exemplaires signés du contrat de « Cession d’un droit d’usage sur un bouquet de fibres dédiées ». La société France Télécom, qui considère que les délais de négociation de l’offre de Free Infrastructure étaient trop serrés, a émis le souhait d’engager de nouvelles discussions sur la base des remarques formulées par elle antérieurement à la signature du contrat, et rappelées en annexe au courrier. La société France Télécom a demandé à la société Free Infrastructure « de faire évoluer [son] offre pour permettre à France Télécom de fixer les rendez-vous d’intervention avec ses clients finals et de réaliser elle-même le raccordement FttH en application de la clause de l’article III.3.2-C » du « contrat fibres dédiées ».

3.3.   Négociation commerciale des contrats de « Mutualisation de Ligne FttH à partir d’un PM de Grande Capacité (PMGC) » et de « Cession d’un droit d’usage sur un bouquet de fibres dédiées »

Par un courrier en date du 22 novembre 2010, ayant pour objet l’« offre d’accès à la partie terminale des lignes de communications électroniques à très haut débit en fibre optique de France Télécom », la société Free Infrastructure a indiqué, sous réserve pour France Télécom de proposer dans sa propre offre d’accès les conditions suivantes :

- un tarif plafond de 125 euros pour la prestation de raccordement palier pour le compte des opérateurs commerciaux dans les immeubles dont France Télécom est opérateur d’immeuble, et

- une contribution d’un opérateur commercial au financement des raccordements palier commandés ou construits par les autres opérateurs commerciaux qui soit forfaitaire et plafonnée à 10 euros, qu’elle-même est disposée à proposer, en contrepartie, que France Télécom réalise les raccordements palier dans les immeubles dont Free Infrastructure est opérateur d’immeuble. La société Free Infrastructure ne précise pas si sa proposition vise ses deux offres de mutualisation, ou seulement le « contrat fibres dédiées ».

Dans deux courriers datés du 25 novembre 2010, la société France Télécom, constatant que ses courriers en date du 2 juin 2010 et du 5 juillet 2010 sont restés sans réponse, a réitéré ses demandes. La société France Télécom a indiqué, qu’ « à défaut de réponse sous huit jours ou de refus de faire droit à cette demande, France Télécom ne pourra que constater l’échec des négociations et saisir l’ARCEP en application de l’article L. 36-8 du CPCE ».

Dans un courrier en date du 7 décembre 2010, la société Free Infrastructure a indiqué à France Télécom : « nous comprenons que les demandes de France Télécom portent pour l’essentiel sur deux aspects :

- qu’Orange en tant qu’opérateur commercial puisse réaliser lui-même les opérations d’installation et de maintenance du raccordement palier pour ses abonnés lorsque le réseau vertical (et horizontal pour l’offre PMGC) est déployé et exploité par Free Infrastructure ;

que, pour l’offre PMGC, Free Infrastructure puisse établir une continuité optique au PMGC entre le réseau horizontal et la baie de France Télécom préalablement à la construction du raccordement client, pour qu’Orange puisse installer et activer son abonné final avec un seul rendez-vous.

Je vous confirme que les offres PMGC et l’offre de cession d’un droit d’usage sur un bouquet de fibres dédiées publiées par Free Infrastructure, qui ont fait l’objet de discussions entre nos équipes, et auxquelles vous avez souscrit en l’état, ne répondent pas à ces deux nouvelles demandes (…).

Nous sommes tout à fait disposés à étudier avec vous la manière dont nos offres FttH pourraient évoluer dans les prochains mois et s’adapter à vos attentes. Bien évidemment, nous souhaitons que France Télécom puisse symétriquement répondre à nos attentes en matière d’offres d’accès à la sous-boucle locale fibre et d’offres d’accès à la boucle locale cuivre. Plus précisément :

- concernant le parc quadri-fibres construit après le 17 janvier 2010, nous sommes disposés à faire droit très rapidement à votre demande de réalisation du raccordement palier, sous réserve de trouver un accord sur la quote-part maximale du coût de raccordement devant être payée par les autres opérateurs, dans l’offre Free comme dans l’offre France Télécom. Nous réitérons formellement notre proposition d’un plafond de l’ordre de 10 euros ; ce montant est supérieur au coût incrémental de matériel, de soudure d’une fibre dédiée sur le palier et de test ;

- concernant le parc construit avant le 17 janvier 2010, les évolutions de processus qui seraient nécessaires pour accéder à vos deux demandes sont plus lourdes et ne peuvent être réalisées immédiatement ; nous sommes disposés à étudier avec vous un processus cible et un calendrier d’implémentation, sous réserve d’une complète réciprocité sur le cuivre : nous souhaitons que Protelco, filiale d’Iliad, puisse être référencée comme sous-traitant de France Télécom sur le cuivre et soit autorisée à accéder aux bases de constitution de ligne (comme vos autres sous-traitants) pour intervenir en construction ou en service après-vente, a minima entre le PC et le logement. Nous sommes disposés à commencer par une expérimentation sur un nombre limité de répartiteurs, au premier trimestre 2011, afin de définir précisément le périmètre d’intervention et les processus ».

