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Décisions

ARCEP, 31 mars 2011, n° 2011-0359

ARCEP

se prononçant sur une demande de règlement de différend opposant les sociétés SFR et France Télécom

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Silicani

Membre :

Mme Denis, Mme Toledano, M. Courtois, M. Coutant, M. Rapone

Avocat :

Maître Espenel

ARCEP n° 2011-0359

30 mars 2011

L’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes,

Vu le code des postes et des communications électroniques (ci-après CPCE), notamment ses articles L. 36-8, L. 44, R. 11-1 et D. 406-19 ;

Vu la décision n° 2008-0513 de l’Autorité en date du 27 mai 2008 précisant les méthodes de comptabilisation, de recouvrement et de tarification des coûts liés aux demandes de conservation des numéros mobiles en métropole ;

Vu la décision n° 2009-0637 de l’Autorité en date du 23 juillet 2009 précisant les modalités d'application de la portabilité des numéros fixes et l'acheminement des communications à destination des numéros portés fixes et mobiles ;

Vu le règlement intérieur de l’Autorité, modifié par la décision n° 2010-1354 de l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes en date du 16 décembre 2010 ;

Vu la demande de règlement de différend enregistrée à l’Autorité le 3 décembre 2010, présentée par la Société Française du Radiotéléphone (SFR), société anonyme au capital de 1 344 270 285 euros, immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Paris sous le numéro 403 106 537, dont le siège social est situé au 42, avenue de Friedland, 75008 Paris, et représentée par Madame Marie-Georges Boulay en qualité de directeur réglementation et concurrence, et ayant pour avocat Maître Alexandre Espenel ;

La société SFR demande à l’Autorité de :

1. « constater l’échec des négociations entre les sociétés SFR et France Télécom pour la période litigieuse allant du 1er octobre 2009 à la date de la décision à intervenir ;

2. fixer, à compter du 1er octobre 2009, un tarif des frais d’accès au service de la portabilité des numéros géographiques et non géographiques de la forme 09ABPQMCDU dans la convention d’interconnexion conclue entre les sociétés SFR et France Télécom qui n’excède pas, au total, 0,50 euro HT par demande, quel que soit le mode de traitement. »

La société SFR soutient que les tarifs de la société France Télécom concernant les frais d’accès au service de conservation des numéros fixes sont excessifs. Elle rappelle que ces tarifs doivent être orientés vers les coûts correspondants en application de l’article L. 44 du CPCE. Elle soutient que les principes de comptabilisation, de recouvrement et de tarification des coûts posés par la décision n° 2008-0513 de l’Autorité concernant les tarifs de conservation des numéros mobiles sont transposables pour le calcul des tarifs de conservation des numéros fixes au titre d’un traitement non discriminatoire des opérateurs et dans le respect du principe de neutralité technologique. La société SFR observe a priori qu’en appliquant la méthode des coûts directs variables retenue dans cette décision, le tarif d’une demande de conservation d’un numéro fixe ne devrait pas excéder celui d’une demande de conservation d’un numéro mobile, dont le plafond a été évalué à 0,50 euro HT. En effet, la société SFR indique, d’une part, que le caractère fixe du service de téléphonie demande moins de contrôles pour identifier le titulaire de la ligne et, d’autre part, que la société France Télécom peut s’appuyer sur des équipements destinés à mettre en œuvre le dégroupage total ou les déménagements de ses abonnés, ce qui réduit les prestations spécifiques au traitement de la conservation des numéros fixes. La société SFR estime, à partir d’une modélisation, qu’en appliquant la méthode de comptabilisation fondée sur les coûts incrémentaux, le coût moyen de traitement d’une demande de conservation du numéro fixe, quel que soit le mode de traitement, est évalué à 0,28 euro par demande. La société SFR souligne, par ailleurs, que les tarifs de la société British Telecom pour la conservation des numéros fixes au Royaume-Uni sont orientés vers les coûts incrémentaux depuis 2002 et s’élèvent depuis le 1er février 2006 à 0,49 £ par demande pour les abonnés grand public lorsque le traitement est automatisé et à 7,08 £ par demande pour les abonnés entreprise lorsque le traitement est manuel.

Vu le courrier de l’adjoint au directeur des affaires juridiques de l’Autorité en date du 10 décembre 2010 transmettant aux parties le calendrier prévisionnel de dépôt des observations et désignant les rapporteurs ;

Vu les observations en défense enregistrées le 7 janvier 2011, présentées par la société France Télécom, société anonyme immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Paris sous le numéro 380 129 866 et dont le siège social est situé au 6, place d’Alleray, 75505 Paris cedex 15, représentée par Monsieur Eric Debroeck, directeur des affaires réglementaires.

