ARCEP, 16 novembre 2010, n° 2010-1232
ARCEP
se prononçant sur une demande de règlement de différend opposant les sociétés Bouygues Telecom et France Télécom
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Silicani
Membre :
Mme Toledano, M. Bridoux, M. Curien, M. Courtois, M. Rapone
Avocat :
Maître Savoie
L’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes,
Vu la directive 2002/21/CE du Parlement européen et du Conseil du 7 mars 2002 relative à un cadre réglementaire commun pour les réseaux et services de communications électroniques (directive « cadre ») ;
Vu la directive 2002/19/CE du Parlement européen et du Conseil du 7 mars 2002 relative à l’accès aux réseaux de communications électroniques aux ressources associées ainsi qu’à leur interconnexion (directive « accès ») ;
Vu la recommandation de la Commission européenne du 20 septembre 2010 sur l’accès réglementé aux réseaux d’accès de nouvelle génération (ci-après « recommandation NGA ») ;
Vu le code des postes et des communications électroniques (ci-après CPCE), notamment ses articles L. 34-8-3, L. 36-6, L. 36-8, R. 11-1, D. 99-6 et D. 99-10 ;
Vu le règlement intérieur de l’Autorité, modifié par la décision n° 2009-0527 de l’Autorité en date du 11 juin 2009 ;
Vu le projet de décision de l’Autorité précisant les modalités de l’accès aux lignes à très haut débit en fibre optique sur l’ensemble du territoire à l’exception des zones très denses, dans sa version mise en consultation publique du 25 octobre au 26 novembre 2010 et notifié à la Commission européenne ;
Vu la décision n° 2009-1106 de l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes en date du 22 décembre 2009 précisant, en application des articles L. 34-8 et L. 34- 8-3 du CPCE, les modalités de l’accès aux lignes de communications électroniques à très haut débit en fibre optique et les cas dans lesquels le point de mutualisation peut se situer dans les limites de la propriété privée ;
Vu la demande de règlement de différend, enregistrée à l’Autorité le 23 juillet 2010, présentée pour la société Bouygues Telecom, société anonyme, dont le siège social est 32, avenue Hoche, 75008 Paris, représentée par son directeur général en exercice, ayant pour avocat Me Henri Savoie, du cabinet Darrois, Villey, Maillot et Brochier ;
La société Bouygues Telecom demande à l’Autorité :
a) d'enjoindre à France Télécom de proposer une offre d’accès aux lignes FttH en cofinancement à tout moment du déploiement des lignes, dans des conditions raisonnables et, notamment sans surcoût pendant un délai raisonnable ;
b) d’enjoindre à France Télécom de supprimer de son offre les stipulations subordonnant le bénéfice de l’offre de cofinancement au strict respect des conditions posées pour la réponse aux consultations préalables ;
c) d’enjoindre à France Télécom de proposer son offre de cofinancement à Bouygues Telecom pour les lignes FttH objets de la consultation du 1er avril 2010 sans surcoût pendant un an, soit jusqu’au 30 juin 2011, notamment au titre de la rémunération du capital et/ou de la prime de risque ;
d) d’enjoindre à France Télécom de proposer aux opérateurs commerciaux des modalités de partage des coûts d’établissement des lignes équitables et raisonnables et tenant compte de leur part de marché sur le fixe ;
e) d’enjoindre à France Télécom d’offrir à chaque opérateur commercial la possibilité de moduler ses investissements en contrepartie d’un accès proportionnel aux prises installées ;
f) d’enjoindre à France Télécom de prévoir un délai maximal de 48 heures ouvrées à compter de la signalisation du problème pour rétablir le service ;
g) d’enjoindre à France Télécom de prévoir un délai maximal de 2 jours ouvrés pour le transfert des informations relatives au point de mutualisation et aux raccordements paliers, ainsi que pour le traitement des commandes ;
h) à tout le moins, d’enjoindre à France Télécom de respecter les mêmes délais pour le transfert des informations relatives au point de mutualisation, pour le traitement des commandes et pour le rétablissement du service, que le client soit un client Bouygues Telecom ou France Télécom ;
i) d’enjoindre à France Télécom d’insérer un régime de pénalités pour non-respect des délais contractuels, calqué sur le montant des pénalités imposées à l’opérateur commercial, les pénalités devant être journalières en cas de retard ou problème de son fait ;
j) d’enjoindre à France Télécom de modifier les stipulations de sa convention d’accès l’autorisant à modifier les prix de ses prestations à tout moment, pour les prestations en cours et à venir, et de prévoir qu’aucune augmentation de prix ni modification du contrat cadre susceptible d’entraîner une augmentation des coûts de l’opérateur commercial ne pourront être décidées unilatéralement par France Télécom pendant la durée de l’engagement de cofinancement ;
k) d’ordonner à France Télécom, s’agissant de l’offre de location au point de mutualisation, de modifier son offre afin de proposer une durée de droits raisonnable, eu égard notamment aux pratiques sur le marché du DSL, et de permettre l’amortissement de l’investissement correspondant ;
l) de supprimer ou réduire, s’agissant de l’offre de location au point de mutualisation, la prime de risque associée au calcul du coût du capital (WACC), Bouygues Telecom prenant plus de risques que France Télécom ;
m) d’enjoindre à France Télécom de modifier les stipulations de sa convention d’accès relatives à la responsabilité des parties afin que cette société :
o à titre principal, s’engage à réparer les dommages directs dont elle serait responsable, dans la limite d’un plafond cohérent avec le préjudice encouru avec l’opérateur commercial et étendre le bénéfice dudit plafond à l’opérateur commercial ;
o à titre subsidiaire, étende à l’opérateur commercial les règles de responsabilité applicables à France Télécom elle-même ;
n) d’enjoindre à France Télécom de supprimer la stipulation de sa convention d’accès l’autorisant à résilier le contrat en cas de changement de contrôle de son cocontractant ;
o) d’ordonner à France Télécom de modifier son offre d’accès afin de prévoir la prise en charge du raccordement palier par l’opérateur commercial le réalisant ;
p) d’ordonner à France Télécom de supprimer l’obligation de partager les revenus du marché de gros actuellement prévue dans l’offre d’accès de France Télécom (appelée « contribution offre de gros », à l’article 8 des conditions générales de cette offre d’accès) ;
q) d’enjoindre à France Télécom de procéder à l’ensemble des modifications résultant de la décision à intervenir dans le délai maximal d’un mois à compter de la notification de ladite décision.
Sur la recevabilité de la saisine et la compétence de l’Autorité, la société Bouygues Telecom soutient que :
- l’Autorité est compétente sur le fondement de l’article L. 34-8-3 du CPCE, relatif aux modalités d’accès des opérateurs commerciaux aux lignes de communications électroniques à très haut débit en fibre optique, permettant de desservir un utilisateur final (ci-après lignes FttH) déployées par un opérateur d’immeuble, aux termes duquel elle peut « préciser de manière objective, transparente, non discriminatoire et proportionnée, les modalités de l'accès » ;
- les négociations ont échoué, dès lors que la société France Télécom n’a pas donné de suite favorable aux demandes répétées de la société Bouygues Telecom concernant la modification de son offre de cofinancement des lignes FttH dont elle considère que les conditions contractuelles et financières sont discriminatoires, déséquilibrées, non équitables et non négociables, tout comme celles de l’offre de location des lignes FttH au point de mutualisation.
Sur ses demandes a), b) et c) relatives à la nécessité d’enjoindre à la société France Télécom de proposer son offre de cofinancement à tout moment du déploiement des lignes FttH, la société Bouygues Telecom soutient que :
- tout opérateur commercial, ne respectant pas strictement les délais et le formalisme de l’offre de cofinancement des lignes FttH de la société France Télécom, se voit contraint de souscrire à l’offre de location des lignes FttH proposée par le même opérateur, afin de commercialiser ses offres auprès des foyers raccordés ;
- la société France Télécom a refusé de faire droit aux demandes répétées de la société Bouygues Telecom visant à modifier son offre de cofinancement pour la rendre « accessible à tout moment du déploiement des lignes » FttH ;
- ses demandes sont raisonnables et nécessaires, aux motifs que le processus de consultation préalable ne doit pas constituer une barrière au cofinancement ; que l’offre de cofinancement doit reposer sur la capacité financière des opérateurs ; que ces demandes visent uniquement à étendre le délai de réponse aux consultations préalables et non à créer de nouvelles modalités d’accès ; qu’aucun obstacle de nature technique ou financière ne s’oppose à l’entrée différée d’un opérateur dans le cofinancement ; que l’offre de location au point de mutualisation ne constitue pas une alternative viable à l’offre de cofinancement, en raison de sa durée, des modalités de sa résiliation, des effets sur l’investissement du versement des droits de suite, de l’assimilation comptable des investissements à des charges d’exploitation, et de son caractère inéquitable ; qu’un investissement progressif favorise l’entrée différée « d’un opérateur de taille modeste ou nouvel entrant sur le marché » ; que l’entrée différée d’un opérateur dans le cofinancement ne s’oppose pas à la facturation d’un surcoût au titre d’une rémunération du capital justifiée et proportionnée ;
- l’offre d’accès en cofinancement de la société France Télécom est restrictive de concurrence, inéquitable et discriminatoire, au motif, d’une part, qu’elle ferme « le cofinancement de manière injustifiée », d’autant plus que les premières consultations préalables portent sur « les communes les plus stratégiques des zones très denses », et, d’autre part, qu’elle engendre une barrière à l’entrée, en raison des investissements « massifs et immédiats » qu’elle exige d’un opérateur à faible part de marché.
Sur sa demande d) relative à un cofinancement proportionnel à sa part de marché, la société Bouygues Telecom soutient que :
- la répartition égalitaire des coûts de déploiement découlant du régime tarifaire de l’offre d’accès est contraire au droit européen, en ce qu’elle s’applique à des opérateurs dont les situations ne sont pas comparables, et fait supporter à des opérateurs à faible part de marché des coûts « sans commune mesure avec l’utilité économique qu’ils en retirent » ;
- la commercialisation des offres très haut débit sera adressée par les opérateurs en priorité à leur parc d’abonnés haut débit, ce qui contribuera à ériger une barrière supplémentaire à l’entrée sur le marché du très haut débit pour des opérateurs à faible part de marché sur le marché du haut débit.
Sur sa demande e) relative à un cofinancement partiel des lignes FttH, la société Bouygues Telecom soutient que :
- le déploiement des lignes FttH dans les communes des zones très denses entraine des coûts fixes difficiles à rentabiliser pour des opérateurs à faible part de marché, alors même que l’offre de cofinancement de la société France Télécom impose des plafonds d’investissement couvrant la totalité des lignes FttH ;
- au contraire, dans les communes les plus stratégiques des zones très denses, un cofinancement partiel, à hauteur des capacités financières et des parts de marché de détail, devrait être mis en œuvre sur la base d’un plancher de cofinancement, afin de favoriser l’exercice d’une concurrence loyale et effective.
Sur la correction des autres déséquilibres contractuels de l’offre d’accès de la société France Télécom, la société Bouygues Telecom soutient que :
- s’agissant de ses demandes f), g), h) et i), l’absence de dispositif de pénalité sanctionnant les éventuels manquements de la société France Télécom, en particulier sur les délais de mise à disposition d’informations techniques et de rétablissement de service, crée un déséquilibre contractuel aux dépens des autres opérateurs qui ne pourront mettre en service des offres dans des conditions équivalentes à celles de la société France Télécom ;
- s’agissant de sa demande j), la hausse des tarifs, décidée unilatéralement par la société France Télécom, pourrait remettre en cause le périmètre du cofinancement et des investissements massifs libérés par les opérateurs commerciaux ;
- s’agissant de ses demandes k) et l), l’offre de location au point de mutualisation est défavorable à l’investissement, en raison de ses modalités de résiliation incompatibles avec l’obligation de faire droit aux demandes d’accès dans des conditions économiques et techniques raisonnables, et de l’impossibilité d’amortir les coûts de location ;
- s’agissant de sa demande m), la responsabilité de chacun des cocontractants à la convention d’accès doit être équivalente, notamment en matière d’engagement de la responsabilité, en cohérence avec les pratiques observées dans les relations avec les autres opérateurs ;
- s’agissant de sa demande n), une telle clause, incompatible avec le régime de droits réels sur la fibre résultant de l’offre de cofinancement, est injustifiée, inéquitable et défavorable à un opérateur commercial qui, en cas d’opération de restructuration, serait soumis à une décision unilatérale de la société France Télécom de ne pas maintenir la convention d’accès.
Sur sa demande o) relative à la prise en charge du coût du raccordement palier, la société Bouygues Telecom soutient que :
- la mutualisation des coûts du raccordement palier est contraire aux principes d’équité et de concurrence, dans la mesure où les opérateurs à faible part de marché supportent des coûts par abonné plus élevés que l’opérateur ayant réalisé le raccordement et subventionnent ainsi les investissements de cet opérateur ;
- pour être équitable et non discriminatoire, le coût du raccordement palier doit être intégralement supporté par l’opérateur commercial qui le réalise dans le but de commercialiser et d’activer les services très haut débit auprès de ses abonnés.
Sur sa demande p) relative à l’obligation de partager les revenus du marché de gros, la société Bouygues Telecom soutient que :
- cette clause est inéquitable et contraire au principe de concurrence effective et loyale, au motif que tout opérateur commercial recourant à une offre de gros voit ses investissements initiaux croître significativement, en raison de tarifs plus élevés et de risques plus importants pour la qualité de service de ses propres prestations ;
- cette clause est discriminatoire, au motif qu’elle crée un désavantage pour un opérateur co-investisseur qui chercherait à accroître ses volumes, tant sur le marché de détail que sur le marché de gros, afin de diminuer son coût de production.
Vu les observations en défense enregistrées le 6 septembre 2010, présentées par la société France Télécom, société anonyme par actions, ayant son siège 6, place d’Alleray, 75505 Paris cedex 15, représentée par son directeur des affaires réglementaires ;
La société France Télécom demande à l’Autorité :
- à titre principal, de déclarer irrecevable la saisine déposée par Bouygues Telecom ou, à défaut, les demandes numérotées a, b, c, d, e, f, g, h, i, m et n ;
- à titre subsidiaire, de rejeter au fond l’ensemble des demandes de Bouygues Telecom au titre de cette saisine.
Sur le contexte et la recevabilité de la saisine, la société France Télécom soutient que :
- la société Bouygues Telecom remet en cause le cadre réglementaire du déploiement et de la mutualisation des lignes FttH, compte tenu de sa participation passive et tardive à l’élaboration de ce cadre réglementaire, de sa volonté de retarder les déploiements des lignes FttH en contestant systématiquement les consultations préalables au co- investissement lancées par France Télécom, et de son absence d’intérêt à la mutualisation ;
- concernant les demandes de la société Bouygues Telecom portant sur le cofinancement a posteriori des lignes FttH et du partage des coûts d’établissement des lignes FttH à raison de la part de marché des opérateurs commerciaux, l’Autorité est incompétente pour édicter des règles relatives aux modalités, notamment techniques et financières, d’accès aux lignes FttH, dans le cadre de la procédure de règlement de différend instituée à l’article L.36-8 du CPCE, aux motifs, d’une part, que l’édiction de telles règles relève normalement du champ d’application de l’article L.36-6 du CPCE et, d’autre part, que l’Autorité peut préciser les modalités de l’accès, et non en déterminer de nouvelles formes, au titre de l’article L.36-6 du CPCE ;
- concernant les demandes de la société Bouygues Telecom s’agissant d’un certain nombre de clauses contractuelles, l’Autorité est incompétente pour connaître des différends de nature contractuelle, au motif que les compétences de l’Autorité en matière de règlement des différends, prévues à l’article L.36-8 du CPCE, portent seulement sur les conditions techniques et financières de l’interconnexion et de l’accès ;
- aucun litige préalable n’est à relever concernant a minima les demandes a), b), c), f),
g) et h) formulées par la société Bouygues Telecom ;
- les négociations relatives à l’offre de cofinancement, en particulier concernant le surcoût éventuel et le délai de cette offre proposée par la société France Télécom, n’ont pu être menées en raison de l’absence de demande claire et constante formulée préalablement par la société Bouygues Telecom ;
- les négociations ont porté uniquement sur la fixation de délais de rétablissement de service différenciés selon la taille des immeubles à équiper et non sur la définition d’un délai maximal de rétablissement de service ;
- les négociations portant sur les délais de mise à disposition des informations relatives au délai de livraison des points de mutualisation, au délai de commande de la ligne FttH et aux informations préalables enrichies n’ont pas échoué, en raison des réponses apportées par la société France Télécom aux demandes de la société Bouygues Telecom ou de l’absence de demande formulée par la société Bouygues Telecom.
Sur l’injonction de proposer une offre d’accès aux lignes FttH en cofinancement à tout moment du déploiement des lignes FttH, la société France Télécom soutient que :
- les demandes a), b) et c) de la société Bouygues Telecom ne sont pas raisonnables, au motif qu’elles sont contraires au cadre réglementaire du cofinancement ab initio et à la logique économique et politique des investissements pour le déploiement des lignes FttH ;
- la reconnaissance d’un régime de cofinancement a posteriori reviendrait à consacrer le préfinancement des investissements d’un tiers par un opérateur co-investisseur ab initio ;
- ces demandes sont contraires au droit inviolable de la propriété dont dispose un opérateur « ayant investi seul dans son réseau », en ce qu’elles permettraient à un opérateur co-investisseur a posteriori de bénéficier des mêmes droits réels, d’usufruit et d’usage sur ce réseau que les opérateurs cofinanceurs ab initio, et empêcheraient le propriétaire de jouir de son droit de propriété et des fruits y afférents ;
- les seuls régimes juridiques pouvant atteindre la substance du droit de propriété, à savoir l’expropriation et la réquisition, ne s’appliquent pas au cas d’espèce ;
- l’offre passive de location au point de mutualisation, proposée alternativement à l’offre de cofinancement par la société France Télécom, est « parfaitement » viable et les conditions de sa résiliation sont strictement encadrées, dans le respect de l’article L.34-8-3 du CPCE ;
- la demande de prolonger la consultation préalable sans surcoût pendant un an est injustifiée, en raison de la faculté de la société Bouygues Telecom de répondre à la consultation préalable en toute connaissance de cause et de son rejet systématique de l’offre alternative de location proposée par la société France Télécom ;
- ces demandes ne sont pas conformes aux objectifs de régulation établis par l’Autorité dans sa décision n°2009-1106 du 22 décembre 2009, aux termes de laquelle l’Autorité n’a pas estimé nécessaire d’imposer une offre de cofinancement a posteriori ;
- la situation du marché du très haut débit est très ouverte, compte tenu de son émergence et, plus particulièrement, des différentes offres d’accès proposées, du nombre d’opérateurs offreurs, de la délimitation géographique des consultations préalables au co-investissement ou encore des modalités d’accès au cofinancement ab initio prévues par ces consultations en ce qui concerne les immeubles non équipés.