Par ce même courrier, Free Infrastructure a mis France Télécom en demeure :

- « de faire évoluer sous 15 jours votre offre d’accès aux colonnes montantes afin que la quote-part de financement d’un raccordement palier par un opérateur commercial n’en ayant pas initié la construction soit toujours inférieure à 10 euros, y compris si cet opérateur dispose d’une fibre dédiée ;

- de proposer sous 15 jours un protocole d’expérimentation permettant à Protelco d’intervenir en construction et en service après-vente sur les raccordements cuivre des abonnés Free (…) ; cette offre aura vocation à être étendue dès lors que l’expérimentation aura permis de préciser les processus ».

En réponse, la société France Télécom a indiqué à Free Infrastructure par un courrier daté du 30 décembre 2010 :

« Nous ne pouvons accepter votre réponse qui tend à conditionner l’examen de nos demandes à des évolutions, d’une part, de l’offre de dégroupage, au demeurant jamais exprimées depuis près de dix ans jusqu’à ce que Free, de manière tout à fait opportuniste en fasse la demande en octobre dernier, et d’autre part, de l’offre de mutualisation de France Télécom. Cette attitude constitue une nouvelle manœuvre de Free visant notamment à empêcher France Télécom d’accéder dans des conditions satisfaisantes au parc d’immeubles PMGC. Dans ces conditions, nous considérons votre réponse comme un refus de faire droit aux demandes légitimes d’évolution de France Télécom dans le cadre des contrats de mutualisation de Free (…). Nous ne pouvons donc que constater l’échec des négociations sur ces demandes ».

Par un courrier en date du 4 janvier 2011, la société Free Infrastructure a réitéré les termes de son courrier du 22 novembre 2010.

Il résulte des échanges entre les sociétés France Télécom et Free Infrastructure que :

- la société France Télécom apporte la preuve, qui lui incombe, d’une invitation à la négociation sur chacun des points qui font l’objet du présent règlement de différend ;

- les sociétés France Télécom et Free Infrastructure ne sont pas parvenues à s’entendre sur la révision des contrats de « Mutualisation de Ligne FttH à partir d’un PM de Grande Capacité (PMGC) » et de « Cession d’un droit d’usage sur un bouquet de fibres dédiées ».

Dans ces conditions, l’Autorité ne peut que constater l’échec des négociations sur l’ensemble des points du litige. La demande de règlement de différend de la société France Télécom est donc recevable en totalité.

4.      Sur le principe de permettre à France Télécom en qualité d’opérateur commercial de procéder au raccordement palier de ses clients

France Télécom demande que Free Infrastructure prévoie dans ses contrats de « Mutualisation de Ligne FttH à partir d’un PM de Grande Capacité (PMGC) » et de « Cession d’un droit d’usage sur un bouquet de fibres dédiées », la possibilité pour France Télécom, en tant qu’opérateur commercial, de prendre lui-même le rendez-vous avec ses clients, de réaliser lui- même le raccordement palier de ses clients et, dans le cas spécifique du « contrat PMGC », que Free Infrastructure réalise le brassage préalablement au raccordement palier.

Pour s’opposer à cette demande, Free Infrastructure fait valoir que « si la réglementation n’interdit effectivement pas à l’opérateur d’immeuble de confier la réalisation des raccordements palier à un tiers, la même réglementation fait porter à l’opérateur d’immeuble la responsabilité des travaux lequel dispose de toute liberté pour choisir l’éventuel tiers chargé de la réalisation des travaux »1. Qui plus est, Free Infrastructure considère que cette liberté contractuelle est la contrepartie de la responsabilité de plein droit de l’opérateur d’immeuble au titre de l’article R. 9-4 du CPCE pris en application de l’article L. 33-6 du même code.

·       Rappel du cadre juridique du raccordement palier

Il résulte de l’instruction que le déploiement de la fibre optique à l’intérieur des immeubles fait intervenir trois acteurs : l’opérateur d’immeuble, les propriétaires et les opérateurs commerciaux. L’opérateur d’immeuble, qui est au cœur des opérations d’installation du réseau, est investi d’une double responsabilité : à l’égard des propriétaires et à l’égard des opérateurs commerciaux.

A l’égard des propriétaires, l’opérateur d’immeuble est l’unique interlocuteur : il signe la convention  relative  à  l’installation  de  la  fibre  optique  dans  l’immeuble  et  assume    seul, vis-à-vis des propriétaires, la responsabilité du déploiement de la fibre dans l’immeuble.