La société France Télécom demande à l’Autorité de rejeter l’ensemble des demandes de la société SFR.

La société France Télécom indique, à titre liminaire, que la demande de la société SFR s’inscrit dans un contexte de contentieux porté par la société France Télécom devant le Tribunal de commerce de Paris, visant, notamment au paiement de factures dues au titre des frais d’accès au service de conservation des numéros fixes contestées par la société SFR, et que, dans ce cadre, la société SFR « instrumentalise » l’Autorité par sa demande de règlement de différend. La société France Télécom soutient ensuite que la demande de la société SFR n’est manifestement pas raisonnable et dénuée de tout fondement. Elle relève en particulier que la société SFR procède à une lecture erronée du cadre règlementaire en ce que les principes prévus par la décision n° 2008-0513 de l’Autorité sont adaptés aux processus mis en œuvre pour la conservation des numéros mobiles et que ces processus sont distincts de ceux appliqués pour la conservation des numéros fixes, notamment eu égard à l’absence de gestion centralisée, à l’adhérence entre numéros d’appel et numéros d’accès, à l’existence d’abondants traitements manuels effectués par la société France Télécom pour répondre aux besoins spécifiques des opérateurs sur le marché entreprise, à la complexité des processus automatisés et au rôle essentiel de l’opérateur attributaire dans les processus de conservation des numéros fixes. La société France Télécom conteste le modèle de coûts de la société SFR et relève que ses tarifs sont justifiés au regard des processus spécifiques et nécessaires mis en place pour traiter les commandes de conservation des numéros fixes, compte tenu, en particulier, de la situation asymétrique de la société France Télécom par rapport à un opérateur tiers dans le traitement des demandes, la société France Télécom étant attributaire de la grande majorité des numéros fixes.

Vu les courriers du directeur des affaires juridiques de l’Autorité en date du 20 janvier 2011 transmettant aux parties un questionnaire des rapporteurs ;

Vu les observations en réplique enregistrées à l’Autorité le 21 janvier 2011, présentées par la société SFR, par lesquelles elle maintient ses demandes ;

La société SFR indique que les développements de la société France Télécom relatifs au contentieux devant le Tribunal de commerce de Paris sont sans fondement. Elle rappelle que sa demande est parfaitement fondée, en particulier s’agissant de l’application de la méthode de comptabilisation des coûts retenus par l’Autorité pour la conservation des numéros mobiles. Elle conteste l’argumentaire de la société France Télécom relatif aux différences que cette dernière a relevé entre processus de conservation des numéros fixes et mobiles. Elle soutient que ces différences de situation entre les processus fixes et mobiles sont marginales et qu’elle en tient compte dans ses calculs de coûts.

Vu la lettre de SFR signalant une erreur matérielle à la page 20 de sa saisine enregistrée à l’Autorité le 27 janvier 2011 et sa transmission à France Télécom le même jour ;

Vu le courrier du directeur des affaires juridiques de l’Autorité en date du 28 janvier 2011 transmettant aux parties la modification de la formulation de deux questions du questionnaire du 20 janvier à la suite de l’erreur matérielle de SFR ;

Vu les nouvelles observations en défense enregistrées à l’Autorité le 4 février 2011, présentées par la société France Télécom, par lesquelles elle maintient ses demandes ;

La société France Télécom indique que les coûts imputables à la mise en œuvre de la conservation des numéros fixes sont identifiés selon une méthode de comptabilisation en coûts complets. Elle soutient que l’Autorité ne pourrait établir une nouvelle méthodologie de comptabilisation des coûts que dans le cadre de la mise en œuvre de son pouvoir règlementaire prévu par l’article L. 36-6 du CPCE. Elle relève par ailleurs que les tarifs de conservation des numéros fixes de la société France Télécom sont soumis à un contrôle permanent de l’Autorité dans le cadre, d’une part, de leur publication au sein de l’offre de référence d’interconnexion et, d’autre part, de l’audit annuel des coûts de la société France Télécom. Elle conteste les arguments avancés par la société SFR relatifs aux différences marginales qui existeraient entre les processus de conservation des numéros fixes et mobiles. La société France Télécom souligne que du fait de l’asymétrie entre elle et les autres opérateurs, l’approche en coût marginal telle qu’existante pour la conservation des numéros mobiles n’est pas adaptée à la conservation des numéros fixes. La société France Télécom relève la fragilité des hypothèses retenues par la société SFR dans son modèle de coûts s’agissant notamment des coûts de développements et de main d’œuvre.

