Cass. com., 3 mars 2021, n° 19-10.692
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Darbois
Rapporteur :
Mme Lefeuvre
Avocat général :
Mme Beaudonnet
Avocats :
Me Goldman, SCP Baraduc, Duhamel et Rameix
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Lyon, 30 novembre 2017), M. S... et M. X... ont, en 2009, constitué à parts égales la SARL [...] (la société CJIS), afin d'exercer l'activité de courtage en assurance de prêts. La gérance de la société a été confiée à M. X....
2. Le 4 février 2015, M. S... a assigné M. X..., en demandant la dissolution judiciaire de la société CJIS et la condamnation du gérant au paiement d'une certaine somme en remboursement des prélèvements qu'il aurait effectués en rupture du partage égalitaire des résultats entre les associés.
3. Le tribunal a prononcé la dissolution de la société et désigné la société H..., représentée par M. H..., en qualité de liquidateur amiable de la société CJIS.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
4. M. X... fait grief à l'arrêt de confirmer le jugement ayant prononcé la dissolution de la société CJIS, alors :
« 1°/ que la mésentente n'est une cause de dissolution que dans la mesure où elle a pour effet de paralyser le fonctionnement de la société ; que la cour d'appel qui, après avoir constaté la mésentente entre les associés, s'est bornée, pour dire paralysé le fonctionnement de la société et ainsi prononcer sa dissolution, à relever que cette société n'avait pas d'activité réelle et qu'aucune décision ne le permettant ne pouvait être prise par les associés, sans rechercher, comme elle y était invitée, si depuis juillet 2014, date des premiers désaccords entre associés, la gestion des huit cents cinq dossiers de la société ne s'était pas poursuivie, produisant un chiffre d'affaires mensuel de 3 500 à 4 000 euros, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1844-7 du code civil ;
2°/ qu'en se fondant encore, pour statuer comme elle l'a fait, sur la circonstance inopérante qu'aucune assemblée générale n'aurait été tenue depuis 2014 et que les comptes n'auraient pu être approuvés, ce qui n'était pas de nature à caractériser la paralysie de la société, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1844-7 du code civil. »
Réponse de la Cour
5. Après avoir énoncé que la société prend fin par la dissolution anticipée, prononcée par le tribunal, à la demande d'un associé pour justes motifs, notamment en cas d'inexécution de ses obligations par un associé, ou de mésentente entre les associés paralysant le fonctionnement de la société, l'arrêt relève qu'en juillet 2014, les associés étaient d'accord pour faire fonctionner la société CJIS en « extinction », que depuis, ils n'ont pu prendre aucune décision permettant son développement, et que les ressources de la société, qui se limitent à la perception de commissions récurrentes sur les anciens contrats, sont prélevées en grande partie par M. X... à son profit, sans qu'il en soit rendu compte à M. S... et sans l'accord de celui-ci, ce qui démontre que la société CJIS n'a plus d'activité réelle. L'arrêt retient ensuite qu'aucune décision permettant de remédier à cette situation ne peut être prise par les associés, M. X... n'ayant pas donné suite aux propositions de M. S... d'être gérant ou cogérant et ne justifiant, ni ne prétendant, que les assemblées générales ont été tenues depuis 2014, ni même qu'il a accompli les démarches pour qu'elles le soient. Il ajoute que les comptes des exercices 2014, 2015 et 2016, bien que déposés au greffe du tribunal, n'ont pu être régulièrement approuvés. Il en déduit que, contrairement à ce que soutient M. X..., qui agit seul, sans accord de son associé et en ne permettant pas à la société de prendre une quelconque décision contraire à celle résultant de sa seule volonté ni de remettre en cause sa gestion et son mandat, le fonctionnement de la société CJIS est paralysé. En l'état de ces constatations et appréciations souveraines, la cour d'appel, qui a procédé à la recherche prétendument omise invoquée par la première branche, a légalement justifié sa décision.
6. Le moyen n'est donc pas fondé.
Et sur le second moyen
Enoncé du moyen
7. M. X... fait grief à l'arrêt de le condamner à rembourser à la société CJIS la totalité des prélèvements non égalitaires qu'il a effectués afin que ceux-ci fassent partie des actifs de la liquidation et à verser, à ce titre, une provision de 68 655 euros pour les prélèvements effectués au 25 mai 2016, alors :
« 1°/ que le juge doit préciser le fondement juridique de sa décision ; qu'en condamnant M. X... à "rembourser" à la société CJIS la totalité des versements non égalitaires, afin que ceux-ci fassent partie des actifs de la liquidation, sans préciser le fondement de cette condamnation, la cour d'appel, qui n'a pas mis la Cour de cassation en mesure d'exercer son contrôle, a violé l'article 12 du code de procédure civile ;
2°/ qu'à supposer que la cour d'appel ait entendu sanctionner une faute de gestion du gérant, une telle faute ne résulte pas, à l'endroit de la société, du non-respect d'un accord de répartition des fonds entre associés ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé l'article L. 223-22 du code de commerce ;
3°/ qu'en ne caractérisant pas davantage le préjudice subi par la société, condition nécessaire de la responsabilité du gérant, la cour d'appel a violé l'article L. 223-22 du code de commerce. »
Réponse de la Cour
8. Après avoir relevé que M. X... avait rompu unilatéralement l'accord des associés sur le partage à parts égales de la trésorerie de la société CJIS, sans en aviser M. S..., justifiant a posteriori cette rupture par le fait qu'il n'avait pas d'autres sources de rémunération, puis invoquant la rémunération de prestations qu'il aurait effectuées au profit de la société au titre de la gestion du portefeuille de clients, cependant qu'il avait enregistré des rétrocessions de commissions dans la comptabilité, l'arrêt retient que M. X... ne justifie de l'existence d'aucune convention conclue avec la société CJIS. Il retient ensuite que les prélèvements injustifiés de M. X... mettent en péril les intérêts de la société, dont il a appréhendé la quasi-totalité de la trésorerie.
9. Ayant ainsi caractérisé, conformément aux dispositions de l'article L. 223-22 du code de commerce invoquées par M. S... au soutien de sa demande, les fautes de gestion que M. X... avait commises en effectuant des prélèvements indus sur les comptes de la société, la cour d'appel a exactement retenu sa responsabilité et en a déduit qu'il devait réparer le préjudice en résultant dont elle a souverainement apprécié le montant.
10. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi.