Livv
Décisions

ARCEP, 14 décembre 2010, n° 2010-1351

ARCEP

se prononçant sur une demande de règlement de différend opposant les sociétés France Télécom et SFR

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M Silicani

Membre :

Mme Toledano, M. Bridoux, M. Courtois, M. Rapone

Avocat :

Maître Espenel

ARCEP n° 2010-1351

13 décembre 2010

L’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes,

Vu le code des postes et des communications électroniques (ci-après CPCE), notamment ses articles L. 36-8 et R. 11-1 ;

Vu la décision n° 2007-0213 de l’Autorité en date du 16 avril 2007 portant sur les obligations imposées aux opérateurs qui contrôlent l’accès à l’utilisateur final pour l’acheminement des communications à destination des services à valeur ajoutée ;

Vu la décision n° 2008-0896 de l’Autorité en date du 29 juillet 2008 portant sur la définition des marchés pertinents de la téléphonie fixe, la désignation d’opérateurs exerçant une influence significative sur ces marchés et les obligations imposées à ce titre ;

Vu la décision n° 2010-1254 de l’Autorité en date du 25 novembre 2010 se prononçant sur une demande de règlement de différend opposant les sociétés SFR et France Télécom ;

Vu le règlement intérieur de l’Autorité, modifié par la décision n° 2009-0527 de l’Autorité en date du 11 juillet 2009 ;

Vu la demande de règlement de différend enregistrée à l’Autorité le 19 août 2010, présentée par la société France Télécom, société anonyme immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Paris sous le numéro 380 129 866 et dont le siège social est situé au 6, place d’Alleray, 75505 Paris cedex 15, représentée par Monsieur Eric Debroeck, directeur des affaires réglementaires.

La demande de la société France Télécom porte sur les conditions tarifaires des prestations de départ d’appel et de majoration SVA (services à valeur ajoutée) que la société SFR fournit à la société France Télécom. La société France Télécom demande à l’Autorité :

1. de constater l’échec des négociations entre les deux sociétés ;

2. d’enjoindre à la société SFR de fixer son tarif de départ d’appel au départ des boucles locales fixes depuis le 1er octobre 2008 afin qu’il ne dépasse pas un plafond correspondant au maximum au pourcentage d’écart entre le tarif de terminaison d’appel de la société SFR et de la société France Télécom sur leurs boucles locales fixes ;

3. d’enjoindre à la société SFR de fixer à partir du 1er janvier 2008 pour la prestation de majoration SVA de la société SFR un tarif symétrique à celui figurant dans l’offre de référence de la société France Télécom en vigueur.

La société France Télécom soutient notamment qu’elle conteste les tarifs des prestations en cause depuis le 5 novembre 2007 ; que ces tarifs font l’objet d’une régulation symétrique au titre de la décision n° 2007-0213 imposant de faire droit aux demandes raisonnables des opérateurs visant à rendre les numéros SVA accessibles dans des conditions objectives, transparentes et non discriminatoires, ce qui impliquerait une obligation de non excessivité ; que le départ d’appel de SFR n’a pas évolué en trois ans et que l’asymétrie avec son propre départ d’appel est passée de 120% à 144% ; que ses demandes d’abaissement des tarifs des prestations en cause sont légitimes au regard des risques de distorsion de concurrence.

Vu les observations en défense enregistrées le 24 septembre 2010, présentées par la Société Française du Radiotéléphone (SFR), société anonyme au capital de 1 344 270 285 euros, immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Paris sous le numéro  403 106 537, et dont le siège social est situé au 42, avenue de Friedland, 75008 Paris, représentée par Madame Marie-Georges Boulay, Directeur de la réglementation, dûment habilitée, et ayant pour avocat Maître Alexandre Espenel, du cabinet Barbaud, Colliot, Espenel.

En défense, la société SFR demande à l’Autorité de :

1. constater que l’échec des négociations s’est matérialisé le 21 mai 2010 ;

2. constater que les tarifs de la société SFR respectent le cadre réglementaire et notamment l’absence de contrainte tarifaire ex ante, et qu’il serait inéquitable de les modifier ;

3. constater que la société France Télécom n’apporte pas la preuve du caractère indispensable et proportionné de ses demandes ;

4. rejeter en conséquence l’ensemble des demandes de la société France Télécom.

La société SFR soutient ainsi notamment que des discussions et négociations sur les tarifs de SFR ont perduré jusqu’au 21 mai 2010 ; que seules les prestations de départ d’appel et de majoration SVA de France Télécom sont régulées ex ante et que la décision n° 2007-0213 n’impose aucune obligation tarifaire, ni a fortiori aucune obligation de symétrie des tarifs ; qu’elle se borne à prévoir une obligation technique d’accessibilité que SFR n’a jamais méconnue ; que sa majoration SVA se justifie au regard de celle de France Télécom ; que son tarif de départ d’appel ne fait pas l’objet d’une obligation d’orientation vers les coûts, contrairement à celui de France Télécom, seul opérateur exerçant une influence significative sur ce marché ; qu’une baisse potentielle de son départ d’appel n’aurait aucun effet sur le consommateur  final  mais  conduirait  uniquement  à  un  transfert  de  marge  au  bénéfice  de France Télécom ; que la demande de symétrie tarifaire faite par France Télécom sur la majoration SVA est injustifiée puisque SFR se borne à appliquer les tarifs que France Télécom pratique depuis dix ans ; qu’une décision de l’Autorité qui viendrait baisser le tarif du départ d’appel serait inéquitable, au regard notamment de la position de France Télécom sur les marchés de l’accès et de la collecte des appels vers les SVA.

Vu les observations en réplique enregistrées à l’Autorité le 8 octobre 2010, présentées par la société France Télécom, par lesquelles elle maintient ses demandes.

La société France Télécom soutient que la société SFR, au regard des courriers et d’une procédure initiée par SFR devant le tribunal de commerce de Paris pour obtenir le paiement des sommes impayées par France Télécom, ne peut valablement prétendre qu’aucun désaccord n’est matérialisé avant le 21 mai 2010 ; que ses demandes tarifaires sont claires, constantes  et  réitérées  depuis  le  5  novembre  2007  pour  la  majoration,  et  depuis  le     17 avril 2008 pour le départ d’appel ; que l’ARCEP peut régir les conditions financières de prestations d’accès et d’interconnexion même en l’absence d’obligations tarifaires préexistantes, en équité ; que la décision n° 2007-0213 impose une obligation symétrique ex ante d’accès raisonnable aux numéros SVA qui serait méconnue dès lors qu’un opérateur qui contrôle l’accès aux SVA imposerait des tarifs manifestement excessifs ; qu’une régulation ex post des tarifs de SFR est nécessaire compte tenu du poids relatif croissant des opérateurs alternatifs sur l’accès à la boucle locale, et faute de pression concurrentielle sur leurs tarifs de départ d’appel ; que sa demande n’aboutit pas à faire peser sur SFR une obligation tarifaire forte telle celle d’orientation vers les coûts, mais consiste en une simple règle de proportionnalité, permettant un rééquilibrage des tarifs respectifs des parties ; que concernant la majoration SVA, SFR ne fournit aucune explication justifiant un tarif non compatible avec l’exercice d’une concurrence loyale entre opérateurs.