Ainsi, aux termes de l’article L. 33-6 du CPCE :

« (…) les conditions d'installation, de gestion, d'entretien et de remplacement des lignes de communications électroniques à très haut débit en fibre optique établies par un opérateur à l'intérieur d'un immeuble de logements ou à usage mixte et permettant de desservir un ou plusieurs utilisateurs finals font l'objet d'une convention entre cet opérateur et le propriétaire ou le syndicat de copropriétaires (…)/ La convention prévoit en particulier que les opérations d’installation, d’entretien et de remplacement mentionnés à l’alinéa précédent se font aux frais de l’opérateur ».

L’article R. 9-4 du même code précise que les clauses de la convention prévue à l’article

L. 33-6 doivent respecter les dispositions suivantes :

« 1° L'opérateur signataire dessert les logements et locaux à usage professionnel de l'immeuble auxquels s'applique la convention par un chemin continu en fibre optique partant du point de raccordement et aboutissant à un dispositif de terminaison installé à l'intérieur de chaque logement ou local à usage professionnel (…) 2° Les modalités d'exécution des interventions ou travaux d'installation, de raccordement, de gestion, d'entretien ou de remplacement des lignes de communications électroniques à très haut débit en fibre optique dans l'immeuble sont de la responsabilité de l'opérateur. Celui-ci respecte le règlement intérieur de l'immeuble ou le règlement de copropriété, ainsi que les normes applicables et les règles de l'art. Les installations et chemins de câbles respectent l'esthétique de l'immeuble. L'opérateur signataire peut mandater un tiers pour réaliser certaines opérations mais il reste responsable de ces opérations à l'égard du propriétaire ou du syndicat des copropriétaires ».

 Il résulte de ces dispositions que l’opérateur d’immeuble, qui a signé une convention avec les propriétaires, est tenu d’assurer l’équipement total de l’immeuble par un réseau à très haut débit en fibre optique en installant, à la fois, la « colonne montante », qui permet de desservir tous les étages de l’immeuble, et les « raccordements palier » qui, à partir de chaque palier, permettent de desservir les logements.

Les dispositions de l’article R. 9-4 précitées laissent cependant la faculté à l’opérateur d’immeuble de mandater un tiers pour la réalisation de certains éléments du réseau FttH.

L’opérateur d’immeuble demeure toutefois responsable de toutes les opérations à l’égard des propriétaires.

A l’égard des opérateurs commerciaux, l’opérateur d’immeuble est tenu de faire droit aux demandes raisonnables d’accès à la fibre optique installée dans l’immeuble, au nombre desquelles, les demandes de raccordement effectif des logements.

Ainsi, selon l’article L. 34-8-3 du CPCE :

« Toute personne établissant ou ayant établi dans un immeuble bâti ou exploitant une ligne de communications électroniques à très haut débit en fibre optique permettant de desservir un utilisateur final fait droit aux demandes raisonnables d'accès à ladite ligne et aux moyens qui y sont associés émanant d'opérateurs, en vue de fournir des services de communications électroniques à cet utilisateur final (...) ».

La deuxième phrase du 1° de l’article R. 9-4 du même code précise en outre que :

« Le raccordement effectif des logements ou locaux peut être réalisé après la fin des travaux d’installation, notamment pour répondre (…) à une demande d’accès en vue de desservir un tel logement ou local émise par un opérateur au titre de l’article L. 34-8-3 ».

En analysant les dispositions du 2° de l’article R. 9-4 du CPCE, permettant à l’opérateur d’immeuble de mandater un tiers, à la lumière de cette double responsabilité qui incombe à l’opérateur d’immeuble, l’Autorité a rappelé dans sa décision n° 2011- 0846 que « l’opérateur d’immeuble ne saurait valablement invoquer la possibilité de mandater un tiers, pour imposer à l’opérateur commercial, contre son gré, la réalisation des « raccordements palier », dès lors que lui-même a l’obligation, d’une part, d’équiper l’immeuble jusqu’à l’intérieur des logements, d’autre part, de faire droit aux demandes raisonnables d’accès, et notamment aux demandes des opérateurs commerciaux tendant à ce que les raccordements palier soient mis à leur disposition par l’opérateur d’immeuble »2.

 Dans le cas, qui est celui de la présente demande de règlement de différend, où l’opérateur commercial demande à réaliser lui-même les raccordements palier permettant de desservir ses propres clients dans l’immeuble, aucune règle ne détermine les obligations de l’opérateur d’immeuble. Il appartient donc à l’Autorité de se prononcer en équité sur la demande de France Télécom.