Sur la demande d) de la société Bouygues Telecom, la société France Télécom soutient que :
- cette demande n’est pas raisonnable, au motif qu’elle est contraire au cadre réglementaire fixant les modalités de partage des coûts d’établissement des lignes FttH, résultant notamment d’un consensus de la part de l’ensemble des acteurs concernés ;
- le partage équitable des coûts répondant aux principes de non discrimination, d’objectivité et de pertinence, la tarification proposée aux opérateurs co-investisseurs s’étant vu octroyer les mêmes droits sur les lignes FttH doit donc être justifiée par des éléments de coûts, indépendamment de la part de marché des opérateurs ;
- si le paramètre des parts de marché actuelles sur le marché du haut débit devait être examiné, il conviendrait de le considérer à l’aune des investissements consentis et de leur durée, de l’absence de certitudes quant à la migration des abonnés haut débit d’un opérateur à ses offres très haut débit, de la situation très ouverte, à ce stade, du marché de détail du très haut débit, et de l’entrée particulièrement agressive et performante de la société Bouygues Telecom sur le marché du haut débit ;
- du fait de la régulation symétrique mise en œuvre par l’Autorité, ainsi que des parts de marché de la société Bouygues Telecom dans le cadre des consultations préalables ou en termes de conquête nette sur le marché du haut débit, l’offre de cofinancement ab initio proposée par la société France Télécom ne constitue pas une barrière à l’entrée de la société Bouygues Telecom sur le marché du très haut débit.
Sur la demande e) de la société Bouygues Telecom, la société France Télécom soutient qu’elle n’est pas raisonnable, au motif qu’elle fournirait un avantage concurrentiel aux opérateurs limitant leur risque financier en fonction de la taille des immeubles, aux dépens des opérateurs investissant ab initio sur la totalité de la commune, maille considérée comme la plus favorable au déploiement homogène des lignes FttH.
Sur la demande f) de la société Bouygues Telecom, la société France Télécom soutient qu’elle n’est pas raisonnable, au motif que, d’une part, les traitements utilisés pour l’accès à la boucle locale cuivre ne sont pas nécessairement adaptables à la mutualisation des lignes FttH dont les contraintes opérationnelles sont spécifiques, et, d’autre part, des délais de rétablissement de service sont d’ores et déjà proposés.
Sur les demandes g) et h) de la société Bouygues Telecom, la société France Télécom soutient qu’elles ne sont pas raisonnables, aux motifs que :
- dans le cadre de l’offre de cofinancement ab initio de la société France Télécom, les « Informations Préalables Enrichies » sont mises à jour et fournies automatiquement à fréquence bimensuelle, et les informations dites « J3M » sont mises à disposition « au fil de l’eau, dès leur disponibilité », au moins 3 mois avant la mise en service commerciale du point de mutualisation, à partir de laquelle le raccordement des logements par les différents opérateurs, y compris la société France Télécom, pourra être demandé ;
- dans le cadre de l’offre de location au point de mutualisation, le délai de mise à disposition des informations dépend du traitement des commandes, dont la réalisation est en partie manuelle ;
- les informations relatives à une commande de raccordement palier existant sont d’ores et déjà transmises sous 2 jours ouvrés, un délai supplémentaire de 2 jours ouvrés s’appliquant à toute transmission de commande de réalisation d’un raccordement palier à l’opérateur commercial ;
- ces dispositions ont vocation à s’appliquer à l’ensemble des opérateurs, y compris la société France Télécom.
Sur la demande i) de la société Bouygues Telecom, la société France Télécom soutient qu’elle n’est pas raisonnable, au motif que la sanction du non-respect éventuel d’un délai contractuel relève de la compétence du juge civil.
Sur la demande j) de la société Bouygues Telecom, la société France Télécom soutient qu’elle n’est pas raisonnable au motif que le cadre réglementaire oblige tout opérateur d’immeuble à garantir la fourniture des prestations d’accès afférentes à la mutualisation, le cas échéant, et encadre tout ajustement tarifaire nécessaire à l’exécution de ses prestations par l’opérateur d’immeuble.
Sur la demande k) de la société Bouygues Telecom, la société France Télécom soutient qu’elle n’est pas raisonnable, au motif que la pratique d’une durée indéterminée de l’offre de location au point de mutualisation, moyennant un engagement initial minimal d’un an, est similaire à celle en vigueur sur le marché du DSL.
Sur la demande l) de la société Bouygues Telecom, la société France Télécom soutient qu’elle n’est pas raisonnable, au motif qu’elle n’est pas motivée, et précise que le niveau de la prime de risque figurant dans son offre est déterminé selon la méthode d’évaluation définie par l’Autorité.
Sur la demande m) de la société Bouygues Telecom, la société France Télécom soutient qu’elle n’est pas raisonnable, aux motifs que :
- le montant de son plafond de responsabilité est cohérent avec les pratiques observées dans les conventions de mutualisation proposées par d’autres opérateurs ou dans les conventions de dégroupage ;
- les clauses d’engagement de responsabilité ne peuvent être rendues symétriques, dans la mesure où les obligations contractuelles à la charge de chacune des parties à la convention d’accès ne le sont pas.
Sur la demande n) de la société Bouygues Telecom, la société France Télécom soutient qu’elle n’est pas raisonnable, au motif que la mise en œuvre de la clause d’intuitu personae, courante dans les offres d’accès « où la prise en considération de la personne du cocontractant » et de sa nature est essentielle, est strictement encadrée par l’article L.34-8-3 du CPCE.
Sur la demande o) de la société Bouygues Telecom, la société France Télécom soutient qu’elle n’est pas raisonnable, aux motifs que :
- la mise en œuvre d’une solution visant à faire supporter intégralement le coût du raccordement palier par l’opérateur commercial se heurte à de nombreuses difficultés, telles que la prise en compte du surcoût lié aux fibres dédiées, de l’utilisation simultanée du raccordement palier par plusieurs opérateurs, de la durée limitée de la refacturation, ou encore de la refacturation des droits de suite et des frais de résiliation ;
- cette solution est inéquitable et disproportionnée, en ce que, d’une part, elle ne tient pas compte de l’évolution des parts de marché, ni de l’absence de facturation du coût du raccordement en cas de migration de clients finals, et, d’autre part, elle favorise les opérateurs commerciaux ayant une faible part de marché initiale ;
- l’affectation du coût du raccordement proposée par la société France Télécom, selon laquelle 50 % du coût est supporté par l’opérateur commercial, les 50 % restants étant alloués à parts égales entre les autres opérateurs, est justifiée et équitable.
Sur la demande p) de la société Bouygues Telecom, la société France Télécom soutient qu’elle n’est pas raisonnable, au motif que les modalités de partage des revenus du marché de gros, définies dans les conditions contractuelles de la société France Télécom, sont conformes aux préconisations de l’Autorité.
Sur la demande q) de la société Bouygues Telecom, la société France Télécom soutient qu’elle n’est pas raisonnable, au motif que les « modifications sollicitées » et « l’adaptation des processus opérationnels qu’elles supposent » allongeraient significativement le délai de modification de son offre de mutualisation.
Vu les nouvelles observations enregistrées le 20 septembre 2010, présentées par la société Bouygues Telecom, par lesquelles elle maintient ses conclusions ;
« Afin d’éviter toute ambiguïté », la société Bouygues Telecom modifie la demande k) présentée dans ses observations initiales enregistrées le 23 juillet 2010, « en ce qu’elle faisait référence aux pratiques du marché du DSL », et la reformule de la manière suivante :
« k) S’agissant de l’offre de location au point de mutualisation, ordonner à France Télécom de modifier son offre afin de proposer une durée de droits raisonnable et proportionnée, et de permettre l’amortissement de l’investissement correspondant ».
La société Bouygues Telecom modifie la demande q) présentée dans ses observations initiales enregistrées le 23 juillet 2010 en portant à trois mois le délai pour procéder à l’ensemble des modifications résultant de la décision à intervenir concernant l’ensemble de ses demandes, hors les demandes m) et n) qui demeurent soumises au délai initial d’un mois.
Sur ses demandes a) et b), la société Bouygues Telecom ajoute que :
- le cadre réglementaire ne s’oppose pas à un cofinancement a posteriori des lignes FttH ;
- les droits des opérateurs co-investisseurs sur les lignes FttH déployées doivent être similaires, que ces opérateurs y aient accédé antérieurement ou ultérieurement à l’établissement de ces lignes ;
- le droit de propriété de l’opérateur d’immeuble doit se concilier avec un droit personnel d’usage de longue durée assimilable au droit d’usage concédé par la société France Télécom dans son offre de cofinancement ab initio.
Sur sa demande d), la société Bouygues Telecom ajoute que :
- pour rentabiliser les investissements consentis dans le cadre des offres de cofinancement ab initio et de location, un opérateur commercial doit conquérir plus de 20 % des lignes adressables dans un immeuble ;
- le partage équitable des coûts de déploiement vertical mutualisé doit refléter les parts de marché.
Sur sa demande e), la société Bouygues Telecom ajoute qu’un opérateur commercial nouvel entrant ne disposera d’une échelle des investissements que s’il peut investir prioritairement dans les immeubles où il dispose d’abonnés.
Sur sa demande k), la société Bouygues Telecom ajoute que les droits d’usage conférés par l’opérateur d’immeuble aux opérateurs co-investisseurs devraient être a minima de 30 ans, avec possibilité de renouvellement, afin de couvrir la durée de vie économique de la fibre.
Sur sa demande l) relative à la prime de risque associée au calcul du coût du capital (WACC) de l’offre de location au point de mutualisation, la société Bouygues Telecom soutient que la détermination par la société France Télécom des tarifs de ses offres de gros ne respecte pas les modèles développés par l’Autorité ayant pour objectif une tarification raisonnable et non discriminatoire, ainsi que les recommandations de la Commission européenne.
Sur sa demande o), la société Bouygues Telecom ajoute que si une stratégie du parasitisme devait être mise en œuvre par un opérateur de petite taille concernant le raccordement palier, les effets d’une telle stratégie seraient neutralisés par les coûts fixes supportés par l’opérateur en raison de ses faibles économies d’échelle.
Vu les nouvelles observations enregistrées le 4 octobre 2010, présentées par la société France Télécom, par lesquelles elle maintient ses conclusions ;
Sur les demandes a) et b) de la société Bouygues Telecom, la société France Télécom ajoute que la seule offre d’accès a posteriori envisagée par le cadre réglementaire est l’offre de location au point de mutualisation qui favorise la pénétration « ciblée et sélective du marché » par un opérateur nouvel entrant.
Sur la demande g) de la société Bouygues Telecom, la société France Télécom ajoute que les délais relatifs à la transmission d’informations techniques, actuellement prévus dans sa convention d’accès sont acceptés par l’ensemble des opérateurs signataires mettant en œuvre ces processus.
Sur la demande i) de la société Bouygues Telecom, la société France Télécom ajoute que la mise en place d’un dispositif de pénalités est prévue mais dépend de l’évolution du marché.
Sur la demande k) de la société Bouygues Telecom, la société France Télécom ajoute que, contrairement à l’offre de cofinancement ab initio, l’offre de location ne constitue pas une offre d’investissement, les droits consentis aux opérateurs commerciaux ne pouvant par conséquent être inscrits au bilan comptable de son bénéficiaire.
Sur la demande l) de la société Bouygues Telecom, la société France Télécom ajoute que, concernant le niveau de la prime de risque, la modélisation des parts de marché des opérateurs sur la fibre favoriserait une régulation asymétrique du marché, contrairement à une modélisation fondée sur l’hypothèse du partage à parts égales entre les opérateurs co- investisseurs.
Sur la demande m) de la société Bouygues Telecom, la société France Télécom ajoute que le plafond d’investissement, dont le montant est contesté, relève du régime de l’assurance, « visant à couvrir un risque d’investissement », et non du régime de la responsabilité.
Sur la demande o) de la société Bouygues Telecom, la société France Télécom ajoute que concernant la prise en charge du coût du raccordement palier par l’opérateur commercial, la dynamique observée sur le marché du haut débit, notamment en termes de parts de marché, est difficilement transposable au marché émergent des lignes FttH sur lequel les opérateurs se trouvent dans des situations similaires.
Vu les nouvelles observations enregistrées le 13 octobre 2010, présentées par la société Bouygues Telecom, par lesquelles elle maintient ses conclusions ;
Vu les nouvelles observations enregistrées le 5 novembre 2010, présentées par la société France Télécom, par lesquelles elle maintient ses conclusions ;
La société France Télécom entend attirer l’attention de l’Autorité sur l’annonce par la société Bouygues Telecom du lancement de son offre très haut débit à partir du 2 novembre 2010, assise sur un partenariat avec Numericable.
La société France Télécom souligne que la société Bouygues Telecom aurait, à de nombreuses reprises, déclaré dans la presse qu’elle est en situation de prendre l’avantage sur ses concurrents sur le marché du très haut débit, ce qui serait en contradiction avec son argumentation dans le cadre de la présente saisine, fondée sur sa position de « petit » opérateur sur le marché du haut débit.
France Télécom considère que, à la suite du partenariat entre Numericable et Bouygues Telecom, il serait injustifié de faire droit aux demandes formulées par cette dernière dans le cadre de ce présent règlement de différend au regard de l’absence de besoin réel de la demanderesse.
Sur la demande o) de la société Bouygues Telecom, la société France Télécom ajoute qu’y faire droit soulèverait des difficultés, notamment concernant la propriété du câblage et la valorisation des actifs correspondants.
Après avoir entendu le 16 novembre 2010, lors de l'audience devant le collège (composé de M. Jean-Ludovic Silicani, président, Mme Joëlle Toledano et MM. Édouard Bridoux, Nicolas Curien, Daniel-Georges Courtois et Denis Rapone) :
- le rapport de Mlles Aurélie Barré et Carole Armoët, rapporteurs présentant les conclusions et les moyens des parties ;
- les observations de MM. Richard Viel, Arnaud Van Eckout, Emmanuel Micol, Maître Henri Savoie et Laurent Benzoni pour la société Bouygues Telecom ;
- les observations de MM. Eric Debroeck, Didier Dillard et Nicolas Laederich pour la société France Télécom ;
En présence de :
MM. Emmanuel Forest, Roland Duffau, Maître Patrick Mel et Mme Anne Saffard pour la société Bouygues Telecom ;
- Mme Aurélia David et M. Jean Mazier pour la société France Télécom ;
- Mmes Chantal Pulvéric et Patricia Lewin, MM. Philippe Distler, François Lions, Michel Combot, Antoine Darodes, Joël Mau, Akilles Loudiere, Stéphane Hoynck, Guillaume Méheut, agents de l'Autorité.
Sur la publicité de l'audience
L'article 15 du règlement intérieur susvisé dispose que :
« l'audience est publique, sauf demande conjointe de toutes les parties. Si cette demande n'est pas conjointe, le collège de l'Autorité en délibère ».
La société Bouygues Telecom a indiqué, par courriel en date du 9 novembre 2010, qu’elle demandait que l’audience soit publique. Par courriel en date du 10 novembre 2010, la société France Télécom a demandé que l’audience ne soit pas publique. Interrogée sur ce point par le Président avant l'ouverture des débats de l'audience, la société France Télécom a indiqué qu’elle ne s’opposait pas à ce que l’audience soit publique.
Le collège (composé de M. Jean-Ludovic Silicani, président, Mme Joëlle Toledano et MM. Édouard Bridoux, Nicolas Curien, Daniel-Georges Courtois et Denis Rapone) en ayant délibéré le 16 novembre 2010, hors la présence du rapporteur, des rapporteurs adjoints et des agents de l'Autorité, adopte la présente décision fondée sur les faits et les moyens exposés ci- après.
1. Contexte et cadre juridique
À titre liminaire, l’Autorité rappelle le contexte dans lequel intervient la présente saisine, en présentant notamment le cadre réglementaire du marché du très haut débit en fibre optique ainsi que le positionnement concurrentiel des parties sur le marché.
1.1. Positionnement des parties sur le marché
D’une part, la société Bouygues Telecom commercialise, depuis fin 2008, des services de communications électroniques haut débit en DSL (internet, téléphonie fixe, télévision), qui complètent ses activités sur le marché de la téléphonie mobile. En mars 2010, Bouygues Telecom comptait environ […] clients abonnés, ce qui correspond à une part de marché en parc de […]. Bouygues Telecom estime que France Télécom comptait, en mars 2010, environ de […] de parts de marché en parc et plus de […] de parts de marché en valeur.
D’autre part, la société France Télécom a entrepris en 2008 de déployer un réseau d’infrastructures de nouvelle génération en fibre optique jusqu’à l’abonné (FttH). Bouygues Telecom estime que ce réseau permettait le raccordement de plus de […] foyers en fibre optique au 1er janvier 2010. De plus, France Télécom propose dès à présent une offre de détail à très haut débit en fibre optique, dont le nombre d’abonnés reste pour l’instant limité.
Enfin, le 22 octobre 2010, Bouygues Telecom a annoncé le lancement, le 2 novembre 2010, de son offre de détail en fibre optique qui s'appuiera sur le réseau très haut débit de Numericable. Bouygues Telecom accèdera ainsi à […] millions de prises, dont […] millions permettant un accès jusqu'à 100 Mbps.
1.2. Cadre réglementaire des réseaux à très haut débit en fibre optique
Le cadre règlementaire du très haut débit favorise le déploiement de la fibre optique en incitant les acteurs à investir tout en permettant le développement d'une concurrence durable au bénéfice du consommateur. Deux décisions ont été adoptées par l'Autorité pour atteindre ces objectifs, mettant en œuvre :
- une régulation asymétrique des infrastructures de génie civil de France Télécom. Cette régulation permet aux opérateurs alternatifs de déployer leurs réseaux horizontaux dans les infrastructures de France Télécom dans des conditions techniques et économiques raisonnables, sans avoir à dupliquer l’infrastructure existante de génie civil. En effet, une telle duplication serait coûteuse et réduirait de façon significative la capacité des opérateurs alternatifs à déployer des réseaux en fibre optique jusqu’à l’abonné (FttH).