Vu  les  courriers  du  directeur  des  affaires  juridiques  de  l’Autorité  en  date  du      11 octobre 2010, transmettant aux parties un questionnaire des rapporteurs ;

Vu les réponses des parties au questionnaire précité, enregistrées le 29 octobre 2010 ;

Vu les nouvelles observations en défense enregistrées à l’Autorité le 22 octobre 2010, présentées par la société SFR, par lesquelles elle maintient ses demandes.

La société SFR soutient que la période litigieuse court à compter du 21 mai 2010 pour le départ d’appel faute de contestation ou demande de négociation formulée clairement par France Télécom, et à compter du 21 mai 2010, voire à titre subsidiaire du 11 mai 2009, pour la majoration SVA ; que les tarifs mis en cause ne font l’objet d’aucune régulation tarifaire ex ante, ce que reconnaîtrait  France  Télécom ;  que  les  obligations  résultant  de  la  décision n° 2007-0213 visent l’ouverture « technique » des numéros sur le réseau de l’opérateur de boucle locale, ce que SFR n’a jamais refusé ; que le fait que SFR progresse sur les marchés de l’accès ne saurait justifier la demande de France Télécom ; que ses demandes quant au départ d’appel n’auraient aucun effet sur le consommateur et ne bénéficieraient qu’à France  Télécom ; qu’une décision de régulation tarifaire serait inéquitable et contraire aux objectifs prévus à l’article L. 32-1 du CPCE.

Vu  les  courriers  du  directeur  des  affaires  juridiques  de  l’Autorité  en  date  du      22 novembre 2010, transmettant aux parties un nouveau questionnaire des rapporteurs ;

Vu les réponses des parties au questionnaire précité, enregistrées le 30 novembre 2010 ;

Vu les nouvelles observations en réplique enregistrées à l'Autorité le 2 décembre 2010, présentées par la société France Télécom, par lesquelles elle demande à l'Autorité d'enjoindre à la société SFR de fixer à partir du 1er janvier 2008 pour la prestation de majoration SVA un tarif symétrique à celui figurant dans la décision n° 2010-1254 du  25 novembre 2010 susvisée.

La société France Télécom soutient, au regard de cette décision de règlement d’un différend portant sur la majoration SVA de France Télécom, que l’opérateur départ doit pratiquer des tarifs raisonnables sur cette prestation ; que SFR ne fournit aucun élément permettant d’attester de l’existence de coûts liés à cette prestation et que le niveau tarifaire doit être apprécié au regard du nombre de tickets d’incidents relatifs à des incidents techniques concernant l’acheminement des communications à destination des numéros SVA de la responsabilité d’un opérateur autre que l’opérateur départ.

Vu les nouvelles observations en défense enregistrées à l'Autorité le 2 décembre 2010, présentées par la société SFR, par lesquelles elle demande que l'Autorité rejette la demande, présentée comme nouvelle, de la société France Télécom figurant dans ses nouvelles observations en réplique.

La société SFR soutient que les nouvelles observations de la société France Télécom apportent une demande nouvelle de France Télécom, qui doit être rejetée comme irrecevable.

Vu le courrier enregistré à l'Autorité le 3 décembre 2010, transmis par la société France Télécom, par lequel elle fait état d’une erreur matérielle dans son second mémoire en réplique.

La société France Télécom précise par ce courrier qu’elle demandait en fait à l'Autorité d'enjoindre à la société SFR de fixer à partir du 1er janvier 2008 pour la prestation de majoration SVA un tarif symétrique à celui de France Télécom.

Après avoir entendu, le 7 décembre 2010, lors de l'audience devant le collège de l’Autorité (composé de M. Jean-Ludovic Silicani, président, Mme Joëlle Toledano et MM. Édouard Bridoux, Daniel-Georges Courtois et Denis Rapone) :

- le rapport de M. Thibaud Furette, rapporteur, présentant les conclusions et les moyens des parties ;

- les observations de M. Didier Dillard, directeur de la réglementation France, pour la société France Télécom ;

- les observations de Maître Alexandre Espenel, pour la société SFR ;

En présence de :

- M. Olivier Ondet, responsable du département interconnexion, accès et relations inter opérateurs, Mme Françoise Trevisani et M. Gabriel Lluch, direction juridique, pour la société France Télécom ;

- Mme Marie-Georges Boulay, directeur de la réglementation, M. Laurent Papiernik, directeur de programmes interconnexion et contrats, et M. Stéphane Boudoul, responsable réglementation, pour la société SFR ;

- M. Philippe Distler, directeur général, MM. Michel Combot et François Lions, directeurs généraux adjoints, MM. Laurent Bonnet et Julien Gilson, rapporteurs adjoints, M. Stéphane Hoynck, directeur des affaires juridiques, Mme Chantal Pulvéric, Mme Patricia Lewin, M. Guillaume Mellier, M. Guillaume Méheut et M. Loïc Taillanter, agents de l'Autorité.

Sur la publicité de l'audience

L'article 15 du règlement intérieur susvisé prévoit : « l'audience est publique, sauf demande conjointe de toutes les parties. Si cette demande n'est pas conjointe, le collège de l'Autorité en délibère ».

Par courrier en date du 1er décembre 2010, la société France Télécom a demandé que l’audience ne soit pas publique. Par courrier en date du 2 décembre 2010, la société SFR a demandé que l’audience soit publique. Interrogée en séance, la société France Télécom a indiqué qu’elle ne s’opposait plus à cette demande. Par suite, l’audience a été publique.

Le collège de l’Autorité (composé de M. Jean-Ludovic Silicani, président, Mme Joëlle Toledano, MM. Édouard Bridoux, Daniel-Georges Courtois et Denis Rapone) en ayant délibéré le 14 décembre 2010, hors la présence du rapporteur, des rapporteurs adjoints et des agents de l'Autorité, adopte la présente décision fondée sur les faits et les moyens exposés ci-après.