·       Analyse au cas d’espèce

En l’espèce, France Télécom entend démontrer que le processus de commande d’un raccordement palier mis en place par Free Infrastructure dans ses deux contrats (i.) n’est pas raisonnable (ii).

i.            Il résulte des clauses des contrats « PMGC » et « fibres dédiées » que lorsqu’un client de France Télécom commande un service FttH et que son raccordement palier n’est pas encore construit - cas majoritaire aujourd’hui -, France Télécom doit commander à Free Infrastructure le raccordement client FttH. Free Infrastructure contacte alors le client de France Télécom pour fixer le rendez-vous de construction du raccordement palier. A la date convenue, Free Infrastructure vient poser la prise terminale optique (PTO) chez le client et la relie au point de branchement optique (PBO), qui constitue l’extrémité de la colonne montante. Pour les immeubles relevant du « contrat fibres dédiées », Free Infrastructure envoie alors à France Télécom un compte-rendu de raccordement. Pour les immeubles relevant du « contrat PMGC », Free Infrastructure effectue le brassage au PMGC permettant la mise en continuité de la ligne FttH depuis la PTO jusqu’au connecteur du tiroir optique relié au réseau horizontal de France Télécom dans un délai contractuel de 72 heures ouvrées après l’installation de la PTO chez le client, puis envoie un compte-rendu de raccordement à France Télécom.

 

ii.            Dans les deux cas, à la réception du compte-rendu de raccordement palier, France Télécom intervient chez son client pour effectuer sa mise en service commerciale : branchement et paramétrages des équipements terminaux (box et décodeur(s)). France Télécom considère que l’installation des équipements par un technicien Orange est un attribut important de l’offre commerciale fibre d’Orange. Free Infrastructure, qui indique que les clients Free reçoivent leur box par courrier et l’installent eux-mêmes, considère que cette prestation constitue uniquement un élément de marketing pour France Télécom et ne justifie pas une modification de son processus de raccordement palier.

France Télécom constate dans ses mémoires que le processus mis en place par Free Infrastructure dans ses contrats « fibres dédiées » et « PMGC » ne permet pas à France Télécom de proposer son service d’installation à domicile sans que son client ne supporte deux rendez-vous, à savoir : un premier rendez-vous avec Free Infrastructure pour la réalisation du raccordement client et un second rendez-vous avec France Télécom pour l’installation des équipements terminaux et la mise en service.

France Télécom considère que le double rendez-vous peut constituer une gêne pour le client qui doit être présent deux demi-journées. France Télécom dénonce donc cette contrainte et réclame la possibilité de faire le raccordement palier lui-même afin de limiter l’intervention chez le client à un seul rendez-vous.

France Télécom constate en outre que, concernant la réalisation du raccordement palier par Free Infrastructure, seul un délai indicatif de 23 jours est mentionné dans le « contrat PMGC » et aucun délai, même indicatif, n’est mentionné dans le « contrat fibres dédiées ». France Télécom dénonce cette absence de visibilité en termes de délai de traitement de sa commande de raccordement client, qui ne lui permet ni d’intervenir le même jour que Free Infrastructure chez son client, ni d’indiquer à ce dernier les dates de raccordement palier et de mise en service, et qui lui fait en conséquent perdre la maîtrise de sa relation client.

France Télécom considère enfin que la pose de la PTO chez le client est une prestation essentiellement commerciale qui ne devait pas être réalisée par un opérateur tiers. France Télécom souligne en effet que, dans le cas particulier du FttH, qui constitue une nouvelle technologie, « le premier contact direct entre le client final et un technicien d’intervention est primordial (…). La pose de la prise terminale optique nécessite un dialogue de nature commerciale entre l’opérateur et son client pour déterminer son implantation […] pour qu’elle corresponde à la fois aux souhaits du client et aux exigences du service de l’opérateur commercial. Si cette pose est effectuée par l’opérateur d’immeuble, elle peut ne pas correspondre aux souhaits du client »3.

Dans son arrêt du 24 février 2011 LRN c/ Mobius, la Cour d’appel de Paris a également rappelé que lorsqu’il statue en équité, « le régulateur doit exercer sa mission au regard des objectifs de la régulation en matière de communications électroniques définis par l’article L. 32-1 du CPCE, en se fondant, au-delà de la situation particulière d’un opérateur (…), sur des considérations touchant à l’ordre public économique ». Parmi ces objectifs, figure « l’exercice au bénéfice des utilisateurs d’une concurrence effective et loyale », qui garantit à la fois la concurrence entre opérateurs et les intérêts des utilisateurs.

·       Concernant la prise en compte de l’intérêt des utilisateurs

Au regard des différents points développés ci-avant, l’objectif de France Télécom d’éviter le double rendez-vous pour le client final semble légitime. En effet, l’organisation d’un double rendez-vous est porteuse d’inefficacité et de pénibilité pour le client.