- une régulation symétrique de la partie terminale des réseaux en fibre optique. L’Autorité a ainsi fixé à la fin de l’année 2009 les règles pour la mutualisation de la partie terminale des réseaux en fibre optique jusqu’à l’abonné (FttH) dans les zones très denses1 du territoire.
S’agissant de la régulation de la partie terminale des réseaux en fibre optique, la plus proche des abonnés, la loi de modernisation de l’économie n° 2008–776 du 4 août 2008 en fixe le cadre juridique. Cette loi instaure un principe de mutualisation de la partie terminale des réseaux entre opérateurs et confie notamment la définition des modalités de mise en œuvre du principe de mutualisation à l’ARCEP.
Afin d’enclencher le déploiement du très haut débit fixe sur l’ensemble du territoire, et compte-tenu des expérimentations menées au cours de l’année 2009, le cadre réglementaire mis en place par l’ARCEP dans sa décision n°2009-1106 fixe certaines règles de mutualisation applicables sur l’ensemble du territoire et prévoit en particulier la fourniture d’une offre d’accès passive au point de mutualisation.
En application de la décision n°2009-1106, les opérateurs d’immeuble sont tenus de publier leur offre d’accès aux lignes à très haut débit en fibre optique dont les conditions tarifaires doivent respecter les principes de non discrimination, d’objectivité, de pertinence et d’efficacité. La décision prévoit également qu’une prime soit conférée à l’opérateur d’immeuble pour inciter à l’équipement des immeubles en fibre optique.
Par ailleurs, certaines dispositions de la décision n°2009-1106 ne concernent que les zones très denses du territoire, qui sont les zones où l'économie de ces nouveaux réseaux est structurellement la plus favorable et permet de déploiement en parallèle de plusieurs réseaux de fibre optique alternatifs jusqu'au pied des immeubles.
Dans ces zones très denses, la décision n°2009-1106 dispose que l’opérateur d’immeuble est tenu de faire droit aux demandes de disposer d’une fibre supplémentaire dédiée entre le point de mutualisation et chaque logement, si elle est formulée antérieurement à l’équipement de l’immeuble, moyennant un préfinancement des coûts de son installation, ou d’installer un dispositif de brassage à proximité du point de mutualisation.
Le schéma défini par l’ARCEP est neutre à l’égard des choix technico-économiques des opérateurs et permet de favoriser le développement de services innovants et différenciés, et ainsi d’une concurrence effective. Ce schéma vise également à inciter et à libérer l’investissement des opérateurs dans les zones très denses via un partage des coûts dans une logique de co-investissement.
À la suite de la publication de la décision de l’Autorité au Journal officiel, les opérateurs d’immeuble avaient un mois pour publier une offre de gros de mutualisation. France Télécom, Numericable, Séqualum, SFR, Covage et Free ont publié leurs offres entre le 17 et le 19 février 2010.
En dehors des zones très denses, les déploiements de réseaux en fibre optique jusqu’aux abonnés doivent répondre à certaines contraintes économiques et techniques spécifiques appelant à davantage de mutualisation des réseaux. Une deuxième décision, en cours d’élaboration, devrait préciser, avant la fin de l’année 2010, les modalités de l’accès aux lignes de communications électroniques à très haut débit en fibre optique sur tout le territoire, en dehors des zones très denses.
2. Sur la compétence de l’Autorité pour connaître des conclusions de la société Bouygues Telecom relatives aux offres d’accès aux lignes FttH installées par France Télécom
La société Bouygues Telecom a saisi l’Autorité de dix-sept demandes, qui peuvent être regroupées en plusieurs catégories.
Six types de demandes sont identifiés dans la requête de la société Bouygues Telecom :
- la modification de l’offre de cofinancement de la société France Télécom ;
- la modification de l’offre de location de France Télécom ;
- la modification des conditions de financement du raccordement palier ;
- la suppression de l’obligation de partager les revenus du marché de gros ;
- la modification de diverses dispositions contractuelles de la convention d’accès de France Télécom ;
- l’insertion d’un régime de responsabilité dans l’offre d’accès proposée par France Télécom.
Aux termes des dispositions du II de l’article L. 36-8 du CPCE :
« En cas d’échec des négociations commerciales, l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes peut également être saisie des différends (…) portant sur : (…) 2º bis La conclusion ou l'exécution de la convention d'itinérance locale prévue à l'article L. 34-8-1 ou de la convention d'accès prévue à l'article L. 34- 8-3».
L’Autorité est donc compétente pour régler les différends portant sur la conclusion ou l’exécution de la convention d’accès, prévue à l’article L. 34-8-3 du CPCE.
La compétence de règlement de différend ainsi reconnue à l’Autorité est renforcée par les dispositions de l’article L. 34-8-3 du CPCE, lesquelles prévoient explicitement que :
« L'accès est fourni dans des conditions transparentes et non discriminatoires en un point (…) permettant le raccordement effectif d'opérateurs tiers, à des conditions économiques, techniques et d'accessibilité raisonnables. Dans les cas définis par l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes, l'accès peut consister en la mise à disposition d'installations et d'éléments de réseau spécifiques demandés par un opérateur antérieurement à l'équipement de l'immeuble en lignes de communications électroniques à très haut débit en fibre optique, moyennant la prise en charge d'une part équitable des coûts par cet opérateur. Tout refus d'accès est motivé.
Il fait l'objet d'une convention entre les personnes concernées. Celle-ci détermine les conditions techniques et financières de l'accès. Elle est communiquée à l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes à sa demande.
Les différends relatifs à la conclusion ou à l'exécution de la convention prévue au présent article sont soumis à l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes conformément à l'article L. 36-8 ».
Il résulte de l’ensemble des dispositions de l’article L. 36-8 (II) et L. 34-8-3 du CPCE que l’Autorité est compétente pour connaître d’un différend, en cas d’échec des négociations, portant sur la conclusion ou l’exécution d’une convention d’accès prévue à l’article L. 34-8-3 du CPCE. La qualité d’opérateur de communications électroniques des parties au litige n’est pas contestée.
2.1. Compétence de l’Autorité pour connaître des offres d’accès aux lignes FttH de la société France Télécom
La société Bouygues Telecom demande à l’Autorité :
- d'indiquer que l’offre de cofinancement proposée par France Télécom dans le cadre de son offre d’accès à la partie terminale des lignes de communications électroniques à
très haut débit en fibre optique doit être disponible à tout moment, à des conditions raisonnables, et notamment, sans surcoût pendant un délai raisonnable ;
- en conséquence, d’ordonner à France Télécom de supprimer les stipulations de son offre d’accès subordonnant le bénéfice de son offre de cofinancement au strict respect des conditions posées pour la réponse à ses consultations préalables ;
- d’enjoindre à France Télécom de proposer son offre de cofinancement à Bouygues Telecom pour les lignes FttH objets de la consultation du 1er avril 2010 sans surcoût pendant un an, soit jusqu’au 30 juin 2011, notamment au titre de la rémunération du capital et/ou de la prime de risque ;
- d’enjoindre à France Télécom de proposer à Bouygues Telecom des modalités de partage des coûts d’établissement des lignes équitables et raisonnables et tenant compte de leur part de marché sur le fixe ;
- d’enjoindre à France Télécom d’offrir à Bouygues Telecom la possibilité de moduler ses investissements en contrepartie d’un accès proportionnel aux prises installées.
En défense, la société France Télécom estime que la demande de Bouygues Telecom tendant à ce que l’Autorité lui impose de proposer à l’opérateur commercial une offre d’accès aux lignes en fibre optique jusqu’à l’abonné (FttH) en cofinancement à tout moment est fondée sur l’article L. 36-6 du CPCE, aux termes duquel il appartient à l’Autorité de préciser « (…) 2° Les prescriptions applicables (…) aux conditions techniques et financières de l’accès, conformément à l’article L. 34-8-3 (…) ». Toutefois, la société France Télécom n’est pas fondée à déduire de cette interprétation l’incompétence de l’ARCEP pour connaître de la demande la société Bouygues Telecom.
D’une part, et contrairement à ce que soutient la société France Télécom, la compétence de l’Autorité sur le fondement de l’article L. 36-6 du CPCE n’entraîne pas son incompétence pour se prononcer sur une demande de règlement de différend sur le même sujet. Les deux procédures n’ont, en effet, ni le même objet, ni le même effet. Tandis que l’ARCEP tient de l’article L. 36-6 du CPCE le pouvoir d’édicter a priori, dans un domaine limité, une règle générale applicable à l’ensemble des opérateurs à compter de son entrée en vigueur, l’article L. 36-8 du même code permet aux opérateurs de demander à l’ARCEP de régler un litige déjà né entre eux et de prendre une décision qui ne s’imposera qu’aux parties à la procédure.
D’autre part, il ressort des écritures de la requérante que sa demande tendant à imposer à la société France Télécom de lui proposer un "cofinancement à tout moment" doit s'analyser comme une demande visant à imposer à la société France Télécom d’offrir un accès permettant, à tout moment, de bénéficier de droits d’usage pérennes et amortissables. Cette demande ne conduit pas à élargir la définition de l’accès mentionné à l’article L. 36-6 du CPCE par renvoi à l’article L. 34-8-3. En effet, aux termes de l’article L. 32 du CPCE : « (…)
8) (...) On entend par accès toute mise à disposition de moyens, matériels ou logiciels, ou de services, en vue de permettre au bénéficiaire de fournir des services de communications électroniques (…) ». L’article L. 34-8-3 du CPCE, dans sa rédaction issue de la loi n°2009- 1572 du 17 décembre 2009 relative à la lutte contre la fracture numérique, précise que « l’accès peut consister en la mise à disposition d’installations et d’éléments de réseau spécifiques demandés par un opérateur antérieurement à l’équipement de l’immeuble (…) moyennant une prise en charge d’une part équitable des coûts par cet opérateur ». Cette disposition conduit nécessairement à une extension de la définition de l’accès, lequel ne portait, avant l’intervention de la loi du 17 décembre 2009, que sur des éléments existants. Ainsi, et contrairement à ce que soutient la société France Télécom, l’article L. 34-8-3 du CPCE ne restreint nullement le partage des coûts à un cofinancement ab initio, mais permet d’envisager une offre d’accès même après l’installation des lignes. La circonstance que le partage des coûts intervienne antérieurement ou ultérieurement à l’installation des lignes, constitue une modalité de la convention d’accès, dont il appartient à l’Autorité de connaître.
Par conséquent, l’Autorité est compétente pour se prononcer sur les demandes relatives à l’offre d’accès permettant aux opérateurs tiers de bénéficier de droits d’usage pérennes sur l’infrastructure déployée, et d’amortir les investissements correspondants, proposée par France Télécom.
2.2. Compétence de l’Autorité pour connaître de l’offre de location de France Télécom
La société Bouygues Telecom formule deux demandes relatives à l’offre de location de France Télécom. Elle demande à l’Autorité, d’une part, d’enjoindre à France Télécom de modifier son offre de location au point de mutualisation afin de proposer une durée de droits raisonnable et proportionnée, et de permettre l’amortissement de l’investissement correspondant, et d’autre part, de supprimer ou réduire la prime de risque associée au calcul du coût du capital (WACC) dans l’offre de location au point de mutualisation.
Le quatrième alinéa de l’article L. 34-8-3 du CPCE dispose que :
« Les différends relatifs à la conclusion ou à l'exécution de la convention prévue au présent article sont soumis à l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes conformément à l'article L. 36-8 ».
Dès lors que la demande de la société Bouygues Telecom porte sur la modification des conditions techniques et tarifaires d’une offre de location des lignes FttH de France Télécom au point de mutualisation, c’est-à-dire d’une offre d’accès entrant dans le champ d’application de l’article L. 34-8-3 CPCE, ainsi que le relève d’ailleurs la société France Télécom, l’Autorité est compétente pour se prononcer sur le différend.
2.3. Compétence de l’Autorité pour déterminer la prise en charge du raccordement palier
Les modalités du raccordement palier font partie intégrante des modalités techniques et/ou tarifaires de l’accès.
Par conséquent, l’Autorité est compétente pour se prononcer sur cette question.
2.4. Compétence de l’Autorité pour faire droit à la demande de suppression de l’obligation de partager les revenus du marché de gros
La demande relative à la suppression de l’obligation de partager les revenus du marché de gros relève nécessairement des modalités techniques et / ou tarifaires de l’accès.
Par conséquent, l’Autorité est compétente pour se prononcer sur cette question, ainsi qu’en convient d’ailleurs la société France Télécom.
2.5. Compétence de l’Autorité pour connaître d’autres modalités contractuelles des offres d’accès de France Télécom
La société Bouygues Telecom demande à l’ARCEP de définir les délais devant être respectés par France Télécom pour :
- le transfert des informations relatives au point de mutualisation ;
- le transfert des informations relatives aux raccordements paliers ;
- le traitement des commandes ;
- le temps de rétablissement du service.
Elle demande, en outre, à l’Autorité de définir les pénalités minimales dues par France Télécom en cas de non-respect de ces délais.
Elle demande, enfin, que l’Autorité se prononce sur les clauses permettant à France Télécom de modifier unilatéralement ses tarifs et de résilier la convention en cas de changement de contrôle du cocontractant et modifier ses tarifs de manière unilatérale.
En défense, la société France Télécom soutient que les demandes relatives au régime de pénalité pour non-respect des délais contractuels et à la clause autorisant la résiliation du contrat en cas de changement de contrôle du cocontractant sont dépourvues de tout lien avec les conditions techniques et financières de l’accès, de sorte que l’ARCEP n’est pas compétente pour en connaître.
Aux termes des articles L. 36-8 et L. 34-8-3 du CPCE, l’Autorité est compétente pour régler les différends nés des conventions d’accès, dans la mesure où ils portent sur des clauses relatives aux modalités financières et techniques de l’accès. Dès lors qu’une clause litigieuse a un lien, même indirect, avec les conditions d’exécution de la prestation d’accès, l’Autorité est compétente pour se prononcer en équité.
En l’espèce, la fourniture de certaines informations essentielles, le délai dans lequel le service est assuré ou rétabli, ainsi que les clauses relatives à la résiliation de la convention d’accès sont des éléments nécessaires et indissociablement liés à la prestation d’accès, objet du contrat. Contrairement aux allégations de France Télécom, il appartient donc à l’Autorité d’en connaître.
2.6. Compétence de l’Autorité pour faire droit à la demande d’instauration d’un régime de responsabilité
La société Bouygues Telecom demande à l’Autorité : « d’enjoindre à France Télécom de modifier les stipulations de sa convention d’accès relatives à la responsabilité des parties afin que cette société :
- à titre principal, s’engage à réparer tous les dommages directs sans exception dont elle serait responsable, dans la limite d’un plafond cohérent avec le préjudice réel encouru par l’opérateur commercial, et d’étendre le bénéfice dudit plafond à l’opérateur commercial ;
- à titre subsidiaire, étendre à l’opérateur commercial les règles de responsabilité applicables à France Télécom elle-même ».
Ainsi qu’il a été exposé ci-dessus, l’Autorité est compétente pour connaître de demandes lorsqu’elles portent sur des clauses relatives aux modalités financières et techniques de l’accès et ont un lien, direct ou indirect, avec la prestation d’accès concernée.
En revanche, et ainsi que France Télécom le souligne dans ses observations en défense, les clauses relatives à la responsabilité des parties, dans la convention objet du présent litige, sont propres à la responsabilité civile et, en l’espèce, indépendantes de la prestation d’accès. Il appartient donc au seul juge civil de connaître des conditions dans lesquelles la responsabilité des parties est engagée en cas d’inexécution et de fixer, le cas échéant, les modalités de la réparation.
Les conclusions de Bouygues Telecom tendant à ce qu’un régime de responsabilité soit défini par l’Autorité doivent donc être rejetées comme portées devant une autorité incompétente pour en connaître.
3. Sur les demandes d’une offre d’accès aux lignes FttH permettant, à tout moment, aux opérateurs tiers de bénéficier de droits d’usage pérennes sur l’infrastructure déployée, et d’amortir les investissements correspondants
3.1. Sur la demande visant à ce que France Télécom propose une offre d’accès aux lignes FttH en cofinancement à tout moment du déploiement des lignes, dans des conditions raisonnables, notamment, sans surcoût pendant un délai raisonnable
3.1.1. Sur l’échec des négociations
Sur la demande visant à ce que France Télécom propose une offre d’accès à tout moment du déploiement des lignes
Par un courriel en date du 26 mars 2010, la société Bouygues Telecom a demandé à la société France Télécom à bénéficier de « modalités d’entrée différée en tant que co-investisseur à des conditions raisonnables ».
Le 30 mars 2010, Bouygues Telecom a rappelé, dans le compte rendu d’une réunion téléphonique qui s’est tenue avec France Télécom le 29 mars 2010, son souhait d’une « possibilité d’entrée ultérieure dans le cofinancement, y compris sur le parc immeuble déployé avant le 1erjanvier 2010 ».
En outre, la société Bouygues Telecom a mentionné, en commentaires sur les contrats proposés par la société France Télécom, souhaiter pouvoir « entrer au cofinancement à tout moment ».
Bouygues Telecom a rappelé sa demande par courrier en date du 16 avril 2010 :
« (…) nous souhaitons que votre offre évolue de façon à permettre à tout opérateur commercial de participer au cofinancement, à des conditions identiques sur l’ensemble du périmètre, dans l’année qui suit la consultation et non dans les 45 jours ».
Par un message adressé à tous les opérateurs le 30 avril 2010, et un courriel à Bouygues Telecom le 12 mai 2010, la société France Télécom a reporté l’échéance des consultations :
« en ouvrant la possibilité aux opérateurs : « - de répondre aux consultations relatives au cofinancement des câblages FttH à installer par France Télécom jusqu’au 30 juin 2010 ;
- de participer au cofinancement des câblages FttH installées par France Télécom avant le 1er janvier 2010 jusqu’au 31 décembre 2010 ».