1.  Sur le contexte du règlement de différend

La demande de règlement de différend déposée par France Télécom à l’encontre de SFR porte sur les tarifs des prestations de majoration « services à valeur ajouté » (ci-après « SVA ») et de départ d’appel de SFR. L’Autorité rappelle ci-après les principaux éléments de contexte de ce règlement de différend.

a)  Départ d’appel et majoration SVA

Le départ d’appel à destination des numéros SVA1 (ci-après « départ d’appel SVA ») est une prestation de gros, dite d’interconnexion indirecte, offerte par un opérateur de boucle locale fixe (dit « opérateur départ ») à un opérateur (dit « opérateur collecteur ») qui collecte du trafic à destination d’un numéro SVA pour le compte de l’éditeur de service téléphonique qui fournit un service rendu disponible via ce numéro. Elle consiste en l’acheminement du trafic émis par un utilisateur final de l’opérateur départ à destination d’un numéro SVA, jusqu’au point d’interconnexion le plus proche de cet utilisateur.

Le départ d’appel SVA, pris globalement, présente chez la plupart des opérateurs une structure tarifaire à trois composantes :

- le départ d’appel (prestation technique d’acheminement de l’appel) ;

- la majoration SVA (majoration tarifaire appliquée aux tarifs de base d’accès aux services spéciaux) ;

- les peines et soins (commission commerciale prélevée par l’opérateur départ, qui détient la relation commerciale avec l’utilisateur final, au titre de la commercialisation du SVA, notamment : facturation, encaissement, recouvrement, publication des tarifs associés dans sa grille tarifaire, relation clientèle, etc.).

La grille tarifaire actuelle de SFR sur ces prestations est la suivante :

IMG1.png

b)   Marché des communications à destination des numéros SVA depuis les boucles locales fixes

Selon l’observatoire annuel 2008 des marchés des communications électroniques en France de l’ARCEP, les revenus de détail des communications à destination des numéros SVA depuis le fixe, hors communications internet bas débit et services  de  renseignement,  s’élèvent  à  1,113 milliard d’euros en 2008, en diminution de 17,6% par rapport à 2007. En parallèle, le trafic à destination des numéros SVA depuis les réseaux fixes, hors communications internet bas débit et services de renseignement, atteint 10,721 milliards de minutes en 2008, en léger recul (-2%) sur un an. Le revenu unitaire moyen de détail des communications vers les numéros SVA est donc de 10,4 centimes d’euro HT la minute en 2008.

Selon les données récoltées en réponse au deuxième questionnaire des rapporteurs, l’Autorité estime qu’actuellement, SFR détient environ […] de parts de marché en volume sur le départ d’appel SVA fixe – contre environ […] pour France Télécom – et environ […] du marché de la collecte SVA fixe en volume (y compris l’autoconsommation) – contre environ […] pour France Télécom.

c)  Cadre réglementaire

Les prestations de SFR en cause (départ d’appel et majoration SVA) sont soumises aux dispositions de la décision n° 2007-0213, susvisée. Cette décision, dite de régulation symétrique, met en place un certain nombre d’obligations à destination des opérateurs fixes et mobiles visant à l’amélioration de l’interopérabilité des services à valeur ajoutée accessibles sur le plan public de numérotation et des relations entre les opérateurs. En particulier, cette décision soumet tout opérateur en position d’opérateur départ, aussi bien fixe que mobile, à une obligation de « [faire] droit aux demandes raisonnables visant à rendre les numéros [SVA] accessibles par [leurs] utilisateurs ».

Ces prestations sont, dans le cas spécifique de France Télécom, soumises en outre aux dispositions  des  décisions  n°   2008-0896   et   n°   2010-1254,   susvisées.   La   décision   n° 2008-0896 d’analyse des marchés de la téléphonie fixe actuellement en vigueur impose ainsi des obligations spécifiques à la société France Télécom en raison de l’influence significative qu’elle est  réputée  exercer  sur  le  marché  du  départ  d’appel3.  La  décision  n° 2010-1254 de l’ARCEP en date du 25 novembre 2010 réglant un différend entre les sociétés SFR et France Télécom portant sur le tarif de majoration SVA de France Télécom a rappelé le périmètre de ladite prestation et ramené en moyenne son tarif, au plus, à 0,0144 centime d’euro HT la minute vers tous les numéros spéciaux du plan national de numérotation, quel que soit leur format4.

2.  Sur la compétence de l’Autorité

A titre principal, la société France Télécom demande à l’Autorité, d’une part, d’enjoindre à SFR de fixer son tarif  de  départ  d’appel  au  départ  des  boucles  locales  fixes  depuis  le  1er octobre 2008 afin qu’il ne dépasse pas un plafond correspondant au maximum au pourcentage d’écart entre le tarif de terminaison d’appel de SFR et de France Télécom sur leurs  boucles  locales  fixes,  et,  d’autre  part,  d’enjoindre  à  SFR  de  fixer  à  partir  du    1er janvier 2008 pour la prestation de majoration SVA de SFR un tarif symétrique à celui figurant dans l’offre de référence de France Télécom en vigueur.

Aux termes du I de l’article L. 36-8 du CPCE, l'Autorité peut être saisie d'un différend entre deux parties « en cas de refus d’accès ou d'interconnexion, d'échec des négociations commerciales ou de désaccord sur la conclusion ou l'exécution d'une convention d'interconnexion ou d'accès à un réseau de communications électroniques (…). Sa décision est motivée et précise les conditions équitables, d'ordre technique et financier, dans lesquelles l'interconnexion ou l'accès doivent être assurés ». Le II de ce même article prévoit par ailleurs qu’« en cas d'échec des négociations commerciales, l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes peut également être saisie des différends relatifs à la mise en œuvre des obligations des opérateurs prévues par le présent titre […] ».

Les prestations dont la modification des tarifs est demandée font partie de l’offre d’interconnexion de SFR. Les tarifs en cause sont facturés à France Télécom en contrepartie des prestations de SFR relatives à l’accès de ses utilisateurs finals à des services à valeur ajoutée de France Télécom ou collectés par elle.

Par conséquent, l’Autorité est compétente pour connaître de la demande de la société France Télécom relative aux tarifs des prestations de départ d’appel et de majoration SVA de la société SFR. Cela est admis par cette dernière.

3.  Sur l’échec des négociations et la recevabilité des demandes de la société France Télécom en ce qu’elles portent sur une période remontant au 1er octobre 2008 pour le départ d’appel et au 1er janvier 2008 pour la majoration SVA

Il appartient au demandeur d’établir par tout moyen que chacune des conclusions qui font l’objet d’une saisine de l’Autorité au titre de son pouvoir de règlement de différend a fait l’objet d’un refus de la part du défendeur ou que des négociations ont abouti à un échec ou un désaccord avant cette saisine. A cet égard, la seule circonstance que des négociations ont été engagées mais n’ont pas encore abouti ne suffit pas à caractériser un échec au sens de l’article L. 36-8 du CPCE.

a)  Concernant le tarif de majoration SVA de SFR

Il ressort des pièces du dossier que de nombreuses correspondances ont été échangées entre les mois de novembre 2007 et mai 2010.