Or, l’Autorité constate que la construction du raccordement palier par Free Infrastructure ne permet pas d’éviter le double rendez-vous pour les clients de France Télécom dans le cadre du « contrat fibres dédiées ».

En outre, dans le « contrat PMGC », la réalisation du brassage par Free Infrastructure après la construction du raccordement palier oblige en tout état de cause France Télécom à intervenir pour la mise en service commerciale plusieurs jours après cette construction, quel que soit l’opérateur ayant effectué le raccordement. En revanche, si l’obstacle lié au brassage était levé, en considérant le brassage réalisé avant la construction du raccordement palier, le cas du « contrat PMGC » serait similaire à celui du « contrat fibres dédiées » par rapport aux demandes de France Télécom.

Il semble donc que, pour le « contrat PMGC », à la fois la réalisation du brassage après la construction du raccordement palier et la construction du raccordement palier par Free Infrastructure ne permettent pas d’éviter le double rendez-vous pour le client final de France Télécom.

·       Concernant la promotion d’une concurrence effective et loyale entre opérateurs

L’Autorité rappelle tout d’abord que le statut d’opérateur d’immeuble ne justifie pas qu’un opérateur de communications électroniques intégré s’immisce dans la relation commerciale entre un opérateur commercial concurrent et son client.

Au cas d’espèce, l’Autorité constate qu’en refusant d’autoriser la société France Télécom à prendre le rendez-vous avec son client puis à réaliser elle-même le raccordement palier et la pose de la prise terminale optique dans les locaux de ce client, Free Infrastructure ne lui permet pas de proposer son service d’installation à domicile sans pénaliser son client avec un second rendez-vous.

Il existe donc un risque que l’opérateur d’immeuble puisse tirer avantage de sa position privilégiée dans l’immeuble en favorisant de facto son propre modèle de commercialisation sur le marché de détail, davantage compatible avec le processus de réalisation du raccordement palier puisque ne nécessitant pas une seconde intervention. Ceci pourrait par conséquent limiter la différenciation par les services des opérateurs commerciaux.

S’agissant du déploiement des réseaux FttH, au regard de l’objectif d’ « exercice au bénéfice des utilisateurs d’une concurrence effective et loyale », et au vu des justifications apportées par France Télécom, l’Autorité estime qu’il est équitable que France Télécom, en tant qu’opérateur commercial, puisse raccorder lui-même ceux de ses abonnés qui demandent à bénéficier d’une ligne en fibre optique et notamment prendre directement les rendez-vous. Ce principe et les conséquences qui en résultent s’appliquent aux deux contrats objets du présent litige. Dans le cadre spécifique du « contrat PMGC », la demande de France Télécom que le brassage soit effectué avant la réalisation du raccordement palier apparaît justifiée, puisqu’elle permet d’éviter un double rendez- vous.

Par conséquent, Free Infrastructure, en tant qu’opérateur d’immeuble, ne saurait se prévaloir de la responsabilité qui est la sienne, sur la totalité du réseau en fibre optique de l’immeuble, pour refuser à France Télécom, la possibilité de réaliser elle-même les raccordements palier de ses propres clients lorsque ces derniers ont commandé un service FttH et notamment de prendre elle-même les rendez-vous.

Toutefois, cette faculté pour France Télécom de réaliser elle-même les raccordements palier de ses clients ne peut s’appliquer que sous réserve du respect des règles de l’art et des modalités raisonnables définies de manière appropriée par Free Infrastructure.

5.      Sur les modalités de la réalisation du raccordement palier par France Télécom en qualité d’opérateur commercial

5.1.   Pour le contrat de « Cession d’un droit d’usage sur un bouquet de  fibres  dédiées »

Concernant les immeubles relatifs à son « contrat fibres dédiées », la société Free Infrastructure reconnait que « d’un point de vue uniquement technique, hors considération juridique ou d’équité, le raccordement palier pourrait être sous-traité à l’opérateur commercial »4, ce qu’elle a confirmé lors de l’audience du 21 juillet 2011.

Free Infrastructure considère toutefois que « faire droit aux demandes de France Télécom de réaliser les raccordements palier serait déraisonnable »5. A ce titre, Free Infrastructure invoque des obstacles réglementaires et contractuels communs aux deux contrats en indiquant que « Free Infrastructure est irréductiblement responsable vis à vis des bailleurs et copropriétaires. La contrepartie est notre liberté contractuelle pour choisir nos sous- traitants. En outre, certains bailleurs et copropriétaires ont retenu Free Infrastructure avec comme principale motivation la limitation du nombre d’intervenants dans les immeubles. Il serait exorbitant de maintenir la responsabilité de Free Infrastructure vis à vis des bailleurs et copropriétaires tout en lui ôtant sa responsabilité contractuelle de choix de ses sous- traitants »6. Enfin, Free Infrastructure considère la demande de France Télécom inéquitable, déclarant que « D’une manière générale, les opérateurs de boucle locale sont responsables de bout en bout entre la prise de l’abonné et le point de mise à disposition des opérateurs tiers »7 et argumentant qu’il serait délicat de partager les tâches sur la fibre alors que cela n’a jamais été imposé à France Télécom sur la boucle locale en cuivre, ni même testé.