Le 15 juin 2010, la société Bouygues Telecom a reproché à France Télécom :
« Votre offre ne permet pas en effet l’entrée ultérieure d’un opérateur dans le cofinancement, le cas échéant moyennant un taux de rémunération du capital justifié et proportionné (appliqué à la valeur nette de l’investissement). Comme nous avons eu l’occasion de vous l’exposer dans notre courrier du 16 avril, nous vous demandons donc de prévoir la possibilité de participer ultérieurement au cofinancement sur l’ensemble du périmètre au-delà des dates butoirs désormais fixées (…) ».
Par courrier en date du 2 juillet 2010, la société France Télécom, indiquant avoir déjà repoussé l’échéance de ses consultations, a informé la société Bouygues Telecom que ces dates butoirs pour rentrer en cofinancement ne seraient plus modifiées.
Le 9 juillet 2010, la société Bouygues Telecom a indiqué dans un courrier à France Télécom que :
« (…) nous estimons que France Télécom s’oppose sans raison légitime au cofinancement au-delà des dates butoir de ses consultations préalables. Comme le rappelle l’ARCEP dans son courrier du 23 avril 2010, il est indispensable pour garantir une concurrence effective entre opérateurs que l’offre de cofinancement des opérateurs d’immeuble soit proposée non seulement ab initio mais également pour tout opérateur souhaitant investir ultérieurement dans les infrastructures déployées ». Bouygues Telecom ajoute enfin : « Nous réitérons en conséquence notre demande de pouvoir accéder à tout moment à votre offre de cofinancement du déploiement de vos lignes FttH sur l’ensemble du parc déployé et à venir, moyennant des conditions raisonnables ».
Il apparaît donc clairement que la société Bouygues Telecom a demandé, à plusieurs reprises, la possibilité de pouvoir participer « à tout moment » au cofinancement proposé par France Télécom. France Télécom a, certes, repoussé la date d’échéance de ses consultations préalables, mais refusé le principe d’une entrée ultérieure à ces dates.
Dans les circonstances de l’espèce, l’Autorité estime que l’échec des négociations, concernant la possibilité de bénéficier d’une offre d’accès aux lignes à très haut débit en fibre optique jusqu’à l’abonné (FttH) installées par France Télécom permettant, a posteriori, de bénéficier de droits d’usage pérennes et amortissables, à des conditions raisonnables, est avéré et que les conclusions de la société Bouygues Telecom sont recevables.
Sur la demande visant à ce que la société France Télécom propose une offre de cofinancement à tout moment, sans surcoût
En revanche, concernant la seconde partie de la première demande, numérotée a) par la société Bouygues Telecom dans sa saisine, à savoir la possibilité d’accéder à une offre de cofinancement à tout moment sur les lignes à très haut débit en fibre optique jusqu’à l’abonné (FttH) sans surcoût, l’Autorité constate que cette demande n’a fait l’objet d’aucun débat entre les parties.
En effet, les différentes demandes de la société Bouygues Telecom, retracées ci-dessus, font référence à des « conditions raisonnables » ou encore à « un taux de rémunération du capital justifié et proportionné (appliqué à la valeur nette de l’investissement) », mais aucune demande visant à entrer à tout moment, sans surcoût, dans le co-investissement, n’a été formulée par la requérante. Ainsi, en l’absence de négociations entre les parties sur cette partie de la demande, cette dernière n’est pas recevable.
3.1.2. Sur le fond
France Télécom propose, dans le cadre de son offre de mutualisation en zones très denses, deux types d’offres : une offre de co-investissement initial, à l’échelle de la commune, et une offre de location de fibre individuelle au point de mutualisation, disponible à tout moment. Ainsi, comme le relève Bouygues Telecom dans son mémoire en date du 23 juillet 2010, s’agissant de l’offre de France Télécom :
« l’opérateur commercial qui ne répond pas à la consultation préalable de France Télécom dans le strict respect des délais et des formes imposées par celle-ci, n’a plus accès à l’offre de cofinancement. Il est alors contraint, s’il veut accéder aux foyers raccordés dans le cadre de la consultation en cause, afin de pouvoir proposer des offres très haut débit, d’accepter l’offre de location au point de mutualisation de France Télécom ».
Or, Bouygues Telecom estime que le fait de permettre une contribution au partage des coûts ultérieure, avec une offre lui permettant de bénéficier de droits d’usage pérennes et d’amortir les investissements réalisés dans son bilan est indispensable.
Il convient, dans un premier temps, d’évaluer le caractère nécessaire de cette demande formulée par la société Bouygues Telecom.
Tout d’abord, si l’offre de location, au niveau du point de mutualisation, peut constituer un premier barreau nécessaire dans l’échelle des investissements, une telle offre peut structurellement être désavantageuse par rapport à l’offre initiale de co-investissement, d’un point de vue juridique, au vu de la pérennité des droits consentis mais aussi d’un point de vue comptable et financier.
En effet, d’un point de vue financier, la prestation d’accès locatif classique constitue pour Bouygues Telecom une dépense d’exploitation qui ne crée aucune valeur, notamment sur un plan comptable. À l’inverse, France Télécom et les co-investisseurs présents ab initio pourront amortir les coûts de celle-ci et augmenter la valeur de leur bilan du fait de la dépense d’investissement de capital. Ainsi, Bouygues Telecom souligne dans son mémoire en date du 23 juillet 2010 que, contrairement à l’offre de location :
« l’offre de cofinancement permet en principe à l’opérateur commercial (…) d’amortir ses investissements conformément aux normes comptables IFRS ».
Ainsi, le fait de ne pas pouvoir bénéficier de droits d’usage pérennes et amortissables a posteriori rend impossible, pour les opérateurs n’ayant pas répondu ou n’ayant pu répondre à l’appel initial, la valorisation de leurs droits d’usage de long terme dans leurs bilans, à l’instar de France Télécom et des co-investisseurs présents ab initio.
L’Autorité de la concurrence souligne dans son avis n° 10-A-07 que le cofinancement offre des garanties sur les conditions d’accès des opérateurs tiers au réseau déployé :
«Le co-investissement offre non seulement une garantie raisonnable que les conditions d’accès des opérateurs alternatifs aux réseaux ne soient pas dégradées, mais encore n’est-il pas exclu que celles-ci puissent s’améliorer par rapport au dégroupage de la boucle locale cuivre : (i) sur un plan économique, en substituant des coûts fixes à des coûts variables ; (ii) sur un plan technique, à travers un ‘droit de regard’ sur les conditions opérationnelles (livraison des accès, SAV) et un meilleur accès à l’information ».
Bouygues Telecom souligne ainsi, dans son mémoire en date du 23 juillet 2010, que :
« Une entrée différée dans le cofinancement est particulièrement importante pour un opérateur de taille modeste ou nouveau entrant sur le marché, afin de lui permettre d’investir progressivement dans la fibre ».
L’Autorité de la concurrence confirme cette analyse dans le cas de Bouygues Telecom dans son avis n° 10-A-18 :
« Compte tenu de ses parts de marché encore limitées sur le marché du haut débit, Bouygues Telecom n’est sans doute pas en mesure, en tous cas à ce stade, de cofinancer massivement le déploiement de la fibre dans les immeubles ».
Or, les opérateurs qui ont co-investi initialement pourraient contrôler via le marché de gros les conditions d’entrée des opérateurs tiers, et risqueraient de constituer un oligopole fermé et restreint pouvant conduire à des comportements collusifs, notamment en se réservant des avantages discriminatoires sur le marché de gros de l’accès aux infrastructures. Une telle situation pourrait conduire à un risque d’éviction des opérateurs tiers n’ayant pas participé au co-investissement ab initio, et par conséquent menacer le jeu concurrentiel sur le marché de détail.
En conséquence, le fait que France Télécom permettent aux opérateurs de disposer d’une offre d’accès offrant des droits pérenne sur l’infrastructure à tout moment détermine directement la possibilité pour Bouygues Telecom de participer au financement des déploiements de réseaux à très haut débit en fibre optique jusqu’à l’abonné. Si le partenariat entre Numericable et Bouygues Telecom peut permettre à ce dernier de se constituer un parc de clientèle en très haut débit et peut, à ce titre, préparer son entrée dans le déploiement des réseaux FttH, la possibilité d’investir dans ces réseaux reste, en tout état de cause, conditionnée à la possibilité de participer a posteriori au financement des déploiements.
Ensuite, il convient de noter que proposer une telle offre d’accès permettant, à tout moment, aux opérateurs tiers de bénéficier de droits d’usage pérennes et amortissables peut permettre à France Télécom de partager le risque encouru avec un opérateur arrivant ultérieurement. La recommandation de la Commission européenne sur l’accès règlementé aux réseaux d’accès de nouvelle génération prévoit notamment, en ce sens :
« La diversification des risques associés au déploiement peut conduire à un déploiement des réseaux NGA plus efficace et plus opportun. Les ARN devraient donc évaluer les schémas tarifaires proposés par l’opérateur PSM2 pour diversifier les risques d’investissement. »
Au cas d’espèce, au vu des réponses à la consultation préalable, France Télécom déploiera du quadri-fibres dans ses immeubles, tandis que seulement deux des fibres seront utilisées ab initio. Une offre d’accès permettant, à tout moment, aux opérateurs tiers de bénéficier de droits d’usage pérennes sur l’infrastructure déployée et d’amortir les investissements correspondants, offrirait la possibilité à des opérateurs arrivant ultérieurement d’utiliser de manière pérenne les deux fibres non attribuées ab initio. De plus, le coût de ces deux fibres non utilisées est supporté par l’ensemble des opérateurs cofinanceurs ab initio et constitue un surcoût inefficace si aucune offre d’accès pérenne et amortissable à tout moment n’est ouverte.
Au vu des éléments présentés, la demande de la société Bouygues Telecom visant à ce que France Télécom propose une offre d’accès à tout moment du déploiement des lignes apparaît nécessaire.
Dans un second temps, il convient d’évaluer le caractère proportionné de la demande formulée par la société Bouygues Telecom.
Tout d’abord, il convient de rappeler que le cadre règlementaire fixé par la décision n°2009- 1106 et par la recommandation de l’Autorité relative aux modalités de l’accès aux lignes de communications électroniques à très haut débit en fibre optique laisse une marge de manœuvre pour la définition des modalités des offres qui doivent être proposées par l’opérateur d’immeuble à l’issue de la phase de co-investissement initial. Ainsi, l’article 2 de la décision n°2009-1106 prévoit que :
« L’opérateur d’immeuble offre aux autres opérateurs l’accès aux lignes au point de mutualisation, sous forme passive, dans des conditions raisonnables et non discriminatoires. Par dérogation à l’alinéa précédent, lorsqu’au moins quatre fibres optiques par logement ou local à usage professionnel ont été installées et que l’ensemble des fibres optiques installées sont exploitées par des opérateurs, l’accès peut être proposé en un point situé en amont du point de mutualisation, sous forme passive ou active. »
La décision n°2009-1106 indique toutefois que les offres d’accès pour les opérateurs se manifestant ultérieurement peuvent se traduire par un partage des coûts entre les opérateurs :
« Il convient de prévoir de façon complémentaire que, lorsque les opérateurs se manifestent ultérieurement à l’installation des lignes, leur contribution au partage des coûts soit déterminée en utilisant un taux de rémunération du capital qui tienne compte du risque encouru et confère une prime à l’opérateur d’immeuble ».
En outre, la recommandation de l’Autorité du 23 décembre 2009 dispose :
« Il convient de permettre à des opérateurs ne s’étant pas manifestés ab initio d’entrer sur le marché ultérieurement, sans cependant que cela ne se traduise par des contraintes excessives sur l’opérateur d’immeuble. »
La demande formulée par la société Bouygues Telecom s’inscrit donc logiquement dans le cadre réglementaire relatif à l’accès aux lignes en fibre optique jusqu’à l’abonné (FttH) défini par l’Autorité.
Par ailleurs, plusieurs opérateurs d’immeuble ont spontanément proposé, à la suite de la publication au Journal officiel le 17 janvier 2010 de la décision n°2009-1106, une offre passive d’accès a posteriori permettant à un opérateur tiers de participer au partage des coûts ultérieurement, moyennant l’application d’une prime de risque. Une telle modalité tarifaire est ainsi prévue dans les offres formulées par SFR, Free et Numericable.
À titre d’exemple, SFR propose une offre d’accès pérenne aux lignes en fibre optique jusqu’à l’abonné (FttH), qui permet aux opérateurs tiers d’amortir les investissements correspondants, à tout moment. Cette offre est proposée en dehors du cadre des consultations préalables et prévoit que l’opérateur bénéficiant d’un accès pérenne octroyé ultérieurement à l’établissement des lignes ait accès à une fibre dédiée, s’il reste des fibres déployées non attribuées ou bien à une fibre partagée. La durée des droits dont bénéficie l’opérateur ultérieur correspond au temps restant à courir entre son entrée et la fin d’une durée de 30 ans à partir de la mise à disposition du point de mutualisation. Cette offre d’accès prévoit que l’opérateur bénéficiant d’un accès pérenne, octroyé ultérieurement à la mise à disposition des câblages, s’acquitte de sa quote-part d’investissement majorée d’un taux de rémunération des capitaux prenant en compte le risque des investisseurs initiaux. SFR prévoit, à ce stade, une majoration de 15% par an, appliquée par semestre indivisible.
De même, Free propose une offre d’accès pérenne, à tout moment, qui permet aux opérateurs tiers d’amortir les investissements correspondants. Cette offre concerne les fibres dédiées disponibles dans les immeubles dans lesquels Free est opérateur d’immeuble. Les conditions tarifaires de cette offre prévoient aussi l’application d’une prime de risque de 15% par an.
L’existence de telles modalités montre qu’il existe une rationalité économique, pour l’opérateur d’immeuble, à proposer une offre passive d’accès permettant, à tout moment, aux opérateurs tiers de bénéficier de droits d’usage pérennes sur l’infrastructure déployée et permettant d’amortir les investissements correspondants.
Enfin, il convient d’évaluer les contraintes induites par la mise en place d’une telle offre sur France Télécom, en tant qu’opérateur d’immeuble.
Il convient tout d’abord de rappeler que cette demande de Bouygues Telecom s’inscrit dans le cadre de la mise en œuvre de l’article 2 de la décision n°2009-1106 qui précise les conditions dans lesquelles l’opérateur d’immeuble offre un accès passif au point de mutualisation ou, par dérogation, un accès actif ou passif en un point pouvant être situé plus en amont dans le réseau. L’Autorité se prononce ici uniquement sur le caractère équitable d’imposer une offre d’accès permettant aux opérateurs tiers de bénéficier, à tout moment, de droits d’usage pérennes et amortissables sur l’infrastructure déployée dans le cadre des offres passives proposées par France Télécom au niveau du point de mutualisation.
En outre, Bouygues Telecom fait valoir que d’un point de vue technique, la mise en place d’une telle offre ne présente pas de difficulté particulière pour l’opérateur d’immeuble. En effet, il s’agit uniquement de modifier les modalités financières et juridiques de l’accès, et non de remettre en cause l’architecture du réseau déployé. En particulier, l’opérateur ne participant pas au co-investissement initial ne peut pas être assuré de bénéficier d’une fibre dédiée lorsqu’il demande un accès a posteriori, conformément à la décision n °2009-1106 de l’Autorité. Bouygues Telecom illustre cet argument en rappelant que France Télécom propose, dans son offre en date du 10 juin 2010, une offre d’accès permettant aux opérateurs tiers de bénéficier de droits d’usage pérennes sur l’infrastructure déployée et d’amortir les investissements correspondants pour le parc des lignes déployées avant le 1er janvier 2010, et ce, jusqu’au 31 décembre 2010.
De plus, d’un point de vue juridique, la mise en place d’une telle offre ne constitue pas, contrairement à ce qu’affirme France Télécom, une expropriation de l’opérateur d’immeuble, propriétaire du réseau, puisqu’il s’agit uniquement de céder des droits d’usage pérenne sur l’infrastructure. En effet, la demande formulée par Bouygues Telecom ne vise pas à obtenir la copropriété du réseau déployé par France Télécom, mais uniquement à bénéficier d’une offre d’accès caractérisée par sa pérennité, sa longue durée, et un paiement des droits en début de contrat. Bouygues Telecom confirme, à ce titre, dans son mémoire en date du 21 septembre 2010 qu’elle ne réclame pas de démembrement de la propriété de France Télécom sur son réseau vertical en fibre optique :
« En tout état de cause, on relèvera que la demande de Bouygues Telecom ne porte en rien sur un quelconque démembrement de la propriété de France Télécom sur son réseau vertical de fibre optique. S’il devait être qualifié, ce droit devrait être analysé comme un droit personnel d’usage de longue durée à l’opposé donc d’un droit réel qui limiterait le droit de propriété de France Télécom. »
Il existe ainsi des modalités juridiques d’une offre a posteriori qui permettent à l’opérateur d’immeuble de conserver la propriété du réseau, tout en garantissant aux opérateurs tiers de bénéficier de droits d’usage pérennes et amortissables sur cette infrastructure. Ainsi, une étude externe réalisée par le cabinet Baker & Mc Kenzie pour l’Autorité sur les caractéristiques de l’IRU (Indefeasible Right of Use ou droits d’usage irrévocables) précise que :
« Même lorsqu'il porte sur un bien, l'IRU n'opère pas à proprement parler le transfert d'un droit réel (propriété ou démembrement) ».
Cette étude conclut par ailleurs que l’IRU permet l’arrivée ultérieure d’un opérateur tiers via une offre d’accès permettant de bénéficier de droits d’usage pérennes et amortissables. C’est d’ailleurs la solution retenue par SFR, Free et Numericable qui proposent tous de telles offres d’accès à tout moment sous la forme d’IRU.
Enfin, d’un point de vue financier, Bouygues Telecom indique dans son mémoire en date du 23 juillet 2010 ne pas contester la possibilité pour France Télécom de facturer un surcoût au titre de la rémunération du capital. La décision n°2009-1106 prévoit ainsi que ce taux de rémunération du capital puisse tenir compte du risque encouru par l’opérateur d’immeuble. L’application de ce taux est indispensable pour garantir l’incitation pour les opérateurs d’investir ab initio dans les réseaux de fibre optique jusqu’à l’abonné.
Il apparait ainsi que la demande de la société Bouygues Telecom visant à ce que France Télécom propose une offre d’accès à tout moment du déploiement des lignes ne génère pas de contraintes disproportionnées sur France Télécom.