Ainsi, la société France Télécom, dans un courrier en date du 17 avril 2008, a invité la société SFR à revoir « le coût moyen de la majoration SVA qu’elle juge manifestement trop élevée », mais celle-ci a continué, postérieurement à cette date, à négocier avec la société SFR sur le tarif de cette prestation.

Il convient de relever que la société France Télécom, dans un courrier en date du 18 décembre 2008, prenait « note de la volonté de SFR de proposer une majoration SVA […] sans modulation horaire, et invite toutefois [SFR] à en revoir le coût moyen qu’elle juge manifestement trop élevée ».

S’il est vrai que la société SFR, dans son assignation à l’encontre de la société France Télécom devant le Tribunal de commerce en date du 8 mars 2010, affirme qu’au regard de l’absence d’accord sur le tarif de majoration SVA, France Télécom aurait pu saisir l’ARCEP dès l’année 2008, l’Autorité n’estime pas que cette affirmation caractérise un échec des négociations alors qu’elle est postérieure de deux ans à la date alléguée de cet échec, et qu’elle ne s’inscrit pas dans le processus de négociation.

Au vu des éléments transmis,  l’Autorité  estime  que  c’est  seulement  par  un  courrier  du 23 mars 2009 que la société France Télécom demande explicitement à la société SFR d’appliquer un principe de symétrie tarifaire concernant le tarif de majoration SVA, objet de la demande de France Télécom, telle qu’elle figure dans sa saisine initiale. En effet, la société France Télécom indique « qu’elle considère que le tarif de majoration pour les numéros de services de valeur ajoutée est excessif et souhaite que s’applique un principe de symétrie tarifaire. France Télécom certifie donc votre facture à hauteur de ces éléments (…) ».

Les échanges écrits qui font suite attestent d’une réaction de la société SFR et d’un désaccord constitué et durable sur les tarifs de la prestation en cause. Le courrier du 11 mai 2009, adressé par SFR à France Télécom, et portant mise en demeure de payer des sommes retenues par France Télécom, confirme ce désaccord.

Dans les circonstances de l’espèce, l’Autorité estime donc que l’échec des négociations est constitué le 23 mars 2009, date du courrier de la société France Télécom demandant à la société SFR d’appliquer un principe de symétrie tarifaire concernant le tarif de majoration SVA.

b)  Concernant le tarif de départ d’appel de SFR

Il ressort également des pièces du dossier que de nombreuses correspondances ont été échangées entre les mois de novembre 2007 et mai 2010.

L’Autorité constate que les tarifs des prestations de départ d’appel de SFR n’ont pas fait l’objet d’une demande claire de  la  part  de  la  société  France  Télécom  avant  la  date  du 16 septembre 2009.

On relèvera par exemple que la société France Télécom, dans un courrier du 18 décembre 2008, « prend acte du fait que Neuf Cegetel maintient le même tarif du départ d’appel que son offre actuelle », sans la moindre contestation ou réserve. La société France Télécom, dans un courrier du 25 août 2009, annonce encore qu’elle « [développera] prochainement [sa] position sur ce point […] ».

 C’est seulement par un courrier de la société France Télécom en date du 16 septembre 2009, que celle-ci indique que le tarif de départ d’appel de SFR ne paraît pas constituer un tarif raisonnable, de façon argumentée. Dans cette correspondance, la société France Télécom précise que : « les prestations de terminaison d’appel et de départ d’appel sont de même nature et les coûts supportés par l’opérateur, identiques. Il est par conséquent légitime que l’écart entre le tarif de départ d’appel des opérateurs alternatifs et celui de France Télécom soit contenu au même niveau que celui que l’ARCEP a instauré pour les tarifs de terminaison d’appel des opérateurs alternatifs et France Télécom. »

Les échanges écrits qui font suite, allant jusqu’à la mise en demeure de France Télécom, par SFR, par un courrier en date du 29 janvier 2010, de payer les sommes contestées, attestent d’un désaccord constitué et durable sur les tarifs de la prestation en cause.

Dans les circonstances de l’espèce, l’Autorité est en mesure de constater que le désaccord entre  les  parties  sur  le  tarif  de  la  prestation  en  cause  est  constitué  à  compter  du       16 septembre 2009.

Au vu de ce qui précède, au regard des circonstances de l’espèce, les demandes de France Télécom relatives aux tarifs de majoration SVA et de départ d’appel de SFR sont recevables à partir, respectivement, du 23 mars 2009 et du 16 septembre 2009.

4.  Sur le fond

a)  Sur la portée réglementaire de la décision n° 2007-0213 portant sur les obligations imposées aux opérateurs départ

La décision de l’Autorité n° 2007-0213 susvisée prévoit :

« Article 2 : Tout opérateur contrôlant l’accès aux utilisateurs finals appelants fait droit aux demandes raisonnables des opérateurs visant à rendre les numéros accessibles par ces utilisateurs. L’opérateur fait droit à ces demandes dans des conditions objectives, transparentes et non discriminatoires. […]

Article 3 : Tout opérateur contrôlant l’accès aux utilisateurs finals appelants fait droit aux demandes raisonnables d’autres opérateurs de reversement d’une partie des sommes facturées à l’utilisateur final appelant au titre des communications à destination des numéros, dans des conditions objectives et non discriminatoires. »

SFR soutient que l’article 2 de la décision n’impose aucune obligation tarifaire, ni a fortiori aucune obligation de symétrie des tarifs mais uniquement une obligation d’accessibilité à tout numéro spécial pour l’ensemble des clients raccordés à sa boucle locale.

France Télécom soutient que si l’article 2 de la décision n’impose pas une obligation tarifaire ex ante directe pour SFR, elle impose une obligation symétrique ex ante d’accès raisonnable aux SVA.

L’Autorité rappelle que :

- l’article 2 est relatif aux prestations d’accès offertes par l’opérateur départ ;

- l’article 3 est relatif à la prestation de reversement, offerte par l’opérateur départ, d’une partie des sommes qu’il facture sur le marché de détail.

Les prestations d’accès incluent la prestation technique d’acheminement de l’appel (le départ d’appel) ainsi que les prestations qui lui sont associées, en particulier la majoration SVA, ainsi qu’explicité dans les motifs de la décision n° 2010-1254. Les demandes de la société France Télécom, visant les tarifs des prestations de départ d’appel et de majoration SVA de SFR, doivent donc être analysées notamment au regard des dispositions de l’article 2 de la décision n° 2007-0213.