Cependant, comme France Télécom le souligne, Free Infrastructure ne peut prétendre que confier la réalisation du raccordement palier serait contraire à la réglementation en vigueur puisqu’elle prévoit explicitement cette possibilité dans son « contrat fibres dédiées » : « Sur demande de l’opérateur commercial, Free Infrastructure étudiera les conditions selon lesquelles l’opérateur commercial pourrait réaliser directement ou confier à ses sous- traitants la réalisation de raccordements des locaux FttH de ses clients finals ». En effet, comme cela a été développé précédemment, le cadre législatif n’interdit pas à l’opérateur d’immeuble de mandater un tiers pour réaliser certaines opérations, notamment celles relatives aux travaux d’installation et de raccordement, sans que cela ne remette en cause sa pleine responsabilité vis-à-vis des propriétaires.

La délégation de certaines tâches par l’opérateur d’immeuble nécessite la mise en œuvre de contrats définissant des spécifications techniques, opérationnelles et juridiques afin de protéger l’opérateur d’immeuble au regard des responsabilités qui lui incombent vis-à-vis des bailleurs ou des syndicats de copropriétés. En pratique, Free Infrastructure sous-traite déjà certaines opérations démontrant ainsi la possible mise en œuvre de tels contrats encadrant le travail du sous-traitant.

En outre, concernant le partage des tâches sur la fibre, comme l’a souligné France Télécom dans ses observations en réplique du 2 mai 2011, les sociétés France Télécom et SFR ont construit à ce jour quelques milliers de raccordements palier en tant qu’opérateur commercial respectivement dans les immeubles déployés par SFR et France Télécom en tant qu’opérateur d’immeuble. Ainsi, les abonnés actuels au FttH via une offre de mutualisation résultent majoritairement d’un processus dans lequel l’opérateur commercial réalise le raccordement palier. Bien que le nombre d’abonnés à une offre FttH via une offre de mutualisation demeure encore faible, ce nombre fait l’objet d’une croissance forte et soutenue, laissant présager une mise en œuvre effective importante du processus dans lequel l’opérateur commercial réalise le raccordement palier.

Par ailleurs, à la lecture des conventions signées entre les bailleurs ou les syndicats de copropriétés et Free Infrastructure, il apparaît qu’aucune clause relative à la limitation du nombre d’intervenants dans un immeuble ne figure dans ces conventions.

A la suite des différents points développés précédemment, les arguments de Free Infrastructure visant à montrer le caractère déraisonnable et inéquitable de la demande de France Télécom ne sont pas retenus par l’Autorité.

Enfin, la réalisation du raccordement palier par France Télécom en tant qu’opérateur commercial nécessite la mise en œuvre d’un système d’information adapté. Or, une première version du protocole standardisé des flux d’informations liés à la mutualisation des lignes FttH a été finalisée par un groupe de travail regroupant les opérateurs et mise en ligne sur le site de l’ARCEP. Dans cette première version, figurent les flux d’informations relatifs à la commande d’accès et à la réalisation des raccordements palier, notamment lorsque c’est l’opérateur commercial qui effectue ce raccordement. La mise en œuvre du système d’information pour répondre à la demande de France Télécom de pouvoir prendre le rendez- vous client et de pouvoir réaliser le raccordement palier semble ainsi envisageable dans un délai raisonnable. Un délai de trois mois pourrait ainsi être retenu.

En conclusion, l’Autorité estime que la demande de France Télécom d’enjoindre à Free Infrastructure de modifier les dispositions de son « contrat fibres dédiées » afin de prévoir la réalisation du raccordement palier par France Télécom et notamment la prise de rendez-vous, est proportionnée.

5.2.   Pour le contrat de « Mutualisation de Ligne FttH à partir d’un PM de Grande Capacité (PMGC) »

De la même manière que pour le « contrat fibres dédiées », Free Infrastructure considère pour le « contrat PMGC » que « faire droit aux demandes de France Télécom de réaliser les raccordements palier serait déraisonnable » et que « faire droit dans leur état aux demandes de France Télécom serait inéquitable »8.

Plus particulièrement, concernant les immeubles relatifs à son « contrat PMGC », Free Infrastructure défend l’impossibilité de sous-traiter à France Télécom la réalisation des raccordements palier pour cause d’obstacles techniques : « l’architecture historique PMGC déployée jusqu’à début 2010 rend cette sous-traitance quasiment impossible »9.