La société France Télécom propose une comparaison européenne dont elle déduit que les tarifs de conservation des numéros fixes proposés en France sont parmi les plus bas pratiqués en Europe et conteste l’analyse de la société SFR s’agissant de l’exemple britannique en ce qu’elle n’a pas pris en compte la diversité des tarifications liée à la complexité des demandes de conservation des numéros fixes portant sur plusieurs numéros.

Vu la réponse au questionnaire du 20 janvier, présentée par la société SFR, enregistrée à l’Autorité le 10 février 2011 et complétée les 16 février et 21 février 2011 ;

Vu la réponse au questionnaire du 20 janvier, présentée par la société France Télécom, enregistrée à l’Autorité le 10 février 2011 et complétée le 15 février 2011 ;

Vu les secondes observations en réplique, enregistrées à l’Autorité le 10 février 2011, présentées par la société SFR, par lesquelles elle maintient ses demandes.

La société SFR souligne que l’Autorité peut dans le cadre du règlement de différend déterminer en équité la méthode de comptabilisation des coûts de conservation des numéros fixes. La société SFR soutient notamment que le rôle d’opérateur attributaire de la société France Télécom n’engendre pas de coûts incrémentaux, que l’opération de fiabilisation est hors du périmètre de ces coûts, de même s’agissant des coûts commerciaux et des coûts communs. La société SFR justifie et maintient les hypothèses de coûts retenues dans son évaluation.

Vu les courriers du directeur des affaires juridiques de l’Autorité en date du 22 février 2011 transmettant aux parties un second questionnaire des rapporteurs ;

Vu la réponse au questionnaire du 22 février 2011, enregistrée à l’Autorité le 2 mars 2011, présentée par la société France Télécom ;

Vu les nouvelles observations en défense, enregistrées à l’Autorité le 2 mars 2011, présentées par la société France Télécom, par lesquelles elle maintient ses demandes ;

La société France Télécom rappelle sa situation particulière à la fois d’attributaire majoritaire des numéros fixes et d’opérateur de boucle locale cuivre conduisant à des processus de conservation des numéros fixes divers et complexes. La société France Télécom relève les incohérences du modèle présenté par la société SFR en ce que, notamment, le niveau de coûts évalué par la société SFR est inférieur au niveau de coûts résultant de la décision n° 2008- 0513 susvisée alors même que la société SFR intègre des coûts d’investissements non compris dans l’évaluation de l’Autorité.

Après avoir entendu, le 22 mars 2011, lors de l'audience devant le collège de l’Autorité (composé de M. Jean-Ludovic Silicani, président, Mmes Marie Laure Denis et Joëlle Toledano et MM, Daniel-Georges Courtois, Jérôme Coutant et Denis Rapone) :

- le rapport de M. Nicolas Desmons, rapporteur, présentant les conclusions et les moyens des parties ;

- les observations de Mme Marie-Georges Boulay, directeur réglementation et concurrence, et de Maître Alexandre Espenel, pour la société SFR ;

- les observations de M. Didier Dillard, directeur de la réglementation France, pour la société France Télécom ;

En présence de :

- Mme Françoise Trevisani, M.M, Thierry Mutschler et Bruno de Saint Jean, pour la société France Télécom ;

- Mme Emma Moreno, M. Laurent Papiernik et M. Jean-David Allouche, pour la société SFR ;

- M. Philippe Distler, directeur général, MM. Michel Combot et François Lions, directeurs généraux adjoints, MM. Nicolas Desmons et Francesco Materia, rapporteurs adjoints, M. Loic Taillanter, directeur adjoint des affaires juridiques, Mme Natacha Dubois, M. Christian Guenod et M. Christophe Cousin, agents de l'Autorité.

Sur la publicité de l'audience

L'article 15 du règlement intérieur susvisé prévoit : « l'audience est publique, sauf demande conjointe de toutes les parties. Si cette demande n'est pas conjointe, le collège de l'Autorité en délibère ».

Par une lettre en date du 17 mars 2011, la société SFR a demandé que l’audience soit publique.

Par une lettre en date du 17 mars 2011, la société France Télécom a demandé que l’audience soit également publique.

En conséquence, l’audience a été publique.