L’Autorité rappelle en outre que le caractère raisonnable ou non d’une demande d’accessibilité comprend sa contrepartie nécessaire : son volet tarifaire. En effet, les tarifs sont un élément indispensable de l’appréciation complète d’une offre de service. L’article 2 de la décision n° 2007-0213 prévoit donc bien que l’opérateur départ propose des tarifs raisonnables aux opérateurs souhaitant rendre accessibles leurs numéros. C’est dans ce cadre que l’Autorité avait notamment pu aborder dans les motifs au soutien de l’article 2 le cas spécifique du mécanisme de rappel automatique au départ des publiphones5.

Au vu de ce qui précède, les prestations de SFR objets des demandes de la société France Télécom – départ d’appel et majoration SVA – sont deux composantes de l’offre d’accès de SFR aux numéros SVA. Ainsi, en application de l’article 2 de la décision n° 2007-0213 susvisée, SFR est tenue de faire droit pour ces prestations aux demandes raisonnables des opérateurs, y compris sur le volet tarifaire, visant à rendre les numéros accessibles par ses utilisateurs finals.

b) Concernant le tarif de majoration SVA de SFR

Sur le caractère raisonnable du tarif de majoration SVA de SFR

La décision n° 2010-1254 susvisée a rappelé que le périmètre de la majoration SVA de France Télécom se résume aux activités d’accueil SAV technique de détail relatif aux communications vers des numéros SVA, dans les cas qui révèlent in fine un dysfonctionnement de la part d’un autre acteur que l’opérateur départ. L’Autorité considère que rien ne justifie que le périmètre de la majoration SVA de SFR doive être différent et ce, bien que l’obligation tarifaire associée soit différente (faire droit aux demandes raisonnables pour SFR ; orienter les tarifs vers les coûts pour France Télécom).

En réponse aux questionnaires des rapporteurs, la société SFR fournit son estimation des coûts d’accueil SAV technique faisant partie du périmètre de la majoration SVA. Ces coûts représenteraient, sur un coût global de fonctionnement du service client pour l’activité fixe de SFR s’élevant à environ […] millions d’euros en 2010, environ […] euros par an, soit […] temps plein sur […] au service client, selon SFR. Par conséquent, la part de marché de France Télécom sur la collecte de trafic à destination des numéros SVA étant évaluée à environ […], France Télécom générerait environ […] euros de coûts par an pour SFR au titre de la fourniture de la prestation de majoration SVA.

Or, sur la base des éléments issus des réponses aux questionnaires des rapporteurs, l’Autorité évalue les montants de majoration SVA facturés par SFR à France Télécom à […] euros en 2008, […] euros en 2009 et […] euros pour le premier semestre 2010. Ces montants sont donc nettement supérieurs aux coûts associés à la fourniture de la prestation.

De surcroît, l’Autorité note également qu’il ressort de la réponse de SFR que […] « temps plein » sur l’année 2000 considérée dans l’estimation de SFR « gère les problèmes liés aux SVA générés par le trafic offnet », ce qui inclut potentiellement aussi bien des incidents imputables à l’opérateur départ (SFR) qu’aux autres opérateurs. Il serait donc nécessaire de partager le montant de […] euros par an évoqué par SFR au prorata de la responsabilité des incidents, ce qui aboutirait à un montant pertinent plus faible.

Surtout, France Télécom, premier opérateur sur le marché de la collecte SVA avec plus de […] du marché, affirme, dans sa réponse au deuxième questionnaire des rapporteurs, n’avoir reçu que deux tickets d’incidents de la part de SFR relatifs à des dysfonctionnements lui étant imputables concernant des communications vers des numéros SVA, sur la période de janvier à août 2010. SFR n’a pas contredit ce chiffre. L’Autorité considère que deux appels pertinents à l’accueil SAV de SFR sur les 8 premiers mois de 2010 ne sauraient justifier des factures d’un montant d’environ […] d’euros6 adressées à France Télécom sur la même période. Le  montant attendu sur cette seule base serait plutôt de l’ordre de quelques euros.

Au vu de ce qui précède, il apparaît que le tarif de la majoration SVA de SFR est très substantiellement supérieur aux coûts associés. Il est à ce titre déraisonnable.

Sur la portée des conclusions de France Télécom quant à la baisse du tarif de majoration SVA de SFR

La société SFR fait valoir dans son courrier du 2 décembre 2010 que la société France Télécom n’est pas recevable, par ses écritures du même jour, à présenter des conclusions nouvelles par rapport à sa saisine initiale de l’Autorité dans le cadre du présent règlement de différend en ce qu’elles tendent à une baisse du tarif de majoration SVA au niveau fixé par la décision n° 2010-1254 de l’Autorité et non au niveau de l’offre de référence en vigueur comme formulé dans la saisine de France Télécom en date du 19 août 2010.

L’Autorité partage cette appréciation de la société SFR quant à l’impossibilité pour le demandeur de présenter des conclusions nouvelles postérieurement à sa saisine, mais estime que les écritures de la société France Télécom en date du 2 décembre 2010 n’ont pas pour effet de modifier les conclusions de sa saisine initiale.

En effet, la demande de la société France Télécom, telle qu’elle figure dans sa saisine initiale, tend à ce que soit fixé pour la prestation de majoration SVA de la société SFR « un tarif symétrique à celui figurant dans l’offre de référence de France Télécom en vigueur ». La conclusion ainsi formulée est en adéquation avec la démarche de la société France Télécom qui vise, comme elle l’expose dans ses écritures, à ce que l’ARCEP « mette fin en équité à l’asymétrie tarifaire excessive dont bénéficie SFR concernant sa prestation de majoration SVA ». Or, en application de la décision n° 2010-1254 susvisée, la société France Télécom est tenue, avec effet au mois de mars 2009, de proposer à SFR un tarif de majoration SVA au  plus de 0,0144 centime d’euro HT la minute en moyenne7.

L’Autorité étant conduite à statuer en équité au regard des circonstances telles qu’elles se présentent au moment où elle se prononce, les conclusions de la société France Télécom doivent donc être interprétées, sans en dénaturer la portée, comme tendant à ce que soit imposé à SFR un tarif identique à celui que France Télécom doit appliquer envers SFR pour la prestation équivalente.

Sur la fixation en équité d’un tarif de majoration SVA de SFR

L’Autorité doit statuer, sur le fondement de l’article L. 36-8 du CPCE, sur les seules demandes qui lui sont présentées et qui délimitent le différend dont elle est saisie par l’une ou l’autre des parties. Le différend est donc circonscrit par la demande présentée à l’Autorité.

Au vu, d’une part, de l’analyse qui précède concernant l’appréciation du caractère raisonnable du tarif que devrait appliquer SFR afin de respecter ses obligations règlementaires et, d’autre part, de la portée des conclusions de France Télécom telles qu’elles viennent d’être explicitées, il convient de constater que pour la période postérieure au 23 mars 2009 correspondant à la compétence rationae temporis de l’Autorité dans le présent litige, il est équitable de fixer le tarif de la majoration SVA proposé par SFR à France Télécom à un niveau égal, au plus, à celui que France Télécom doit pratiquer envers SFR pour la prestation équivalente en vertu de la décision n° 2010-1254.