Les obstacles règlementaires et contractuels développés par Free Infrastructure étant communs aux deux contrats, ces obstacles ne sont pas retenus par l’Autorité comme démontrant le caractère déraisonnable des demandes de France Télécom pour le « contrat PMGC », de la même manière qu’ils n’ont pas été retenus pour le « contrat fibres dédiées ». Il en est de même pour les arguments visant à démontrer le caractère inéquitable des demandes de France Télécom, qui ne sont pas davantage retenus.

Il reste donc à étudier les obstacles techniques dont fait part Free Infrastructure afin de juger du caractère proportionné des demandes France Télécom. A ce titre, pour  le  « contrat  PMGC », Free Infrastructure soulève dans ses secondes observations en défense, deux points techniques pour justifier sa position.

En premier lieu, Free Infrastructure indique que « Les fibres ne sont pas pré-affectées aux logements lors du déploiement de la colonne montante. Il n’est donc pas possible de dire à un opérateur commercial que telle ou telle fibre est réputée desservir tel ou tel logement ». Une telle spécificité technique impliquerait que les fibres optiques ne seraient pas identifiées au niveau du PMGC comme permettant de desservir un logement donné, tant que le raccordement palier jusqu’à la prise de l’abonné n’est pas effectué. En conséquence, dans ce cas de figure où les fibres ne sont pas pré-affectées, le brassage au PMGC, permettant de relier la fibre devant desservir un client souhaitant s’abonner à France Télécom et le réseau horizontal de ce dernier, ne pourrait pas être réalisé avant la construction du raccordement palier.

En second lieu, Free Infrastructure indique que « les boîtiers d’étage ne sont, en général, pas posés. (…)En fait, la colonne montante est conçue pour être construite progressivement, au fur et à mesure des souscriptions, jusqu’à son état final où tous les boîtiers palier seront posés et les raccordements palier construits. L’absence de boîtier palier et donc de frontière de responsabilité rend impossible la sous-traitance des raccordements palier à un opérateur qui n’aurait pas la responsabilité intégrale de la colonne montante. ».

Afin d’étudier plus en détail la faisabilité technique, considérons la technologie majoritairement déployée par Free Infrastructure dans ses immeubles et décrite dans ses mémoires dans le cadre de ce règlement de différend. Il s’agit de la technologie utilisant des câbles à fibres unitaires, déployée dans plus de 82% des immeubles du parc PMGC.

Dans sa réponse au second questionnaire envoyé par l’Autorité, Free Infrastructure définit pour la technologie câble à fibres unitaires le type de PBO « (ou boîtier palier, ou boîtier d’étage) » utilisé. Free Infrastructure indique que « Pour les colonnes à câble à fibres unitaires, les fonctionnalités du PBO sont assurées par 2 équipements : le BDV (Boîtier de DériVation) pour l’extraction des fibres et l’EPIBOX pour l’hébergement de l’épissure entre la fibre extraite du câble et celle vers le PTO ».

Or, dans son « contrat PMGC », Free Infrastructure indique, concernant la commande de raccordement d’un local FttH par un opérateur commercial, que « Le raccordement d’un local FttH est soumis aux conditions préalables suivantes :

- bon achèvement de la Prestation d’adduction du PMGC auquel est relié l’Immeuble à l’intérieur duquel est situé le Local FttH,

- passation d’une commande d’accès au Câblage Vertical de l’Immeuble concerné. »

Par ailleurs, dans ce même contrat, le Câblage Vertical est défini comme « [l’] ensemble de fibres optiques implantées par Free Infrastructure dans un Immeuble entre le point d’adduction de l’Immeuble et les Points de Branchement Optique inclus ». A la lecture du « contrat PMGC », il apparaît que lorsque France Télécom commande un raccordement client, le PBO, qui constitue l’extrémité de la colonne montante à partir de laquelle le raccordement palier sera effectué, est censé être disponible.

L’analyse du caractère proportionné des demandes de France Télécom sera donc conduite conformément au contrat conclu entre les parties.

Pour cette technologie déployée majoritairement, si l’on suppose le PBO disponible, cela signifie que l’ensemble {boîtier de dérivation + boîtier EPIBOX} est posé préalablement à l’opération de raccordement client. Lors de la réalisation du PBO, les fibres destinées au logement du client sont extraites de la colonne montante et posées en attente dans le boîtier EPIBOX. Ainsi, les fibres ayant vocation à être raccordées au local FttH seraient déjà extraites et identifiées lors de l’éventuelle intervention de France Télécom pour réaliser le raccordement palier. Il s’ensuit que :

- les fibres étant pré-affectées, il ne demeure aucun obstacle technique pour la réalisation du brassage au PMGC avant la réalisation du raccordement palier par France Télécom ;

- les fibres étant extraites de la colonne montante, France Télécom, lors de la construction du raccordement palier, n’interviendrait pas dans la colonne montante mais uniquement au niveau du boîtier EPIBOX pour réaliser une épissure.