Le collège de l’Autorité (composé de M. Jean-Ludovic Silicani, président, Mme Marie Laure Denis et MM Daniel-Georges Courtois, Jérôme Coutant et Denis Rapone) en ayant délibéré le 31 mars 2011, hors la présence du rapporteur, du rapporteur adjoint et des agents de l'Autorité, adopte la présente décision fondée sur les faits et les moyens exposés ci-après.

1.  Sur le contexte du règlement de différend

La demande de règlement de différend déposée par la société SFR à l’encontre de la société France Télécom porte sur les tarifs des frais d’accès au service (ci après « FAS ») de conservation des numéros fixes géographiques et non géographiques de la forme 09ABPQMCDU de la société France Télécom. L’Autorité rappelle ci-après les principaux éléments de contexte dudit différend.

a) Cadre réglementaire : modalités de mise en œuvre de la conservation des numéros fixes

La conservation des numéros fixes est un droit de l’abonné, inscrit dans l’article L. 44 du CPCE, qui permet à tout abonné à un service de téléphonie fixe de conserver son numéro de téléphone (géographique ou non géographique) lorsqu'il change d'opérateur. Ce droit est applicable quel que soit le numéro de l’abonné et quel que soit l’opérateur concerné.

La décision n° 2009-0637 susvisée précise les modalités d’application de la conservation des numéros fixes et l’acheminement des communications à destination des numéros portés fixes et mobiles et rappelle notamment le principe de simple guichet qui « permet à l’abonné de contacter directement le nouvel opérateur de son choix (ci-après « opérateur receveur ») en lui permettant de réaliser l’ensemble des démarches administratives relatives à sa demande de portabilité et de résiliation automatique de son contrat auprès de son ancien opérateur (ci- après « opérateur donneur ») ».

b) Tarification actuelle des FAS de mise en œuvre de la conservation des numéros fixes par France Télécom

La mise en œuvre de la conservation des numéros fixes est une prestation réalisée par l’opérateur donneur (l’ancien opérateur de l’abonné) pour l’opérateur receveur (le nouvel opérateur).

La structure tarifaire actuellement mise en œuvre par la société France Télécom pour cette prestation1 est constituée :

- d’un tarif fixe dépendant du mode de traitement de la demande :

· totalement automatisé : 1,50 euro HT par demande ;

· partiellement manuel : 6 euros HT par demande ;

- d’un tarif variable en fonction du nombre de numéros concernés par la demande : 1,53 euro HT par numéro.

Une demande concerne un ou plusieurs numéro(s) consécutif(s), objet(s) d’un même contrat, pour un même client, sur un même site.

Ainsi, pour un abonné sur le marché entreprise, qui peut disposer d’un nombre important de ressources en numérotation, une demande peut porter sur une séquence de numéros consécutifs2.

2.  Sur la compétence de l’ARCEP

Aux termes du I de l’article L. 36-8 du CPCE, l'Autorité peut être saisie d'un différend entre deux parties « en cas de refus d’accès ou d'interconnexion, d'échec des négociations commerciales ou de désaccord sur la conclusion ou l'exécution d'une convention d'interconnexion ou d'accès à un réseau de communications électroniques (…). Sa décision est motivée et précise les conditions équitables, d'ordre technique et financier, dans lesquelles l'interconnexion ou l'accès doivent être assurés ».

Les prestations dont la modification des tarifs est demandée par la société SFR relèvent de l’exécution de la convention d’interconnexion qu’elle a conclue avec la société France Télécom. Dans le cadre de cette convention, la société France Télécom fournit à la société SFR les prestations permettant d’assurer la conservation des numéros géographiques et non géographiques qui relèvent clairement de prestations d’interconnexion et d’accès.

Par conséquent, l’Autorité est compétente pour connaître de la demande de la société SFR relative aux tarifs des FAS de conservation des numéros géographiques et non géographiques de la forme 09ABPQMCDU, au titre du I de l’article L. 36-8 précité, ce que la société France Télécom ne conteste pas.

3.  Sur l’échec des négociations sur les demandes de la société SFR en ce qu’elles portent sur une période remontant au 1er octobre 2009

Concernant l’échec des négociations ou le désaccord requis par l’article L. 36-8 du CPCE précité, la société SFR produit un courrier, adressé à la société France Télécom le 21 septembre 2009, portant contestation des tarifs imposés par la société France Télécom et lui demandant de « revoir dès à présent les deux composantes du tarif pratiqué pour le  traitement des demandes de portabilité, qui ne sauraient au total excéder le tarif de 0,50 euros HT par accès ou groupement d’accès porté. Nous vous demandons donc de modifier votre offre d’interconnexion en ce sens sous 15 jours calendaires à compter de la réception  de ce courrier, et vous notifions du fait que nous ne certifierons vos factures de portabilité qu’à la hauteur de 0,50 euro HT par accès ou groupement d’accès porté pour ce  qui concerne les services rendus après le 1er octobre 2009 ».