Au vu de ce qui précède, il convient que la société SFR applique envers la société France Télécom, pour sa prestation de majoration SVA, un tarif égal, au plus, à 0,0144 centime d’euro HT la minute, avec effet au 23 mars 2009.

c)  Concernant le tarif de départ d’appel de SFR

Rappel des obligations tarifaires s’appliquant aux prestations de départ d’appel et de terminaison d’appel de SFR

La prestation de terminaison d’appel des opérateurs fixes alternatifs est encadrée par la décision n° 2008-0896 susvisée (2ème cycle d’analyse des marchés de la téléphonie fixe). Les opérateurs fixes alternatifs, réputés exercer une influence significative sur le marché de la terminaison d’appel sur leur propre boucle locale, se voient notamment imposer au titre de l’article 26 de ladite décision l’interdiction de pratiquer des tarifs excessifs sur cette prestation et ses prestations associées. La décision précise en annexe les plafonds tarifaires au-delà desquels les tarifs seraient considérés comme excessifs au cours du temps.

De son côté, France Télécom s’est vu imposer au titre de l’article 19 de cette même décision une obligation d’orientation vers les coûts d’un opérateur efficace.

Il est important de rappeler que l’obligation de non-excessivité imposée aux opérateurs fixes alternatifs avait pour finalité connue des acteurs du secteur d’entamer la convergence de leurs tarifs de terminaison d’appel vers ceux de France Télécom, au moyen d’un encadrement tarifaire pluriannuel : « l’Autorité estime que la régulation tarifaire des terminaisons d’appel doit engager un mouvement de convergence des terminaisons d’appel fixes entre elles et mettre fin, à terme, aux asymétries constatées par le passé ». Cet objectif répondait à une position commune du Groupe des régulateurs européens (GRE) adoptée le 28 février 20088, relevant notamment que les raisons invoquées par le passé pour justifier des niveaux dissymétriques ne sont plus valables.

Les plafonds tarifaires imposés à France Télécom et à SFR au titre de la décision n° 2008-0896 pour leurs prestations respectives de terminaison d’appel sont rappelés dans le tableau suivant :

IMG2.png

Auparavant, la décision d’analyse de marché n° 05-0425 (1er cycle d’analyse des marchés de la téléphonie fixe), en date du 27 septembre 2005, avait déjà, et pour les mêmes raisons, imposé aux opérateurs fixes alternatifs l’interdiction de pratiquer des tarifs excessifs sur ladite prestation et ses prestations associées9, la portée de l’obligation étant alors toutefois restreinte à la terminaison d’appel à destination des numéros géographiques. Les plafonds tarifaires de cette prestation avaient été précisés pour SFR (anciennement Neuf Télécom) par la décision n° 06-0551 en date du 30 mai 2006 réglant un différend opposant la société France Télécom à la société Neuf Télécom :  1,10 centime d’euro HT la minute du 1er janvier 2006 au 31 décembre 2006 puis 1,088 centime d’euro HT la minute du 1er janvier 2007 au 30 septembre 2008.

La prestation de départ d’appel des opérateurs fixes alternatifs n’est pas soumise à une obligation  de  contrôle  tarifaire  dans  le  cadre  de  la  décision  d’analyse  de  marché n° 2008-0896. En revanche, comme rapporté précédemment, elle est encadrée de manière symétrique – comme celle de tous les opérateurs, aussi bien fixes que mobiles – par la décision n° 2007-0213 susvisée. En particulier, son article 2 prévoit qu’un opérateur départ doit faire droit aux demandes raisonnables des opérateurs visant à rendre les numéros SVA accessibles par ses utilisateurs, aussi bien du point de vue technico-opérationnel que tarifaire.

Au vu de ce qui précède, l’Autorité rappelle que SFR est soumise à des obligations tarifaires aussi bien pour sa prestation de terminaison d’appel que pour sa prestation de départ d’appel. Toutefois, celles-ci ne sont pas du même ordre : pratiquer des tarifs non- excessifs au regard des coûts d’un opérateur efficace pour la terminaison d’appel, avec une perspective d’évolution progressive vers un régime d’orientation vers les coûts ; faire droit aux demandes raisonnables pour le départ d’appel, ce qui appelle à pratiquer un tarif raisonnable.

Sur le caractère raisonnable du tarif de départ d’appel de SFR :

- jusqu’au 30 septembre 2008

Jusqu’au 30 septembre 2008, les opérateurs fixes alternatifs (y compris SFR) indexaient leur tarif de départ d’appel sur celui de la terminaison d’appel à destination des numéros géographiques :

IMG3.png

Comme rapporté plus haut, le tarif de terminaison d’appel avait alors été fixé par l’Autorité en considération d’une obligation de non-excessivité des tarifs. Or, les deux prestations sont équivalentes en termes techniques et économiques pour SFR11. Il en découle que le tarif de départ d’appel fixé par SFR peut être considéré comme non-excessif sur la période antérieure au 30 septembre 2008.

Au vu de ce qui précède, les tarifs de départ d’appel de SFR en vigueur jusqu’au 30 septembre 2008 pouvaient être considérés comme raisonnables au regard du contexte de l’époque.

- depuis le 1er octobre 2008

L’Autorité retient une grille d’analyse selon trois critères, pour juger du caractère raisonnable ou non du tarif actuel de départ d’appel de SFR (1,088 centime d’euro HT la minute) : rentabilité, équité et partage de la valeur.

Concernant la rentabilité, l’Autorité estime que le coût complet (charges d’exploitation, amortissements et coût du capital) de la prestation de départ d’appel pour SFR, supposé être un opérateur efficace, devrait être au plus 0,40 centime d’euro la minute : ce chiffre correspond au coût actuel de référence de terminaison d’appel d’un opérateur efficace, tel qu’établi par la décision n° 2008-0896, qui se transpose au départ d’appel d’un opérateur alternatif, pour les raisons exposées ci-avant. Or, SFR facture 1,088 centime d’euro HT la minute pour cette même prestation. Cela représente au minimum un gain net (après amortissements et après rémunération du capital) de 0,688 centime d’euro par minute, soit au moins 63% du revenu généré.

Sachant qu’entre 2008 et juin 2010, SFR a réalisé une marge brute d’exploitation (c’est-à-dire avant amortissements et avant rémunération du capital) comprise entre 15% et 20,7% sur ses activités fixes (téléphonie et haut débit), ce ratio paraît particulièrement élevé.

