Cass. 1re civ., 24 novembre 1993, n° 91-12.198
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
Attendu, selon les juges du fond, qu'un contrat d'édition a été conclu entre l'éditeur Tchou, aux droits de qui se trouve la société des Editions Sand, et M. X..., désigné comme auteur, pour la publication d'un guide illustré, paru en 1966 sous le titre "guide de la Bretagne mystérieuse" ; que l'ouvrage a été réédité à plusieurs reprises, publié en édition de poche et diffusé également par la société des Editions Princesse ; qu'un avenant est intervenu en 1978 portant à 10 % la rémunération proportionnelle de M. X..., stipulant l'interdiction pour l'éditeur de procéder à "toute édition fractionnée de l'ouvrage et à toute édition adoptant une nomenclature départementaliste", M. X... s'engageait à préparer une mise à jour pour le 31 janvier 1979, et l'éditeur à en assurer la publication avant le 31 octobre 1979, avec indication du nom de M. X..., en qualité d'auteur ;
qu'en 1985, la sociétédes Editions Sand ayant annoncé la publication d'une nouvelle édition du guide, qualifié d'"ouvrage collectif", M. X... a obtenu en référé l'interdiction de cette publication ; que la société des Editions Sand a alors édité, sous la dénomination commerciale "Tchou" un ouvrage, intitulé "Guide de la Bretagne mystérieuse", sous la signature de Jean Z... ;
que M. Y... a fait assigner l'éditeur et l'auteur de ce dernier ouvrage en résiliation de son contrat d'édition et en contrefaçon ;
Sur le premier moyen, pris en ses trois branches :
Attendu que la société des Editions Sand fait grief à l'arrêt attaqué (Paris, 5 décembre 1990), d'avoir prononcé à ses torts la résiliation du contrat d'édition conclu avec M. X... et de l'avoir condamnée à lui verser la somme de 200 000 francs à titre de dommages-intérêts, alors que, d'une part, la cour d'appel aurait privé sa décision de base légale en ne recherchant pas si l'éditeur était tenu, selon le contrat, de rendre des comptes avant le 1er avril 1983, s'il n'avait pas été empêché de le faire du fait de la société Editions Princesse et s'il n'avait pas en fait exécuté cette obligation en 1984 et 1985, alors que, d'autre part, l'éditeur n'est tenu d'assurer une exploitation permanente et suivie ainsi qu'une diffusion commerciale de l'oeuvre que dans la mesure des usages de la profession, ce que la cour d'appel a omis de relever en décidant que l'éditeur devait se substituer à l'auteur pour défendre ses intérêts envers un tiers éditeur, la société Editions Princesse, cessionnaire d'un droit d'exploitation partielle de l'ouvrage dans un circuit de distribution moins rémunérateur pour l'auteur, alors, enfin, que seule la violation d'une obligation contractuelle en relation avec le préjudice subi peut engager la responsabilité contractuelle, ce que la cour d'appel a omis de caractériser en se bornant à retenir à l'encontre des éditions Sand un simple projet de reédition de l'ouvrage litigieux, sans préciser en quoi ce projet avait pu causer un préjudice pour M. X... ;
Mais attendu que, par motifs propres et adoptés du jugement, la cour d'appel a retenu que la société des Editions Sand avait manqué aux obligations du contrat la liant à M. X... - dont elle a confirmé la qualité d'auteur, contestée par la société Editions Sand ; qu'ainsi, les juges du fond ont relevé que l'éditeur n'avait pas satisfait à son obligation légale de reddition de comptes, malgré plusieurs demandes de l'auteur en 1984, alors qu'elle gérait le fonds d'édition depuis 1979, sans que cette carence pût être justifiée par la situation des Editions Princesse ; que l'obligation d'assurer à l'oeuvreune exploitation permanente et une diffusion commerciale n'avait pas davantage été respectée, la société des Editions Sand ayant laissé les éditions Princesse diffuser l'ouvrage dans des conditions non contractuelles portant un grave préjudice aux droits de l'auteur ; que, de même, l'éditeur a manqué à son engagement de faire une nouvelle édition de l'ouvrage sous le nom de M. X..., mais a fait connaître publiquement une intention contraire ; que de ces constatations et énonciations souveraines, la cour d'appel a pu déduire que le comportement fautif de la société des Editions Sand avait causé à M. X... un préjudice moral - dont elle a souverainement évalué le montant - et qu'il y avait lieu de prononcer la résiliation du contrat d'édition ; qu'elle a ainsi légalement justifié sa décision sans encourir aucun des griefs du moyen, qui doit être écarté ;
Et sur le second moyen, pris en ses deux branches :
Attendu qu'il est encore reproché à la cour d'appel d'avoir retenu, à l'encontre de la société des Editions Sand, une contrefaçon, pour avoir publié, sous le nom de Jean Z..., un ouvrage portant le même titre que le guide précédemment édité avec le concours de M. X..., alors que, d'une part, la loi ne protège pas les idées exprimées ni les informations révélées, mais seulement la forme originale dans laquelle elle le sont, de sorte que la cour d'appel aurait violé les articles 1er et 3 de la loi du 11 mars 1957 en se bornant à retenir que le texte de M. Z... reprenait étroitement celui de M. X..., alors que, d'autre part, les juges du second degré auraient dénaturé les documents produits, desquels il résultait clairement que le guide publié avec le concours de M. X... était, quant à l'iconographie et à la cartographie, le reflet d'un travail commun à plusieurs personnes, en affirmant que M. X... était l'auteur de cet aspect de l'ouvrage ;
Mais attendu qu'en retenant, dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation, que le guide publié sous la signature de M. Z... reprenait les éléments essentiels, caractéristiques de l'originalité de l'ouvrage de M. X..., tant pour le texte que pour l'illustration, la mise en page et les légendes des documents reproduits y compris avec parfois des erreurs caractérisant une copie servile, la cour d'appel a ainsi relevé les éléments constitutifs d'une contrefaçon ; qu'elle a ainsi, sans dénaturation, légalement justifié sa décision sur ce point ; que le moyen n'est fondé en aucun de ses griefs ;
Et attendu que le pourvoi revêt un caractère abusif ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Editions Sand à une amende civile de quinze mille francs, envers le Trésor public ; la condamne, envers M. Gwenc'Hian Le Scouezec, aux dépens et aux frais d'exécution du présent arrêt ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Première chambre civile, et prononcé par M. le président en son audience publique du vingt quatre novembre mil neuf cent quatre-vingt-treize.