L’Autorité estime donc qu’il est équitable que France Télécom propose une offre d’accès aux lignes permettant aux opérateurs tiers de bénéficier de droits d’usage pérennes sur l’infrastructure déployée, et d’amortir les investissements correspondants, et ce à tout moment, en tenant compte du risque encouru par les investisseurs initiaux.
3.2. Sur la demande visant à ordonner à France Télécom de supprimer les stipulations de son offre d’accès subordonnant le bénéfice de son offre de cofinancement au strict respect des conditions posées pour la réponse à ses consultations préalables
L’Autorité considère que la demande visant à ordonner à France Télécom de supprimer les stipulations de son offre d’accès subordonnant le bénéfice de son offre d’accès pérenne et amortissable au strict respect des conditions posées pour la réponse à ses consultations préalables s’interprète comme la conséquence nécessaire de la demande de Bouygues Telecom d’enjoindre à France Télécom de proposer une offre pérenne et amortissable à tout moment, à laquelle il a été fait droit.
Ainsi, il va de soi que la société France Télécom doit adapter la rédaction de son offre d’accès afin de permettre à la société Bouygues Telecom de participer au financement des lignes à très haut débit en fibre optique (FttH) ultérieurement à la consultation préalable menée par France Télécom, dans des conditions raisonnables.
Par ailleurs, la société Bouygues Telecom ne démontre pas, dans ses différents mémoires, dans quelle mesure les clauses dont elle demande expressément la suppression seraient inéquitables.
Par conséquent, et sans qu’il soit besoin de se prononcer sur l’échec des négociations à ce sujet ou d’ordonner à France Télécom de supprimer des clauses précisément désignées de son offre d’accès, laquelle est amenée à évoluer, l’Autorité considère qu’il est nécessaire et proportionné que la société France Télécom supprime les clauses de son offre faisant obstacle à un accès aux lignes permettant aux opérateurs tiers de bénéficier de droits d’usage pérennes sur l’infrastructure déployée et d’amortir les investissements correspondants.
3.3. Sur la demande visant à ce que France Télécom propose son offre de cofinancement à Bouygues Telecom pour les lignes FttH objets de la consultation du 1er avril 2010 sans surcoût pendant un an, soit jusqu’au 30 juin 2011, notamment au titre de la rémunération du capital et/ou de la prime de risque
3.3.1. Sur l’échec des négociations
La société Bouygues Telecom demande à bénéficier des conditions de la consultation du 1er avril 2010 jusqu’au 30 juin 2011, et ce, sans surcoût. Cette demande, qui s’analyse comme une demande de report de la consultation, a été formulée le 16 avril et réitérée le 29 juin 2010.
Par un courrier en date du 16 avril 2010, la société Bouygues Telecom indique en effet :
« (…) nous souhaitons que votre offre évolue de façon à permettre à tout opérateur commercial de participer au cofinancement, à des conditions identiques sur l’ensemble du périmètre, dans l’année qui suit la consultation et non dans les 45 jours ».
Dans le courrier du 29 juin 2010, Bouygues Telecom rappelle sa demande en ces termes :
« nous maintenons l’ensemble des réserves formulées dans notre courrier du 15 juin 2010, pour lequel nous n’avons pas reçu de réponse, ce qui motive également notre demande de report ».
Par un courrier du 2 juillet 2010, la société France Télécom répond ainsi aux demandes de la requérante :
« (…) nous tenons d’ailleurs à souligner que France Télécom a déjà reporté au 30 juin 2010 l’échéance de cette consultation qui avait été fixée initialement au 15 mai 2010, laissant ainsi 3 mois entre la publication de cette consultation le 1er avril et son terme. Nous vous confirmons donc comme cela vous a été indiqué par oral mercredi dernier que l’échéance de cette consultation ne sera pas reportée au- delà du 30 juin 2010 ».
Dans les circonstances de l’espèce, l’Autorité estime que l’échec des négociations concernant la possibilité de bénéficier de l’offre de cofinancement de la société France Télécom pour les lignes en fibre optique jusqu’à l’abonné (FttH) objets de la consultation du 1er avril 2010 sans surcoût pendant un an, est avéré et que les conclusions de la société Bouygues Telecom sont recevables.
3.3.2. Sur le fond
Bouygues Telecom estime qu’elle n’était pas en mesure de répondre à la consultation préalable menée par France Télécom entre le 1er avril 2010 et le 30 juin 2010 car l’offre d’accès de France Télécom présentait des dispositions qui ne lui convenaient pas, celles-ci faisant l’objet de la présente procédure de règlement de différend. À ce titre, Bouygues Telecom demande à l’Autorité d’enjoindre à France Télécom de proposer son offre de cofinancement pour les lignes FttH, objets de la consultation du 1er avril 2010, sans surcoût pendant un an (soit jusqu’au 30 juin 2011) notamment au titre de la rémunération du capital et/ou de la prime de risque.
Or, premièrement, comme le rappelle France Télécom, Bouygues Telecom a été mise en situation de répondre à sa consultation préalable au même titre que les autres opérateurs commerciaux, et avait la possibilité de répondre à cette consultation dans un premier temps, et d’introduire un règlement de différend sur les conditions techniques et tarifaires de l’offre dans un second temps, si celles-ci ne lui convenaient pas.
Deuxièmement, la prime de risque est justifiée d’un point de vue économique. Elle a, en effet, pour objectif de refléter les risques supplémentaires et quantifiables liés à l’investissement. Ces risques sont supportés par les opérateurs co-investissant ab initio. La prime de risque permet de rééquilibrer les différences de rendement attendu entre les opérateurs investissant ab initio et ceux qui investissent ultérieurement, qui peuvent décider de demander l’accès à l’endroit et au moment où la demande est la plus forte et l’incertitude sur son évolution moins élevée.
Troisièmement, la prime de risque dans la mise en œuvre des conditions tarifaires de l’accès est préconisée de manière concordante, tant par les autorités communautaires que nationales.
En effet, cette prime est prévue par la décision n° 2009-1106, en vue d’encourager l’équipement des immeubles en fibre optique ; il convient de prévoir que, lorsque les opérateurs se manifestent ultérieurement à l’installation des lignes, le tarif dont ils bénéficieront puisse intégrer une prime liée au risque encouru par les opérateurs ayant co- investi ab initio. Ainsi l’article 3 de la décision n° 2009-1106 dispose que :
« le taux de rémunération du capital utilisé pour la détermination de ces conditions tarifaires tient compte du risque encouru et confère une prime à l’opérateur d’immeuble ».
De plus, dans son avis sur le projet de décision susvisé, l’Autorité de la concurrence considère que la prise en compte d’une prime de risque dans les tarifs de l’accès n’est pas, dans certains cas, contraire au principe de non-discrimination. Elle estime en effet que, concernant la différence de traitement entre une demande d’accès formulée antérieurement et une demande formulée postérieurement à l’établissement des lignes :
« Cette différence peut appeler un examen au regard du principe de non- discrimination. L’Autorité de la concurrence rappelle à cet égard qu’une différence de traitement ne doit pas être examinée dans l’absolu, mais au regard des circonstances qui entourent chacun des acteurs. En l’espèce, on ne peut considérer qu’un opérateur qui a participé au cofinancement de la partie terminale du réseau, avant même l’installation de celle-ci, est dans une situation équivalente à celle d’un opérateur formulant une demande d’accès plusieurs mois ou années après l’installation d’un tel réseau. Une telle différence de situation justifie que la rémunération perçue par l’opérateur d’immeuble ne soit pas la même dans les deux cas. »
En outre, la mise en œuvre d’une prime de risque pour les tarifs de l’accès lorsque la demande d’accès est formulée a posteriori est en cohérence avec les travaux européens tendant à favoriser le partage du risque et à conférer une prime de risque à l’opérateur qui investit. Ainsi, la Commission européenne préconise la prise en compte d’une prime de risque dans l’élaboration des conditions financières de l’accès au segment terminal des réseaux de fibre optique jusqu’à l’abonné (FttH). Le paragraphe 3 de l’annexe 1 à la recommandation NGA est ainsi rédigé :
« 3. TARIFICATION DE L'ACCES AU SEGMENT TERMINAL EN CAS DE FttH
Les ARN devraient fixer les tarifs d'accès au point de mutualisation conformément à la méthode employée pour la tarification de l'accès dégroupé à la boucle locale en cuivre. Elles devraient veiller à ce que les tarifs d'accès reflètent les coûts effectivement supportés par l'opérateur PSM en incluant, le cas échéant, une prime de risque plus élevée reflétant tout risque supplémentaire et quantifiable encouru par l'opérateur PSM. »
Au vu de l’ensemble de ces éléments, l’Autorité estime qu’il serait inéquitable vis-à-vis des opérateurs ayant répondu à cette consultation et ayant engagé des investissements pendant cette première année que l’entrée de Bouygues Telecom se fasse sans surcoût pendant un an, au titre de la rémunération du capital et/ ou de la prime de risque.
3.4. Sur la demande de modification de l’offre de location au point de mutualisation afin de proposer une durée de droits raisonnable et proportionnée, et de permettre l’amortissement de l’investissement correspondant
3.4.1. Sur l’échec des négociations
Cette demande est relative à la modification de l’article 7 des conditions générales de l’offre d’accès de France Télécom, intitulé « Offre d’accès au Point de Mutualisation ».
La société Bouygues Telecom conteste la rédaction de l’article 7.4 de ces conditions générales, et demande « une durée de droits raisonnable et proportionnée ».
Dans les commentaires figurant sur les documents contractuels échangés entre les parties les 26 mars et 5 avril 2010, Bouygues Telecom a indiqué que « France Télécom doit garantir le droit de jouissance de la fibre » en commentaire quant à la stipulation suivante :
« L’opérateur est informé dans le respect d’un délai raisonnable de la décision de France Télécom (remplacement total ou partiel, dépose totale ou partielle…) et le cas échéant, du terme anticipé du droit de jouissance du câblage FttH. ».
Dans ses commentaires du 5 avril 2010, la société Bouygues Telecom propose, en outre, de modifier l’article 29.2 des conditions générales, afin de préciser que ce n’est qu’en cas de manquement « grave et répété » par l’opérateur à une « obligation substantielle » que France Télécom est en droit de suspendre, puis de résilier (en cas de non-respect de la mise en demeure) les prestations fournies.
Dans le compte rendu de la réunion téléphonique qui a eu lieu le 7 avril 2010 entre les parties, rédigé par la société Bouygues Telecom dans un courriel du 12 avril 2010 et modifié par France Télécom par courriel du 26 avril 2010, l’échange suivant apparaît (proposition de France Télécom en gras): « Offre d’accès au PM : FT est prêt à étudier une formulation permettant à Bouygues Telecom de CAPEXiser, sans modifier les modalités de l’offre (tarifs, structure tarifaire), si Bytel en fait la demande. Bytel confirme son intérêt pour cette formulation, qui doit être disponible avant la date butoir de réponse à la consultation. »
Il ne ressort pas des échanges entre les parties que la société France Télécom ait fait parvenir à la société Bouygues Telecom une offre amortissable, dite « CAPEXisable », par la suite.
Dans un courriel du 26 avril 2010, la société Bouygues Telecom répond à ce sujet : « Nous restons intéressés par le principe d’une CAPEXisation de l’offre au PM (…) » et demande des précisions au sujet du montage envisagé par France Télécom.
Bouygues Telecom joint à ce courriel des « propositions juridiques », dans lesquelles elle formule notamment la demande d’une « durée déterminée jusqu’au terme du dernier droit d’usage sur les câbles », ainsi qu’un certain nombre de propositions relatives aux conditions de résiliation.
Dans sa réponse du 12 mai 2010, France Télécom invite à se reporter aux remarques formulées dans les contrats. La version V1.3 des conditions générales de l’offre d’accès publiée par France Télécom le 10 juin 2010 ne reprend pas le principe d’une offre à durée déterminée, ni les propositions relatives aux conditions de résiliation formulées par la société Bouygues Telecom.
Ce n’est que le 23 juillet 2010, date de la saisine de l’Autorité par la société Bouygues Telecom que la société France Télécom répond à la demande de Bouygues Telecom sur ce point en considérant que Bouygues Telecom n’aurait pas confirmé qu’une telle offre de location correspondrait à ses besoins.
Dans les circonstances de l’espèce, l’Autorité estime que l’échec des négociations est caractérisé concernant la demande de Bouygues Telecom tendant à la modification de l’offre de location au point de mutualisation afin de proposer une durée de droits raisonnable et proportionnée, et de permettre l’amortissement de l’investissement correspondant et que les conclusions de la société Bouygues Telecom sont recevables sur ce point.
3.4.2. Sur le fond
Bouygues Telecom demande que l’offre de location au point de mutualisation soit modifiée afin qu’elle dispose des caractéristiques d’une offre de cofinancement.
Or, l’Autorité faisant droit, dans le cadre du présent règlement de différend, à la demande formulée en a) de Bouygues Telecom, visant à disposer, à tout moment, d’une offre d’accès pérenne et amortissable à la maille de la commune, Bouygues Telecom disposera donc, en zones très denses :
- à l’échelle de la commune, d’une offre de co-investissement initial lui permettant, le cas échéant, de demander à bénéficier d’une fibre dédiée ou d’une fibre partagée ;
- à l’échelle de la commune, d’une offre d’accès permettant de bénéficier de droits d’usage pérennes et amortissables, à tout moment, moyennant l’application d’une prime de risque, ;
- à l’échelle du point de mutualisation, d’une offre de location lui permettant, dans les zones où il souhaite limiter son investissement, de choisir les immeubles sur lesquels il souhaite disposer d’un accès.
En outre, en zones très denses, où la concurrence par les infrastructures est possible sur la majorité des déploiements horizontaux, devrait également se développer un marché de gros sur l’horizontal, permettant aux petits opérateurs ou aux nouveaux entrants de ne pas avoir à supporter seuls les investissements correspondants.
Dans ces conditions, en zones très denses, cette panoplie d’offres de gros semble donc suffisante, à ce stade, pour permettre l’entrée d’un opérateur tel que Bouygues Telecom sur le marché.
Par ailleurs, et ainsi que le rappelle la société France Télécom dans ses mémoires, s’agissant de la limitation de la durée des droits consentis dans le cadre de cette offre de location, il convient de rappeler qu’il s’agit d’une offre d’accès et que sa résiliation ne peut intervenir de manière arbitraire, sauf à violer l’article L.34-8-3 du CPCE.
Ainsi, l’Autorité estime, d’une part, que Bouygues Telecom n’a pas démontré en quoi le bénéfice d’une telle offre lui était indispensable et, d’autre part, qu’il n’est pas nécessaire que l’offre de location au niveau du point de mutualisation, qui constitue un premier échelon dans l’échelle des investissements, présente les mêmes caractéristiques d’un point de vue juridique et financier que l’offre d’accès permettant de bénéficier de droits d’usage pérennes et amortissables à tout moment.
En conclusion, l’Autorité estime qu’il ne serait pas équitable d’enjoindre à France Télécom de modifier son offre de location au point de mutualisation afin de proposer une durée de droits raisonnable et proportionnée, et de permettre l’amortissement de l’investissement correspondant.
3.5. Sur la prime de risque associée au calcul du coût du capital (WACC) dans l’offre de location au point de mutualisation
Ainsi que le rappelle la société France Télécom, l’échec préalable des négociations est une condition nécessaire à la recevabilité d’une demande, indépendamment de son bien-fondé.
Or, il appartient à la société requérante de démontrer qu’elle a négocié, de bonne foi, avec la partie opposée, avant de saisir l’Autorité d’une demande en règlement de différend sur le fondement de l’article L. 36-8 du CPCE. Ainsi, le demandeur doit établir par tout moyen que chacune de ses conclusions faisant l’objet d’une saisine de l’Autorité a fait l’objet de négociations restées infructueuses. À cet égard, il convient de préciser que le simple fait d’avoir engagé des négociations qui n’ont pas encore abouti ne constitue pas en soi un échec des négociations au sens de l’article L. 36-8 du CPCE.
En l’espèce, la société Bouygues Telecom n’apporte aucun élément, dans sa saisine en date du 23 juillet 2010, ou dans son mémoire en réplique en date du 20 septembre 2010, de nature à démontrer que la prime de risque associée au calcul du coût du capital (WACC) dans l’offre de location au point de mutualisation a fait l’objet de réelles négociations avec la société France Télécom avant le dépôt de sa demande de règlement de différend.
Le courrier de Bouygues Telecom en date du 16 avril 2010 se borne à mentionner :
« Certains éléments sont en cours d’instruction par l’ARCEP, ainsi en est-il :
- du montant du WACC et de la prime de risque qui sont décisifs pour arbitrer utilement entre le cofinancement ab initio et l’offre au point de mutualisation. Or les modélisations sont toujours en cours d’analyses par l’ARCEP et à ce jour les montants retenus par France Télécom sont largement supérieurs à ceux envisagés par l’ARCEP ».
En l’espèce, s’il apparaît que des discussions ont été entamées entre les parties au sujet de la prime de risque associée au calcul du coût du capital (WACC) dans l’offre de location au point de mutualisation, il ressort des différents échanges que ces dernières étaient à un stade embryonnaire lorsque la société Bouygues Telecom a saisi l’Autorité de cette demande.
Par conséquent, et en l’absence d’échec des négociations démontré et avéré, l’Autorité ne peut que rejeter comme irrecevables les conclusions de la société Bouygues Telecom sur ce point.
4. Sur les demandes d’offres d’accès permettant un cofinancement partiel
4.1. Sur les demandes visant à ce que France Télécom propose à Bouygues Telecom des modalités de partage des coûts d’établissement des lignes équitables et raisonnables tenant compte de sa part de marché sur le fixe
4.1.1. Sur l’échec des négociations
La société Bouygues Telecom fait référence au compte rendu de la réunion multilatérale qui a eu lieu dans les locaux de l’Autorité le 31 mars 2010 et aux termes duquel : « Bouygues Telecom indique que le point le plus important pour lui est le principe du co-investissement équitable. Bouygues (Telecom) estime que les régimes de co-investissement doivent prévoir des parts réduites pour les opérateurs disposant d’une faible part de marché. »
La société France Télécom ne conteste pas l’échec des négociations sur ce point.