Les échanges écrits qui font suite montrent que la société France Télécom n’a jamais fait droit à cette demande formulée par la société SFR en date du 21 septembre 2009 et que la société SFR, s’il est vrai qu’elle a payé les factures des prestations du présent litige, conteste toujours les tarifs appliqués par la société France Télécom qui ne lui paraissent pas conformes au cadre réglementaire en vigueur.

Dans les circonstances de l’espèce, les demandes de la société SFR relatives aux tarifs des FAS de conservation des numéros géographiques et non géographiques sont recevables en tant qu’elles portent sur une période litigieuse qui a débuté le 1er octobre 2009, ce que ne conteste pas d’ailleurs France Télécom.

4.  Sur le fond

 a) Sur la demande de SFR

La demande de SFR a pour objet la fixation d’une tarification qui, en moyenne, n’excède pas 0,50 euro HT par demande, quel que soit le processus de conservation du numéro fixe mis en œuvre par la société France Télécom.

Dans sa lettre du 21 septembre 2009, la société SFR demande à la société France Télécom de « revoir dès à présent les deux composantes du tarif pratiqué pour le traitement des  demandes de portabilité, qui ne sauraient au total excéder le tarif de 0,50 euro HT par accès ou groupement d’accès porté. Nous vous demandons donc de modifier votre offre d’interconnexion en ce sens sous 15 jours calendaires à compter de la réception de ce courrier, et vous notifions du fait que nous ne certifierons vos factures de portabilité qu’à la hauteur de 0,50 euro HT par accès ou groupement d’accès porté pour ce qui concerne les services rendus après le 1er octobre 2009 ».

Dans sa saisine devant l’Autorité3, la société SFR réitère sa demande tendant à « fixer, à compter du 1er octobre 2009, un tarif des frais d’accès au service de la portabilité des numéros géographiques et non géographiques de la forme 09ABPQMCDU dans la convention d’interconnexion conclue entre SFR et France Télécom qui n’excède pas, au total, 0,50 euro HT par demande, quel que soit le mode de traitement ».

Dans le cadre de sa réponse du 10 février 2011 au questionnaire des rapporteurs du 20 janvier 2011, la société SFR précise qu’elle « a demandé à FT et sollicite de l’ARCEP qu’elle fixe un tarif qui n’excède pas au total 0,50 euro HT, par demande. SFR n’est pas opposée à ce que FT maintienne deux tarifs distincts selon le mode de traitement des demandes, sous réserve, qu’au total, ce tarif n’excède pas 0,50 euro en moyenne par demande. C’est dans cette perspective que les démonstrations de SFR ont été développées dans sa saisine. ». Afin de donner une portée utile aux écritures de la société SFR, l’Autorité interprète l’expression « ce tarif » comme visant en réalité les deux tarifs pratiqués par la société France Télécom.

En revanche, l’Autorité relève qu’au vu des éléments du dossier, confirmés par les observations de la société SFR lors de l’audience devant le collège en date du 22 mars 2011, la société SFR n’a pas précisé ce qu’elle entendait par « au total », c'est-à-dire la manière dont elle calculait ce plafond tarifaire correspondant aux deux tarifs de l’offre de France Télécom. Dans sa réponse du 10 février 2011 au questionnaire des rapporteurs du 20 janvier 2011, la société SFR précise qu’elle « ne demande pas une péréquation tarifaire en vue d’un tarif unique mais une application pondérée des deux tarifs ». En outre, dans sa saisine, la société SFR apporte certains autres éléments visant à évaluer le plafond tarifaire. Elle évalue « la moyenne des coûts incrémentaux de traitement d’une demande de portabilité quel que soit le mode de traitement à 0,28 euro par demande » en calculant le coût incrémental d’un traitement automatisé à 0,22 euro, celui d’un traitement manuel à 6,14 euros puis en pondérant ces tarifs avec, comme hypothèse, les taux de « 99 % des demandes à 0,22 euros et 1% des demandes à 6,14 euros ». Elle déduit de ce calcul que « cette évaluation des coûts de portabilité conforte la demande de SFR d’un tarif de FAS qui ne saurait excéder au total 0,50 euro par demande ».