Ainsi, Free Infrastructure, ou le sous-traitant qu’il aurait désigné à cet effet, serait le seul intervenant dans la colonne montante ; France Télécom n’interviendrait qu’à partir du PBO, permettant ainsi une bonne articulation des responsabilités de chacun.

Par conséquent, sur la base de l’étude des spécificités techniques de la technologie majoritairement déployée par Free Infrastructure dans ses immeubles, il apparaît que le PBO peut se matérialiser sous une forme qui permet l’intervention de France Télécom pour l’installation du raccordement palier.

Par ailleurs, au cours de l’audience, le 21 juillet 2011, Free Infrastructure a apporté des précisions sur les modalités techniques envisageables si l’Autorité faisait droit aux demandes de France Télécom. Concernant les immeubles relatifs au « contrat PMGC », la solution privilégiée par Free Infrastructure serait de référencer France télécom comme sous-traitant, y compris pour la colonne montante, en utilisant le cahier des charges déjà utilisé avec les  autres sous-traitants10. France Télécom pourrait alors réaliser elle-même l’extraction dans la colonne montante des fibres affectées au logement de son client. Free Infrastructure fait l’hypothèse à cet égard que le taux de succès de cette opération serait similaire à celui des autres sous-traitants.

Pour Free Infrastructure, cette modalité technique semble plus efficace que la solution consistant à ce que France Télécom commande la pose du boîtier palier avant d’effectuer le raccordement palier entre ce boîtier et la PTO. Toutefois, par défaut et à tout le moins, dans le cas où France Télécom, en tant que sous-traitant, ne parviendrait pas à réaliser l’extraction des fibres, Free Infrastructure a indiqué pouvoir poser les boitiers palier à la demande de France Télécom. Elle a toutefois indiqué que cela serait coûteux.

Sans préjuger de la solution technique qui sera privilégiée in fine par les parties, l’Autorité considère donc que les éléments techniques invoqués par Free Infrastructure ne constituent pas un réel obstacle.

En conséquence, au vu des points développés ci-avant, l’Autorité conclut que les demandes de France Télécom relatives au « contrat PMGC » sont proportionnées.

 Décide :

Article 1 : Il  est  prescrit  à  la  société  Free  Infrastructure  de  modifier  son  contrat   de « Cession d’un droit d’usage sur un bouquet de fibres dédiées » afin de prévoir, lorsqu’un client souscrit un abonnement chez France Télécom, la réalisation du raccordement palier par ce dernier entre la PTO et l’extrémité du câblage vertical tel que défini dans le contrat, et notamment la prise de rendez-vous, sous réserve du respect des règles de l’art et des modalités raisonnables définies de manière appropriée par Free Infrastructure.

Article 2 : Il  est  prescrit  à  la  société  Free  Infrastructure  de  modifier  son  contrat   de « Mutualisation de Ligne FttH à partir d’un PM de Grande Capacité (PMGC) » afin de prévoir, lorsqu’un client souscrit un abonnement chez France Télécom, la réalisation du raccordement palier par ce dernier entre la PTO et l’extrémité du câblage vertical tel que défini dans le contrat, et notamment la prise de rendez-vous, sous réserve du respect des règles de l’art et des modalités raisonnables définies de manière appropriée par Free Infrastructure.

Article 3 : Il  est  prescrit  à  la  société  Free  Infrastructure  de  modifier  son  contrat   de « Mutualisation de Ligne FttH à partir d’un PM de Grande Capacité (PMGC) » afin de prévoir la mise disposition du brassage PMGC avant la réalisation du raccordement palier par France Télécom.

Article 4 : La présente décision est applicable dans un délai de trois mois à compter de sa notification.

Article 5 : Le directeur des affaires juridiques de l’Autorité ou son adjoint est chargé de notifier aux sociétés France Télécom et Free Infrastructure la présente décision, qui sera publiée sous réserve des secrets protégés par la loi.

Notes :

1 Nouvelles observations de la société Free Infrastructure enregistrées le 8 juin 2011, page 10.

2 Décision n° 2011-0846 de l’Autorité du 21 juillet 2011 se prononçant sur une demande de règlement de différend opposant les sociétés Free Infrastructure et France Télécom.

3 Demande de règlement de différend enregistrée le 1er avril 2011, page 24.

4 Observations en défense de Free Infrastructure en date du 2 mai 2011.

5 Idem

6 Idem

7 Idem

8 Observations en défense de Free Infrastructure en date du 2 mai 2011.

9 Idem

10 Les STAS imposées aux sous-traitants de Free Infrastructure sont jointes aux observations en défense de Free Infrastructure