Cette demande de la société Bouygues Telecom se retrouve tout au long des échanges qui ont eu lieu entre les parties, et notamment :
- dans son courrier du 16 avril 2010, la société Bouygues Telecom indique : « En outre, les éléments suivants sont en cours de négociation entre nos sociétés : le partage à stricte égalité entre des acteurs ayant des positions diamétralement opposées sur le marché de détail du haut/très haut débit que nous jugeons inéquitable » ;
- dans son courriel du 30 avril 2010, la société France Télécom indique le report de l’échéance de ses consultations à l’ensemble des opérateurs et précise que « L’ensemble des autres modalités de la consultation ne sont pas modifiées ».
- dans son courrier du 15 juin 2010, la société Bouygues Telecom rappelle : « Par ailleurs nous maintenons notre demande de mise en place d’une solution de cofinancement suivant un partage équitable ».
- cette demande est une dernière fois rappelée dans le courrier adressé le 9 juillet 2010 par Bouygues Telecom à la société France Télécom.
La société France Télécom n’a, à aucun moment, manifesté son intention de faire droit à cette demande répétée de la société Bouygues Telecom.
Dans son mémoire en date du 4 octobre 2010, la société France Télécom estime que la formulation employée par la société Bouygues Telecom, de cofinancement « proportionnel » à sa part de marché sur le fixe, serait de nature à changer la demande formulée par cette dernière et qu’il n’y aurait eu, sur ce sujet précis, aucune négociation préalable.
L’Autorité estime que la formulation d’hypothèses de partage des coûts « proportionnel » par la société Bouygues Telecom dans le cadre du présent litige ne remet pas en cause les négociations préalables qui ont eu lieu sur cette question, ni ne constitue une demande nouvelle.
Dans les circonstances de l’espèce, l’Autorité estime que l’échec des négociations concernant un régime de cofinancement proportionnel à la part de marché sur le marché fixe est caractérisé et que les conclusions de la société Bouygues Telecom sont recevables.
4.1.2. Sur le fond
La décision n° 2009-1106 de l’Autorité définit les zones très denses comme :
« les communes pour lesquelles, sur une partie significative de leur territoire, peut émerger une concurrence par les infrastructures, c’est-à-dire où il est économiquement viable pour plusieurs opérateurs de déployer leurs propres réseaux en fibre optique à proximité des logements ».
Eu égard à l’équation économique singulière des déploiements en zones très denses, la recommandation de l’Autorité relative aux modalités de l’accès aux lignes de communications électroniques à très haut débit en fibre optique en zones très denses prévoit, lors du co- investissement initial, que le partage des coûts s’effectue à parts égales entre les co- investisseurs :
« Au regard des principes de pertinence et de non-discrimination, les coûts, quand ils sont partagés, semblent plutôt devoir l’être au prorata du nombre d’opérateurs raccordés à l’immeuble qu’au prorata du nombre de fibres installées. »
Dans son mémoire en date du 6 septembre 2010, France Télécom fait valoir qu’un partage des coûts en fonction de la part de marché confèrerait un avantage significatif à des acteurs qui ne prendraient aucun risque, et ferait peser des contraintes disproportionnées sur les autres opérateurs, qui ne seraient alors pas incités à investir :
« Une telle asymétrie confèrerait un avantage évidemment inique à des acteurs qui ne prendraient aucun risque, tout en faisant peser des charges disproportionnées sur les autres acteurs, ce qui les dissuaderait au final purement et simplement de fibrer des immeubles. »
En zones très denses, l’Autorité estime en effet qu’il n’apparaît pas équitable qu’un opérateur tiers puisse accéder à l’ensemble de l’infrastructure déployée par un opérateur d’immeuble tout en ne supportant qu’une partie de l’investissement correspondant.
En effet, contrairement au schéma de partage des coûts à parts égales où tous les opérateurs sont économiquement incités à maximiser leurs parts de marché pour rentabiliser leur investissement initial, le schéma demandé par Bouygues Telecom présente des risques pour l’animation concurrentielle du marché. En effet, un des moteurs de la concurrence dans le secteur des communications électroniques, caractérisé par d’importants coûts fixes, est précisément de conquérir rapidement des parts de marché afin d’amortir ces coûts sur un maximum de clients. A l’inverse, un système qui rendrait l’essentiel des coûts variables à la part de marché ôterait cette incitation majeure à la conquête volontariste de clientèle. Un tel schéma pourrait donc être préjudiciable à l’animation concurrentielle sur le marché de détail dans les zones très denses.
D’une part, la demande de Bouygues Telecom est de prévoir que sa quote-part de l’investissement tienne compte de sa part de marché sur le fixe, puisque Bouygues Telecom estime que les parts de marché du marché du très haut débit à terme seront les mêmes que celles du marché du haut débit actuel.
Cependant, France Télécom rappelle que le marché du fixe s’est déformé à l’occasion de la transition entre l’accès internet bas débit et le haut débit, et elle estime que :
« l’évolution actuelle des parts de marché et de conquête des acteurs haut débit permettent à tout le moins de démontrer qu’il n’y a pas de situation acquise et que le positionnement des opérateurs peut évoluer très vite, surtout en comparaison de la durée de vie des réseaux FttH ».
Ainsi, au vu des parts de marché en conquête de Bouygues Telecom sur le marché du haut débit, il convient de relativiser la faible part de marché en stock de Bouygues Telecom. Par ailleurs, les parts de marché constatées à ce stade sur le très haut débit diffèrent significativement de celles constatées sur le haut débit. Il serait donc hasardeux de préjuger du développement des parts de marché des différents opérateurs sur les accès très haut débit.
D’autre part, il existe d’autres possibilités pour un petit opérateur de progresser dans l’échelle des investissements. Tout d’abord, l’offre de cofinancement à la commune prévoit une entrée sur le marché à la maille communale. À la maille infra-communale, l’offre de location au niveau du point de mutualisation permet de moduler son investissement en fonction du nombre de ses clients dans une phase de démarrage. En outre, les zones très denses étant définies comme les communes où la concurrence par les infrastructures pourra s’exercer sur la majorité des zones entre plusieurs opérateurs, des offres de gros pourront également émerger sur l’horizontal. De telles offres sont d’ores et déjà en cours de négociation ou de conclusion entre certains opérateurs. Enfin, si la facturation du raccordement palier s’effectuait à la charge de l’opérateur commercial, une partie importante du coût total de déploiement dans l’immeuble deviendrait alors variable en fonction de la part de marché (cf point 14.).
Ainsi, imposer à France Télécom de mettre en place une offre de cofinancement tenant compte de sa part de marché sur le fixe ne semble pas nécessaire et serait au contraire de nature à ralentir les investissements et à réduire l’animation concurrentielle.
Au vu des éléments précédents, l’Autorité estime qu’il ne serait pas équitable en zones très denses d’imposer à France Télécom la fourniture à Bouygues Telecom d’une telle offre.
4.2. Sur les demandes visant à ce que France Télécom propose à Bouygues Telecom la possibilité de moduler ses investissements en contrepartie d’un accès proportionnel aux prises installées
4.2.1. Sur l’échec des négociations
La demande de Bouygues Telecom tendant à la possibilité de moduler ses investissements en contrepartie d’un accès proportionnel aux prises installées a été formulée dans le courriel du 26 mars 2010, dans lequel elle indique :
« Nous souhaitons que votre offre prévoie la possibilité d’un engagement à cofinancer une fibre partagée, en contrepartie d’un accès restreint au parc de logements adressables ».
Dans le compte rendu de la réunion téléphonique du 29 mars 2010, la société Bouygues Telecom rappelle ses demandes « structurantes », dont le « cofinancement partiel sur une commune donnant accès à un nombre restreint de logements ».
Dans son courrier en date du 15 juin 2010, la société Bouygues Telecom rappelle sa demande tendant à la « mise en place d’une solution de cofinancement suivant un partage équitable ».
France Télécom n’a pas fait suite à cette demande de la société Bouygues Telecom dans ses différents courriers.
Dans les circonstances de l’espèce, l’Autorité estime que l’échec des négociations concernant un régime de cofinancement partiel (proportionnel aux prises installées) est caractérisé et que les conclusions de la société Bouygues Telecom sont recevables.
4.2.2. Sur le fond
Bouygues Telecom estime que le partage de coûts à parts égales entraine des coûts fixes importants, qu’un acteur à faible part de marché ne peut pas rentabiliser.
Or, dans une économie caractérisée par des forts coûts fixes liés au déploiement de réseaux, un opérateur est incité à conquérir des parts de marché supplémentaires afin d’amortir ces coûts fixes. Dans les zones très denses, un mécanisme prévoyant la possibilité de moduler ses investissements en contrepartie d’un accès proportionnel aux prises installées serait moins incitatif à conquérir de nouveaux clients et risque de conduire à des investissements limités à hauteur de la part de marché.
La décision n° 2009-1106 de l’Autorité définit les zones très denses comme les communes sur lesquelles peut émerger une concurrence par les infrastructures. Au sein de ces zones, l’offre d’accès de France Télécom permet d’ores et déjà à Bouygues Telecom de choisir les communes sur lesquelles il souhaite co-investir. Le choix de la commune comme maille géographique de l’offre d’accès de France Télécom permet de réduire la complexité des processus de consultation et de limiter l’écrémage, tout en restant une échelle suffisamment limitée pour ne pas créer, en zones très denses, de barrières à l’entrée.
Par ailleurs, en zones très denses, il existe déjà des offres de location à l’échelle du point de mutualisation, permettant à un petit opérateur ou un nouvel entrant d’accéder à un nombre réduit de lignes, en fonction de ses capacités financières.
De plus, dans ces zones très denses, l’Autorité estime que le déploiement de plusieurs réseaux en fibre optique concurrents, en multi-fibres, est de nature à faire émerger spontanément différentes offres de gros, passives ou actives, susceptibles de répondre aux besoins de plus petits acteurs. Ainsi, l’Autorité de la concurrence, dans son avis n° 10-A-18, indique que dans les zones très denses :
« la densité est telle que plusieurs acteurs sont en mesure de disposer d’une boucle locale en fibre optique en propre, non seulement sur la partie « horizontale » mais aussi dans les immeubles et jusque chez l’abonné par le biais de l’architecture multifibres. Cette situation est elle-même de nature à voir émerger des offres de gros de type dégroupage ou « bitstream », situées plus en aval dans la chaîne de valeur, permettant à des nouveaux entrants de servir le marché du très haut débit. ».
Enfin, comme le rappelle France Télécom dans son mémoire en date du 4 octobre 2010, la recommandation de l’Autorité relative aux modalités de l’accès aux lignes de communications électroniques à très haut débit en fibre optique prévoit, en zones très denses, un partage des coûts « à parts égales » entre les co-investisseurs.
Ainsi, en zones très denses, il ne semble pas nécessaire d’imposer à France Télécom la fourniture d’une offre de gros permettant un cofinancement partiel des lignes en fibre optique jusqu’à l’abonné (FttH).
Au vu des éléments précédents, l’Autorité estime qu’il ne serait pas équitable de faire droit à cette demande formulée par la société Bouygues Telecom.
5. Sur les demandes de modification des conditions de financement du raccordement palier
5.1. Sur l’échec des négociations
La société Bouygues Telecom indique, dans sa saisine, avoir demandé, à maintes reprises, la modification des conditions financières de prise en charge du raccordement palier.
Elle renvoie notamment au compte rendu de la réunion téléphonique du 29 mars 2010, dans lequel elle rappelle ses demandes sur « certains aspects structurants de l’offre » et notamment la « prise en charge de l’intégralité du coût de déploiement du raccordement palier par l’OC le réalisant. »
Dans sa lettre du 15 juin 2010, la société Bouygues Telecom souligne que « la part des coûts de raccordement supportée par les opérateurs cofinanceurs, telle que définie par France Télécom, constitue une barrière à l’entrée pour un opérateur à faible part de marché, et ne respecte pas le principe d’efficacité prôné par l’ARCEP. De fait, nous maintenons notre demande de prise en charge de l’intégralité de ce coût par l’opérateur commercial réalisant le raccordement (…) ».
De même, la lettre du 9 juillet 2010 envoyée par la société Bouygues Telecom à la société France Télécom indique : « Nous réitérons donc notre demande maintes fois répétée de prise en charge de l’intégralité du coût du raccordement palier par l’opérateur commercial (…) ».
Il apparaît que la société France Télécom n’a pas donné suite aux demandes de la société Bouygues Telecom tendant à la modification de la prise en charge des coûts du raccordement palier. France Télécom ne conteste d’ailleurs pas l’existence d’un litige et l’échec des négociations à ce sujet dans ses différents mémoires.
Dans les circonstances de l’espèce, l’Autorité estime que l’échec des négociations est caractérisé concernant la demande de Bouygues Telecom tendant à la modification de la prise en charge du raccordement palier et que les conclusions de la société Bouygues Telecom sont recevables sur ce point.
5.2. Sur le fond
En premier lieu, l’Autorité rappelle que le raccordement palier consiste, au cas d’espèce, à construire la dernière portion du réseau en fibre optique jusqu’à l’abonné, située entre le boitier de palier localisé sur la colonne montante de l’immeuble et la prise terminale optique dans le logement du client. Cette opération nécessite de prendre un rendez-vous avec le client et constitue essentiellement un acte commercial. En effet, l’initiative du raccordement palier revient de manière générale à l’opérateur commercial qui a recruté un nouveau client, et qui en retire des revenus de détail.
En outre, concernant la nature commerciale de la prestation, il semble intéressant d’effectuer un parallèle avec le marché mobile. Il est courant pour les opérateurs mobiles de subventionner tout ou partie du prix de vente des terminaux lors de la souscription d’un nouvel abonnement. Le terminal du nouveau client pourra cependant être utilisé aussi bien avec une carte SIM de l’opérateur choisi qu’avec une carte SIM d’un autre opérateur (après éventuellement une période limitée à 6 mois de blocage du terminal). De plus, les montants des subventions sont généralement compris entre 100 et 200 euros selon les terminaux, voire plus pour certains smartphones. Ces montants sont du même ordre de grandeur que les coûts de construction des raccordements paliers et sont pourtant intégralement supportés par les opérateurs commerciaux. De la même manière, il est courant que les opérateurs du marché du haut débit, lors de l’acquisition d’un client, remboursent en partie les frais de résiliation que ces clients doivent à leur opérateur précédent. A titre illustratif, Bouygues Telecom rembourse ses nouveaux clients à hauteur de 90 euros.3
De plus, la réalisation du raccordement palier est un moment privilégié dont les opérateurs commerciaux ont souligné l’importance à multiples reprises. Ainsi de nombreux opérateurs, dont France Télécom, ont indiqué lors des réunions multilatérales leur volonté de voir le raccordement palier effectué par l’opérateur commercial. Lors de la réunion multilatérale relatives aux offres de gros de mutualisation du 11 février 2010, France Télécom avait ainsi précisé que « l'opérateur commercial doit pouvoir maitriser la relation commerciale avec le client ». C’est d’ailleurs le mécanisme retenu par France Télécom dans son premier accord de mutualisation avec la société SFR couvrant les déploiements effectués entre 2008 et début 2010.
En deuxième lieu, l’Autorité estime fondamental que les modalités de financement du raccordement palier n’aboutissent pas à la constitution d’une barrière à l’entrée pour un opérateur nouvel entrant à faible part de marché.
Ainsi, pour analyser le risque de barrière à l’entrée, il convient de considérer le cas d’un opérateur co-investisseur nouvel entrant à faible part de marché. Dans le schéma de financement à 50% par l’opérateur commercial et 50% répartis entre les opérateurs bénéficiant d’un accès pérenne à l’infrastructure en fibre optique déployée dans les immeubles, le coût pour l’opérateur nouvel entrant serait donc la somme :
- de coûts verticaux (colonne montante et point de mutualisation), estimés approximativement aux coûts du vertical divisés par le nombre d’opérateurs bénéficiant d’un accès pérenne à l’infrastructure des immeubles et augmentés de la prime de risque ;
- de coûts du raccordement palier, correspondant à 50% des coûts des raccordements paliers réalisés divisés par le nombre d’opérateurs bénéficiant d’un accès pérenne à l’infrastructure des immeubles et augmentés de la prime de risque.
Ce mécanisme de partage des coûts contraint donc un nouvel entrant à supporter une partie des raccordements paliers déjà réalisés, et pour lesquels le client final a d’ores et déjà souscrit un abonnement à des services de très haut débit. Or le nouvel entrant aura peu de chances de capter ce client final à court terme, si l’on considère que la durée de vie du client sur la fibre optique sera du même ordre de grandeur que sur le marché du haut débit (de l’ordre de 7 à 8 ans). Il est possible d’estimer les coûts de raccordement palier qui seraient imputés à Bouygues Telecom dans le cas où cet opérateur raccorde un stock de 900 000 prises construites par France Télécom. Alors, dans l’hypothèse où quatre opérateurs participent au partage des coûts, et où Bouygues Telecom a 10% de parts de marché au détail avec un taux de pénétration de 60%, il est estimé que ces coûts de raccordement palier, selon l’offre proposée par France Télécom, seraient d’environ […] d’euros4. Cela correspond à une dépense de […] euros par abonné pour Bouygues Telecom, et de […] euros par abonné pour un opérateur ayant 30% de parts de marché (et accédant au réseau via une fibre partagée). Ce mécanisme conduit donc à augmenter sensiblement les barrières à l’entrée du co- investissement dans les réseaux de fibre optique jusqu’à l’abonné.
En outre, ce mécanisme conduit à ce que le rythme d’investissement soit déterminé par les opérateurs commerciaux à fortes parts de marché en acquisition. De plus, tandis que les coûts verticaux sont bornés et ne peuvent pas dépasser les plafonds d’engagement signés par les opérateurs commerciaux, les coûts des raccordements palier ne sont pas encadrés et pourraient nécessiter un rythme d’investissement élevé pour des acteurs ayant une puissance financière moindre. En outre, ces investissements conséquents servent, en grande partie, à financer l’acquisition de clients par des opérateurs tiers co-investisseurs. Au contraire, si l’opérateur commercial supporte l’intégralité ou la quasi-intégralité des coûts des raccordements paliers effectués à son initiative, il pourra maîtriser le rythme d’investissement et compenser ces coûts par les revenus liés à cette acquisition.