En conséquence, l’objet du différend, tel que défini dans la lettre de la société SFR à la  société France Télécom du 21 septembre 2009 et éclairé par les écritures de la société SFR devant l’Autorité, porte uniquement sur la fixation d’un plafond à la moyenne pondérée des deux tarifs litigieux de France Télécom, à un niveau qui ne dépasse pas 0,50 euro HT.

b) Sur le caractère inéquitable de la demande tarifaire de SFR

Comme l’a relevé la cour d’appel de Paris dans l’arrêt du 24 février 2011 Mobius/La Réunion numérique, il appartient à l’Autorité d’exercer sa mission au regard des objectifs de la régulation en matière de communications électroniques définis par l’article L 32-1 du CPCE, en se fondant, au-delà de la situation particulière d’un opérateur, sur des considérations touchant à l’ordre public économique. En outre, il revient à un opérateur qui souhaite que les conditions techniques et tarifaires soient appréciées en équité de se prévaloir d’éléments précis de nature à établir le bien fondé de ses prétentions (même arrêt).

En l’espèce, SFR n’apporte aucun élément de nature à démontrer qu’un encadrement des tarifs des différents processus de conservation des numéros fixes par un plafond s’appliquant sur la moyenne des tarifs serait équitable.

L’Autorité estime que l’encadrement par anticipation des deux tarifs de conservation des numéros fixes au travers d’un plafonnement en moyenne ne peut être envisageable que dans la mesure où il résulterait que l’ensemble des processus de conservation du numéro fixe conduisent ex ante à des coûts recouvrables de niveaux similaires, rendant ainsi le tarif moyen insensible aux proportions des demandes par l’un ou l’autre de ces processus, telles qu’elles peuvent être constatées ex-post.

Eu égard aux éléments apportés par les parties au cours de l’instruction, l’Autorité considère, au contraire, qu’il existe des différences significatives de coûts recouvrables existants entre les processus grand public et entreprise de la société France Télécom. En effet, sur le marché entreprise, les processus exigent des traitements manuels pour lesquels l’Autorité évalue que les coûts recouvrables sont bien supérieurs aux 0,50 euro HT évoqués par la société SFR. La société SFR ne conteste pas ces écarts de coûts dont elle a fourni des estimations allant de 0,22 euro HT à 6,14 euros HT. Il semble ainsi fondé de recourir à une structure tarifaire différenciant plusieurs tarifs en fonction des processus mis en œuvre compte tenu de la structure de coûts spécifique à chaque type de processus, en particulier pour ne pas faire supporter à la société France Télécom les éventuelles évolutions des effets de la stratégie de conquête que pourrait adopter la société SFR, et plus précisément des effets d’une répartition différente des demandes de conservation des numéros fixes entre les marchés grand public et entreprise. Dès lors, la fixation, ex ante, d’un plafond tarifaire global (ou moyen) s’avère impossible.

Enfin, l’évocation par la société SFR des objectifs énoncés dans la décision n° 2008-0513 susvisée applicables au marché mobile ne saurait suffire à justifier un alignement sur un tarif maximal de 0,50 euro HT estimé par l’Autorité dans le cadre de la conservation du numéro mobile. Les postes de coûts directs et variables et, a fortiori, leurs valorisations, sont en effet intrinsèquement liés aux spécificités des processus de conservation du numéro mobile d’une part et du numéro fixe d’autre part.

Par conséquent, il est inéquitable d’imposer à la société France Télécom un tel encadrement tarifaire pour ses deux tarifs de conservation de numéros fixes, ce qui constitue l’unique demande de la société SFR.

La demande de la société SFR doit donc être rejetée.

Décide :

Article 1er : La demande de la société SFR est rejetée.

Article 2 : Le directeur des affaires juridiques de l’Autorité ou son adjoint est chargé de notifier aux sociétés SFR et France Télécom la présente décision qui sera rendue publique, sous réserve des secrets protégés par la loi.

 

Notes :

1 Tarifs disponibles dans l’offre de référence Interconnexion de France Télécom à l’adresse suivante : http://www.orange.com/fr_FR/reseaux/documentation/att00016987/11-SVA.281009.pdf

2 Numéros dits de « sélection directe à l’arrivée » (SDA) rattachés au numéro d’identification de son installation (NDI, également désigné par le terme « tête de ligne »)

3 Page 25 de la saisine de la société SFR.