Concernant l’équité, le tarif de SFR est de 1,088 centime d’euro HT la minute ; celui de France Télécom, 0,445 centime d’euro HT la minute. Si cette situation répond à des obligations tarifaires différentes (conditions raisonnables pour SFR, orientation vers les coûts pour France Télécom), elle génère néanmoins un écart important – d’un facteur 2,44 – entre les tarifs de SFR et de France Télécom.

Concernant le partage de la valeur, SFR confirme l’évaluation faite par l’Autorité du revenu de gros total (incluant départ d’appel, majoration SVA et peines et soins12) généré par SFR sur une communication à destination d’un numéro SVA : […] centimes d’euro HT la minute en moyenne. Le revenu moyen de détail d’une communication  à  destination  d’un  numéro  SVA étant estimé à environ […] centimes d’euro HT la minute13. SFR réalise donc une retenue de l’ordre de […] de la valeur générée par une telle communication, dont on peut raisonnablement penser que la valeur ajoutée réside justement dans le service fourni en bout de chaîne par l’éditeur de service.

A titre de comparaison, France Télécom, qui indique un revenu de gros de […] centime d’euro HT la minute en moyenne, réalise une retenue de l’ordre de […] (en répondant toutefois à des obligations tarifaires différentes).

Au vu de ce qui précède, le tarif de départ d’appel de SFR lui assure des marges élevées, des revenus unitaires nettement supérieurs à ceux de France Télécom et une part significative – près d’un […] – de la valeur des communications à destination des numéros SVA au départ de ses boucles locales fixes, en tant qu’intermédiaire technique et commercial.

Comme rapporté plus haut, les opérateurs fixes alternatifs ont indexé leur tarif de départ d’appel sur celui de leur terminaison d’appel à destination des numéros géographiques jusqu’au 30 septembre 2008. Ce n’est plus le cas depuis lors : le tarif de départ d’appel a été maintenu inchangé alors que dans le même temps le tarif de terminaison d’appel subissait une baisse de 54% (passant de 1,088 à 0,50 centime d’euro la minute). L’évolution historique de ces tarifs est rappelée dans les tableaux suivants :

IMG4.png

Comme expliqué précédemment, l’évolution tarifaire de la terminaison d’appel des opérateurs alternatifs imposée par l'encadrement tarifaire pluriannuel, modalité retenue pour la mise en œuvre de l'obligation de non-excessivité, visait à faire converger progressivement leurs tarifs vers les coûts d’un opérateur efficace ; en l'absence d'une telle obligation tarifaire, la prestation de départ d’appel n'était pas sujette à cette même évolution. Dès lors, l’Autorité considère que cette absence de corrélation n’est pas en soi déraisonnable.

En revanche, la stabilité  du  tarif  au  cours  du  temps  pose  question.  En  effet,  depuis  le 1er janvier 2007, les opérateurs fixes ont connu des gains d’efficacité sur l’ensemble de leurs prestations d’acheminement du trafic, en particulier du fait de la migration progressive de leur réseau vers une architecture « tout IP »14. L’Autorité s’est d’ailleurs notamment appuyée sur cette constatation pour imposer à France Télécom des baisses de ses tarifs de terminaison d’appel, réputés refléter les coûts d’un opérateur efficace : de 0,55 centime d’euro HT la minute au 1er janvier 2007, ces tarifs sont passés à 0,45 centime d’euro HT la minute au 1er octobre 2008 puis à 0,425 centime d’euro HT la minute au 1er octobre 2009 et enfin à   0,40 centime d’euro HT la minute au 1er octobre 2010. Il aurait été raisonnable que SFR répercute de même, a minima, les baisses de coûts attendues de la part d’un opérateur efficace sur ses propres tarifs de départ d’appel.

De surcroît, il apparaît inéquitable que l’écart entre les tarifs de SFR et de France Télécom ait augmenté d’un facteur x1,9815 au 1er janvier 2007, à un facteur x2,44 à ce jour, alors que dans le même temps France Télécom voyait sa part de marché du départ d’appel SVA diminuer – de plus de 90% à environ 70% – et les opérateurs alternatifs leur part de marché du départ d’appel SVA augmenter – de moins de 10% à environ 30% – en particulier à hauteur d’environ 15% pour le seul SFR.

Au vu de ce qui précède, la stabilité du tarif de départ d’appel de SFR depuis le 1er octobre 2008 n’apparaît pas raisonnable.

Sur la fixation d’un tarif raisonnable de départ d’appel de SFR

Si, comme rapporté plus haut, une baisse du tarif de départ d’appel de SFR peut être jugée nécessaire, la demande de France Télécom paraît toutefois déraisonnable. En effet, la formule tarifaire proposée par France Télécom16 conduirait à imposer une symétrisation brutale et non proportionnée du tarif de SFR sur celui de France Télécom, en l’espace de deux ans – passant d’un écart de x1,9817 à x1,2518 sur la période – et surtout, à terme, une symétrie parfaite entre le tarif de SFR et le sien, puisque la symétrie des terminaisons d’appel est à prévoir dans un horizon proche.

Imposer une telle symétrie n’est pas compatible avec l’existence d’obligations règlementaires différentes s’appliquant à France Télécom et SFR : orienter ses tarifs vers les coûts sous- jacents pour le premier, faire droit aux demandes raisonnables pour le second. Par conséquent, l’Autorité rejette la demande de France Télécom, dont l’ampleur est manifestement inéquitable.

L’Autorité estime toutefois raisonnable, équitable et proportionné – notamment compte tenu des objectifs que la loi lui impartit à l’article L. 32-1 du CPCE, en particulier « l'exercice au bénéfice des utilisateurs d'une concurrence effective et loyale entre les exploitants de réseau et les fournisseurs de services de communications électroniques », le « développement de l'emploi, de l'investissement efficace dans les infrastructures, de l'innovation et de la compétitivité dans le secteur des communications électroniques », et « la définition de conditions d'accès aux réseaux ouverts au public et d'interconnexion de ces réseaux qui garantissent la possibilité pour tous les utilisateurs de communiquer librement et l'égalité des conditions de la concurrence » –, d’enjoindre à SFR de fixer ses tarifs de façon à refléter les gains d’efficacité réalisés au cours du temps.