En troisième lieu, France Télécom souligne les risques liés aux comportements de « passager clandestin », i.e. les risques de détournements de ligne, consistant pour un opérateur à conseiller à ses clients de faire financer la construction du raccordement palier par un autre opérateur, puis de résilier leur contrat une fois la construction réalisée. Ces risques peuvent être évités. À cette fin, un système de pénalités peut être prévu afin de sanctionner tout abus avéré de comportement délibérément opportuniste d’un opérateur s’agissant des constructions de lignes. De manière alternative, un système de droits de suite pourrait être mis en place pour les opérateurs qui récupéreraient le client dans les premiers mois, voire les premières années, suivant la construction du raccordement palier. Bouygues Telecom propose également d’autres mécanismes dans le but d’éviter ces comportements, comme par exemple la facturation au client final de frais de résiliation. En tout état de cause, des mécanismes alternatifs ne conduisant pas à élever les barrières à l’entrée peuvent être mis en œuvre afin de réduire le risque de détournements de lignes.
Par ailleurs, France Télécom souligne le risque juridique concernant la propriété du raccordement palier, qui devrait rester celle de l'opérateur d'immeuble. En effet, en application de l’article 109 de la loi de modernisation de l’économie du 4 août 2008, l’opérateur d’immeuble signe une convention avec le ou les propriétaires et est responsable du réseau installé. France Télécom estime qu’il ne serait pas possible que l’opérateur d’immeuble soit responsable de l’intégralité du déploiement dans l’immeuble, y compris du raccordement palier, s’il n’est pas propriétaire de ce dernier élément de réseau puisque n’ayant pas contribué à son financement.
D’une manière générale, l’argument de France Télécom ne saurait prospérer dans la mesure où le paiement d’une somme n’est pas, en droit, une condition sine qua non d’acquisition d’un droit de propriété.
En l’espèce, il est possible d’envisager des montages permettant que l’opérateur d’immeuble puisse être propriétaire du raccordement palier en le payant et en refacturant tout ou partie de cette somme à l’opérateur commercial sous forme de frais d’accès au service. Une déclinaison possible de ce principe est la suivante :
- le raccordement palier est effectué, dans les immeubles de France Télécom, par l’opérateur commercial en tant que prestataire de l’opérateur d’immeuble ;
- dans un deuxième temps, l’opérateur d’immeuble achète ce raccordement palier à l’opérateur commercial prestataire, en devenant de cette manière le propriétaire, tout en garantissant à l’ensemble des opérateurs co-investisseurs des droits d’usage pérennes sur le raccordement palier ;
- enfin, l’opérateur d’immeuble facture des frais d’accès au service (FAS) à l’opérateur commercial remboursant tout ou partie du coût du raccordement palier.
Enfin, France Télécom estime qu’il serait inéquitable que l’opérateur commercial supporte seul l’intégralité des coûts du raccordement palier alors même que l’ensemble des co- investisseurs bénéficieront également d’un même droit d’usage sur ce segment de réseau.
Si le raccordement palier profite initialement exclusivement à l’opérateur commercial qui a conquis le client, l’ensemble des co-investisseurs bénéficient, dans la durée, d’un droit d’usage pérenne sur cet élément de réseau terminal. En effet, lorsque le client se désabonnera de son opérateur commercial initial, les autres opérateurs pourront potentiellement bénéficier de ce raccordement palier s’ils conquièrent ce client. Ainsi, si l’utilité du raccordement palier profitera dans la durée de vie espérée moyenne du client (7-8 ans) au seul opérateur commercial initial, les autres opérateurs pourront ensuite espérer bénéficier de l’utilité de cet élément de réseau.
Il apparaît donc équitable que les opérateurs co-investisseurs contribuent pour partie au financement des raccordements palier qu’ils soient ou non l’opérateur commercial initial qui en bénéficiera dans les premières années. Cette participation des opérateurs co-investisseurs est nécessairement minoritaire au regard de l’utilité moindre qu’ils en retireront par rapport à l’opérateur commercial initial, étant donné que l’utilité retirée de l’utilisation du raccordement palier dans les premières années est significativement supérieure à celle espérée dans les années suivantes (actualisation de l’utilité).
Néanmoins, cette participation des opérateurs co-investisseurs doit être strictement limitée pour ne pas constituer une barrière à l’entrée des plus petits opérateurs et aux nouveaux entrants (infra). A cet égard, il apparaît qu’une participation des co-investisseurs au-delà de 10% des coûts pertinents du raccordement palier constituerait une barrière à l’entrée de petits ou de nouveaux acteurs dans la mesure où elle maintiendrait, entre un opérateur ayant une forte part de marché et un petit ou nouvel acteur, un écart disproportionné de coût moyen du raccordement palier par client actif.
L’application d’une répartition 90% - 10% sur la base des prix actuellement dans l’offre de France Télécom, pour un raccordement monofibre (209 euros), sur la base de quatre co- investisseurs, aboutirait à ce que l’opérateur commercial paie un total de 188 euros et les trois autres co-investisseurs 7 euros chacun (209€ * 10% /3).
Il ressort de ce qui précède qu’il apparaît justifié et équitable que France Télécom modifie son offre afin que l’opérateur commercial initial supporte au moins 90% des coûts pertinents du raccordement palier.
Il convient, de noter que le partage des coûts prévu par France Télécom conduit, dans le cas d’un partage à cinq opérateurs (ce qui est explicitement prévu dans les conditions tarifaires de l’offre de France Télécom), à une quote-part supportée par l’opérateur d’immeuble de 10% et qui permet à l’opérateur d’immeuble d’acquérir la propriété du raccordement. Un tel mécanisme permet donc que la propriété du raccordement palier revienne à l’opérateur d’immeuble tout en s’assurant que la quasi-intégralité du coût du raccordement palier est supportée par l’opérateur commercial.
En conclusion, l’Autorité estime qu’il est équitable, afin de ne pas ériger de barrière à l’entrée, d’enjoindre à France Télécom de modifier son offre d’accès à Bouygues Telecom afin de prévoir la prise en charge d’au moins 90% des coûts du raccordement palier par l’opérateur commercial recrutant le client.
6. Sur les demandes de suppression de l’obligation de partager les revenus du marché de gros
6.1. Sur l’échec des négociations
La société Bouygues Telecom indique avoir formulé de manière répétée sa demande de suppression de l’obligation de partager les revenus du marché de gros.
Elle renvoie à cette fin au compte rendu du 29 mars 2010, dans lequel cette demande apparaît clairement.
Dans sa lettre du 16 avril 2010, la société Bouygues Telecom indique : « (…) la contribution pour offre de gros dont les critères d’application peuvent encore être améliorés. »
De même, la lettre du 9 juillet 2010 porte la mention suivante : « Par ailleurs, nous ne disposons pas de votre part d’une offre de gros alternative. Le maintien de la « contribution offre de gros » appliquée en cas de revente du segment terminal FttH est de nature à en limiter le développement à court terme ».
Il convient en outre de relever que la société France Télécom ne conteste pas, sur ce sujet, l’existence d’un litige préalable et de négociations infructueuses.
Dans les circonstances de l’espèce, l’Autorité estime que l’échec des négociations est caractérisé concernant la demande de Bouygues Telecom tendant à la suppression de l’obligation de partager les revenus du marché de gros et que les conclusions de la société Bouygues Telecom sont recevables sur ce point.
6.2. Sur le fond
Bouygues Telecom considère que le maintien de l’obligation de partager les revenus du marché de gros ne lui permettra pas de « disposer d’une échelle d’investissement adaptée à ses besoins afin d’entrer dans le marché dans des conditions non discriminatoires et raisonnables ».
L’Autorité estime qu’il est fondamental d’encourager et a minima de permettre le développement d’un marché de gros d’accès aux lignes de communications électroniques en fibre optique. En effet, des offres de gros variées et compétitives pourraient permettre l’entrée de nouveaux acteurs sur le marché, offrir la possibilité aux plus petits opérateurs du marché de progresser à leur rythme dans l’échelle des investissements et donner l’occasion aux opérateurs détenant un accès pérenne à la fibre optique de multiplier les moyens de rentabiliser leurs investissements.
En outre, l’Autorité de la concurrence, dans son avis n° 10-A-18, souligne que :
« Les premières versions des offres de mutualisation de certains des acteurs précités empêchaient ou désincitaient fortement à la fourniture, par les opérateurs prenant part au cofinancement ab initio de la fibre dans l’immeuble, d’offres de gros à des tiers, y compris lorsqu’il s’agissait d’offres de gros de type dégroupage ou
« bitstream » et non de la simple revente de l’accès au réseau de l’immeuble. Or, l’existence de telles offres de gros est nécessaire, au moins à titre transitoire, pour un acteur comme Bouygues Telecom souhaitant entrer sur le marché du très haut débit. »
À ce titre, l’insertion de clauses stipulant des droits de suite au bénéfice des opérateurs ayant acquis des droits d’accès pérenne, imposés à l’opérateur proposant une offre de gros en amont dans le réseau, soulève en principe des réserves, notamment au regard du droit de la concurrence.
C’est pourquoi l’Autorité considère que de telles clauses peuvent être uniquement envisagées, et de manière strictement proportionnée, qu’afin de dissuader des opérateurs ayant la capacité et la part de marché suffisantes pour co-investir de faire le choix opportuniste d’être hébergés sur le marché de gros par un opérateur co-investisseur afin d’en partager les coûts. Il apparaît donc que de tels droits de suite visant à protéger l’investissement initial et le risque associé, devraient, a minima, être soumis à une double limite :
- une limite temporelle : ces droits de suite ne devraient être dus que pendant une période limitée durant laquelle il convient d’inciter les opérateurs à investir dans l’ensemble des fibres déployées ;
- une limite de minimis : un seuil de déclenchement devrait être prévu afin de ne pas faire peser de droits de suite pour un co-investisseur accueillant un autre opérateur ne disposant pas de la taille critique suffisante pour co-investir ; ce seuil de déclenchement pourrait notamment être exprimé en nombre d’abonnés de cet opérateur rapporté au nombre de logements éligibles.
En l’espèce, l’obligation de partager les revenus du marché de gros, telle qu’elle est prévue par l’offre de France Télécom, prévoit ces deux limites et semble proportionnée avec le souci de protection de l’investissement :
- elle ne s’applique que dans les réseaux dont la partie terminale est en multi-fibres, et lorsqu’au moins une fibre n’est pas attribuée ;
- elle est limitée à trois ans après la mise en service du point de mutualisation ;
- elle est soumise à un seuil de déclenchement de 5% d’accès activés5.
En conclusion, l’Autorité estime qu’il serait inéquitable de faire droit à la demande de Bouygues Telecom d’enjoindre à France Télécom de supprimer, dans son offre d’accès telle qu’elle est formulée en l’espèce, l’obligation de partager les revenus du marché de gros.
7. Sur les demandes de modification de diverses autres dispositions contractuelles de la convention d’accès de France Télécom
7.1. Sur la demande d’insertion d’un régime de pénalités pour non-respect des délais contractuels
7.1.1. Sur l’échec des négociations
La société Bouygues Telecom indique, dans sa saisine, avoir reproché, à plusieurs reprises, l’absence d’un régime de pénalités pour France Télécom, notamment dans son courriel en date du 26 mars 2010.
Par ailleurs, dans ses commentaires sur l’article 7.4 des conditions spécifiques en date du 4 mai 2010, la société Bouygues Telecom propose l’ajout suivant :
« En cas de dépassement de ces délais, France Télécom sera redevable d’une pénalité (à définir dans l’Annexe 2) ».
France Télécom y répond de la manière suivante : « NOK pour ajout ». Bouygues Telecom réplique ainsi :
« Maintien de cette demande. Il est légitime que FT soit engagé sur le respect de la GTR par des pénalités, sinon le délai perd tout son sens ».
Il apparaît que la demande de pénalités à la charge de France Télécom est une demande maintes fois réitérée par la société Bouygues Telecom, à laquelle France Télécom a opposé un refus systématique.
Au vu de ce qui précède, l’Autorité estime que la société Bouygues Telecom a demandé l’insertion d’un régime de pénalités à France Télécom et qu’il n’a pas été fait droit à cette demande. Par conséquent, l’échec des négociations étant caractérisé sur ce point, les conclusions de la société Bouygues Telecom sont recevables.
7.1.2. Sur le fond
La société Bouygues Telecom soutient que l’absence d’un régime de pénalités la laisserait dans l’insécurité vis-à-vis de ses clients finals et dans une situation de dépendance vis-à-vis de France Télécom.
La société France Télécom souligne, à raison, le manque de recul opérationnel pour qu’il soit possible de déterminer un régime de pénalités adapté à ce stade des offres de mutualisation.
Par conséquent, l’Autorité estime que la demande de Bouygues Telecom ne peut pas être accueillie au fond, en ce qu’elle intervient de manière trop précoce et que la société Bouygues Telecom ne démontre pas de manière convaincante qu’il serait équitable d’imposer à France Télécom un régime de pénalités à ce stade.
L’Autorité souligne toutefois qu’elle estime qu’un régime de pénalités devrait probablement être prévu dans les contrats de mutualisation des opérateurs à terme et qu’il appartiendrait à Bouygues Telecom, dans le cadre de relations contractuelles établies, de saisir l’Autorité d’un éventuel litige relatif à ce point, au moment opportun.
En l’état actuel, en raison du manque de recul opérationnel, du stade peu avancé de la mutualisation et au vu des arguments des parties, l’Autorité estime que l’équité ne commande pas de faire droit à la demande de Bouygues Telecom tendant à ce qu’il soit enjoint à France Télécom d’insérer un régime de pénalités dans son offre de cofinancement et rejette cette demande.
7.2. Sur les demandes visant à ce qu’un délai maximal soit imposé à France Télécom pour le transfert des informations relatives au point de mutualisation et aux raccordements paliers, pour le traitement des commandes et pour le rétablissement du service du client
7.2.1. « Ordonner à France Télécom de prévoir un délai maximal de 48h ouvrées à compter de la signalisation du problème pour rétablir le service »
7.2.1.1. Sur l’échec des négociations
Afin d’établir si des négociations ont eu lieu entre les parties quant à la question du rétablissement du service, dans un délai de 48h à compter de la signalisation du problème, et si ces dernières sont restées infructueuses ou non, la société Bouygues Telecom renvoie aux négociations contractuelles en pièce jointe de sa saisine.
Il convient de se reporter aux discussions portant sur l’article 7.6 des conditions générales et spécifiques de l’offre d’accès de France Télécom, qui stipule :
« France Télécom s’engage à rétablir le Service relevant de son domaine de responsabilité à compter du dépôt de signalisation dûment renseigné :
o Dans un délai de 2 (deux) Jours Ouvrés si les conditions cumulatives suivantes sont remplies :
1. l’Opérateur a pré localisé la panne
2. la pré localisation est correcte
3. la panne se situe entre le PBO inclus et le PTO
4. il n’y a pas nécessité d’intervenir chez le Client Final.
o Dans un délai maximal de 10 Jours Ouvrés lorsque la panne se situe entre le PM inclus et le PBO exclu et pour laquelle la localisation indiquée par l’opérateur est sur ce tronçon. Aucun délai ne peut être garanti en cas d’atteinte à l’intégrité du réseau.
En cas de nécessité de prise de rendez-vous avec le Client Final et quelque soit la localisation de la panne, France Télécom fera ses meilleurs efforts pour rétablir la ligne dans les meilleurs délais. »
Dans ses commentaires en date du 5 avril 2010, la société Bouygues Telecom indique, quant au délai de 10 jours ouvrés, que « ce délai devrait être fonction de la taille de l’immeuble, et commencer à 2 Jours Ouvrés pour les immeubles de taille réduite. De plus une possibilité de délai plus court pourrait être utile pour les clients professionnels ».
Dans les échanges de courriels entre les sociétés en cause en date des 12 et 26 avril 2010, relatifs au compte rendu d’une conférence téléphonique ayant eu lieu le 7 avril, la société Bouygues Telecom note, le 12 avril 2010 : « Clauses résiliation et maintenance : FT va revoir les termes de ces clauses ». Dans sa réponse du 26 avril 2010, la société France Télécom indique, relativement à cette mention : « France Télécom n’a pas prévu à ce jour de revoir la clause de maintenance ».
Dans ses commentaires en date du 4 mai 2010 relatifs à l’article 7.6 des conditions spécifiques, inchangé entre la V.1.1 et la V.2.1.2, Bouygues Telecom maintient le commentaire précité. La société France Télécom y apporte les réponses suivantes : « NOK. FT n’est pas en mesure de gérer des délais en fonction de la taille des immeubles. Bouygues Telecom répond ainsi : « Maintien de la demande de revue à la baisse du délai de GTR6. »
Le 28 mai 2010, la société France Télécom a indiqué maintenir son refus, en marques de révision sur l’article 7.6 des conditions spécifiques : « Maintien de la réponse de FT » et « Non OK. FT ne s’engage pas au titre d’une GTR ».
Le 10 juin 2010, la société France Télécom a fait parvenir aux opérateurs un document intitulé « Contrat V1R3 » et indique à ses interlocuteurs que : « Cette version du contrat intègre des modifications et des précisions, qui font suite aux commentaires formulés sur les versions précédentes. »
L’article 7.6 objet des présentes négociations y est inchangé.
Au vu de ce qui précède, l’Autorité estime que la société Bouygues Telecom a demandé à bénéficier d’un délai de 48h (2 jours ouvrés) pour le rétablissement du service de ses clients, et qu’elle s’est vu opposer un refus par la société France Télécom : l’échec des négociations est donc caractérisé sur ce point et les conclusions de la société Bouygues Telecom sont recevables.
7.2.1.2. Sur le fond
Dans son offre d’accès aux lignes en fibre optique jusqu’à l’abonné (FttH), France Télécom prévoit un délai de rétablissement de service maximal de 10 jours ouvrés (processus décrit ci- dessus).
France Télécom considère ne pas avoir le retour d’expérience nécessaire pour estimer les délais précis de rétablissement des clients dans le cadre de la mutualisation, et refuse de s’engager sur des délais plus contraignants que ceux qui sont prévus dans son offre à ce stade
La société Bouygues Telecom n’apporte pas dans ses écritures d’éléments démontrant qu’il serait équitable, en l’espèce, d’imposer le respect de tels délais à la société France Télécom.
Il convient ainsi de rappeler le nombre encore limité de foyers abonnés via des offres de mutualisation, qui est estimé à seulement 850 foyers au 30 juin 2010 selon l’observatoire trimestriel des marchés de gros des communications électroniques (services fixes haut et très haut débit) en France.