Cela peut se rechercher au travers de la stabilité du taux de marge, dont la valeur de référence au 1er janvier 2007 était x1,9819. En appliquant ce ratio à la période postérieure à la date de recevabilité arrêtée (16 septembre 2009), on obtient les tarifs suivants :

IMG5.png

En reprenant la grille d’analyse précédente, l’Autorité constate qu’un tarif de 0,79 centime d’euro HT la minute à compter du 1er octobre 2010 continue d’assurer à SFR :

1. une marge raisonnable : 50% à compter du 1er octobre 2010 ;

2. un tarif qui reste nettement supérieur à celui de France Télécom, d’un facteur x1,7820, en accord avec la différence d’obligations tarifaires applicables ; cet écart est néanmoins inférieur à l’écart d’un facteur x1,98 qui existait au 1er janvier 2007, ce qui apparaît équitable au regard de l’évolution relative des parts de marché respectives de SFR et France Télécom sur le départ d’appel SVA ;

3. une part significative de la valeur des communications à destination des numéros SVA depuis ses boucles locales fixes : environ 2 centimes d’euro HT la minute21, soit 20%.

Au vu de ce qui précède, il convient que SFR applique envers France Télécom, pour sa prestation de départ d’appel, un tarif égal, au plus, à 0,89 centime d’euro HT la minute du 16 au 30 septembre 2009, puis à 0,84 centime d’euro HT la minute du1er octobre 2009 au 30 septembre 2010 et enfin à 0,79 centime d’euro HT la minute à compter du 1er octobre 2010.

Décide :

Article 1 : le tarif de majoration SVA de l’offre de la société SFR applicable à la société France Télécom doit être fixé, au plus, à 0,0144 centime d’euro HT la minute, avec effet au 23 mars 2009.

Article 2 : le tarif de départ d’appel de l’offre de la société SFR applicable à la société France Télécom doit être fixé, au plus, à 0,89 centime d’euro HT la minute, avec effet du 16 au       30 septembre 2009 ;  au  plus,  à  0,84   centime   d’euro   HT   la   minute,   avec   effet   du 1er octobre 2009 au 30 septembre 2010 ; et, au plus, à 0,79 centime d'euro HT la minute, avec effet au 1er octobre 2010.

Article 3 : la société SFR devra appliquer la présente décision dans un délai d’un mois à compter de sa notification.

Article 4 : le surplus des demandes de la société France Télécom est rejeté.

Article 5 : le directeur des affaires juridiques de l’Autorité, ou son adjoint, est chargé de notifier la présente décision aux sociétés SFR et France Télécom, qui sera rendue publique, sous réserve des secrets protégés par la loi.

 

Notes :

1 Numéros de la forme 08 AB PQ MC DU, 3BPQ, 10YT, 116XYZ et 118XYZ employés notamment pour accéder à des services vocaux à valeur ajoutée.

2 Dont le montant par minute lui-même varie avec la tranche de numéros.

3 « Départ d’appel fourni sur des accès en position déterminée, sur le territoire d’analyse. Ce marché est composé des prestations nécessaires à l’acheminement d’un appel téléphonique au départ d’une ligne du réseau téléphonique public fixe, depuis le point de terminaison du réseau jusqu’au premier point d’interconnexion pertinent offert par l’opérateur départ, point en-deçà duquel seul l’opérateur de l’abonné appelant peut acheminer l’appel. Ce marché inclut les prestations connexes d’accès aux sites d’interconnexion et de sécurisation du trafic. »

4 Au plus 0,017 centime d’euro HT la minute en heure normale ; au plus 0,011 centime d’euro HT la minute en heure creuse ; au plus 0,007 centime d’euro HT la minute en heure bleue nuit.

5 « Cependant, et spécifiquement pour les communications au départ des publiphones pour lesquels les coûts de l’infrastructure d’accès ne sont pas recouverts par un abonnement mais par une surtaxe sur le trafic sortant, cette pratique de rappel automatique compromet le modèle économique de la publiphonie en ne participant pas au financement desdits coûts. Si cette situation perdurait, elle serait de nature à affecter un service qui est, pour certains consommateurs, l’unique moyen d’accéder au service téléphonique. […] Toute demande d’ouverture du numéro supportant un mécanisme de rappel automatique au départ des publiphones peut ne pas être considérée comme raisonnable par l’opérateur départ de publiphonie ».

6 Extrapolation linéaire des […] euros facturés sur le premier semestre de 2010 (estimation basée sur les données de trafic transmises par la société SFR en réponse au premier questionnaire des rapporteurs).

7 En appliquant le panier de consommation moyen précisé en Annexe D de la décision n° 2008-0896, susvisée.

8 Concluant notamment : « Par conséquent, les asymétries ne doit pas rester en vigueur pendant trop longtemps et le tarif de terminaison d’appel de chaque opérateur devrait être ramené au coût d'un opérateur efficace dès que possible »

9 Article 9 : « Chaque opérateur listé en annexe de la présente décision ne pratiquera pas de tarifs excessifs sur l’ensemble des prestations relatives au marché de gros visé à l’article 2 sur lequel il exerce une influence significative au titre de la présente décision, y compris sur les prestations d’accès qui leur sont associées. »

10 A destination des numéros géographiques.

11 Pour un utilisateur final donné, les mêmes ressources réseau sont utilisées pour l’émission de trafic (départ d’appel) et la réception de trafic (terminaison d’appel). De plus, l’Autorité estime que les répartitions de trafic de départ d’appel et de terminaison d’appel par type d’utilisateur final sont relativement homogènes pour un opérateur fixe alternatif : un tel opérateur ne produit notamment pas de départ d’appel pour l’accès à Internet bas débit ou la sélection du transporteur, potentiellement générateur de déséquilibre, via un surplus de trafic au départ des accès RTC.

12 Les peines et soins sont exclues des deux analyses qui précédent.

13 Se reporter à l’introduction pour le détail du calcul.

14 IP pour Internet Protocol. La migration des opérateurs fixes alternatifs est supposée être plus rapide que celle de France Télécom, à ce jour le prestataire désigné du service universel téléphonique en France, qui reste offert sur réseau RTC en vertu de son cahier des charges.

15 Revenu de 1,088 centime d’euro HT la minute pour SFR contre 0,55 centime d’euro HT la minute pour France Télécom.

16 Pour rappel : « enjoindre à SFR de fixer le tarif de départ d’appel au départ de ses boucles locales fixes depuis le 1er octobre 2008 afin qu’il ne dépasse pas un plafond correspondant au maximum au pourcentage d’écart entre le tarif de terminaison d’appel de SFR et de France Télécom »

17 Revenu de 1,088 centime d’euro HT la minute pour SFR contre 0,55 centime d’euro HT la minute pour France Télécom au 30 septembre 2008

18 Niveau d’asymétrie au 1er octobre 2010 entre les tarifs de terminaison d’appel de France Télécom et de SFR

19 Revenu de 1,088 centime d’euro HT la minute pour SFR pour un coût de référence d’un opérateur efficace de 0,55 centime d’euro HT la minute

20 Le tarif de France Télécom est fixé à 0,445 centime d’euro HT la minute depuis le 1er octobre 2009

21 En considérant les tarifs de départ d’appel et de majoration SVA de SFR tels que modifiés par la présente décision.