Ainsi, l’Autorité juge qu’en l’espèce, il serait inéquitable de fixer dès aujourd’hui des délais de rétablissement de ligne plus contraignants et de faire droit à la demande de Bouygues Telecom d’enjoindre à France Télécom de prévoir un délai maximal de 48 heures ouvrées à compter de la signalisation du problème pour rétablir le service.
7.2.2. « Ordonner à France Télécom de prévoir un délai maximal de 2 jours ouvrés pour le transfert des informations relatives au point de mutualisation et aux raccordements paliers, ainsi que pour le traitement des commandes »
La saisine de la société Bouygues Telecom est peu précise s’agissant des négociations relatives au délai maximal de 2 jours ouvrés pour le transfert des informations relatives au point de mutualisation et aux raccordements paliers, ainsi que pour le traitement des commandes.
En effet, Bouygues Telecom cite un certain nombre de courriers (26 mars 2010, 15 juin 2010, 9 juillet 2010) dans lesquels elle a reproché à France Télécom, de manière générale, « le déséquilibre extrême des clauses juridiques de (son) contrat (…) ». La société Bouygues Telecom renvoie également aux commentaires et demandes formulés dans les différentes versions de la convention d’accès de France Télécom.
Il apparaît à ce stade que les négociations entre les parties ont porté sur un grand nombre de points ainsi que sur divers délais, qui ne coïncident pas de façon systématique avec les délais demandés par Bouygues Telecom à l’Autorité dans le cadre de sa saisine.
À titre d’exemple, la société France Télécom souligne que, s’agissant des délais de livraison des points de mutualisation, Bouygues Telecom a indiqué, le 4 mai 2010, que : « Ces délais sont acceptables sous réserve que la Date de Mise en Service Commerciale soit toujours postérieure à la date de réception des avis de mise à disposition du PM ». Alors que France Télécom considère que, par sa réponse du 28 mai 2010 « pour les câblages à installer, dans le cadre du cofinancement, la date de mise en service est bien postérieure à la date de mise à disposition (…) », elle a fait droit à la demande de la société Bouygues Telecom, cette dernière interprète différemment la même réponse.
De même, concernant les délais de livraison de la ligne en fibre optique jusqu’à l’abonné (FttH), les négociations entre les parties semblent avoir porté sur des délais compris entre 3 et 5 jours, et non 2 jours comme le demande la société Bouygues Telecom dans le cadre de la présente saisine.
En tout état de cause, l’Autorité estime, pour les raisons évoquées ci-dessus, et notamment le manque évident de recul, qu’il serait inéquitable d’imposer à France Télécom un délai de 48 heures ouvrées pour le transfert des informations relatives au point de mutualisation et aux raccordements paliers et pour le traitement des commandes.
Cependant, l’Autorité veillera à ce que le principe de non-discrimination soit effectivement appliqué par les opérateurs d’immeuble, et à ce que les délais pratiqués n’aboutissent pas, en particulier, à ce que seul l’opérateur d’immeuble soit en mesure de procéder à l’ouverture commerciale d’un point de mutualisation donné, au détriment des opérateurs co- investisseurs.
Par conséquent, l’Autorité estime, à ce stade, qu’il ne serait pas équitable de faire droit à la demande de Bouygues Telecom à ce sujet et rejette la demande de cette dernière.
7.2.3. « À tout le moins, imposer à France Télécom le respect des mêmes délais pour le transfert des informations relatives au point de mutualisation et aux raccordements paliers, pour le traitement des commandes et pour le rétablissement du service du client, que le client soit un client Bouygues Telecom ou France Télécom »
7.2.3.1. Sur l’échec des négociations
Il ressort des négociations contractuelles relatives au rétablissement du service au client (article 7.4 des conditions spécifiques de l’offre de France Télécom) que Bouygues Telecom a formulé la remarque suivante :
«En tout état de cause, nous souhaitons que France Télécom s’engage à fournir les mêmes efforts pour le rétablissement des clients de l’OC7 que pour ses propres clients ».
Dans sa réponse transmise à Bouygues Telecom le 28 mai 2010, la société France Télécom fait figurer le commentaire suivant, daté du 27 mai 2010 :« Non OK. FT ne s’engage pas au titre d’une GTR ».
Dans ses mémoires en défense, France Télécom confirme son refus de s’engager sur des délais précis, mais ajoute que : « (…) aucune stipulation des Conditions Spécifiques ne permet d’évoquer un traitement différent entre 2 opérateurs ». Il convient toutefois de relever que la société France Télécom n’a pas circonstancié son refus et s’est bornée à répondre par la mention « Non OK » à la demande de la requérante visant à obtenir, si ce n’est des délais de rétablissement plus courts, au moins des délais identiques à ceux que France Télécom applique quand elle rétablit le service de ses propres clients.
L’Autorité estime ainsi que les conclusions tendant à ce qu’il soit enjoint à France Télécom de respecter les mêmes délais pour le rétablissement du service, que le client soit un client Bouygues Telecom ou France Télécom, ont fait l’objet de négociations dont l’échec est avéré. Ces conclusions sont donc recevables.
En revanche, concernant les négociations relatives aux autres demandes de la société Bouygues Telecom, tendant à enjoindre à la société France Télécom de respecter les mêmes délais pour le transfert des informations relatives au point de mutualisation et aux raccordements paliers ainsi que pour le traitement des commandes, que le client soit un client de Bouygues Telecom ou de France Télécom, la société Bouygues Telecom ne démontre pas, dans sa saisine, avoir spécifiquement saisi France Télécom d’une telle demande. Il résulte de ce qui précède que les conclusions de Bouygues Telecom tendant à ce qu’il soit enjoint à France Télécom de respecter les mêmes délais pour le transfert des informations relatives au point de mutualisation et aux raccordements paliers ainsi que pour le traitement des commandes, que le client soit un client de Bouygues Telecom ou de France Télécom sont irrecevables, faute d’échec des négociations.
7.2.3.2. Sur le fond
L’article 2 de la décision de l’Autorité pose un principe de non-discrimination au titre duquel, dans les immeubles où elle est opérateur d’immeuble, France Télécom doit offrir un accès aux opérateurs qui en font la demande dans des conditions similaires à celles qu’elle s’applique à elle-même :
« L’opérateur d’immeuble offre aux autres opérateurs l’accès aux lignes au point de mutualisation, sous forme passive, dans des conditions raisonnables et non discriminatoires. »
Bouygues Telecom indique que le principe de non-discrimination impose à France Télécom de respecter les mêmes délais pour le rétablissement du service au client, quel que soit l’opérateur commercial. Ainsi, ces délais doivent être les mêmes que le client soit un client Bouygues Telecom ou bien un client France Télécom.
Au demeurant, France Télécom s’étonne, dans son mémoire en défense du 6 septembre 2010, que Bouygues Telecom juge les délais proposés dans son offre d’accès comme discriminatoires.
Compte tenu du principe de non-discrimination détaillé ci-dessus, l’Autorité estime qu’il est équitable que France Télécom soit tenue de respecter les mêmes délais de rétablissement du service que le client final soit un client Bouygues Telecom ou bien un client France Télécom.
Par ailleurs, et nonobstant l’absence de négociations préalables à ce sujet, l’Autorité rappelle que le traitement non-discriminatoire des clients en fonction de leur opérateur est, en tout état de cause, expressément imposé par l’article 2 de sa décision précitée et doit être appliqué par tous les opérateurs.
Par conséquent, l’Autorité veillera à ce que le principe de non-discrimination soit effectivement appliqué par les opérateurs d’immeuble, et à ce que les délais pratiqués n’aboutissent pas, en particulier, à ce que seul l’opérateur d’immeuble soit en mesure de procéder à l’ouverture commerciale d’un point de mutualisation donné, au détriment des opérateurs co-investisseurs.
7.3. Sur la demande de modifications tarifaires unilatérales
7.3.1. Sur l’échec des négociations
Dans sa saisine, Bouygues Telecom indique avoir, à plusieurs reprises formulé des demandes visant à ce que France Télécom modifie sa convention d’accès, de manière à prévoir qu’aucune augmentation de prix ni modification du contrat cadre susceptible d’entraîner une augmentation des coûts pour l’opérateur commercial ne puissent être décidées unilatéralement par France Télécom pendant la durée de l’engagement de Bouygues Telecom. La société Bouygues Telecom indique que des négociations ont eu lieu au sujet de l’annexe 1 des conditions générales de France Télécom, ainsi que des articles 4.2 et 13.1 des conditions générales.
Dans son mémoire en défense en date du 6 septembre 2010, France Télécom considère qu’une telle demande n’a jamais été formulée.
Dans la version V.1 des conditions générales, l’article 13, intitulé « Modification du contrat », dispose notamment : « Par exception, les Parties conviennent que les modifications suivantes du Contrat sont réalisées par voie de notification écrite par France Télécom dans le respect :
- d’un préavis de 3 mois pour :
* les Conditions Spécifiques ;
* les STAS ;
* toute modification à la hausse des prix de l’annexe 1 des Conditions Générales
(…) »
Dans ses commentaires sur les conditions générales en date du 26 mars 2010, la société Bouygues Telecom a formulé des critiques dont il ressort qu’elle estime que le délai de trois mois est trop court pour procéder à des modifications des conditions spécifiques, qui emportent trop de conséquences.
Après modification des conditions générales par France Télécom, la société Bouygues Telecom a maintenu ses commentaires le 5 avril 2010.
Dans une nouvelle version des conditions générales de France Télécom, commentée le 26 avril par Bouygues Telecom, la stipulation suivante a fait l’objet de débats : « L’opérateur qui refuse l’application d’une modification à la hausse a la faculté de résilier des prestations dans les conditions de l’article 29.5 des Conditions Générales sauf cas spécifiquement mentionnés par ailleurs dans le Contrat (…). » Bouygues Telecom a, à ce sujet, considéré que « La résiliation doit être l’ultime réponse, des solutions temporaires ou alternatives doivent pouvoir être mises en place ». France Télécom a répondu dans les jours suivants que « FT ne prévoit pas de solutions alternatives dans ce cas. Il s’agit d’une offre régulée dans le cadre de laquelle France Télécom est soumise à un contrôle des tarifs par l’Autorité de régulation». La société Bouygues Telecom poursuit alors « Nous maintenons la demande et proposons de la limiter au cas où l’offre ne serait plus régulée ».
Dans son courrier du 15 juin 2010, la société Bouygues Telecom estime que l’offre de France Télécom n’est pas conforme aux recommandations de l’ARCEP, notamment en ce qui concerne « Les régimes juridiques retenus, les clauses de responsabilité et de modification du contrat (…) ».
Ainsi, il apparaît que les échanges entre les sociétés Bouygues Telecom et France Télécom ont porté, d’une part, sur la durée de délai de préavis au terme duquel la société France Télécom peut procéder à certaines modifications et, d’autre part, sur les conséquences du refus, par l’opérateur commercial, de la modification des tarifs.
Il n’apparaît pas, en revanche, que la société Bouygues Telecom ait soumis à la société France Télécom la demande sur laquelle elle invite l’Autorité de se prononcer, à savoir, le retrait de son offre de la faculté de modifier unilatéralement et à la hausse ses tarifs ou le contrat cadre pendant la durée de l’engagement de cofinancement.
Par conséquent, les conclusions de la société Bouygues Telecom tendant à ce que l’Autorité enjoigne à France Télécom de modifier les stipulations de sa convention d’accès l’autorisant à modifier le prix de ses prestations à tout moment, et de prévoir qu’aucune augmentation de prix ni modification du contrat cadre susceptible d’entraîner une augmentation des coûts de l’opérateur commercial ne pourront être décidées unilatéralement par France Télécom pendant la durée de l’engagement de cofinancement, sont irrecevables, faute d’échec des négociations. Elles doivent donc être rejetées.
7.4. Sur la demande de clause de résiliation en cas de changement de contrôle du cocontractant
S’agissant de la clause de résiliation en cas de changement de contrôle du cocontractant, la société Bouygues Telecom indique avoir signalé à maintes reprises à la société France Télécom que son offre de cofinancement était déséquilibrée, et lui avoir demandé de prévoir des évolutions de cette offre (courriers des 26 mars 2010, 15 juin 2010 et 9 juillet 2010).
La société Bouygues Telecom renvoie par ailleurs aux négociations qui ont eu lieu autour de l’article 22 des conditions générales de l’offre de France Télécom.
Il apparaît que la société Bouygues Telecom a effectivement demandé, dans ses commentaires sur le document contractuel proposé par France Télécom, la suppression de la clause permettant la résiliation du contrat en cas de changement de contrôle du cocontractant. France Télécom ayant refusé cette suppression, la société Bouygues Telecom a répondu, relativement à ce refus, sur les versions successives du contrat en date des 26 avril et 4 mai 2010 « À valider ».
Par la suite, la société Bouygues Telecom a rappelé ses demandes relatives aux « déséquilibres contractuels » dans des courriers en date des 15 juin 2010 et 9 juillet 2010.
Toutefois, ces courriers sont formulés de manière générale, et ne contiennent pas de demande expresse tendant à la suppression de ladite clause.
Il résulte de ce qui précède que la société Bouygues Telecom n’ayant pas maintenu sans ambiguïté sa demande de suppression de la clause litigieuse lors des négociations contractuelles, et n’indiquant pas, dans sa saisine, avoir par la suite formulé de nouvelle demande expresse en ce sens, l’Autorité ne peut que constater que les négociations relatives à ladite clause n’ont pas été menées à leur terme.
Par conséquent, les conclusions de Bouygues Telecom tendant à la suppression de la clause de résiliation en cas de changement de contrôle du cocontractant sont irrecevables.
8. Sur les délais de mise en œuvre des modifications devant être effectuées
La société Bouygues Telecom demande à ce qu’il soit enjoint à France Télécom de procéder aux modifications résultant de la présente décision dans un délai de trois mois à compter de la notification de cette dernière, excepté pour les demandes tendant, d’une part, à la modification des stipulations contractuelles relatives à la responsabilité des parties, et, d’autre part, à la suppression de la clause autorisant France Télécom à résilier le contrat en cas de changement de contrôle de son cocontractant, pour lesquelles elle demande à ce que la décision soit exécutée dans un délai d’un mois.
Premièrement, l’Autorité ayant relevé son incompétence pour se prononcer, en l’espèce, sur la demande de Bouygues Telecom tendant à la modification des stipulations relatives à la responsabilité des parties, la demande tendant à ce qu’il soit enjoint à France Télécom de se conformer, sur ce sujet, à la présente décision dans un délai d’un mois est sans objet.
De même, l’Autorité ayant constaté l’absence d’échec des négociations, et par conséquent, l’irrecevabilité de la demande de Bouygues Telecom tendant à supprimer la clause de résiliation du contrat en cas de changement du cocontractant, la demande tendant à ce qu’il soit enjoint à France Télécom de se conformer, sur ce sujet, à la présente décision dans un délai d’un mois est également sans objet.
Deuxièmement, concernant les demandes auxquelles l’Autorité estime qu’il serait équitable de faire droit, c'est-à-dire la demande tendant à ce qu’il soit enjoint à France Télécom de proposer à Bouygues Telecom une offre d’accès permettant de bénéficier de droits d’usage pérennes et amortissables sur l’infrastructure déployée, à tout moment, ainsi que la demande tendant à ce que l’opérateur commercial supporte la quasi-intégralité des coûts du raccordement palier, l’Autorité estime qu’un délai de trois mois est raisonnable pour se conformer à la présente décision.
En effet, la décision de l’Autorité sur ces points n’entraînera pas de conséquences techniques dont la mise en œuvre pourrait être plus longue et les modifications contractuelles résultant de la présente décision ne présentent pas de difficulté majeure et peuvent être mises en œuvre dans un délai de trois mois.
Troisièmement, la demande de Bouygues Telecom tendant à ce qu’il soit enjoint à France Télécom de se conformer à la présente décision dans un délai de trois mois est sans objet en ce qui concerne les autres conclusions de Bouygues Telecom, auxquelles il n’est pas fait droit ou sur lesquelles l’Autorité ne se prononce pas, faute d’échec des négociations.
***
Décide :
Article 1 : France Télécom doit modifier son offre d’accès à Bouygues Telecom afin de lui proposer à tout moment une offre d’accès aux lignes FttH permettant de bénéficier de droits d’usage pérennes sur l’infrastructure déployée, et d’amortir les investissements correspondants, dans des conditions raisonnables, moyennant, un taux de rémunération du capital proportionné tenant compte du risque encouru.
Article 2 : France Télécom doit modifier son offre d’accès à Bouygues Telecom afin de prévoir la prise en charge d’au moins 90% des coûts du raccordement palier par l’opérateur commercial recrutant le client.
Article 3 : Le surplus des conclusions présenté par la société Bouygues Telecom est rejeté.
Article 4 : La société France Télécom devra appliquer la présente décision dans un délai de trois mois à compter de sa notification.
Article 5 : Le directeur des affaires juridiques de l’Autorité ou son adjoint est chargé de notifier aux sociétés Bouygues Telecom et France Télécom la présente décision, qui sera publiée sous réserve des secrets protégés par la loi.
Notes :
1 Dans la décision n°2009-1106, l’ARCEP a apprécié la délimitation des zones très denses au sein des agglomérations françaises dont la population est supérieure à 250 000 habitants, au regard d’une part, des critères de densité et de population et, d’autre part, des projets de déploiement actuels des opérateurs.
2 PSM : opérateurs puissants sur le marché
3 http://www.bboxnews.fr/index.php?post/2009/08/24 /frais-resiliation-prolonge
4 Sur la base des conditions tarifaires de France Télécom, l’investissement total de […] d’euros correspond à la somme de 54 000 raccordements palier réalisés par Bouygues Telecom pour […] euros par raccordement (soit […] d’euros pour ses propres raccordements palier) et de 486 000 raccordements paliers réalisés par les opérateurs tiers pour lesquels Bouygues Telecom contribue à hauteur de […] euros par raccordement (soit […] d’euros pour les raccordements palier des opérateurs tiers).
5 Pour un taux de pénétration du FttH de 40%, cela revient pour un opérateur ayant des clients sur 5% des prises installées à une part de marché sur les clients, c’est-à-dire sur les accès activés, de 12,5%.
6 GTR : Garantie de Temps de Rétablissement
7 OC : Opérateur Commercial